[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.} 753 M. Boislandry, rapporteur, donne lecture des articles 3 et 4 du décret, qui concernent les métropoles. M. Moreau, réclame une onzième métropole pour la ville de Tours qui y a droit par sa position et par son importance. M. d’Estourmel demande que le titre de métropole soit conservé à Gambray qui y a droit en vertu de ses anciens privilèges, de ses capitulations avec Louis XIV et comme ayant des évêchés suffragants à l’étranger. Ces amendements sont écartés par la question préalable. Les articles 3 et 4 présentés par le comité ecclésiastique sont ensuite décrétés en ces termes : « Art. 3. Le royaume sera divisé en dix arrondissements métropolitains, dont les sièges seront Rouen, Reims, Besançon, Rennes, Paris, Bourges, Bordeaux, Toulouse, Àix et Lyon. Ges métropoles auront la dénomination suivante : Celle de Rouen sera appelée métropole des Côtes de la Manche. Celle de Reims ....... métropole du nord-est. Celle de Besançon ...... métropole de l’est. Celle de Rennes ....... métropole du nord-ouest Celle de Paris. ....... métropole de Paris. Celle de Bourges ...... métropole du centre. Celle de Bordeaux ...... métropole du sud-ouest Celle de Toulouse ...... métropole du sud. Celle d’Aix ...... ... métropole des Côtes de Méditerranée. Celle de Lyon ........ métropole du sud-est. « Art. 4. L’arrondissement de la métropole des Côtes de la Manche, comprendra les évêchés des départements de la Seine-Inférieure, du Calvados, de la Manche, de l’Orne, de l’Eure, de l’Oise, de la Somme, du Pas-de-Calais. « L’arrondissement de la métropole du Nord-Est comprendra les évêchés des départements de la Marne, de la Meuse, de la Meurthe, de la Moselle, des Ardennes, de l’Aisne, du Nord. « L’arrondissement de la métropole de l’Est comprendra les évêchés des départements du Doubs, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, des Vosges, de la Haute-Saône, de la Haute-Marne, de la Côte-d’Or, du Jura. « L’arrondissement de la métropole du Nord-Ouest comprendra les évêchés des départements d’Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord, du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Inférieure, de Maiue-et-Loire, de la Sarthe, de la Mayenne. « L’arrondissement de la métropole de Paris comprendra les évêchés de Paris, de Seine-et-Oise, d’Eure-et-Loir, du Loiret, de l’Yonne, de l’Aube, de la Seine-et-Marne. « L’arrondissement de la métropole du Centre comprendra les évêchés des départements du Cber, de Loir-et-Cher, de l’Indre-et-Loire, de la Vienne, de l’Indre, delà Creuse, de l’Ailier, de la Nièvre. « L’arrondissement de la métropole du Sud-Ouest comprendra les évêchés des départements de la Gironde, de la Vendée, de la Charente-Inférieure, des Landes, de Lot-et-Garonne, de la Dordogne, de la Corrèze, de la Haute-Vienne, de la Charente et des Deux-Sèvres. « L’arrondissement de la métropole du Sud comprendra les évêchés des départements de la Haute-Garonne, du Gers, des Basses-Pyrénées, des Hautes-Pyrénées, de l’Ariége, des Pyrénées-1* Série. T. XVI. Orientales, de l’Aude, de l’Aveyron, du Lot et du Tarn. « L’arrondissement de la métropole des côtes de la Méditerranée comprendra les évêchés des départements des Bouches-du-Rhône, de la Corse, du Var, des Basses-Alpes, des Hautes-Alpes, de la Drôme, de la Lozère, du Gard et de l’Hérault. « L’arrondissement de la métropole du Sud-Est comprendra les évêchés des départements du Rhône-et-Loire, du Puy-de-Dôme, du Cantal, de la Haute-Loire, de l’Ardèche, de l’Isère, de l’Ain et de Saône-et-Loire. » M. Brocheton. La tranquillité publique est depuis fort longtemps menacée dans la ville de Soissons. Votre comité des recherches a déjà été saisi de cette affaire ; je demande qu’il examine de nouveau ces diverses pièces qui lui ont été remises, et qu’il vous propose les mesures qu’il croira nécessaires pour mettre un terme à l’animosité des partis. (Voyez, aux Annexes de la séance, les pièces cod cernant cette affaire.) L’Assemblée décide que le comité des recherches rendra compte de l’affaire de Soissons. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la liberté du commerce de l'Inde. M. Gillet de Eajacqueminière. La question importante, soumise dans ce moment à votre délibération, me paraît pouvoir se réduire à deux termes bien simples : 1° Les retours du commerce de l’Inde auront-ils lieu dans tous les ports du royaume sans restriction, ou bien ne pourront-ils s’effectuer provisoirement que dans un seul port ? 2° ce port unique doit-il être celui de Lorient de préférence à tout autre? Je vais tâcher d’examiner brièvement ces deux propositions sous les différents points de vue des avantages ou des inconvénients qu’elles peuvent entraîner; et, si je ne me trompe, il me semble que de la discussion dans laquelle je vais entrer découlent tout naturellement les réponses qu’on peut faire au système de ceux qui ont combattu ou qui voudraient combattre le projet de décret qui vous est pré senté par le comité d’agriculture et de commerce, dont j’ai l’honneur d’être membre, auquel j’ai fait part des observations que je viens vous soumettre, et qui m’a autorisé à vous les présenter en son nom ; elles ont aussi obtenu les suffrages de MM. les députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France, qui assistaient à la séance du comité. Ce ne sont pas les calculs de l’intérêt ou de i’amour-propre, toujours dangereux, toujours du moins justement suspects, que je viens vous présenter; mais je viens offrir les résultats auxquels m’a fixé la conviction du plus grand avantage ou , pour mieux dire, du moindre détriment national, malgré les efforts de ceux qui cherchent sans cesse à vous persuader des immenses avantages du commerce de l’Inde; qui, pour augmenter l’illusion qu’ils veulent vous faire, vous remettent perpétuellement sous les yeux le tableau d’un commerce qu’ils élèvent subitement à 60 millions par année. Il ne faut pas se le dissimuler, tant que notre position, dans ces contrées, n’aura pas changé, et peut-être ne devons-nous pas le souhaiter, du moins pour le moment, le commerce de l'Inde n’est et ne sera pour la France qu’un commerce désavantageux. C’est ce que n’ont pas craint d’a-48 754 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.1 vouer, dans le temps, ceux même qui, avec des connaissances approfondies sur le commerce en général, ont soutenu le plus fortement, dans cette Assemblée, le système de liberté que vous avez consacré, à l’époque du 3 avril , pour le commerce de l’Inde. Mais, en rendant ce décret, avez-vous, comme, par un étrange abus des principes, on l’a soutenu devant cette tribune, avez-vous, dis-je, entendu prononcer une liberté indéfinie, soit pour les chargements, soit pour les retours; ou plutôt ne vous êtes-vous pas réservé de statuer sur les modifications qu’il vous paraissait juste et nécessaire, pour l’avantage général, d’adopter d’après ce principe de liberté? et n’avez-vous pas vous-mêmes préjugé leur nécessité, en ordonnant que votre comité d’agriculture et de commerce vous présenterait incessamment le projet des dispositions qu’il croirait utile de suivre dans l’article que vous venez de décréter ? Que devient, à présent, ce système soutenu, il y a deux jours, devant cette tribune, avec une éloquence encore plus insidieuse que persuasive, que la question était jugée par votre décret du 3 avril ; qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur les propositions de votre comité ; qu’en fait de commerce, le seul bon principe était : laissez tout faire, laissez tout passer? Adoptez sans modification, sans réserve, de pareils systèmes, et bientôt vous verrez l’avidité mercantile servant l’inconstance et la frivolité nationales, dont la Révolution n’a pas pu nous guérir encore ; vous la verrez, dis-je, inonder vos entrepôts de productions étrangères; vous verrez la légèreté, le goût des choses rares et nouvelles, préférer ces marchandises à celles de nos manufactures nationales, et celles-ci tomber tout à coup dans le discrédit, dans une léthargie qui amènerait, sous peu d’années, leur anéantissement total. Vous n’avez cherché qu’à favoriser nos manufactures, en multipliant les moyens d’échanges, des débouchés de leurs denrées, et leurs relations commerciales dans l’Inde, jusqu’alors exclusivement concentrées dans les mains d’une seule Compagnie. Et cependant, on vous aurait, par des syllogismes, par de fausses conséquences tirées d’un principe en lui-même incontestable, amenés au point d’accorder par le fait le même privilège exclusif sur nos arts, notre industrie et nos manufactures nationales, à toute l’Inde, à l’Angleterre votre rivale, propriétaire et dominatrice des 55 centièmes du territoire de l’Inde; àl’Angleterre qui servirait, sans pudeur, sans aucune opposition possible, la contrebande et l’avarice de quelques spéculateurs, indignes du nom français dont ils se parent et d’une liberté qu’ils réclament particulièrement, mais qu’ils n’obtiendront pas sûrement de vous dans cette circonstance, puisqu’ils ne veulent qu’une chose au détriment de tous. J’ai dit sans opposition possible, et je n’ai rien avancé de trop, car le seul obstacle qu’on puisse opposer à la contrebande, c’est la surveillance , et cette surveillance est impraticable. Or, elle sera ruineuse si, cédant à l’intérêt particulier, qui seul s’est fait entendre devant cette tribune, en opposition avec l’avis de votre comité, vous déclarez, en vertu du principe de liberté consacré par votre decret du 3 avril, que les retours pourraient avoir lieu dans tous les ports du royaume ; car il n’y a pas, il ne peut y avoir de terme moyen à prendre dans la question qui s’agite. La liberté que vous avez décrétée est indéfinie ou ne l’est pas; si elle est indéfinie, il faut que les retours puissent se faire dans tous les ports sans exception ; si, comme l’a pensé presque unanimement votre comité, il est indispensable d’y apporter des modifications, les premières de toutes sont incontestablement d’assujettir les retours dans un seul port; et ce dernier parti est le seul qui puisse concilier l’avantage général de votre commerce, de vos manufactures , de vos consommations avec l’intérêt particulier des armateurs pour l’Inde; le seul qui puisse compenser ou, pour mieux dire, amoindrir les funestes effets d’un commerce désavantageux , que| votre sagesse vous a déterminés à tolérer comme un mal indispensable. J’ai dit que l’intérêt de votre commerce, de vos manufactures, de vos consommations, exigeait que les retours se fissent dans un seul port, et, pour vous en convaincre, il suffira de vous rappeler en peu de mots comment se font les spéculations pour le commerce de l’Inde. Chaque armateur fait ses expéditions, commande ses retours, suivant qu’il croit que les uns ou les autres pourront lui être le plus avantageux. Il se fixe à une tout au plus ou à quelques-unes des espèces de marchandises qu’on peut rapporter de l’Inde; mai3 aucun d’eux n’a jamais pensé à former des magasins assortis. Les acquéreurs de première main n’ont pas, pour satisfaire aux différents goûts et demandes, besoin seulement d’une seule espèce de ces marchandises ; il leur en faut plusieurs, quelquefois même de toutes. Supposons un moment l’adoption du système de ceux qui veulent une liberté indéfinie : il résultera sans doute quelquefois de cette disposition, qu’à Lorient, par exemple, on ne trouvera que des épiceries, à Marseille que des guinées blanches, à Bordeaux que des toiles propres à l’impresssion, au Havre, que des porcelaines, etc. Supposons, au contraire, que chaque armateur d’un port ait isolément combiné ses demandes, de manière que par un effet du hasard, ce port se trouve à peu près assorti de toutes les marchandises de l’Inde ; alors il n’y en aura là ni trop, ni trop peu... Dans cette supposition, si l’armateur a bien vendu, voilà l’acquéreur de première main ou le consommateur lésé nécessairement; mais si l’armateur n’a pas vendu, parce qu’il a voulu tenir à un prix qu’aucune concurrence à lui connue n’a dû raisonnablement le déterminer à baisser, le voilà victime d’une spéculation que sa position paraissait justifier ; et ce que je suppose pour un seul port, pour un seul armateur, pour un seul acquéreur, peut également s’étendre, par une supposition qui n’est point du tout hors de probabilité, à plusieurs ports, à plusieurs armateurs, à plusieurs acquéreurs, et je trouve dans chacune de ces dispositions des pertes fâcheuses, mais indispensables, que la chance des biens particuliers ne peut balancer dans mon esprit. Si vous admettez, au contraire, le plan de votre comité, je vois tous les inconvénients disparaître, excepté ceux même auxquels ne pare pas l’autre système ; en effet, quelles qu’aient été les différentes spéculations de tous les armateurs de l’Inde, elles se trouvent toutes, à certaines époques, réunies au lieu commun de la vente. Là, if sera, comme d’usage et de nécessité pour cette espèce de commerce, procédé à un lotissage, à un assortiment des différentes denrées que chacun des armateurs aura isolément rapportées. Or, connaître au juste la quantité de chacune d’elles, et le besoin de s’en défaire, l’armateur, d’un côlé, et l’acheteur d’un autre, ne pourront y mettre d’autre prix que celui de leur abondance ou de leur rareté réelle ; l’évaluation en sera faite par des gens connaisseurs, et les acquéreurs pourront [8 juillet 1790.] 755 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. traiter en toute sûreté .......................... Pouvez-vous offrir au commerce les mêmes avantages et les mêmes sûretés dans tous les ports du royaume?... Les mêmes difficultés, les mêmes dépenses se présentent, quand il s’agif de jeter les yeux sur la surveillance qu’il faut opposer au versement de contrebande, à l’infidélité des déclarations, à l’inexactitude des évaluations ..... Quand je m’arrête aux considérations fiscales, je suis bien éloigné de chercher à les faire valoir par l’importance du produit de l’exacte perception des droits et par la nécessité où l’état de vos finances vous a réduits de faire usage de toutes vos ressources; mais ces entraves mêmes sont destinées à tourner à l’avantage de votre commerce, à en augmenter l’état et l’étendue, et à encourager l’industrie nationale aux dépens du besoin, du luxe et de la frivolité... Il me reste à vous exposer les motifs qui doivent vous déterminer à donner au port de Lorient la préférence sur tout autre pour les retours de l’Inde, et je ne puis vous en présenter de plus décisifs que ceux qui vous ont été soumis par votre comité. Le port de Lorient, vous a-t-on dit, a des avantages qui lui sont propres : les vaisseaux qui se présentent pour y entrer sont aperçus de plusieurs lieues ; ils doivent passer sous l’île de Groays, résidence d’un poste d’employés, chargé de les signaler et de se rendre immédiatement à bord pour empêcher le versement. La surveillance des employés n’est point partagée dans ce port, et les versements dans les magasins y sont faciles. On peut, quand on le voudra, éviter qu’il ne soit soustrait aucunes marchandises, et y assurer, plus qu’ailleurs, l’embarquement de celles qui sont destinées à être respectées; enfin cette ville offre un mouillage sûr, des magasins vastes, à l’abri des incendies, etc. A ces raisons, nous joindrons l’opinion des députés extraordinaires du commerce et des manufactures qui ont été consultés, et qui, s’ils n’avaient pas pensé que cette disposition fût utile, ne l’auraient pas adoptée. Je demande que la discussion soit fermée, et je conclus à ce qu’on décrète les articles tels qu’ils sont proposés par votre comité. M. Alquier. Lorsque vous avez aboli le privilège exclusif de la compagnie des Indes, vous avez fait ce que la raison et vos principes exigeaient de vous, et vous avez voulu rendre au commerce cette liberté précieuse, sans laquelle le commerce n’existe pas. Votre comité paraît avoir méconnu ces principes, et ce n’est pas sans étonnement que je vois proposer, dans le projet de décret, de concentrer exclusivement dans le port de Lorient les retours et les désarmements de l’Inde, c’est-à-dire de créer un privilège, après avoir détruit les privilèges. Je vais examiner les motifs sur lesquels sont fondées ces étranges propositions : la nécessité de réunir les marchandises venant de l’Inde au port de Lorient, pour la commodité des acheteurs; la possibilité de la fraude, si les déchargements avaient lieu dans les autres ports du royaume. La première considération ne porte absolument que sur l’intérêt particulier et non sur l’intérêt du commerce. Ce n’est point à l’Assemblée nationale de prescrire aux négociants la route que peut commander leur intérêt particulier : cet intérêt suffit pour les conduire ; et il n’est besoin, à cet égard, ni de lois, ni de contrainte. L’intérêt général du commerce, c’est que tous les échanges nécessaires et permis puissent se faire sans limitation, comme sans gêne ; voilà le seul principe qui puisse véritablement intéresser la dignité de l’Assemblée nationale et déterminer son autorité ; mais les moyens de mettre ce principe en action, sont du ressort des agents du commerce; et les meilleurs, comme les plus sûrs, ne pourront naître que de la plus parfaite liberté. Ou le privilège des retours de l’Inde, en faveur du port de Lorient, est avantageux, ou indifférent pour le commerce. S’il est indifférent, il est inutile de le décréter : s’il est avantageux, doutez-vous que les armateurs ne s’empressent de prendre d’eux-mêmes cette détermination, et d’effectuer leurs retours dans un entrepôt? et vos décrets pourraient-ils leur rien apprendre à cet égard, que leur intérêt particulier ne leur apprenne bien mieux encore? — Si le projet de votre comité était adopté, que deviendrait la liberté que vous avez rendue au commerce ? La liberté ne consiste-t-elle donc, pour le commerçant, qu’à faire armer son navire dans le port qu’il habite; et voudriez-vous lui enlever l’avantage inappréciable d’en faire opérer le retour sous ses yeux, d’en surveiller le désarmement et de mettre dans cette importante opération les soins et l’économie qui doivent à la fois assurer et accroître les bénéfices de l’entreprise ? Vous le forceriez à faire dévirer son bâtiment, soit pour gagner le port privilégié, soit pour regagner le port de désarmement, et à payer des frais énormes de magasinage. Vous l’obligeriez ou à un déplacement onéreux, ou à payer des droits exorbitants de commission aux négociants de Lorient, pour une opération qu’il aurait pu faire chez lui, et à bien moins de frais ; vous prolongeriez les dépenses de l’armement, et souvent enfin le navire pouvant être retenu par les vents contraires, vous feriez manquer une seconde expédition, dont les matériaux étaient préparés d’avance. Enfin le privilège d’un port quelconque, le centre du retour d’une branche de commerce, ne serait véritablement qu’un impôt levé sur les agents et sur les consommations du commerce, au profit du port privilégié. Ce régime, aussi vicieux qu’im-politique, a pu exister dans l’ancien ordre de choses ; il avait été envahi par des compagnies monopoleuses, qui, certaines d’appeler des acheteurs partout où elles jugeaient à propos de se placer, mettaient fort peu de soin à adoucir l’exercice de leurs droits et ne cherchaient, au contraire, qu’à l’aggraver pour décourager les armateurs et pour s’approprier exclusivement les profits de l’industrie et du commerce de l’Inde. Il semble, en examinant ce qui a été dit pour prouver la possibilité de la fraude, que les marchandises de l’Inde soient les seules qui puissent être l’objet d’une importation prohibée. Mais il en existe une infinité d’autres qui sont aussi frappées de prohibition, qui ne peuvent franchir nos barrières, et qu’une surveillance exacte et sévère écarte de nos côtes et de nos ports. Mettez donc au rang des exagérations, tout ce qu’on vous dit sur la difficulté de percevoir les droits et d’empêcher la fraude. On ne peut abuser, à cet égard, que ceux qui, habitant l’intérieur du royaume, ne connaissent pas les moyens employés sur les côtes, pour surveiller l’importation des objets prohibés. 11 n’y a rien à innover à cet égard : les établissements sont faits, et il ne sera pas plus difficile d’empêcher l’introduction des objets venant de l’Inde, que celle des autres marchandises prohibées. D’ailleurs, j’avoue que dans ce détail fastidieux des précautions à prendre pour assurer la perception des droits, j’ai moins retrouvé les pensées d’un législateur, que les [ ■jtt: | 7S6 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] idées rétrécies d’un agent du fisc; et le rapporteur aurait dû penser qu’il est des moyens plus sûrs, et en même temps plus conformes au régime de la liberté, pour garantir la portion de revenus que doit rendre au Trésor public cette branche importante du commerce français. Je ne me permettrai plus qu’une seule réflexion sur le projet du comité. On vous propose de décréter que les retours se feront provisoirement à Lorient. Mais il me semble qu’en vous proposant un essai en matière de législation, une loi provisoire sur le commerce, le provisoire devrait être en faveur de la liberté, et qu’à cet égard la liberté devrait, dans une assemblée telle que celle-ci, obtenir au moins l’avantage et l’honneur de la priorité. Tout ce qu’on vous a dit sur les inconvénients de la liberté illimitée des retours, n’est au fond qu’un calcul de probabilités, et je n’imagine pas que l’Assemblée nationale se décide, d’après des vraisemblances, à rendre un décret qui aurait certainement l’influence la plus funeste sur une grande Êartie des ports du royaume. En bonne logique, essieurs, ce n’est qu’après l’abus que la restriction doit venir, et il est étonnant que votre comité vous ait proposé une loi prohibitive, sans autre base que des alarmes exagérées, et avant d’être averti de sa nécessité par l’expérience. Ce sera, si le commerce abuse de la liberté des retours, si la perception des droits est annulée ou affaiblie parla fraude, si vos manufactures souffrent d’un commerce trop vaste et d’une importation trop abondante, qu’on pourra, qu’on devra mettre des entraves au commerce de l’Inde, et en concentrer les retours dans un seul entrepôt, pour surveiller une perception qui se serait évanouie en se divisant sur un trop grand nombre de ports ; mais ne débutez pas par des restrictions odieuses autant qu’impoiitiques : que vos lois prohibitives soient toujours le remède à un mal public, mais ne commencez pas par asservir ; c’est la marche du despotisme ; et sous prétexte de parer à des abus qu’il est si facile de prévenir, n’anéantissez pas le commerce que vous devez encourager. Je demande que les retours et les désarmements de l’Inde puissent s’effectuer dans tous les ports du royaume indistinctement. M. Bégouen (1). Messieurs, quand vous avez décrété que te commerce au delà du cap de Bonne-Espérance était libre à tous les Français, vous avez tellement entendu vous réserver le droit de régler le régime de ce commerce, que vous avez, dans le moment même, chargé votre comité d’agriculture et de commerce, auquel vous avez adjoint pour cet objet celui des impositions, d’examiner et de vous proposer les formes applicables à ce régime. C’est ce qu’ont fait, Messieurs, vos deux comités; et ils vous soumettent un projet de décret renfermant toutes les dispositions qui leur paraissent propres à concilier, autant qu’il est possible, les intérêts de tous ; à faire fleurir le commerce de l’Inde, sans nuire essentiellement aux manufactures nationales. Ce n’est pas, je vous l’avoue, sans beaucoup d’étonnement, que j’ai entendu dire à cette tribune qu’il n’y a pas même à délibérer sur une des dispositions les plus essentielles de ce projet de décret ; celle du retour des navires de l’Inde provisoirement forcé à Lorient, parce que, vous a-t-on dit, cette disposition contrarierait (1) Le discours de M. Bégouen est incomplet au Moniteur . formellement votre décret qui prononce que le commerce au delà du cap de Bonne-Espérance est libre à tous les Français. Je n’aurai sans doute pas besoin, Messieurs, d’argumenter beaucoup pour vous faire sentir que ce raisonnement n’est qu’une subtilité. En effet, vous avez prononcé que ce commerce était libre à tous les Français. Pourquoi ? Parce qu’alors on vous dénonçait un privilège existant, un privilège par l’effet duquel ce commerce était monopolisé par un petit nombre d’hommes. Vous avez détruit le monopole; vous avez anéanti le privilège en déclarant que tous lesFrançais pouvaientdorénavantcommercer avec les peuples situés au delà du Gap de Bonne-Espérance ; si une telle déclaration, si celte énonciation simple des principes qui veulent im périeusement que tous les Français aient un droit égal de se livrer à toutes les branches de commerce ouvertes à la nation ; si cette déclaration, dis-je, signifiait que ce commerce ne peut être assujetti par l’Assemblée nationale, par le Corps législatif, à tel ou tel régime, à telles ou telles formalités, à telles ou telles conditions ou restrictions, il en serait évidemment de même de toutes les autres branches de commerce du royaume ; le même raisonnement s’y appliquerait ; vous ne seriez pas plus les maîtres de les régler, de les assujettir à des formes, de les diriger de la manière que vous jugeriez la plus utile pour la nation. Dès lors, le commerce extérieur, le commerce entier du royaume se ferait sans règle et sans principe ; il serait indépendant de vous : vous n’auriez plus la législation du commerce. Ce système conduirait directement à la décadence de votre industrie, à la ruine de vos manufactures, à la dégradation de votre agriculture, par la diminution sensible des produits de votre sol, et conséquemment de votre population. Pour étayer un tel système, on vous a débité ce fameux principe des économistes, relativement au commerce : laissez faire et laissez passer. Voilà en deux mots, vous a-t-on dit, tout le code du commerce. Certes, les administrateurs des nations doivent un tribut éternel de reconnaissance à messieurs les économistes qui ont réduit à des termes aussi simples une science aussi étendue, aussi compliquée que celle du commerce. Mais ce système, aussi dangereux que séduisant, n’est pas encore adopté par l’Assemblée nationale : il ne l’est pas par la nation qui n’a que trop appris à ses dépens, par l’expérience du traité de commerce avec l’Angleterre, quelle est la supériorité d’industrie de cette nation sur la nôtre et combien il est douloureux que les ministres, auteurs de ce traité, n’aient pas mieux connu l’état des manufactures dans les deux pays et n'aient pas été pénétrés, comme ils auraient dû l’être, de la nécessité de connaître et de défendre notre industrie contre une industrie très supérieure. — Car, Messieurs, ce grand axiôme de liberté générale de commerce entre toutes les nations, quia malheureusement séduit tantdephi losophes,tant d’excellents esprits, tant d’hommes vertueux et vrais amis de l’humanité, ne doit pas être considéré d’une manière abstraite ou positive; il n’est vrai ou faux que relativement: il pourrait convenir à telle nation et nullement à telle autre. Le peuple, qui aurait porté son industrie au plus haut degré de perfection en Europe, qui serait en état de braver la concurrence des artistes et des ouvriers de tous les autres peuples; ce peuple-là, dis-je, et ce peuple-là seul, devrait admettre ce principe général et s’efforcer de le 757 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] propager dans tout le reste de l’Europe : l’anéantissement de toutes les barrières serait son triomphe. Ce peuple est peut-être l'Anglais; — à coup sûr ce n’estencore point leFrançais. Car il n’est presque aucune branche de notre industrie qui ne soit rivalisée ou surpassée par quelqu’autre nation ; et l’Angleterre même, qui, certes, en fait de commerce nous offre un grand modèle et des leçons consacrées au moins par de longs et brillants succès, l’Angleterre, dis-je, quoiqu’elle nous soit si supérieure en industrie, nous donne encore l’exemple des mesures les plus sévères pour défendre sa main-d’œuvre et son travail contre toute concurrence étrangère. On vous a dit qu’il ne fallait pas gêner, entraver vos négociants, qu’ils doivent jouir de toute liberté dans leurs opérations, qu’elles n’en seront que plus fructueuses pour l’Etat, qu’ils sont toujours les meilleurs juges de ce qui leur convient. Personne, Messieurs, n’est plus disposé que moi à rendre hommage à ces principes, quand ils sont renfermés dans leurs justes limites, mais il serait très dangereux de les en tirer et de les porter au delà. Ce serait en abuser au grand détriment de la chose publique. Ainsi, je disque le gouvernement doit proscrire ou limiter ou modifier tout trafic, toute branche de commerce qui pourrait être nuisible à l’intérêt général; il est donc de son devoir d’imposer aux négociants des règles et des lois pour l’avantage de la nation. — Mais quand il a posé ces règles et ces lois générales conservatrices de l’intérêt social, il doit laisser à ses négociants, tant qu’ils ne les transgressent pas, toute facilité, toute liberté dans leurs opérations. Car toute gêne, toute entrave qui n’est pas commandée par l’utilité, par l’intérêt général, est non seulement injuste, mais encore dommageable pour lachose publique, puisque tout ce qu’elle coûte au commerçant soit en frais soit en perte réelle, soit en diminution de bénéfice, retombe en entier sur la Dation même. M. de Mirabeau, j’en conviens, a reconnu ce principe, car en réclamant la liberté du retour des marchandises de l’Inde dans tous les ports, il a dit que la liberté en général consistait à pouvoir faire ce qui ne nuit point aux autres. Il a ajouté que cette liberté ne peut être restreinte que par l’intérêt social. Ainsi, j’aurai répondu, à M. de Mirabeau, si je prouve qu’un grand intérêt social, celui de nos manufactures, s’oppose à cette liberté. — Ce n’est point certainement par prédilection pour le port de Lorient, qui m’est étranger, que j’embrasse l’opinion du retour provisoire dans ce port qui vous est proposé par votre comité. — Ce n’est point un privilège en faveur de Lorient, dont il est ici question ; il ne s’agit d’autre chose que du moyen de rendre le commerce de l’Inde, dont nous ne pouvons nous passer, le moins dommageable à la nation qu’il est possible. C’est pour cela que votre comité vous propose un tarif d’impositions qui me paraît, en général, propre à remplir ces vues, en s’écartant également de tout excès qui, d’une part, pourrait exciter la cupidité des fraudeurs, ou, de l’autre, mettre les marchandises de l’Inde trop à portée des consommateurs nationaux, trop en rivalité avec nos propres manufactures. C’est pour cela qu’il vous propose quelques prohibitions qui lui ont paru nécessaires, telles entre autres que celles des étoffes de soie et toiles peintes, prohibitions dont la convenance ne peut être révoquée en doute par ceux qui savent que nos fabriques ne peuvent, pour ces objets de luxe, souffrir aucune concurrence avec celles de l’Inde. Enfin c’est pour cela qu’il vous propose de décréter que les retours et désarmements ne pourront avoir lieu provisoirement que dans le seul port de Lorient. — C’est l’article 4 du projet; c’est cette disposition qui, jusqu’àprésent, a éprouvé la plus forte contradiction ; c’est, par cette raison, celle que je m’attacherai le plus à soutenir, parce que je la crois convenable dans les circonstances, et la mieux adoptée à l’état actuel de notre navigation et commerce dans l’Inde, et de nos manufactures nationales. Quand vous avez décrété, Messieurs, la liberté du commerce de l’Inde, vous l’avez fait avec la ferme résolution de défendre, autant qu’il serait en vous, la main-d’œuvre nationale, de la protéger contre tous les dangers, tous les abus qu’on pourrait faire du commerce de l’Inde. — Votre comité, pénétré des mêmes vues patriotiques, a rédigé un tarif qui me paraît très bien calculé pour cet effet ; mais il est évident qu’il ne le remplirait pas, si ces dispositions pouvaient être aisément éludées par la fraude, et la fraude en ce genre me paraît impossible à prévenir, si les retours de l’Inde s’effectuent dans des ports où on ne puisse espérer de lui opposer avec succès des précautions suffisantes. Je crois qu’à cet égard aucuD port ne présente autant de facilités que Lorient pour faire ce commerce et pour y surveiller la fraude. Je m’abstiendrai, Messieurs, de vous décrire tous les avantages de situation de Lorient, parce que cette tâche a été très bien remplie par plusieurs des préopinants. Opposez, je vous prie, à cette situation celle des ports de rivières, tels que Nantes, Bordeaux et autres, et vous sentirez les immenses facilités qu’ils présentent aux versements frauduleux sur les deux rives avant de parvenir au port. — Les ports francs présentent des dangers bien plus grands encore, et comme Marseille, entre tous les ports francs, est sans contredit le plus important, et que c’est en même temps celui qui ambitionne le plus la faculté généraledu retour des bâtiments, je dois vous exposer une partie des inconvénients que j’y aperçois. Toute marchandise étrangère dont la consommation dans le royaume n’est pas prohibée, est, à peu d’exceptions près (1), importée en franchise à Marseille; ainsi les matières premières, les drogueries et épiceries et les ouvrages vernis de même nature que ceux de l’Inde ne doiventaucun droit en venant de l’étranger à Marseille, mais aussi, par une conséquence bien juste, les mêmes objets passant de Marseille dans le royaume sont traités comme étrangers. Remarquez cependant, Messieurs, quelesbours et les toiles peintes du Levant, quoique prohibées à l’entrée du royaume, sont admises à Marseille pour sa consommation et celle de son territoire, et que, nonobstant la prohibition des toiles de coton étrangères, celles du Levant peuvent non seulement entrer à Marseille en franchise, mais encore passer dans le royaume en acquittant au bureau de Septèmes, 37 livres 10 sols par quintal, au lieu de 50 livres que votre comité vous propose de faire payer aux toiles de coton de l’Inde, vendues par le commerce français. ' (1) Ces exceptions concernent les marchandises nommément comprises dans le traité de commerce avec l’Angleterre : les savons, les sucres et le poisson de pêches étrangères, lesquels y acquittent les mêmes droits qu’à toutes les entrées de l’Europe. 758 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] D’après cette constitution, quant aux traites, si les retours de l’Inde s’exécutaient à Marseille, la confusion, impraticable à y éviter, des marchandises de notre commerce au delà du cap de Bonne-Espérance, avec celles du commerce étranger, du commerce du Levant, donnerait lieu à des abus sans nombre. En effet, si lors de l’arrivée dans ce port d’un navire de l’Inde ou de Chine, il s’y trouvait un autre bâtiment chargé de productions étrangères de même espèce, comme canelle, girofle, muscade, thé, poivre, rhubarbe, ouvrages vernis, il suffirait de verser ces marchandises du bâtiment étranger dans le bâtiment indien, pour franchir (lors de l’expédition pour l’intérieur du royaume) la différence toujours considérable qui existera entre la production importée par l’étranger et celle apportée par le commerce français, au delà du Cap de Bonne-Espérance ; différence qui, suivant le tarif général qui vous sera proposé par votre comité, devra être de 80 livres sur les poivres, de 5 livres 0/0 de la valeur sur les vernis, de 60 livres par quintal sur le thé, etc., etc. Un moyen encore plus facile et plus habituel d’obtenir le même résultat, consisterait à faire porter de Marseille même dans le bâtiment indien national les articles étrangers auxquels on voudrait procurer au passage de Marseille dans le reste du royaume, la modération des droits dont jouissent ceux de l’Inde, venus par navires français. J’ajoute que les substitutions lors du transport dans les magasins seraient également faciles ; car la seule précaution praticable pour assurer la représentation dans les magasins d’entrepôt des marchandises déchargées, ne peut consister que dans un bulletin donné au porteur, ou au conducteur, pour l’obliger à représenter au garde-magasin un certain nombre déterminé de balles, ballots, sacs ou caisses. Or, qui empêchera, que dans la vue de frauder une partie des droits, on ne substitue, dans le trajet du bâtiment au magasin, d’autres balles, ballots, sacs ou caisses de marchandises étrangères de même nature que celles de l’Inde, mais d’un poids beaucoup plus considérable. D’ailleurs, quelles précautions la franchise de Marseille n’obligerait-elle point à prendre lors des expéditions pour l’intérieur du royaume? Dans le port de Lorient, comme dans tout autre non franc, il suffirait de peser les marchandises qui acquittent au poids, de prévoir sur celles qui payent à la valeur les droits dus à raison du prix de la vente. A Marseille, il faudrait encore, même pour les expéditions par terre, plomber les marchandises, afin d’empêcher que l’on n’y substituât ou qu’on n’y ajoutât d’autres marchandises étrangères de même espèce, prises à Marseille où, par l’effet de la franchise du port, elles sont reçues sans droits, et qui en doivent supporter de considérables à leur entrée dans le royaume. Et toutes ces précautions, quelque multipliées, quelque coûteuses et quelque pénibles qu’elles puissent être, échoueraient journellement contre les ruses et l’adresse des fraudeurs. On a voulu vous persuader le contraire, Messieurs, en vous disant que dans ce même port de Marseille, et dans tous nos ports de rivière, on faisait le commerce des colonies; que les denrées en provenant étaient assujetties à des droits; qu’on savait bien les y percevoir et trouver le moyen d’empêcher qu’Us ne fussent fraudés. À cette objection je réponds : 1° Que les denrées de nos colonies presque toutes en grosses futailles, barriques de sucres bou-cauds, banques de cafés, balles de coton, sont et par leur volume et par leur valeur relative au poids et encombrance, sans nulle comparaison, moins aisés à frauder que des balles de toiles de coton et de mousseline d’une bien plus grande valeur sous un moindre volume; 2° La fraude qui se fait sur ces denrées n’a qu’un inconvénient, celui de porter atteinte aux produits du fisc, tandis que la fraude qui aurait lieu sur les marchandises manufacturées de l’Inde, joindront à cet inconvénient un autre infiniment plus grave, celui de ruiner nos manufactures nationales. On vous a dit, Messieurs, que le retour forcé à Lorient donnerait à ce port, en quelque sorte, un privilège exclusif pour les armements pour l'Inde. Mais ce qui s’est passé depuis 1769 jusqu’en 1785, pendant tout le temps du commerce libre, dément cette assertion. Pendant cet espace de temps, presque tous les ports ont armé, et Marseille plus qu’aucun autre; et ses armements ont prospéré, ainsi qu’il a été attesté par les armateurs de Marseille eux-mêmes lors de la discussion sur le privilège de la compagnie. Mais, dit-on, le retour forcé à Lorient est une aggravation de charges, notamment pour les ports de la Méditerranée. Pour éviter le retour à Lorient, la décharge dans un port éloigné, l’obligation coûteuse d’en relever, après y avoir déchargé, et de revenir dans leur port d’armement, les capitaines n’auront d’autre parti à prendre que de revenir directement de l’Inde dans les ports étrangers, et ils frustreront ainsi la France de tous les avantages du retour dans ses ports. Tandis qu’au contraire la faculté du retour dans les ports français de la Méditerranée mettait ces ports en état d’approvisionner l’Italie et tous les peuples voisins, des marchandises de l’Inde. Marseille aurait, ajoute-t-on, un débouché considérable, pour la Turquie, de toutes les marchandises de l’Inde, et particulièrement des mousselines dont les Turcs font une grande consommation. A ces objections plus spécieuses que solides j’opposerai des faits, je demanderai pourquoi de 1769 à 1778 que le commerce de l’Inde a été libre à tous les Français; Marseille n’a fourni ni l’Italie, ni la Turquie, des marchandises provenant de ce commerce, ni détruit celui qui se fait par la Caravane? Je demanderai pourquoi depuis 1785 jusqu’à ce jour, les vaisseaux T Hedwing -Sophie, la Ma-dona de Monteneiro , Je Grand Duc de Toscane, le Roy al-Archiduc, le Comte du Perron, le Saint-Charles, le Prince de Piémont, et le Duc de Chablais , que des armateurs de Marseille ont expédiés pour l’Inde sous pavillon sarde ou toscan, n’ont pas fait leurs retours dans les ports d’Italie qui leur étaient ouverts, plutôt que de passer devant celui de Lorient, traverser la Manche en courant des dangers considérables, pour se rendre à Ostende, où ils ont vendu leurs marchandises? du moins, à l’exception de deux outrais chargements qui sont venus directement de l’Inde a Livourne où ils ont resté longtemps sans pouvoir être vendus, et qu’enfin, après leur vente, les marchandises ont été chargées pour nos ports francs : je laisse à deviner quelle retour elles ont dû prendre ensuite. Pourquoi n’ont-ils pas vendu tous ces chargements à l’Italie, puisqu’ils avaient la liberté PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] 759 [Assemblée nationale.] ARCHIVES de les y faire venir directement de l’Inde? et pourquoi n’ont-ils pas profité de leur voisinage pour fournir aux besoins de la Turquie. — Pourquoi? Messieurs, c’est que les grands besoins de la Turquie en marchandises de l’Inde consistent en mousselines communes, que ces mousselines se tirent du Bengale où les Anglais dominent, où ils les ont à bien meilleur marché que toutes les autres Dations. Ce qui les met en état de les fournir au Levant à bien plus bas prix que nous et conséquemment à notre jexclusion. Ainsi, l’approvisionnement de la Turquie, de l’Italie, l’anéantissement du commerce des caravanes, tout cela n’est que chimère. En voulez-vous encore, Messieurs, savoir une autre raison ? c’est que la consommation de la France pour tous ces objets vaut infiniment mieux aux spéculateurs, que tous ces prétendus débouchés; et comment en serait-il autrement, puisque chacun sait que jamais notre commerce n’a suffi à beaucoup près aux besoins du royaume, et que nous sommes tributaires de l’étranger pour des versements annuels très considérables? On a été jusqu’à prétendre que, s’il était expédient de restreindre le retour des vaisseaux de l’Inde dans un ou plusieurs ports, bien loin d’exclure les ports francs, c’étaient eux qu’il fallait préférer, parce que les ports francs sont les plus convenables pour l’exportation à l’étranger; et que, dans cette branche de commerce, c’est à l’exportation qu’il faut tendre le plus qu’il est possible. Je réponds: 1° que les ports francs ne sont pas plus convenables que d’autres pour l’exportation à l’étranger; que, pour quiconque a les éléments du commerce, des entrepôts remplissent parfaitement et complètement cet objet ; 2° qu’il est bien plus vrai de dire que les ports francs étant des magasins de marchandises étrangères rapprochés du royaume, ils sont très propres à l’introduction furtive de ces marchandises dans le royaume, et qu’ils remplissent parfaitement cette dangereuse fonction ; 3° que s’il était vrai que les ports francs soient les plus convenables pour l’exportation à l’étranger, leur utilité ne pourrait point s’appliquera ce cas-ci, à celui de l’exportation des marchandises venues de l’Inde par nos navires, attendu que nous sommes encore loin de pouvoir exporter à l’étranger, puisque nous sommes loin de suffire à la consommation du royaume ; d’où je conclus que le retour provisoire à Lorient est très bien adapté à l’état actuel de notre commerce dans l’Inde, dont les retours sont consommés dans le royaume et non exportés à l’étranger. Enfin, Messieurs, j’admets que le retour forcé à Lorient est un inconvénient pour tous les autres ports : je conviens qu’il leur impose quelque augmentation de frais, de peines, d’embarras; je conviens qu’il exige d’eux un sacrifice; mais je pense qu’ils en trouveront quelque dédommagement dans l’avantage de la réunion des retours dans un seul lieu, et je soutiens que quand même cela ne serait point, vous ne devez point encore être arrêtés par cette considération, parce que vous devez la faire céder, sans hésiter, à l’intérêt de vos manufactures qui est pour vous un intérêt de première ligne, et devant lequel des gênes, quelques entraves imposées au commerce de l’Inde, à un commerce défavorable en lui-même, ne font rien à mes yeux. Je dis, Messieurs, que si vous n’adoptiez pas un point central commun pour le retour des navires de l’Iude, vous ne pourriez plus exiger des ventes publiques pour les marchandises blanches, les toiles rayées et à carreaux, les guinées bleues et autres marchandises assujetties à un droit sur la valeur, et ce serait un inconvénient des plus graves: il ne tendrait à rien moins qu’à rendre absolument illusoires toutes les dispositions de votre tarif. — La manière dont se font les déclarations en exécution du traité de commerce avec l’Angleterre en est la preuve. — Elle réduit les droits de plus de moitié, sans qu’il soit possible de remédier à cet abus : il en serait de même pour les marchandises de l’Inde. Un de Messieurs les préopinants vous a proposé, il est vrai, d’en agir à cet égard pour les retours de l’Inde, comme pour ceux de nos colonies, c’est-à-dire d’en faire une estimation générale tous les six mois, et d’acquitter les droits sur cette estimation. — Mais, suivant moi, ce mode d’imposition est inappliquable aux retours de l’Inde .-les denrées de nos colonies sont en petit nombre, aisées à classer et à évaluer: — les marchandises de l’Inde sont, au contraire, très diversifiées en nombre, espèces et qualités. 11 me paraît impossible d’appliquer une estimation générale à des toiles de coton, à des mouchoirs, à des mousselines, dont les qualités et les prix, vous le savez, diffèrent si considérablement les uns des autres. Réfléchissez encore, Messieurs, que la réunion des retours dans le port de Lorient a de grands avantages pour les vendeurs comme pour les acheteurs ; que pour ceux-ci, réunissant en un seul point tous les objets d’assortiment dont ils peuvent avoir besoin, elle mérite que les acheteurs s’y transportent en personne ; que pour les vendeurs, elle doit naturellement leur procurer des prix plus avantageux, par la concurrence personnelle de tous les acheteurs qui, dans les ventes publiques, s’animent réciproquement, et haussent les enchères à l’envi les uns des autres. Je prévois la réponse, et je vais au devant. Si c’est, me dira-t-on, l’avantage de tout le monde, pourquoi le prescrire ? Laissez la liberté, et tous les armateurs reviendront librement à Lorient, si telle est véritablement leur convenance générale. Je réplique, Messieurs, que cet intérêt général des armateurs et des acheté urs de bonne foi contrarie souvent les vues des fraudeurs qui ont un tout autre intérêt, celui d’éviter une surveillance trop active et trop efficace à leur gré. Je pourrais mettre en ligne décompté un autre avantage du port de Lorient pour ce commerce; c’est l’existence des plus beaux et des plus vastes magasins, qui ont été construits exprès pour être le dépôt des marchandises des Indes ; magasins immenses, qui ont le double avantage de faciliter tout à la fois le bénéficiement nécessaire des marchandises des Indes et la surveillance de leur destination, de manière qu’elles acquittent exactement les droits et n’entrent dans la consommation qu’avec les charges que vous aurez jugées à propos de leur imposer, comme contre-poids en faveur de nos manufactures. Enlin, Messieurs, je dois vous dire nettement quel est le nœud de la question qui vous est soumise et que vous allez décider; le voici en deux mots : si vous enfermez le commerce de l’Inde dans le seul port de Lorient, vous aurez prononcé en faveur de vos manufacturiers, de vos ouvriers, contre tous les armateurs, spéculateurs et négociants des marchandises de l’Inde; si, au contraire, vous ouvrez dans ce moment tous les ports de France aux retours de l’Inde, vons sacri- 760 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] fierez, oui, Messieurs, vous sacrifierez l’intérêt de vos manufactures à celui des armateurs, négociants et spéculateurs. Choisissez, Messieurs, et prononcez. Mon avis n’est pas suspect, j’ose vous l’observer; car le Havre, dont je suis député, est un des ports de France les mieux placés pour la vente des marchandises des Indes, si le retour devenait libre pour tous les ports : c’est ce qu’on ne peut, je crois, me contester. M. d’André vous a dit, Messieurs, que Marseille ayant besoin des mousselines de l’Inde pour son commerce du Levant, et étant gênée dans ses retours, était obligée de faire ses retours à Nice, d’où les mousselines loi parvenaient avec la plus grande facilité par le Var. Je conviens sans peine avec M. d’André qu’à Marseille, comme ailleurs, il existe des personnes qui se livrent à la contrebande, et qui s’y livreront d’autant plus qu’on la leur facilitera davantage. Jusque-là, je suis d’accord avec M. d’André : mais je dis que ces mousselines ne sont point destinées pour le Levant, et j’en ai pour garants les états d’exportation de cette ville au Levant, qui justifient qu’il n’y en passe pas uue seule aune. M. d’André vous a dit aussi que l’introduction plus libre des mousselines et des toiles de coton exciterait l’émulation des fabricants; qu’on en a pour exemple la permission accordée de faire entrer dans le royaume des toiles peintes étrangères, époque depuis laquelle nos fabriques en ce genre ont considérablement augmenté. Je réponds que cet exemple est bien mal choisi, parce que le règlement de 1759 qui a permis rentrée des toiles peintes étrangères, est le même qui a levé la prohibition d’imprimer des toiles en France. S’il n’existait et ne pouvait alors exister de fabrique de toiles peintes dans le royaume, ce genre de fabrication n’a pu augmenter à cette époque. 11 est encore mal choisi, parce que l’entrée des toiles peintes étrangères n’a été permise qu’à la charge d’un droit de vingt-cinq pour cent, et quatre sols pour livre, c’est-à-dire de trente pour cent de la valeur, ce qui est un droit prohibitif, et précisément établi pour encourager en France cette manufacture. Je ne voudrais pas conseiller à l’Assemblée nationale de faire l’essai du moyen tout nouveau que semble proposer l’honorable membre, je veux dire celui de permettre l’entrée de toutes les toiles étrangères, afin d’exciter l’émulation de nos ouvriers. Je craindrais fort qu'elle n’excitât, par là, non leur émulation, mais leur émigration. Si, malgré toutes les raisons dont j’appuie l’opinion du comité pour le retour provisoire des navires de l’Inde à Lorient seulement, si, malgré l’intérêt des manufactures nationales qui parle si hautement dans cette cause, l’Assemblée nationale voulait (ce que je ne puis croire) un second port de retour, et le fixer dans la Méditerranée, je demanderais, dans ce cas, que ce ne fût pas Marseille, à cause de la franchise de son port. J’observerai à ceux de messieurs les députés de Provence, qui insisteraient pour le retour à Marseille, qu’ils compromettent la franchise de ce port s’ils obtiennent cette faculté; car ils se flatteraient en vain d’étouffer la voix de toutes les places de commerce, qui s’élèveraient, avec la plus grande force, contre l’existence d’une franchise qui donnerait lieu à des abus si multipliés. Ainsi, Messieurs, si, contre toute apparence, contre l’intérêt de vos manufactures, vous rejetiez l’article 4 du projet de décret de votre comité, dans ce cas, je me réserverais formellement le droit de proposer, par amendement à la faculté générale du retour, que tous les ports qui conserveront une franchise quelconque, en soient formellement exceptés. Permettez-moi, Messieurs, de terminer par quelques observations générales, qui ne sont pas étrangères au sujet que je traite. Le commerce est, dans les mains d’une administration sage, éclairée et prévoyante, le moyen le plus efficace d’assurer le bonheur et l’aisance des peuples. La moitié de la population de la France nfa point de propriétés et vit de son travail. Gette nombreuse population est donc salariée par les propriétaires, par les négociants et les entrepreneurs de manufactures, et rien ne lui manque pourvivreet pour être heureuse, quand le travail ne lui manque pas. Si les riches et les propriétaires sont gênés dans la consommation des ouvrages de fabrique étrangère, s’ils sont obligés, ou du moins fortement excités à consommer de préférence les produits du sol et des manufactures nationales, les ouvriers auront l’assurance d’une plus grande masse de travail, et, conséquemment, ils obtiendront des salaires plus analogues à leurs besoins, ou, au moins, des salaires plus assurés et moins précaires. Ils auront alors plus de moyens d’élever leurs enfants, ils en auront davantage, ils les soigneront et les élèveront mieux. La population en sera augmentée, et cet accroissement dépopulation augmentera à son tour la consommation des produits du sol, à l’avantage de l’agriculture et des propriétaires. C’est véritablement dans cet ordre de choses que se trouve réuni le plus grand avantage de tous, et le bonheur commun des citoyens de tous les états. Si, au contraire, on admet sans restriction ou trop facilement dans le royaume les ouvrages étrangers; si leur consommation n’y est pas restreinte et découragée, alors l’ouvrier étranger est salarié par le consommateur français. Si cent milie ouvriers étrangers ont réussi à débiter ea France leurs ouvrages d’une année, cent mille ouvriers français auront manqué de travail pendant cette année entière. Obliger les propriétaires et les riches à consommer les ouvrages des travailleurs nationaux par préférence à ceux de l’étranger, ce n’est point un acte attentatoire à la liberté ni à la propriété. Si c’est un sacrifice de la part des riches et des aisés, il est ordonné par l’intérêt général en faveur des pauvres, qui sont les travailleurs. Je n’ai plus qu’un mot à dire, Messieurs, et c’est pour reporter un moment vos regards sur les manufactures de toiles de coton. — Voyez quels succès elles ont obtenu depuis vingt ans en Angleterre. Elles y emploient maintenant 159,000 hommes, 93,000 femmes et 101,000 enfants. La même espèce de manufactures n’en emploie pas la dixième partie en France, et tel était aussi l’Etat d’Angleterre il y a 20 ans. Je ne doute pas, Messieurs, que votre patriotisme ne s’anime à l’aspect d’une si grande prospérité, qu’il vous est d’autant plus facile d’imiter, de rivaliser et même de surpasser, que vous avez chez vous les matériaux de cette immense fabrique, et que vous les fournissez en grande partie aux Anglais, qui vous les renvoient manufacturés. Si cette comparaison vous humilie et vous afflige, ce ne sera pas en [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] vain. Vous vous hâterez, Messieurs, de décréter tous les encouragements et de prendre, dès ce moment, toutes les mesures qui doivent un jour vous assurer les mêmes avantages; le rapport et le projet de décret de votre comité vous en préparent les voies. Ces avantages sont précieux, une foule de bras oisifs vous demandent de l’emploi. Considérez surtout le monde immense de femmes et d’enfants que ces manufactures emploieraient et que, sous le rapport de la morale, non moins que sous celui de l’humanité et de la politique, il est si important de soustraire à l’oisiveté, cette éternelle corruptrice des mœurs. Par tous ces motifs j’appuie (sauf de légères modifications sur quelques articles) le projet de décret qui vous est proposé par votre comité, et spécialement la disposition de l’article 4 pour le retour provisoire. J’adopte, toutefois, l’article 21 du projet de décret de M. Nairac (1) parce que je pense, comme lui, que les encouragements effectifs sont nécessaires à la prospérité de nos manufactures de toiles de coton, et qu’il ne suffit pas, pour atteindre à ce but, d’imposer les toiles de l’Inde et les toiles étrangères. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Bégouen. L’impression est ordonnée. On demande la clôture de la discussion. M.Rœderer. Les raisons pour et contre n’ont pas toutes été produites. Je demande le renvoi à une autre séance. Ce renvoi est prononcé. La séance est levée à dix heures du soir. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 8 JUILLET 1790. AFFAIRE DES TROUBLES DE SOISSONS. Lettre de cent-vingt citoyens de Soissons à l’Assemblée nationale. Du 23 juin 1790. Nosseigneurs, Les citoyens de Soissons, après de longs débats, et par la médiation de M. l'abbé Expilly, venaient enfin d’établir une municipalité constitutionnelle. Elle offrait dans son organisation tout ce qui (1) M. Nairac a dit qu’il croit démontré que l’Europe ne reçoit pas assez de coton des colonies et du Levant pour alimenter ses manufactures. Je ne sais de quelle manière cette assertion pourrait être démontrée, mais elle ne fait rien à la question. Nous nous occupons de la France et non de l’Europe. — Or, il est constant que nous fournissons à l’Angleterre une partie des cotons en laine que nous recevons de nos colonies. — Donc nous renvoyons vers nos rivaux des matières premières, au lieu de les employer pour nos propres manufactures. Il est constant encore que nos colonies peuvent doubler leurs cultures de coton par l’extension de nos manufactures, et l’encouragement qui résulterait de l’augmentation de leurs demandes. pouvait contrarier l’amour-propre des partisans de l’ancien régime; de simples bourgeois, marchands, ouvriers, artisans, se trouvaient élevés aux places de municipaux et de notables. Leurs adversaires multipliés et puissants imaginèrent, pour les traverser, de former une société qui, sous le nom de club potriotique , réunissait à peu près tous les ex-privilégiés, dont le nombre est considérable à Soissons. De leur côté, les partisans de la Révolution, pour soutenir la municipalité, qui leur paraissait trop faible contre une pareille coalition, se réunirent en une société qui, peu après, obtint le précieux avantage d’être affiliée à la société des amis de la Constitution de Paris. De cette société étaient membres le maire, les officiers municipaux et plus des trois quarts des notables. Le maire la présida le premier mois, et le procureur de la commune le mois suivant. Alors (s’il est permis de s’exprimer ainsi), les deux partis se trouvèrent fort à fort, et la municipalité soutint avec égalité la lutte contre les ex-privilégiés : mais cet état ne convenait point à ceux qui avaient projeté de s’élever sur le3 ruines de la municipalité. La fixation du chef-lieu du département de l’Aisne dans une ville rivale, fut l’occasion dont on se saisit pour jeter de la défaveur sur les opérations de la municipalité, jusque dans la société des amis de la Constitution. De nouvelles inquiétudes étant survenues pour la fixation du siège épiscopal, les choses en vinrent au point, par les insinuations du parti opposé, que la plupart des officiers municipaux n’osaient déjà plus se rendre dans leur propre club, où on les accusait d’être la cause des pertes que la ville essuyait journellement. Les choses étant en cet état, les anti-municipaux négocièrent une réunion entre les deux sociétés, qui eut effectivement lieu les 12 et 13 juin, et qui eût pu avoir les plus heureux effets, si la municipalité eût été comprise dans la capitulation, et si l’on n’eût point saisi, pour la signer, l’instant de son éloignement. Il résulta de cette réunion que le peuple reprit, sous une forme nouvelle, le joug des ex-privilégiés ; aussi les vrais amis de la Constitution désertèrent-ils incessamment ce club, pour l’abandonner à leurs rivaux. En cet état de choses, le club forma une pétition de cent cinquante citoyens actifs, pour obtenir une assemblée générale de la commune. EUe fut fixée, pour ménager la perte du temps aux ouvriers, au dimanche 13 juin. Nous ne nous étendrons pas sur les scènes mortifiantes de cette assemblée, parce queM. Je maire est porteur de son procès-verbal ; il suffira de dire que les ex-privilégiés y dominèrent, que les officiers municipaux qui y présidèrent y furent honnis, bafoués, vilipendés ; que ce ne fut qu’a-près la séance fermée, et rouverte par la complaisance de M. le maire, qu’un petit nombre (1) (1) Quarante-quatre seulement, sur plus de mille citoyens dont l’assemblée fut composée et qui se retirèrent à neuf heures du soir (hors ces quarante-quatre et trois de ceux que ce petit nombre a nommés députés), après avoir entendu dire à M. le maire que la séance était finie. Qu’on lise le procès-verbal de cette assemblée, et on n’y verra que quarante-sept signatures, y compris celle de ces trois députés. Dans leurs pouvoirs il n’est pas dit un mot sur aucun club. Dans tout ce qu’ils font à cet égard, ils sont sans caractère, et le conseil général n’a point de contradicteurs.