[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [â6 mai 1790.) tration est instruite que l’argent a été répandu dans le dessein d’entretenir une dangereuse fermentation ; et sans la continuelle vigilance, les efforts soutenus de la garde nationale et son infatigable patr iotisme, l’or prodigué à des hommes sans principes, sans patrie, sans autre ressource que le crime, eût peut-être déjà renversé la Constitution qui s’élève. Voilà ce dont le bon peuple de la capitale doit être averti. Qu’il se sépare donc de ces hommes pervers qu’il est temps de punir et qui seront punis s’ils osent tenter quelques entreprises criminelles; qu’il se lie à la loi et qu’il lui laisse le soin de juger ceux qui oseraient l’enfreindre : si, depuis quelque temps, elle a paru dormir, si les vols et les brigandages ont été pluseommuns, c’est l'effet descirconstance', d’une législation nouvelle, peut-être moins réorimant -, mais plus humaine et par là plus assortie à une Constitution libre; législation qui, d’ailleurs, n’a pu encore recevoir toute sa perfection. Cependant des mesures vont être prises pour orotéger plus efficacement les propriétés des citoyens, éloigner delà capitale les brigands qui les menacent sans cesse ; assurer aux jugements une prompte exécution et par là rétablir la paix, la tranquillité, le travail et i’abonnance. Mais c’est à la puissance publique à prendre c* s me-ures; c’est à elle seule à agir. Que les citoyens ne l’oublient jamais; qu’ils sachent que rendre, sans pouvoir, unjugementde mqr(, est un crime, et l’exécuter un opprobre. Fait en l’hôtel-de-ville le 26 mai 1790. « Signé: Bailly, maire ; Duport Dutertre, lieutenant de maire ; Cahier de Gerville, procureur-syndic-adjoint de la commune .» (Cette lecture est très applaudie.) M. Duquesnoy, Je propose à l’Assemblée de rendre un décret par lequel elle approuvera les mesures prises par MM. les ofticiers municipaux. M Devillas, député de Saint-Flour. On se plaint par touiela ville de ce que les prisonniers sont relâchés 24 heures après leur détention. M. l’abbé Gouttes. On est venu chez moi m’avertir que non seulement ces brigands sortaient de prison, mais encore qu’ils en sortaient avec de l’argent. JA. Devillas. Je me suis approché par curiosité d’un groupe de personnes qui causaient au milieu de la rue, et j’y ai entendu dire qu’outre ces brigands, il y avait encore des mendiants payés à 20 sous par jour pour mendier. M. Bailly. J’apprends que le lieutenant civil doit se rendre à l’Assemblée et répondre à ce que l’on avance. J’ai entendu dire aussi que l’ondon-nait de l’argent aux prisonniers en les élargissant. Un des trois qui ont été pendus l’a dit publiquement; mais il est aisé de voir qu’il est arrêté entre eux de tenir ce langage. Ce que je puis assurer c’est que pour détruire ces soupçons, le Châtelet à pris le parti d’admettre des adjoints lors de l’élargissement des prisonniers. M. l’abbé Gouttes. Le commandant du district Saint-André-des-Arts m’a assuré qu’en huit jours il avait pris deux fois le même homme. Un autre officier m’a dit la même chose. Il faut que 1er coupables soient punis, s’il y en a. M. le duc de Liancourt. Je désirerais qu’on s’occupât de faire droit sur la demande de la 677 commune relativement à la mendicité, c’est le meilleur moyen d’arrêter tous ces désordres. M. Prieur. Le comité de mendicité s’est occupé de cette pétition pendant plusieurs séances. On avait dit que les mendiants et vagabonds étaient au nombre de 20,000; des vérifications faites par les districts font penser que ce nombre n’est que de 15 à 1,800. M. Voidel. Il convient à tout bon citoyen de dire ce qu’il a appris, quand il peut être utile à la chose publique de le faire connaître. Je sais qu’il y a au comité des recherches des lettres de Turin et de Nice, qui annoncent que beaucoup de mendiants de ces villes ont été envoyés à Paris. M. Fréteau. Il serait peut-être convenable de renouvelerl *s mesures déjà prises au mois d’août. On pourrait ordonner que sur les ponts des grandes routes qui conduisent à Paris, par exemple sur ceux de Pontoise, etc., un officier municipal, accompagné, d’une ga�de imposante, exigeât des passeports des vovaaeurs suspects et en dounât à ceux qui n’en auraient oas. Ces passeports seraient ensuite visés aux barrières. M. Talon, lieutenant civil au Châtelet , membre de l'Assemblée nationale (1). Messieurs, il n’est aucun de nous, il n’est aucun bon citoyen qui ne soit vivement affecté des événements dont M. le maire de Paris vient de vous rendre compte. Mais le peuple, dont la conduite annonce toujours un principe de justice, s’égare souvent dans l’application de ce principe; le peuple, qui ne se trompe jamais dans le sentiment de ses maux, se trompe souvent lorsqu’il désigne ceux à qui il croit devoir les imputer. Ou a répandu que le Châtelet ne jugeait pas les coupables, et que les voleurs, presque aussitôt relâchés qu’arrêtés, recevaient même de l’argent pour recommencer leurs brigandages. Il est de ces imputations dont ou n’a pas besoin de démontrer la fausseté; mais je dois, comme membre du Châtelet, justifier ce tribunal des lenteurs qu’on lui reproche. Le nombre habituel des prisonniers du Châtelet n’avait jamais été que d’environ 350 accusés; il est aujourd’hui de p„lus de 800. Il est tel, que les prisons de ce tribunal ne suffisent plus pour les contenir. On a été forcé de transférer 260 prisonniers à l’hôtel de la Force, et M. le procureur du roi, obligé de pourvoir non seulement à la sûreté, mais encore à la santé des prisonniers, dont il est le conservateur et le gardien avant que d’en être le juge, est convenu, avec M. le maire d’un nouvel emplacement au dépôt de Saint-Denis. Plusieurs causes ont contribué à l’augmentation des prisonniers. Je ne parle pas de la misère publique, car jamais le peuple de Paris, qui voit poser les bases de son bonheur à venir, ne l’a plus courageusement supportée; mais ou transfère aujourd’hui dans les prisons du Châtelet une foule d’accusés que la police jugeait autrefois, et que l’on se contentait d’enfermer pour quelque temps à Bicêtre, à l’hôtel de la Force, ou dans toute autre maison de correction. Ces jugements arbitraires n’existent plus ; et un peuple juste, un peuple pour qui vous avez fait tant de sages (1) Le discours de M. Talon est incomplet au Moniteur. 678 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 mai 1790.] lois, ne doit pas imputer le nombre des prisonniers à la négligence des juges, lorsque la cause de cette augmentation est la sauvegarde de sa liberté. Ce qu’il y a de certain, Messieurs, c’est qu’il est entré dans les prisons du Châtelet plus des deux tiers d’accusés de plus que dans les autres années, c’est qu’on y conduit tous les jours au moins douze à quinze prisonniers. D’un autre côté, les nouvelles formes criminelles que vous avez si sagement introduites, mais qui seront en quelque sorte incomplètes tant que les jurés ne seront pas établis, ne permettent plus de mettre la même célérité dans les jugements. On pouvait rapporter huit procès dans chaque séance; à peine peut-on aujourd’hui en juger deux. Mais si les rapports publics à l’audience, si le droit sacré qu’a tout accusé de se défendre s’opposent à la rapidité d’instruction criminelle, ils préviennent aussi la précipitation du juge et ses erreurs; et un peuple éclairé ne doit pas séparer les avantages d’une nouvelle législation des inconvénients qui en sont une suite nécessaire. Ne croyez pas, Messieurs, que les magistrats du Châtelet mettent moins d’activité à remplir leurs devoirs ; jamais leur travail n’a été plus considérable, jamais ils ne se sont acquittés avec plus de zèle de leur double dette de magistrats et de citoyens. La matinée seule était autrefois consacrée à l’instruction criminelle; et M. le lieutenant criminel, aidé seulement d’un ou de deux de ses collègues, suffisait pour être au courant. Aujourd’hui, l’instruction commencée le malin est reprise le soir. Le lieutenant criminel est assisté d’autant de magistrats qu’il y a de salles d’instruction dans l’enceinte du Châtelet; et, malgré ce travail continu, on ne parvient pas à expédier le tiers des affaires. Enfin, Messieurs, je dois encore vous faire connaître pourquoi les condamnations ont paru être moins fréquentes, car c’est encore là un des objets sur lesquels la défiance, ou plutôt la surveillance du peuple a été dirigée. D’un côté, l’un de vos décrets a suspendu l’exécution des jugement prévôtaux ; plusieurs coupables sont -donc condamnés sans être punis. D’un autre côté, les prisonniers ayant la liberté de recevoir des conseils dès le commencement de l’instruction, les accusés font plus rarement l’aveu du délit, ou,- pour mieux dire, ils ne le font jamais. Les témoins, peu accoutumés à la publicité de l’instruction, mettent aussi plus de retenue dans leurs dépositions. Je ne veux pas dire que leurs témoignages fussent plus vrais lorsqu’ils étaient voilés par le mystère de nos anciennes formes ; mais peut-être les témoins sont-ils plus timides; peut-être (j’aime mieux croire ce motif) sont-ils arrêtés par plus de sensibilité à la vue d’un spectacle plus imposant. Quelle est donc, Messieurs, la position où se trouve maintenant le juge? La voici : un voleur est arrêté, saisi de la pièce de conviction ; ce cas sans doute paraît bien fort: eh bien T Messieurs, l’accusé nie avoir volé; il soutient qu’on l’a chargé de porter l’objet du vol : on n’a à lui opposer que la déposition du dénonciateur, et il échappe à la peine. L’homme est convaincu, mais le magistral ne peut condamner le coupable. 11 fallait cependant parvenir à débarrasser les prisons, en distinguant ceux des prisonniers contre lesquels il paraissait impossible d’acquérir des preuves, et qu’on pouvait mettre provisoirement en liberté, à la charge de se représenter. Pour le faire avec moius de danger, on a exigé, ou un désistement de la part du plaignant, ou une réclamation de personnes dignes de foi ; mais cette précaution même a laissé découvrir quelques inconvénients. Un grand nombre de prisonniers ont obtenu des certificats des commissaires de districts ; leur multiplicité a fait craindre qu’il n’y en eût de faux, et c’est ce qu’on a découvert depuis quelques jours. Plusieurs désistements qui ont été représentés portaient les signatures de notaires des environs de Paris ; quelques-unes de ces pièces étaient également fausses. Les précautions ne peuvent naître que lorsque les inconvénients sont connus. On apporte aujourd’hui l’attention la plus scrupuleuse à vérifier les désistements et les réclamations. Depuis quinze jours, M. le lieutenant criminel et M. le procureur du ;.roi De prononcent plus sur les demandes en liberté provisoire, qu’avec l’assistance de deux adjoints, et ils ont prié ces derniers de faire eux-mêmes toutes les vérifications. Je me croirai fort heureux, Messieurs, si je puis, par ces détails, éclairer votre sagesse sur le parti qu’il convient de prendre. Le peuple n’a besoin que d’instruction pour connaître tout le prix de l’obéissance aux lois, et lorsqu’un sentiment de justice l’égare, c’est à la raison à le ramener. - * L’Assemblée ordonne l’impression du discours de M. Talon. Elle ordonne ensuite le renvoi de l’affaire à son comité des rapports pour qu’il ait à se concerter avec celui de mendicité et des recherches, afin de proposer les moyens les plus propres et les plus efficaces d’assurer la tranquillité de la capitale. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la question de savoir si les juges du tribunal de cassation seront sédentaires ou ambulants. M. Garat l'aîné (1). Messieurs, je n’envisagerai la question que dans le sens qui lui a été attribuée dans la délibération. Diverses considérations ont été présentées : quelques-uns des opinants ont réclamé l’ambulance ; d’autres la permanence ; d’autres ont pris un parti moyen. Le système de demi-ambulance ou d’ambulance entière a été déjà proscrit pour les tribunaux ordinai-res et, sans doute, il le sera pour la cour suprême ; car on vous propose de vous mettre en contradiction avec vos décrets sur les juges et avec vos décrets sur le pouvoir exécutif. N’est-ce pas se jouer de notre raison que d’aliérer l’homogénéité de notre Constitution, en établissant des magistrats ambulants? Tout est sédentaire dans le royaume , les officiers municipaux, les administrateurs de district et de département ; les juges ordinaires ne sont pas soumis à l’ambulance. La même loi doit régir les juges de cassation. L’impartialité et la pureté de l’instruction, qui assurent l’impartialité et la pureté du jugement ne sont-elles pas nécessaires à rechercher ? Eh bien, elles seraient exposées à toutes les influences que des juges éloignés de leurs foyers pourraient recevoir dans des villesoù ils seraient étran-(1) Nous reproduisons le discours de M. Garat, d’après le journal le Point du Jour (tome X, page 223). Cette version est plus complète que celle du Moniteur.