496 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] suppléant était M. Méchin, curé de Bains, dont les pouvoirs étaient vérifiés. L’Assemblée l’a admis pour remplacer M. de Maisonneuve. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures et demie. ANNEXE a la séance de l'Assemblée nationale du 23 octobre 1789. Nota. Nous insérons ici diverses opinions non prononcées sur les motions relatives à la propriété des biens ecclésiastiques. Ces opinions ont été distribuées à tous les députés et font partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale constituante. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs (2), ce n’est qu’après de longues hésitations que je me détermine à m’expliquer sur la question importante qui vous occupe. Deux opinions se sont élevées, des raisons du plus grand poids, et des développements du plus grand intérêt, vous ont été présentés à l’appui de chacune d’elles ; ayant pris une marche qui n’est celle d’aucun des préopinants, je choquerai peut-être, en vous présentant mes idées, les partisans de l’une et de l’autre opinion ; mais il m’est impossible de ne pas voir avec mes yeux, de ne pas raisonner avec ma raison, et s’il est un moment où je puisse me servir avec confiance de ces instruments imparfaits, c’est celui où la perspicacité de l’Assemblée et la raison, dont vous devez être l’organe, sont sans cesse auprès de moi pour corriger mes aperçus et rectifier mes résultats. J’entre en matière. Pour résoudre le problème qu vous occupe, je me fais d’abord deux questions. — La nation peut-elle contester la propriété des biens du clergé ? Le clergé peut-il soutenir qu’il soit véritablement propriétaire ? A ces deux questions, je me suis répondu négativement. — Je vais, Messieurs, vous soumettre mes motifs. La nation peut-elle contester au clergé sa propriété ? Première question. Pour la résoudre, je me demande d’abord : Qu’est-ce que la nation ? Qu’est-ce que le clergé ? La nation est la corporation des individus réunis en société ; ils ne se sont réunis que pour la conservation des droits naturels. Cette conservation est la première clause du contrat social, et aucune des clauses ultérieures ne peut y porter atteinte C’est un principe vrai et fécond que celui qui établit que la loi ne peut jamais créer ; elle ne fait que consacrer les véritables droits préexistants, les vrais rapports naturels, et les rapports non moins vrais qui résultent de la sécurité et du développement paisible des premiers. Toute loi qui va au delà, et qui prétend créer, opprime, et n’est plus une loi. La loi est (1) L’opinion de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Cette motion a été imprimée parce que l’Assemblée a voulu aller aux voix avant que je pusse avoir la parole, n’étant inscrit que le vingtième. (Note de l’auteur.) l’expression de la volonté nationale ; aux yeux de la loi, tous les hommes sont égaux en droit, et le droit de chacun consiste à n’être atteint par ia loi que lorsqu’il touche au droit d’un autre. Ces principes ont été consacrés par vous, Messieurs : vous ne les révoquerez pas en doute. Il en résulte évidemment que tous les membres de la société peuvent passer entre eux des actes volontaires, sans autre condition que d’être mutuellement contents des clauses dont ils sont convenus. 11 en résulte encore que la loi ne peut s’immiscer dans ces contrats, que lorsqu’ils lèsent, ou l’une des parties contractantes ou le corps social lui-même. Examinons donc si les contrats qui fondent la propriété du clergé ont quelques-uns de ces caractères. Qu’est-ce que le clergé, quant à la nation ? C’est une corporation d’individus réunis par des opinions qui leur sont communes, destinés à des fonctions qui tiennent à ces opinions, jouissant d’une masse de biens-fonds, ou qui leur ont été donnés par les propriétaires naturels, ou qu’ils ont acquis avec les revenus des biens qui leur ont été donnés. Les donataires des premiers ne réclament point, les vendeurs des seconds ont été payés, le clergé ne trouble point l’ordre public, les individus qui composent cette corporation sont convenus d’une forme d’hérédité (1), contre laquelle personne ne réclame; j’avoue qu’il me paraît impossible que le corps social, ou la nation, conteste à la corporation cléricale la propriété de ses biens. On peut faire et l’on a fait à ce système deux objections auxquelles je vais répondre, on dit d’abord : le clergé n’est qu’une corporation ; aucune corporation ne peut exister dans l’Etat, sans la volonté nationale ; donc les biens appartiennent évidemment à la nation, qui peut détruire la corporation qui les possède. Ce raisonnement n’est pas exact. Il est faux qu’aucune corporation ne puisse exister dans l’Etat sans la volonté nationale.il est vrai qu’aucune corporation ne peut acquérir ni exercer de droits politiques sans le consentement national ; mais il est tout aussi vrai qu’on ne peut, sans blesser les droits de l’homme, empêcher des citoyens de se réunir par une convention libre, de mettre leurs propriétés en commun et de s’assujettir à des conventions quelconques. C’est par une suite de ces principes que l’Assemblée nationale a pu détruire l’existence politique #u clergé, qui était un ordre dans l’Etat, mais ne peut pas détruire son existence conventionnelle de corporation religieuse et volontaire. La seconde objection est encore moins solide ; elle consiste à établir une différence entre la propriété d’un corps et celle d’un individu. Je ne lui vois aucun fondement. Une corporation n’est autre chose que plusieurs individus qui se réunissent, se confondent et se donnent une existence commune. Dans cet état de choses, aucun d’eux ne sacrifie ses droits naturels ; ce que chacun d’eux pouvait séparément, ils le peuvent sans doute en commun, et le corps social n’a pas le droit de s’y opposer. Ce principe me paraît ne souffrir qu’une exception, c’est celle des corps politiques. Gomme iis ne doivent leur existence (1) Voyez sur cet article les développements de l’abbé Sieyès. Cet homme est resté comme un fanal à côté du principe, dans la plupart des discussions : les uns y reviendront, les autres s’abstiendront, et alors tout ira bien.