816 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. départements quelques-uns de ces hommes tourmentés de l’esprit d’innovation, de ces hommes qu’un croirait dévorés du besoin de voir arriver l’anarchie, de ces hommes auxquels on serait tenté de croire de fa malveillance , si l’on n’aimait mieux les supposer dans l’erreur, les regarder comme dans une sorte de malaise politique, semblable au malaise physique ou moral qui fait qu’on n’est bien qu’à la place où l’on n’est pas, qu’on ne trouve douce que la jouissance qu’on a perdue ou qu’on ne peut atteindre. Ces hommes essayent de rassembler autour d’eux cette classe de citoyens dont le peu d’instruction est un des crimes de l’ancien régime, et laisse plus d’accès à la séduction ou à l’erreur; mais leur nombre estpeiit, leur puissance nulle, leurs succès impossibles. Une masse imposante de bons citoyens défend la Constitution de leurs attaques, et telle est l’estime et la confiance dans l’Assemblée nationale, que ceux qui voudraient égarer le peuple ne le pourraient que lorsqu’elle n’aura pas prononcé, et que ses décrets feraient cesser la fluctuation de l’opinion, s’il en existait. Croyez donc que ce sera sans danger que circuleront dans les départements les opinions les plus dangereuses ; elles ne trouvent que des partisans peu nombreux et peu redoutables. C’est là, c’est dans les départements qu’on voit de quels éléments se compose la véritable opinion publique. C’est là qu’on reconnaît combien elle diffère de ces clameurs dont vous avez été tant de fois et si inutilement environnés par les ennenfs de la chose publique. Nous parcourions les départements : les gardes nationales, les municipalités accouraient sur notre passage. Le titre de vos envoyés les appelait. Là, sans suggestion, sans contrainte, sans entraînement, ils nous offraient pour vous les assurances d’une confiance absolue, d’une soumission entière à la loi. Leur seule crainte, nous devons vous le dire, est née du désir que nous savons, et que nous avons dit qui vous anime, de laisser promptement la place à vos successeurs; ils craignent que vous n’abandonniez trop tôt votre ouvrage. Ils s’empressaient de jurer fidélité à la loi, non pas mutilée et telle que le voudraient ceux qui ne proposent de la changer que pour la détruire, mais telle que vous l’avez faite; parce que l’événement même de l’éloignement du roi a prouvé sa bonté, sa sagesse, en démontrant qu’elle était à l’abri des erreurs d’un monarque, et qu’elle y serait même de ses crimes, s’il en commettait. En un mot, Messieurs, nou3 avons vu des Français pénétrés du sentiment de leur dignité, et convaincus que si la conquête de la liberté a fait leur gloire et la vôtre, si le commencement de la Constitution a fait leur espoir, et le tourment de nos ennemis, son achèvement seul peut assurer notre tranquillité et notre bonheur. ( Applaudissements .) M. d’André. Je demande l’impression du rapport qui vient d’être fait par M. Regnaud. M. Fréteau-Saint -Just. Je vous prie, Monsieur le rapporteur, de vouloir bien nous dire si, parmi les citadelles qui ne sont point en état de défense, vous comprenez celle de Besançon. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angély.) Non, Monsieur, elle est en bon état. (L’Assemblée ordonne l’impression du rapport de M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angéiy.) 115 juillet 1791.] M. de Preas de Crassier, un des commissaires , dépose sur le bureau un exemplaire d’un mandement du ci-devant évêque de Lyon (1), et d’un bref du pape, lequel exemplaire est accompagné d’une brochure contenant la réfutation qui y est faite par le maire de la ville de Trévoux. Il ex ¬ pose que le mandement et le bref ont été saisis dansune caisse en contenant environ 2,000 exemplaires. (L’Assemblée nationale renvoie ces pièces à son comité des recherches.) M. le Président fait donner lecture : 1° D’une lettre de M. de Rochambeau fils , qui, sur le point de partir pour servir dans l’armée de ligne dans le grade d’aide de’ camp sous les ordres de son père, prie l’Assemblée de vouloir bien accepter l’assurance de son dévouement à la Constitution et le serment qu’il est heureux de prêter entre ses mains; 2° D’une lettre de M. Leclerc , ancien colonel d'infanterie , âgé de 47 ans, et ayant 33 ans de service, qui prête le serment décrété le 22 juin dernier. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décrets concernant les événements relatifs à l'évasion du roi et de la famille royale (2). M. Goupil-Préfeln. Le roi est-il inviolable ? C’est la question et ce ne devrait pas en être une ; la lecture de nos décrets devrait terminer toutes les controverses par lesquelles on s’efforce d’obscurcir cette inviolabilité, relative seulement aux fonctions de la royauté. On vous a dit dans cette tribune : l’inviolabilité du roi est semblable à celle des députés de l’Assemblée nationale, qui cependant peuvent être jugés. Quand on a avancé ce paradoxe, on n’a pas assez pesé les termes de votre décret sur l’inviolabilité du roi; si on l’eût fait, on aurait vu que cette inviolabilité rend la personne du roi sacrée; par exemple, nous sommes inviolables, mais personne ne s’est encore avisé de dire que nos personnes soient sacrées. (Rires.) On a répandu sur une vérité évidente les ombres de la malveillance; il faut approfondir cette question en remontant aux principes d’après lesquels je me flatte de démontrer que ce serait la chose la plus importante que nous aurions à faire que d’établir cette grande loi par laquelle nous avons commencé notre Constitution. Tout pouvoir émane de la nation; mais la souveraineté, image de la divinité, doit être considérée sous deux relations différentes : 1° lorsqu’elle donne des lois; 2° lorsqu’elle régit la nation suivant la Constitution ; c’est ainsi que nous considérons la toute-puissance. Dans la formation de la Constitution, la souveraineté est simple : elle est simple, mais le pouvoir exécutif l’est dans un sens bien plus étendu; il faut une violabiiité bien plus marquée pour que, lorsque futilité publique la demande, l’Assemblée nationale, prenant cette loi pour fondement, rende faux les raisonnements par lesquels on veut lui persuader qu’elle confond tous les pouvoirs. Mais il n’en est pas ainsi de la souveraineté constituée; autant il est nécessaire que la souveraineté constituante soit une, soit indivisible, autant il serait funeste, autant il serait pernicieux que la souveraineté constituée soit une, soit indivisible. C’est donc, Messieurs, une grande vérité (1) M. Yves-Alexandre de Marbeuf. (2) Yoy. ci-dessus, séance du 14 juillet 1791, p. 255. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] que vous avez établie, que pour assurer la liberté nationale la souveraineté ne peut être une, indivisible. Comment doit-elle être divisée? Permettez-moi de reposer sur cette théorie l’éloge judicieux, ce me semble, de cette belle Constitution que vous avez donnée à la France. Quelques hommes ont cru qu’il fallait deux ou plusieurs rois pour assurer la liberté : vous avez adopté, Messieurs, un principe plus simple; vous avez considéré que, comme un corps national ne forme qu’une personne morale et politique, il fallait le considérer sous ses rapports moraux et politiques : or, une personne pour remplir ses fonctions doit avoir une volonté, et une force qui exécute les ordres de la volonté. Voilà, Messieurs, l’image simple et naïve de ce que vous avez formé par la Constitution. Vous avez donc distribué la souveraineté en deux grandes branches, dont l’une serait, par exemple, la volonté nationale, l’autre le centre et l’énergie sociale, par laquelle s’exécuterait la volonté nationale. Ainsi la souveraineté constituée se trouve, par votre Constitution, distribuée en deux branches, la souveraineté législative et le pouvoir exécutif; et vous avez encore donné au pouvoir exécutif une attribution particulière, le modérateur de la puissance législative, en l’investissant du veto suspensif jusqu’à la troisième législature. Maintenant, Messieurs, je dis que, puisque la souveraineté constituée a été, pour le bonheur du peuple, pour assurer la liberté nationale, ainsi distribuée en deux branches, chacune de ces deux branches doit participer à l’attribut essentiel de la souveraineté et doit nécessairement être inviolable. Comment, Messieurs, le pouvoir exécutif, tel que vous l’avez institué, serait-il vraiment suprême ainsi que vous l’avez déclaré, et indépendant, s’il n’était pas inviolable? Comment le pouvoir exécutif, modérateur du pouvoir législatif, pouvant accorder ou refuser, suivant qu’il le croira convenable à l’intérêt de la chose publique et conforme à la volonté générale, sa sanction aux résolutions du Corps législatif, comment , dis-je, pourrait-il remplir avec liberté, avec indépendance, ce grand devoir, s’il n’était pas inviolable? Vous voyez bien, Messieurs, que cette inviolabilité résulte de votre Constitution même, résulte de la nature de la chose ; si elle n’était pas dans vos lois, il la faudrait établir. Mais j’en viens aux objections. On vous dit, Messieurs, que cette inviolabilité ne doit s’entendre que des actes d’administration que fait la royauté, que des actes dans lesquels la nation a un ministre responsable, dans lesquels l’acte du roi est garanti par la signature d’un ministre responsable : la justice l’exige, et la justice est la politique d’une grande nation. Je sais, Messieurs, tout le respect qui est dû à la justice; mais il est bien plus facile d’en prononcer le mot que d’en saisir la nature. Eh bien, qu’est-ce donc que la justice?... Je dis à ceux qui me font une objection semblable, et sans attendre leur réponse, je leur dis, moi : la justice est cette harmonie entre les hommes par laquelle leur intérêt particulier et les intérêts généraux se trouvent subordonnés les uns aux autres, et les mêmes qu’exigent l’intérêt général du genre humain et l'ordre établi dans chaque corps social. Or, il est démontré que l’inviolabilité est juste et conforme aux droits du genre humain et desnations. Comment entendez-vous actuellement les déclamations qui viendront vous assiéger? Je vous démontrerai par nos fastes que la royauté, lorsque l’aristocratie ne l’a point tyran-317 nisée, lorsqu’elle a été livrée à elle-même, libre dans son action, défendait la liberté du faible; c’est lorsqu’elle a été entraînée, subjuguée par des entreprises d’aristocratie militaire, d’aristocratie sacerdotale, d’aristocratie sénatoriale; c’est alors que les ennemis de la liberté ont avili cette dignité pour la relever d’une manière ridicule, pour asservir, pour opprimer. Notre Constitution a déjà terminé un genre de déchéance, savoir : celui où le roi, étant sorti du royaume sans le consentement du Corps législatif, et interpellé par une proclamation de rentrer, ne le ferait pas. Ainsi, Messieurs, ce principe, déjà décidé par votre Constitution, répond au grand échafaudage d’objections fondées sur le crime personnel dont la personne royale pourrait se rendre coupable. Vous avez résolu hier, quoique vous ne l’ayez pas encore décrété, qu’en complétant votre Constitution vous détermineriez avec soin le cas où les déchéances pourraient avoir lieu. On vous parle de nos ennemis; mais, parmi ces ennemis, il en est qui, séduits par d’aveugles préventions, murmurent, et ne sont pas capables de méditer des forfaits. 11 est aussi des machia-véiistes d’une perversité consommée, qui voudraient détruire cette Constitution, qu’ils tenteraient en vain d’attaquer de vive force : cette Constitution, qu’ils abhorrent parce qu’elle est équitable, ils ont résolu de la faire périr dans les convulsions de l’anarchie; ces intentions sont abominables ! Les clubs établis dans cette capitale, ces clubs qui ont signalé bien des fois leur zèle pour la liberté, ne sont plus aujourd’hui qu’une machine dont on se sert, et avec laquelle on a entrepris de précipiter la nation française dans le gouffre des horreurs de l’anarchie et des troubles. La direction de ces dangereuses et perfides machinations a été donnée par des hommes que l’on peut appeler clubocrates, factieux intrigants, versés dans l’art de séduire la multitude irréfléchie, et de la diriger à leur gré; ou connaît les manœuvres de ces hommes, distribués eu différents clubs ; il faut, Messieurs, vous eu rendre compte. Les uns ont ameuté le peuple dans les lieux publics ; d’autres se retranchent dans un coin des salles destinées aux assemblées des sociétés dont je viens de vous parler; ils ont préparé le tumulte, les applaudissements ; on parle, on dit les choses les plus extravagantes... La royauté ne peut plus être conliée à Louis XVI... Il a perdu la confiance... il faut une régence... Non, pas de régent; un conseil exécutif, un conseil de surveillance... Point de conseil, point de régence, une Convention nationale... Une commission nommée par les 83 départements... Plus de monarchie... Et, par le moyen d’une vingtaine de gens, ils obtiennent des applaudissements. (. Applaudissements .) Voilà la manœuvre qu’on ne cesse de faire depuis la malheureuse époque du 21 juia, et je ne puis m’empêcher de mettre sous vos yeux un trait frappant dont j’ai été témoin. Le 8 de ce mois, dans un de ces clubs (1), qui, lorsqu’il n’a pas été influencé par des hommes pervers, a montré des sentiments vraiment patriotiques, dans ce club on donne lecture d’un projet d’adresse à l’Assemblée nationale (et je vous fais observer que cette adresse n’était point destinée pour l’Assemblée nationale) ; vous y étiez censurés injurieusement... De quoi? Vous ne vous (1) Aux Jacobins. 318 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791. J en douteriez pas! D’avoir envoyé vers le roi des commissaires, et de n’avoir pas mandé le monarque à la barre de l’Assemblée nationale ! Au trait d’une aussi odieuse et aussi abominable démence, je frémissais, et tout retentissait d’applaudissements ! Il y a plus, Messieurs; on a eu l’indécence, l’inconséquence, je ne sais quel terme employer, d’arrêter que celte adresse, serait imprimée et envoyée dansles provinces !... M. Legrand. M. Goupil-Préfeln a été président de cette assemblée. M. Goupil-Préfeln. Si j’avais alors été président, je ne l’aurais pas souffert, et j’ai fait preuve que j’en suis incapable. Pour soutenir ces abominables manœuvres, on accapare des journalistes, des folliculaires, des pamphlétaires. Un homme (1) investi d’une réputation obtenue je ne sais comment, et décoré du titre d’académicien, a été employé dans cette occasion, comme il y a quelque temps on avait employé le nom de Raynal pour décrier notre Constitution, et préparer les esprits à la contre-révolution qu’on médi ait. Qui voudrait de la malheureuse et criminelle célébrité de ces Eros-trates modernes 1 Un autre, avec moins d’éclat que les précédents, fait comme eux un trafic de son érudition ; le sb ur Brissot-Warville s’est lui-même annoncé à cette Assemblée; il a fait un discours, on discours dont l’impression a été ordonnée! On a eu la hardiesse, l’impudence c’en faire la distribution au bureau de l’Assamblée nationale avant-hier (2). Il est encore nécessaire, Messieurs, de vous donner une idée du point où est parvenue l’audace des écrivains de ces odieux et misérables pamphlets. M. Le Bois Desguays. S’il s’agissait de dénoncer un homme qui ait conseillé la désobéissance, ou quelque chose qui puisse avoir trait à la désobéissance, au meurtre, aux rassemblements, soit; mais cela n’est pas. Un homme a le droit d’énoncer son opinion ; il ne doit pas pour cela être dénoncé comme coupable. ( Applaudissements et murmures. — Mouvement prolongé.) M. Goupil-Préfeln. Oui, il est nécessaire de vous donner une juste idée de l’exeôs auquel les écrivains de ces méprisables pamphlets se sont portés par leur audace criminelle ..... [Murmures.) Il est essentiellement vrai que toutes ces propositions d’une convocation d’un nouveau corps constituant, de renvoi. à une prochaine législature pour décider ce qui concerne la personne du roi, que toutes ces propositions nous ont été faites; je les combats; or, pour les combattre raison a-blement et avec succès, je dois faire connaître les raisons qui ne vous permettent pas de différer d’un s ul instant la decision de la grande question qui vous occupe. Ces raisons, il est visiblement facile de les saisir dans les mai. œuvres qui s’exercent, dans la manière dont ou agite les esprits, dans les mouvements qu’on veut produire. Je vais donc mettre sous vos yeux l’excès d’audace auquel un écrivain de ces odieux et criminels pamphlets s’est porté pour la destruction de la royauté : il veut y substituer le monstre d’une République, qui ne fut jamais fait pour (1) Condorcet. — Voy. ci-après son opinion aux annexes de la séance. (2) Yoy. l’opinion de Brissot ci-après, aux annexes de la séance. la France ; il dit que ceux qui ne sont pas de son avis ont de bonnes raisons pour vivre sous notre gouvernement, et qu’ils sont payés par la liste civile ..... Voudrait-il bien nous dire, ce lâche, cet artificieux calomniateur, quelle bonne raison il peut avoir eu pour nous produire, dans son mémoire, l’escobarderie la plus honteuse, inventée pour nous rendre parjures au serment qui nous lie à notre divine Constitution! Rrissot n’a pas craint d’écrire, il n’a pas craint de débiter ; « Je fais la motion expresse que l’inviolabilité « absolue soit regardée comme subversive de « toute Constitution, attentatoire à la souveraineté « de la nation, à la liberté publique; et qu’en « conséquence on déclare que le roi peut et doit « être jugé. » Quelqu’un n’a-t-il point été tenté d’applaudir à la témérité de ces horreurs! Oui, Me-sieurs, dans un club qui a ordonné l’impression de cette production ..... A la manière dont il s’exprime, on dirait que l’opinion publique ne réside que dans Warville et ses adhérents... Messieurs, voici ce qu’on ajoute à ces manœuvres: on dit avec confiance dans ces clubs que c’est la volonté générale de tout Paris; on écrit eu conséquence dans les provinces; on s’adresse aux hommes dont on sait que les lêtes sont ou plus faibles ou plus évaporé s; de là des adhésions; puis on vous dit que c’est le vœu des 83 départements ; et cela se trouve aux portes de la salle répété par des gens qui sont payés pour le dire, et qui ne savent pas même que vos départements sont au membre de 83 ! Quoique j’applaudisse, avec ce qu’il y a de gens sages dans la capitale et dans les départements, aux mesures proposées par vos comités, je ne puis me dispenser de vous faire apercevoir, dans leur projet de décret, une légère imperfection ; les principes du rapport sontexcellents ; mais le projet de décret est incomplet: en demandant qu’on ailleaux voix sur le pr ojet de vos comités, je demande par amendement que l’Assemblée nationale déclare, par un article additionnel, qu’elle ne cessera de maintenir, comme un des points fondamentaux de la Constitution, que la personne du roi est inviolable et sacrée. ( Applaudissements d'un grand nombre de membres de l'Assemblée.) M. Tuaut de La Bouverie. Je demande l’impression du discours de M. Goupil. Voix diverses : Oui! oui! — Non! non ! — L’ordre du jour ! M. Poutrain. Je demande si l’Assemblée nationale veut déclarer avec M. Goupil-Préfeln que M. de Condorcet est un... (Murmures.) Plusieurs membres : Oui ! oui ! M. Bontteville-Dumetz. Je demande l’ordre du jour; il y a quelques erreurs dans ce qu’a dit M. Goupil. M. Thibault, évêque de Saint-Flour. Je demande la parole sur l’impression. M. Goupil-Préfeln. Je demande aussi l’ordre du jour, car j’ai parlé d’abondance de cœur et je ue puurrais transcrire littéralement ce que je \ieut d’improviser. (L’Assemblée, consultée, décrète l’ordre du jour.) M. l’abbé Grégoire. J’entends dire autour de I Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] moi qu’il ne convient pas à un prêtre de traiter la question suivante ..... A droite. Non ! non ! M. Pariiaudat. Personne ne vous a (lit cela : vous commencez par un mensonge ; vous finirez par des horreurs! ( Mouvement général d’improbation.) M. le Président (s' adressant à M. l’abbé Grégoire). Monsieur l’opinant, c’est apparemment une figure que Monsieur a voulu employer. M. l’abbé Grégoire. Quelle que soit mon opinion, je parlerai d’après ma conscience (4 droite : ah ! an !)... et au lieu de comparer mon opinion avec mon état, je demande qu’on me réfute; du reste, Messieurs, lorsque l’Assemblée aura prononcé je serai soumis à ses décrets... ( Adroite : C’est bien heureux !) et jamais je ne me permettrai de protester contre... ( Applaudissements à gauche.) Vous traitez la question de l’inviolabilité absolue ; d’après les principes, et dans la situation où se trouve actuellement la France, je réfuterai plusieurs arguments présentés par divers préopinants en faveur du projet des comités; je leur rappellerai quelques objections qu’ils n’ont pas combattues, et j’en ajouterai de nouvelles; enfin j'établirai que le projet des comités est rejeté par l’intérêt national. Louis XVI a agi, disait-on hier, ou comme roi ou comme citoyen : si comme roi, il est inviolable aux termes du décret ; si comme citoyen, il est permis à tout citoyen d’aller et venir dans l’étendue de l’Empire, il n’y a pas de délit. Ce raisonnement est vicieux, parce qu’il considère Louis XVI toujours abstraction faite des circonstances liées à son évasion. Le premier fonctionnaire public abandonne son poste; il se munit d’un faux passeport; après avoir dit, en écrivant aux puissances étrangères, que ses ennemis les plus dangereux sont ceux qui affectent de répandre des doutes sur les intentions du monarque, il viole sa parole, il laisse aux Français une déclaration qui, si elle n’est pas criminelle, est au moins dequelque manière qu’on l’envisage, contraire aux principes de notre liberté. 11 n’a pu ignorer que sa fuite exposait la nation aux dangers de la guerre civile; enfin, dans l’hypothèse qu'il ne voulait aller qu’à Mont-médy, jè dis : ou il voulait se borner à faire des observations paisibles à l’Assemblée nationale sur ses décrets, et pour cela il était inutile de fuir; ou il voulait soutenir ses prétentions à main armée, et alors c’était une conspiration contre la liberté. Cette alternative forme sans doute un dilemme contraire à ceux qui soutiennent l’avis des comités. Mais, dit-on, pour mettre quelqu’un en jugement il faut que le délit soit qualifié, qu’il y ait une loi préexistante ; ici, il n’y en avait pas. Quoi, Messieurs, nous n’avions pas de lois antérieures concernant la violation des promesses, les attentats contre la liberté publiquel D’ailleurs, en raisonnant ainsi, quel moyen laissez-vous au peuple, qui réforme sou gouvernement, de repousser les attaques qu’on veut lui porter? Avez-vous donc oublié cette maxime, maxime révérée par tout l’univers, que le salut du peuple est la suprême loi? Pour combattre plus efficacement encore cet argument, que je regarde comme absurde, je dis que si, sous prétexte 319 qu’une loi n’est pas encore faite, un individu pouvait être inviolable, quels que fussent le nombre et l’énormité de ses délits, alors il peut rompre le corps social, ourdir les plus affreux complots, et plonger un peuple entier dans l’abîme de tous les maux. En admettant une pareille absurdité, on eût pu à Versailles soutenir les arrêtés de la séance royale avec les régiments qu’on avait fait venir, anéantir les espérances que la nation avait conçue de nos travaux, et vous étouffer sous les débris de cette enceinte où vous avez jeté les fondements du bonheur public I Mais, dit-on, si le roi n’est pas inviolable, deux calomniateurs pourront le traduire en jugement. Non, car il faudrait préalablement, suivant nos lois nouvelles, que le juré prononçât qu’il y a lieu à accusation. Mais, dit-on, Je pouvoir exécutif doit être indépendant du pouvoir législatif; il ne le serait pas si celui qui l’exerce n’est point investi de l’inviolabilité. Je crois, Messieurs, que l’on confond ici la séparation des pouvoirs avec l’indépendance des pouvoirs; on pourrait soutenir, jusqu’à un certain point, que le pouvoir exécutif est dépendant du pouvoir législatif, puisqu’il ne peut agir que d’après lui; mais je réponds par un raisonnement de parité : le Corps législatif devant être indépendant du pouvoir exécutif, les législateurs devraient aussi être inviolables dans tous les cas ; ce que certainement vous n’ajouterez pas... A droite : Vous n’y êtes pas du tout. M. l’abbé Grégoire. Je crois, en second lieu, que vous n’adopterez pas que tous les pouvoirs constitués doivent s’exercer sans qu’on puisse en suspendre ni en troubler l’exercice, pour établir l’inviolabilité de ceux qui les exercent ; ainsi, vouloir de l’indépendance conclure à l’inviolabilité, c’est assurément fausser la conséquence. Je dis, en troisième lieu, qu’il ne s’agit pas de subordonner le pouvoir exécutif à une législature, mais bien à une Convention nationale, qui, dépositaire de tous les pouvoirs, les répartit, en fixe la latitude; prétendre que le pouvoir exécutif doit être indépendant même d’une Convention nationale, ce serait évidemment dire que le pouvoir exécutif sera indépendant de la nation même, principe absurde qui trou longtemps a consacré l’esclavage et la misère des peuples. Mais, a-t-on dit, si le roi n’est pas inviolable dans tous les cas, la majesté du trône court le danger d’être avilie. Pour détruire cette objection, il suffit d’en faire sentir le ridicule; autant vaudrait nous dire qu’un homme sera avili si l’on réprime ses passions, qu’il sera avili s’il est soumis aux lois! Mais, ajoute-t-on, le bonheur public exige que le roi soit inviolable. Je réponds : pour que la société politique puisse se maintenir, il faut qu’elle puisse réprimer tous les attentats dirigés contre sa sûreté; le roi doit être inviolable dans tous les actes qui tiennent à la royauté, parce que, comme on l’a dit, dans ce cas il y a un ministre responsable; mais pour les cas où l’on ne trouve pas cet agent, la responsabilité doit porter sur le monarque. Car, on l’a dit avant moi, s’il est un seul homme qui, faisant exécuter les lois, n’y soit pas soumis ; s’il est un seul homme devant lequel la loi soit muette; si cette loi, suivant l’expression d’un écrivain, ne dirige pas son glaive sur un point horizontal pour abattre ce qui la dépasse, alors un seul individu, 320 [Assemblée nationale.] paralysant toute la force nationale, peut tout entreprendre contre la nation. On avait observé aux partisans de l’inviolabilité absolue que cette doctrine autoriserait tous les crimes; un des préopinants a répondu en disant que, dans une attaque individuelle, chacun aurait droit de repousser un roi agresseur. Mais, je le lui demande, si un homme attaqué succombe sous le fer de l’agresseur, celui-ci sera-t-il inviolable? Il n’a donc fait que reculer la difficulté au lieu de la résoudre; ainsi, lorsqu’un défenseur de l’opinion que je soutiens a objecté que l’inviolabilité absolue du monarque appellerait malheureusement sur lui les vengeances particulières, son argument reste dans toute sa force, et j’observerai encore qu’on ne lui a pas répondu lorsqu’il a établi que l’inviolabilité du roi exigeait l’absolution de ses complices; il a eu raison. Après avoir combattu les raisons des préopinants, je dirai encore que le roi pourrait être inviolable parce que la Constitution le déclare tel. Mais le roi a protesté contre cette Constitution. Peut-il donc invoquer le bénéfice d’une loi contre laquelle il proteste, et qu’il a voulu anéantir? J’ai ouï répéter souvent que le roi devait avoir tous les moyens d’opérer le bien, mais u’il devait être sans force pour faire le mal. uoi! afin qu’il soit sans force pour faire le mal vous le déclarez inviolable en tout, c’est-à-dire que vous voulez que ses passions n’aient aucun frein, qu’il puisse impunément se porter à tous les excès! Qu’on me dise ce que c’est qu’une contradiction, si celle-là n’est pas évidente. Ainsi donc, vouloir établir l’inviolabilité absolue, c’est renverser tous les principes, c’est fonder la liberté publique sur l’immoralité. Que les rois soient bons, qu’ils soient justes, leur inviolabilité sera plus assurée I Alfred n’avait pas besoin de pareilles lois; l’amour du peuple formait autour de lui un rempart impénétrable. Après avoir établi ce principe conservateur de la liberté, je l’applique aux circonstances actuelles, et je dis que l’intérêt de la nation repousse le projet de vos comités. En effet, si le roi ne peut pas être mis en cause, alors il me semble que le voilà dans l’état où il était avant sa fuite et, en consultant le passé, voyons ce que l’avenir nous promet. Déjà plusieurs fois vous avez été à la veille d’une contre-révolution; les troupes appelées à Ver -ailles, la séance royale, les scènes du mois d’avril dernier, l’évasion du roi, enfin la soif du pouvoir, la facilité d’intriguer, et peut-être des vengeances à assouvir, car une cour ne pardonne pas!... Nous aurons peut-être une douzaine de conspirations nouvelles, et dans ce nombre il y aura peut-être à la fin une chance contre vous qui étouffera la liberté, et ensevelira sous les ruines de la Constitution ceux qui en sont les défenseurs et les amis! ( Applaudissements, .) D’ailleurs, Messieurs, le bonheur du peuple serait-il bien garanti sous un roi faib'e? N’auriez-vous pas alors des maires du palais? Et voilà cependant sur quoi reposeront vos espérances, ou plutôt votre erreur! Je dis encore que la loi ne doit être que l’expression de la volonté générale; nous devons être prêts sans cesse à l’exécuter. Un ambassadeur disait aux Hollandais : « Nous déciderons de vous chez vous et sans vous. » Mais les représentants du peuple outrageraient la nation s’ils décidaient de son sort sans elle et peut-être contre elle, contre son vœu! (Applaudissements et murmures.) [15 juillet 1791.] M. Tuant de Bonverie. Nous ne sommes pas des ambassadeurs. M. l’abbé Grégoire. J’ajoute une autre considération, qui a été déjà présentée. La défiance est la sauvegarde d’un peuple libre; la confiance ne :se commande pas. Eh bien I pouvez-vous jamais réinvestir Louis XVI de la confiance nationale ! S’il promet d’être fidèle à la Constitution, qui osera en être garant? Hier, après un discours en faveur du projet des comités, on nous a présenté un tableau intéressant de la félicité publique : rapprochez ce tableau des inconvénients qu’on vient de déduire, des maux qui peuvent être et qui seront le résultat d’un tel système, et voyez à laquelle des deux opinions le tableau doit s’attacher! J’invoque la question préalable contre le projet des comités ; je demande qu’au plus tôt on assemble les collèges électoraux, et qu’on nomme une Convention nationale; c’est l’objet important qui doit nous occuper... (Murmures.) Mais si malheureusement le projet des comités était adopté par l’Assemblée, s’il était décidé que l’inviolabilité est absolue, que jamais le roi ne peut être mis en cause, alors, Messieurs, pour être conséquents, vous devez juger comme coupables d’un grand crime les gardes nationales de Varennes, et ceux qui ont concouru à l’arrestation du roi. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) M. Salle. Messieurs, avant d’entrer dans la discussion de l’importante et difficile affaire qui fait l’objet de la délibération, qu’il me soit permis d’observer à l’Assemblée que, quelle que soit la différence des opinions qui l’agitent, rien n’est plus déplacé que la chaleur avec laquelle on s’attaque dans cette question épineuse. Je conviens franchement, quant à moi, que les circonstances où nous nous trouvons sont environnées de dangers ; je conviens que tous les partis qui peuvent nous être proposés sont également périlleux : il m’est démontré que des esprits droits, des citoyens sans reproche peuvent franchement, et sans donner la moindre prise à la calomnie, embrasser les partis contraires. Où peuvent donc aboutir tant de déclamations vagues, tant de soupçons indiscrets, tant de vaines personnalités? Des hommes faits pour s’estimer, et du patriotisme desquels la nation s’honore également, peuvent-ils croire qu’il importe au succès de leur cause de se flétrir par des inculpations mal fondées avec un égal archarnement? (Applaudissements.) Eh bien, Messieurs, et moi aussi j’ai mon opinion faite dans cette grande question ; et moi aussi je viens vous la présenter. Je puis m’égarer sans doute; les adversaires du partique j’embrasse peuvent m’accuser, me dénoncer même à mes commettants comme un mauvais patriote : cependant la conscience de mes actions me restera, et rien n’aura été capable de changer mes opinions. Soyons donc froids et calmes, puisque la chaleur ne peut que nous rendre injustes; et sachons nous estimer nous-mêmes, si nous vouions mériter l’estime de la nation. Pardonnez, Messieurs, à mon zèle cette courte digression; j’ai examiné les conjonctures où nous sommes, et je me suis dit : « Quel que soit le parti que prenne l’Assemblée, il mécontentera un grand nombre de citoyens. Soit que Louis XVI soit maintenu sur le “trône, soit qu’il en descende, l’Assemblée sera accusée avec une égale chaleur. 11 nous importe d’éviter toute exagéra-ARCH1VES PARLEMENTAIRES. 321 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] tion d’opinion, si nous vouions éloigner de nous les fléaux de la guerre civile : il nous importe de rallier les espriis autour de l’Assemblée nationale, et de les préparer à recevoir le décret qu’elle doit rendre, quel que puisse être ce décret. Il faut donc nous rallier nous-mêmes autour de nos propres principes; il faut donner l’exemple de la modération dans la discussion et de l’obéissance à ses différents résultats, si nous voulons que le peuple qui nous entend soit modéré lui-même et soumis à la loi, lorsqu’elle sera faite. » ( Applaudissements .) J’aborde la question, Messieurs, et si je remplis mal la tâche que je me suis imposée, j’aurai du moins, je l’espère, été fidèle aux principes de modération que je viens d’exprimer. Trois questions de fait se présentent relativement à Louis XVI; il importe de les poser et de les discuter en elles-mêmes, sauf ensuite à faire l’application de cette discussion au roi, et à voir quelles en doivent être les conséquences. Le roi est-il coupable d’avoir fui? Le roi est-il coupable d’avoir en fuyant iaissé un manifeste? La fuite et le manifeste du roi suffisent-ils, à défaut de toute autre preuve, pour démontrer qu’il est complice du général de Bouillé, dans les dispositions que celui-ci avait faites pour faciliter l’invasion de la frontière à l’ennemi, et environuer le roi de l’armée des mécontents? Le roi est-il coupable d'avoir fui ? Cette question n’en est plus une; chaque parti s’accorde à dire que la fuite du roi n’est pas un crime, puisque nulle loi n’a qualifié ce délit, et n’en a surtout déterminé la peine. D’ailleurs la loi sur la résidence des fonctionnaires publics est expresse, et je n’ai pas vu que les adversaires du projet de décret des comités aient essayé de résister à cet argument. Je passe à la seconde question : Le roi est-il coupable d'avoir en fuyant laissé un manifeste ? Je suis loin, Messieurs, de vouloir me dissimuler tout l’incivisme de cette pièce. Elle a dû révolter tous les Français; elle a dû leur être d’autant plus sensible, qu’ils avaient aimé davantage le monarque au patriotisme duquel ils avaient cru. Les citoyens l’aimaient parce qu’ils le croyaient le Chef de la Révolution. Us ont vu qu’il les avait trompés ; que la Constitution n’avait jamais jusqu’alors été en sûreté dans ses mains, et les citoyens qui veulent aujourd’hui la Constitution avant tout en ont été indignés. Ils l’ont regardé comme la cause de tous les troubles, comme le chef de toutes les factions qui les agitent depuis deux ans, et toutes les haines se sont accumulées sur sa tête. Je sens vivement, Messieurs, l’injure faite à la nation par son premier délégué: mais, qu’il me soit permis de le dire, cette réunion de toutes les haines, bien naturelle sans doute de la part d’un peuple ombrageux pour sa liberté naissante, est une exagération dont nous devons nous défendre. Si la cause de Louis XVI, protestant contre les nouvelles lois, a fait oublier les injures de tous les ennemis publics qui, depuis la Révolution, ont accumulé des protestations du même genre; si le sentiment du moment exaspéré par tous les sentiments particuliers qui sont venus s’y confondre paraît prêt à se calmer sur toutes les craintes particulières, pourvu que Louis XVI soit sacrifié: en sentiment est injuste à cet égard et dans son objet et dans son intensité, et je me fais gloire, moi, de m’écarter en cela de l’opinion publique. 1" Série. T. XXVIII, Après m’être ainsi dégagé de toute haine et de tout s-nti neiit étranger, j’examine cette pièce en elle-même et dans son ensemble. Je le répète, elle est un monument d’incivisme, et s’il m’est démontré que Louis XVI, pour faire triompher les principes qui l’ont dictée, a voulu susciter à la nation des ennemis, et se mettre à la tête des mécontents, j’ajouterai que cette pièce est un monument de perfidie et d’atrocités. Louis XVI dans son manifeste a protesté contre la Constitution. Je n’examine pas si la Constitution était ou non achevée; sa conduite ne m’en paraît pas moins condamnable : car enfin à chaque décret constitutionnel il a été libre d’accepter ou de refuser ( Murmures adroite.)-, il a été libre de les comparer entre eux à mesureqn’ils lui ont été présentés; il savait qu’il serait libre encore de les rejeter à la fin lorsqu’il en pourrait considérer l’ensemble : rien ne peut le justifier de s’être engagé par ses différentes acceptations, pour manquer ensuite à tous ses engagements. Cependant, Messieurs, considérons la position de Louis XVI, et souvenons-nous surtout de ces scènes de scandale, où des factieux, excitant peut-être le peuple à des mouvements désordonnés, se hâtaient d’entourer le roi armés de pistolets et de poignards, de lui persuader que fe peuple en voulait à sa vie, et qu’ils se réunissaient autour de sa personne pour le défendre. Combien est malheureuse la condition d’un roi ! Lequel de nous dans une pareille position n’aurait pas été la dupe des feintes alarmes de ces lâches courtisans, accoutumés à la souplesse et à la duplicité? N’ont-ils pas pu, les perfides, persuader à Louis XVI que le peuple de Paris était féroce et ne respirait que la mort de son roi; que le peuple des départements au contraire était bon et se laissait abuser par des factieux sur les sentiments des Parisiens; que le royaume était plein de mécontents; que la plupart ne restaient attachés à la Révolution que parce que, croyant que le roi en était le chef, leur amour pour leur roi les ralliait autour desavolonté?N’ont-ilspaspu lui dire qu’il fallait qu’il se déclarât pour faireéclater la volonté générale; mais que se déclarer au sein de la capitale, c’était s’ex oser et livrer l’Etat aux horreurs de la guerre civile? N’ont-ils pas pu lui persuader que s’il était libre, sûr de n’être pas attaqué, il pourrait alors s’expliquer sans crainte, et qu’il verrait la grande majorité de la nation adopter tous ses sentiments? Messieurs, tout cela est possible, et je conçois dans ce système comment Louis XVI a pu avoir la faiblesse d’accepter, malgré lui, les décrets constitutionnels. Encore un coup, je ne le justifie pas d’avoir manqué à toutes ses promesses; mais je dis que, s’il n’a pas voulu employer le fer et la flamme contre la nation; s’il n’a fait que protester contre son serment; s’ily a été engagé par les perfides insinuations de ces hommes pervers, qui, ayant eu l’audace de se dire ses défenseurs et ses amis jusque dans le sein de cette Assemblée, ont sans doute eu l’adresse de le lui persuader à lui-même; je dis que, dans ce sens qui n’est pas déraisonnable, Louis XVI serait à plaindre. Je dirai tout à l’heure que Louis XVI serait un monstre, s’il avait eu dessein d’employer la force à l'appui de son manifeste. Louis XVI a protesté contre la Constitution ; il en donne pour motif, entre autres, qu’il a trouvé la Constitution inexécutable. Je sens, Messieurs, la faiblesse de cette raison. Cependant, combien de fois ne l’avons-nous pas dit nous-mêmes? Tant que la Constitution ne sera pas terminée, la ma-21 322 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791. J Chine éprouvera des frottements qui en dérangeront les mouvements ; tant que le corps constituant délibérera sur les grands intérêts qui lui sont confiés, la nation s’agitera. Le peuple, qui est appelé par la nature ues choses à délibérer pour lui-même, mais qui, dai s un Empire aussi vaste que le nôtre, en est sagement écarté par notre Constitution, le peuple est poussé sans cesse en sens contraire, et porte impatiemment le joug d’une loi qui n’a pas été le résultatdes principes, mais seulement le résultat des considérations politiques : le peuple est disposé à l’insurrection tant que dure une convention nationale, et il échappe sans cesse à l’action du gouvernement. Cette théorie, Messieurs, si ceriaine pour les esprits droits, a difficilement fructifié dans le sein même de cette Assemblée. Est-il étonnant que lé roi ne l’ait pas connue? On lui aura fait croire que l’état actuel des choses serait l’état permanent-, on lui aura persuadé que les troubles seraient éternels, et parce qu’en effet les ressorts du gouvernement étaient relâchés dans ses mains pendant la présence du corps constituant, il aura pensé que le gouvernement était désormais nul pour lui, et que la Constitution était inexécutable. J’ajoute, Messieurs, que l’Assemblée nationale elle-même a dû contribuer à cette erreur. En effet, dans les circonstances où nous nous sommes trouvés, environnés partout des agents de l’ancien régime qui contrariaient l’exécution des lois nouvelles, nous avons dû, pour le plus grand bien de la chose, prendre souvent sur nous des actes d’administration. Nous avons gouverné; nous avons jugé; nous avons rendu des décrets sur la disposition de la force publique; nous avons fait en un mot une foule d’actes, bien essentiels sans doute pour l’établissement de la Constitution , mais qui n’en étaient pas moins hors de la compétence des législatures. Eh bien! le roi encore se sera laissé persuader que les législatures nous imiteraient, et que son pouvoir lui Serait éternellement contesté. Il s’est trompé : il a protesté contre cet ordre de choses. Parce que toute l’exécution ne lui était pas encore entièrement remise, il aura dit que la Constitution n’était pas exécutable. ( Applaudissements à gauche.) Enfin, Messieurs, en faisant toujours abstraction des moyens que Louis XVI voulait employer pour appuyer son manifeste, et en continuant d’examiner cette pièce en elle-même, je le répète, cette pièce se résout en entier dans une protestation contre la Constitution. Eh bien! beaucoup d’autres ont protesté ainsi que lui. Près de 300 membres de cette Assemblée ont tout à l’heure encore porté l’incivisme jusqu’à imprimer des déclarations qui n’ont pas d’autre sens. Comment l’Assemblée s’ëst-elle conduite dans cette circonstance? Elle s’est dit : « Ces hommes, égarés par leur orgueil et leurs préjugés, veulent fermer constamment leurs cœurs aux bienfaits de la Constitution; mais, en dépit d’eux, la Constitution s’achèvera. Ils la verront enfin dans son ensemble, ils la jugeront; ils Verront que les troubles dont ils se plaignent ontbien pu régner pendant qu’elle se faisait, mais qu’ils n’en sont pas les conséquences. Ils lui rendront justice alors. Aujourd’hui ce sont des fils égarés qui méconnaissent la patrie parce qu’elle n’a pas pu encore leur faire goûter tous ses charmes : demain la patrie sera tranquille; les citoyens seront paisibles, la Constitution sera terminée et solidement établie, et ils l’aimeront parce qu’elle les protégera. Qu’importent aujourd’hui leurs protestations contre un ouvrage non fini et qu’ils ne connaissent pas? Qu’importent leurs erreurs? L’essentiel e*t de fi (tir ; alors seulement leurs erreurs seront inexcusables, parce qu’elles seront sansprétexte. » Tel a été votre langage, Messieurs, pour ceux de vos collègues qui ont protesté, et qui remplissent dans l’état aujourd’hui un poste plus éminent peut-être que celui du monarque. Par quelle fatalité seriez-vous indulgents pour eux, et réserveriez-vous pour le monarque seul toute votre rigueur, si comme eux il n’a fait que protester contre votre ouvrage; si ce sont eux qui l'ont trompé; si les circonstances, si vous-mêmes, j’ose le dire, avez contribué à son erreur? ( Applaudissements prolongés à gauche.) Cependant, Messieurs, je consens encore d’être rigoureux jusqu’à l’excès, et ne m’arrêtant à aucune considération, je dirai, si l’on veut, que Louis XVI est coupable pour avoir fait un manifeste, c’est-à-dire pour avoir protesté contre la Constitution. Je passe à la troisième question de fait. Louis X VI a-t-il voulu appuyer son manifeste de la force des armes? Louis XVI, Messieurs, allait à Montmédy; la frontière était ouverte de ce côté à l’invasion de l’ennemi; le général de Bouillé devait l’environner de l’armée des mécontents. Si Louis XVI a voulu tout cela, je l’ai déjà dit, Louis XVI est un monstre. Mais, Messieurs, c’est d’après les pièces que nous devons juger : or, je dis qu’il résulte bien des pièces que le roi a donné des ordres à M. de Bouillé pour assurer sa fuite, mais qu’il n’est prouvé par aucune (du moins aux yeux d’un juge, et vous êtes des juges dans cette affaire) qu’il n’est nullement prouvé, dis-je, que Louis XVI ait donnédesordres àM. de Bouillé défaire contre la France des préparatifs hostiles : je dis plus, je dis qu’il résulte de la lettre de M. de Bouillé, que c’est ce général seul qui a tout disposé; que c’est lui encore qui veut susciter aujourd'hui des ennemis à Ja France, et guider de sa main parricide le poignard jusque dans le sein de sa patrie (1). Il résulte d’une lettre de M. de Klinglin, que M. de Bouillé et lui ont tout préparé de concert avec plusieurs complices qu’il nomme, et dont quelques-uns sont arrêtés. Le nom du roi, comme principal moteur, ne se trouve dans aucune des pièces saisies chez eux, dans aucune de leurs lettres interceptées. Au milieu de ce silence, sans aucune preuve formelle, lorsqu’il est possible que le roi ait été trompé en effet, coo-clurons-nous contre toute règle et avec plus de rigueur que s’il était question d’un simple particulier, que le roi cependant est le complice du général de Bouillé? Mais à défaut de pièces expresses, nous dira-t-on, le manifeste du roi , joint a sa faite, prouve assez sa complicité. Le roi dit dans son manifeste qu'il ne veut pas de la Constitution ; qu'il en veut une autre ; qu'il veut régner , et qu’il le veut à celte unique condition. J’adopterai, si vous voulez, toutes les conséquences de ces assertions; j’observerai seulement qu’on peut vouloir une autre Constitution sans avoir des projets hostiles. Eh! Messieurs, quels moyens ne nous donneraient pas nos adversaires, "s’ils niaient cette propo-(1) Il est à remarquer que M. de Bouillé s’avançant vers Varennes, à la tête do Royal-Allemand, pour se ressaisir du roi au moment de son arrestation, le roi . , lui a envoyé l’ordre de rétrograder, et do no se livrer ’ r à aucun acte hostile. (Note de l'opinant.) 323 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] sitionl Quelques-uns d’entre eux, un certain nombre de Français, plusieurs journalistes surtout, ne veulent pas de la Co stiiution; ils nous parient : ceux-ci de chasser le monarque et de donner à son fils un conseil de régence ; ceux-là de Je conserver, mais de lui nommer un conseil qui aura voix délibérative; ceux-là enfin de chasser les rois et d’établir à leur place un conseil exécutif nommé par les 83 départements. Certainement ces propositions ne tendent à rien moins qu’à changer la forme du gouvernement : elles font plus dans mon opinion; elles tendent à substituer l’anarchie à la place du règne des lois, et peut-être même à ramener le despotisme : et quand tout cela ne pourrait pas se démontrer, toujours serait-il vrai qu’elles tendraient à amener la guerre civile : car moi, par exemple, et je suis sûr qu’un très grand nombre de Fiançais pensent de même, moi, dis-je, je déclare ici qu’il faudra me poignarder, me chasser de la France tout au moins, avant que je laisse parmi nous i’administration suprême, sous quelque forme que ce puisse être, passer dans les mains de plusieurs. (Applaudissements répétés de la •presque unanimité de V Assemblée.) Ces propositions, Messieurs, sont donc contre-révolutionnaires. Elles ont cependant été affichées avec profusion dans toutes les rues; on en a agité toutes les sociétés : des journalistes les impriment et les établissent dans toutes leurs feuilles. En conclurons-nous, Messieurs, que leur intention est d’établir cette Constitution nouvelle, c’est-à-dire de faire cette contre-révolution par des moyens violents? Non, Messieurs : ces hommes dangereux sans doute ne sont pas encore des factieux, et ils le seraient si telle était leur intention. Ils veulent le bien ; soit : ils ne veulent d’autre arme que la raison; soit encore : mais pourquoi prétendent-ils que Louis XVI n’a pas pu vouloir user des mêmes moyens qu’eux pour opérer les changements au’il méditait? Qu’ils soient justes du moins, s’ils ne veulent pas que nous croyions qu’ils ne poursuivent Louis XVI quepar une conséquence de leur funeste système. Louis XVI trompé, comme se trompent les partisans de tout conseil exécutif quelconque, Louis XVI a pu vouloir, du sein d’une place qui le mettait à l’abri de ce qu’on lui avait dit être la fureur du peuple, faire des observations à l’Assemblée : il a pu croire que ses raisons triompheraient; il a pu ignorer qu’on voulait le faire servir à des projets violents; et de ce que la preuve expresse n’est nulle part qu’il ait eu connaissance de ce complot, j’en conclus, moi, qu’il l’a effectivement ignoré. Je reprends mes conséquences; et je pose d’abord en principe que (quoique je sois le partisan de l’inviolabilité absolue; quoique je pense qu’un roi pour ses actes publics et privés ne doive pas être poursuivi dans les tribunaux, parce que, la matière des délits étant indivisible, un roi pourrait être accusé pour un délit de police comme pour un assassinat ; parce qu’un roi accusé à faux comme il le serait sans cesse par des factieux, ou par de ces hommes qui se croient grands lorsqu’ils s’attaquent à ce qu’il y a d’élevé (Vifs applaudissements.), serait sans cesse dans les liens de quelque décret, et pourrait se trouver éternellement suspendu de ses fonctions et laisser l’Etat sans gouvernail), je pose, dis-je, en principe que je ne crois pas que cette inviolabilité puisse mettre à couvert un roi conspirateur qui quitterait son poste pour se mettre à la tête d’une armée ennemie. ( Applaudissements .) Un tel coupable ne pourrait, à la vérité, être jugé par les tribunaux tant qu’il n’aurait pas cessé d’être roi; mais dès l’instant qu’un roi agit pour réaliser de tels projets, il cesse de l’être : et quoique la loi ne soit pas faite; la sainte loi de l’insurrection préexistant à tout ordre social, donnerait encore le droit de le chasser. Si, donc, en effet lç roi était allé se mettre, en connaissance de cause, à la tête du projet de M. de Bouillé, j’opinerais à l’instant pour qu’il fût détrôné. Mais cette preuve ne m’est pas acquise, et je m’arrête religieusement devant cette raison puissante. Seulement, Messieurs, je demanderai que l’Assemblée déclare formellement qu’un roi qui quittera son poste pour aller se mettre à la tête d’une armée ennemie, par le seul fait de son action hostile contre l’Etat, soit censé avoir abdiqué la couronne. ( Applaudissements à gauche.) La seule faute qu’ait commise Louis XVI est, je le répète, d’avoir protesté contre la Constitution. Eh bien ! ce cas est, suivant moi encore, un cas de déchéance. Et en effet, si un roi qui ne veut pas prêter serment à la Constitution lors de son avènement au trône est censé abdiquer; celui qui, ayant prêté ce serment en vertu duquel seul il est roi, proteste contre, se remet dans le même état où il était avant de l’avoir prêté : il en faut donc tirer la même conséquence. Remarquez cependant, Messieurs, que ce cas n’est pas à comparer à l’autre. Le premier réagit sur tous les citoyens; leur vie en est menacée, leur propriété eu est troublée ; tous les crimes des guerres les plus cruel les en sont la conséquence; et le monstre couronné qui se permet un tel attentat accumule sur sa tête tous les forfaits, et appelle toutes les vengeances. Le second cas, au contraire, est purement personnel au monarque, et ne compromet la sûreté d’aucun individu, lorsqu’il n’est accompagné d’aucune intention d’action. Je pense donc, Messieurs, qu’il faut ici une loi expresse, et je soutiens qu’avant cette loi, il est impossible d’agir contre un monarque qui aurait rétracté son serment. Vainement dirait-on que cela se déduit de la nature des choses, quelque évident que soit un délit, il faut le déclarer tel, il faut surtout lui appliquer positivement une peine avant de pouvoir légalement le réprimer. L’Assemblée, d’ailleurs en déclarant deux cas d’abdication : le premier lorsque le roi refuse son serment; le second lorsqu’il fuit à l’étranger, et qu’après la sommation du Corps législatif, il laisse écouler les délais ; l’Assemblée, dis-je, a suffisamment par là manifesté que quelque naturelle que soit à cet égard une conséquence, elle entendait cependant la déclarer d’une manière positive. Et en effet, Messieurs, le roi est un individu privilégié; il est par sa position hors de l’état naturel des choses; et si quelque point n’était pas formellement exprimé, il y aurait dès lors un extrême embarras pour distinguer le cas où cet état naturel des choses lui serait applicable. 11 s’ensuit que quelque claire que soit une conséquence par rapport au monarque, il est impossible de lui en faire l’application avant de l’avoir établie en loi. Ainsi donc, si la loi existait, il n’y aurait pas le moindre doute pour moi : Louis XVI a protesté contre son serment; il serait censé avoir abdiqué. Mais cette loi n’existe pas. En concluant, Messieurs, à ce que vous la décrétiez, je dis qu’elle ne peut pas être appliquée au roi. J’appuie en conséquence le projet des comités, et pour que ses principes ne restent pas douteux, 324 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] je fais la motion expresse pour que tous décrétiez avant tout les articles suivants : « Art. 1er. Un roi qui se mettra à la tête d’une armée pour en diriger les forces contre la nation sera censé avoir abdiqué. (Applaudissements à gauche) . « Art. 2. Un roi qui, après avoir prêté son serment à la Constitution, le rétractera, sera censé avoir abdiqué. « Art. 3. Un roi qui aura abdiqué, redeviendra simple ciîoyen, et sera accusable, comme eux, pour tous les actes subséquents à son abdication. » (M. Salle descend de la tribune au milieu des plus vils applaudissements de la majorité de l’Assemblée.) Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Salle et l’envoi dans tous les départements. (Cette motion est décrétée au milieu des applaudissements.) Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. M. Buzot s’y oppose et réclame la parole. (L’Assemblée décrété que la discussion n’est pas fermée.) M. Buzot. Messieurs, rien ne prouve mieux la nécessité de multiplier les opinions sur l’affaire qui nous occupe que l’effet qu’a produit le discours du préopinant. J’adopte une opinion contraire à la sienne : mes intentions sont assez connues : je demande à l’Assemblée toute la liberté nécessaire pour me faire entendre. Je placerai la question où vos comités l’ont placée eux-mêmes. En général, doit-on admettre dans une Constitution libre une inviolabilité absolue? Dans le cas où cette inviolabilité ne pourrait pas avoir lieu, est-il raisonnable de prétendre que, le Corps législatif ne pouvant pas en connaître, on doive néanmoins dépouiller la nation de cette connaissance salutaire? Enfin, savoir quel parti les circonstances nous ordonnent de prendre, voilà en peu de mots les différentes parties de mon discours. La question est ainsi posée : le roi peut-il être jugé? Quelques personnes ont soutenu la négative ; je soutiens moi qu’il peut être jugé. Assurément je respecte le principe de l’inviolabilité que vous avez posé dans tous vos décrets; assurément tous les actes du gouvernement doivent être signés par unministre responsable; en conséquence le roi ne répondant d’aucun de ses actes, cette inviolabilité-ià n’est pas dangereuse, parce que le peuple a toujours un garant; mais il y a loin de cette fiction à celle qui étendrait l’inviolabilité à tous les actes extérieurs et personnels de l’individu roi; pour ces sortes d’actes, il n’y a plus de répondant que la personne même de l’individu coupable. Par conséquent, à moins que pour être roi on cesse, par la nature même des choses, d’être homme, àmuinsque l’infaillibilité ne soit un caractère essentiel à la royauté, un individu sur le trône, coupable d’un cnmecapitalel funeste à la tranquillité publique est sujetàlaloi;e!le-ne peut admettre aucune exception en faveur d’aucun ciioven, et plus particulièrement encore d’aue> n fonctionnaire public. Cette distinction me paraît claire, conforme à vos décrets et puisée dans la nature même avant que vous eussiez fait ces décrets. Je m’en tiens là ; je crois, Messieurs, qu’in-dépendamment de vos décrets, il ne peut être vrai qu’un roi puisse sans crainte se livrer aux plus funestes et aux plus bout -ux excès; s’il attaquait son pays à main armée, s’il ravageait les propriétés de ses concitoyens... (Murmures.) Permettez que j’examine la question en général. L’inviolabilité absolue ne peut p is exister dans vos décrets. Quoi! un individu roi tenterait de renverser la Constitution et d’asservir ses concitoyens, et la nation française ne pourrait pas le. déposer et le punir! Néron, Caligula eussent été inviolables en France: ils auraient pu impunément se livrer à tous les goûts féroces -dont leur histoire est souillée, se baigner à loisir dans le sang des malheureux que la loi leur aurait asservis ! (Murmures.) Vous avez déjà prévu dans votre décret sur la régence un cas où le roi pourrait être déposé : me dira-t-on que dans ce moment l’inviolabilité ne peut pas recevoir cette exception? Mais je suppose que le cas de la démence n’ait pas été prévu; prétendrait-on pour cela que la nation fût obligée de laisser les rênes du gouvernement dans les mains d’unimbécile? Non? Hé bien, voudrait-on conserver un parjure à la Constitution, parce que l’Assemblée nationale, dans son honorable sécurité, n’aura fias soupçonnéque Louis XVI pùt le devenir? (Bruit.) Je prie l’Assemblée nationale de suivre avec confiance ce raisonnement dans son développement. Je dis qu’mdépendarnment de ces deux décrets, et sans qu’il soit imervenu aucun autre décret sur cette matière, vous êtes dans la nécessité de prononcer en ce moment ou de faire prononcer la nation sur le délit de Louis XVI. Je pourrais m’autoriser ici de l’histoire d’Angleterre, et même de la nôtre sons les deux premières races; je pourrais vous citer les plus célèbres pnblirisies, Rousseau, Mubiy, Pufendorf, le malheureux Sydney, qui fut lui-même l’exemple de cette terrible vérité, que les rois ne pardonnent jamais ; mais je me bornerai à suivre dans tous ses développements un des plus zélés défenseurs des prérogatives du trône, Blackstone : il est assez remarquable pour pouvoir s’y arrêter; il se fait les mêmes objectioos ; il finit par les résoudre dans un sens tout contraire. Blackstone a dit que le roi d’Angleterre n’est inférieur à nulle personne sur la terre, en supposant qu’il ne pût abuser de son pouvoir par de mauvais conseils ; que sa personne est sacrée; Blackstone prétend aussi que s’il arrivait eu Angleterre que le roi pût faire quelque reproche au Parlement, ou que les Chambres pussent accuser le roi d’abuser de son pouvoir, alors la législature qui accuserait et celle qui serait accusée ne subsisteraient plus, et la Constitution serait renversée, parce que, dans le sens de nos adversaires, la balance des pouvoirs ne pourrait avoir lieu, ce qui serait une grande marque de faiblesse du pouvoir politique... Plusieurs membres : On ne vous entend pas. M. Buzot. Mais le silence de la loi, ajoute Blackstone, ne nous permet pas de décider toutes les circonstances où un roi est cen-é avoir abdiqué sa couronne; ce sera aux générations futures à prononcer à cet égard lorsqu’elles seront forcées, pour le salut de la patrie, d’avoir recours à ce moyen ; car les droits naturels de la société ne peuvent jamais être détruits ou affaiblis ni par le temps ni par aucune Constitution. 325 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [J.5 juillet 1791.] Jamais gouvernement, continue-t-il, ayant pour principe l’inviolabilité, n’a admis ce principe dans toutes les rigueurs de ses conséquences. C’est par ce passage même que je réponds à ceux qui veulent couvrir de son inviolabilité les délits commis par Louis XVI. Maintenant je m’étonne comment un des préopinants a pu citer à son appui l’exemple de l’Angleterre. Blackstone a bien senti, contre l’opinion du préopinant, que si l’on voulait conserver la balance des deux pouvoirs, la Constitution ne devait prévoir ni même supposer aucun cas où l’un des deux pouvoirs serait jugé par l’autre; et en cela il est d'accord avec les principes de tous les gouvernements libres, qui ne reposent que sur la confiance. Il n’aurait pas proposé, comme on l’a fait à cette tribune, des lois de déchéance dont l’applicaiion serait faite par le Corps législatif; il aurait bientôt senti que par ce moyen le pouvoir exécutif était dans la dépendance du Corps legislatif chargé du jugement; il aurait bien senti que ces lois devaient nécessairement prêter d’un côté au vague et à l’arbitraire, et de l’autre qu’elles seraient impuissantes contre un roiqui, par la force des armes, se serait rendu oppresseur; il aurait craint avec raison que dans cette lutte effrayante des pouvoirs la Constitution ne fût bientôt renversée. Moi, comme Blackstone, je dirai que si la loi ne veut pas présumer ceux à qui elle confie le pouvoir suprême capables de renverser la Constitution ; que si la loi les suppose incapables de faire le mal, attendu qu’elle serait dans l’impuissance d’y remédier; je pense comme lui que, dans le cas où quelqu’un de nos rois s'efforcerait de renverser les lois constitutionnelles, soit en protestant contre la Constitution, soit de toute autre manière, c’est à la nation, c’est à la génération affligée d’un tel malheur à prononcer à cet égard lorsqu’elle se trouvera forcée, pour le salut de l’Etat, à rechercher des remèdes extraordinaires pour des maux qui ne doivent pas être prévus; car ces droits naturels de la société ne peuvent jamais être détruits ou affaiblis par le temps, et sont absolument indépendants deto .tes les circonstances. Je dirai : si pour ne pas rompre la balance de tous les pouvoirs il faut se garder de placer le pouvoir exécutif dans la dépendance du Corps législatif (car je ne déteste ras moins la tyrannie des représentants que celle du roi), il ne s’ensuit pas qu’on doive soustraire ce dernier à la juridiction impérissable et seule souveraine de la nation sur ses délégués et ses chefs. Pourquoi attribuer cette juridiction nationale au Corps legislatif? Laissez au peuple à faire une accusation sim [île; l’accusé avec le coupable, l’accusateur avec le juge. Ce serait ici le lieu d’examiner comment un roi coupable peut être jugé par la nation, mais il ne faut pas enchevêtrer la première question, la seule sur laquelle vous avez à prononcer. Au surplus, quand on aurait posé le principe, on eût trouvé très aisément une mode d’exécution ; je remarque seulement que ce ne fut pas le Parlement d’Angleterre qui prononça la déchéance de Charles II; ce fut une Convention nommée et convoquée ad hoc pour destituer et remplacer ce roi. Je ne crois pas que, dans les principes, vous puissiez tenir une autre conduite. Mais cette Convention, me dira-t-on, pourrait occasionner de nouveaux troubles, et précipiter la France dans ies plus grands malheurs... Pourquoi, parce qu’il s’agit de remplir un indispensable devoir, chercher à s’eu dispenser par de vaines terreurs? La peur nous donnera-t-elle un roi que nous n’avons pas? Les tyrans aussi crai-guaient les assemblées du peuple! Ne nous défions jamais de la volonté nationale; n’avons-nous pas des preuves assez manifestes de son attachement, de son amour pour la liuerté? Lors de la déposition de Charles II, les Anglais pouvaient avoir les mêmes craintes; la Révolution de 1688 offrait les mêmes dangers, les mêmes inquiétudes; cependant la Convention eut lieu, et il n’en résulta aucun événement fâcheux : le Parlement, fidèle à son devoir, n’excéda point ses droits, et ne s’exposa point à la responsabilité immense dont il était chargé. Imitons son exemple, et, marchant d’un pas de géant vers le terme de nos travaux, entourant nos frontières de forces respectables, hâtons-nous d’achever notre Constitution pour en remettre le dépôt à nos successeurs! Au reste, si l’Assemblée nationale se croyait en droit ne juger le chef du pouvoir exécutif, ce ne pourrait être assurément que comme Assemblée constituante, et je ne pense pas que dans aucun cas le Corps législatif puisse prononcer un pareil jugement : dans ce sys'ème, toutes les objections qu’on a faites contre le pouvoir du Corps législatif ne peuvent pas nous être opposées. L’Assemblée constituante doit se considérer comme la nation elle-même; elle ne doit pas souffrir qu’on place le roi au-dessus du souverain; elle ne peut pas prononcer que le roi ne peut pas être jugé par elle sans porter une atteinte coupable à la souveraineté du peuple. Mais l’Assemblée, comme corps constituant, peut-elle se considérer encore sous tous ses rapports comme souverain, comme investie de toute la puissance nationale, de sorte que le peuple ne soit rien pendant qu’elle est Assemblée constituante? Un Corps de représentants quelconques peut-il enfin se mettre à la place des représentés? J’ose le dire, je ne le crois pas. Il y a plus; dans cette affaire, qui paraît avoir été principa'ement dirigée contre l’Assemblée nationale, aurait-elle le droit de revendiquer la décision lorsqu’elle serait ici peut-être juge et partie tout à la fois? A regret je m’explique à ce sujet; mais, puisque personne n’a encore paru apercevoir cette question sous ce rapport extrêmement délicat, je me permettrai d’en toucher quelque chose. Comment doit-on qualifier le mémoire du roi? Je ne sais; mais je craindrais que nos ennemis ne le présentassent comme un appel au peuple. Dans ce cas, l’Assemblée nationale pourrait-elle être juge dans sa propre cause? Si elle ne peut juger le roi coupable, elle n’a pas plus le droit de le juger innocent. Sans doute que dans cette circonstance orageuse la nation entière a manifesté son dévouerm ut à la Constitution que vous avez décrétée; toute la nation a regardé avec indignation la conduite du roi : moi je crains fort qu’à l’indignation ne succède le mépris ; l’indignaiion est souvent passagère comme le sujet qui l’a fait naître; elle ne laisse après elle qu’une impression légère et fugitive; mais le mépris imprime clans l ame un souvenir qui est intarissable; celui qu’on a une fois méprisé est perdu pour jamais. Mais, quel que soit son attachement pour vous et son dévouement à la Constitution, cela ne change pas la nature de la cause; cela ne vous donne pas un droit que vous ne pouvez pas avoir. Ne tentons pas, Messieurs, une usurpation de pouvoirs; nous avons bien assez de la mission qui nous a été confiée sans nous charger encore d’une autre qui ne nous l’a pas été. La nation elle-même, par une Convention de députés nommés ad hoc , jugera si 326 [Assemblée nationale.] Je roi qui jura la Constitution que yous avez décrétée, qui plusieurs fois dans le sein de cette Assemblée vous renouvela son serment, qui assura officiellement aux puissances étrangères qu’il s’était déclaré le chef de la Révolution et l’ami de la Constitution, est maintenant parjure; elle jugera si au moment où vous avez annoncé le terme prochain de vos immenses travaux le roi dût abandonner la France aux horreurs de la guerre pour se jeter au milieu d’un camp, entre les bras de Bouillé et de ses complices, sur une frontière où les ennemis n’attendaient peut-être que son arrivée [tour commencer la guerre et tenter de replacer un despote sur le trône de nos rois; elle jugera s’il mérite encore sa confiance et son amour. Elle jugera d’après une information complète de tous les faits, en réunissant et comparant entre elles toutes les dépositions, toutes les preuves, les mouvements des émigrants sur nos frontières et leurs menaces insultantes; l’insolence de nos ennemis intérieurs et leurs espérances, trahies pa1' une joie imprudente avant le départ même du roi; la marche des troupes sur son [tassage pour faciliter sa fuite; les tentatives faites pour suborner les officiers français et placer un camp à Montmédy, où le roi devait se trouver; l’état de nos places frontières dénuées de tout; la protestation écrite et signée; les ordres <t la déclaration donnés par le roi, et les intelligences de Bouillé avec les puissances étrangères; tons ces événements enfin sur lesquels l’information répandra le plus grand jour. La nation seule jugera si Louis XVI peut prétendre encore à sa confiance; s’il peut reprendre les rênes d’un gouvernement extrêmement difficile à conduire après une longue Révolution; si l’on peut se promettre enfin sous un tel prince l’ordre et la tranquillité, qui ne peuvent renaître que par l’harmonie et la confiance entre les gouvernés, leurs représentants et leurs chefs. Messieurs, je pense que vous ne pouvez espérer de tranquillité que dans le parti que je vous propose; daignez y réfléchir dans le calme des passions, et vous serez convaincus qu’il est conforme aux principes les plus purs, sans vous exposer à augmenter no-dangers. Les puissances étrangères ne seront point à craindre tant que nous serons unis entre nous ; malheur à ceux qui voudraient nous désunir 1 Mais l’opinion est la reine du monde, un de vos commissaires vous l’a déjà dit. : vous êtes Ja seule providence à qui la nation veuille croire. Ne hasardez pas de perdre cette salutaire confiance et d’exposer la liberté, la Goo-titution, la tranquillité de l’Empire français au hasard d’une délibération qui vous laisserait peut-être de longs repentirs, et qui entraînerait la perte de l’Etat avec la vôtre I J’adopte absolument les conduisions de M. Pé-tion. Quant au rapport et à ce qui concerne les complices du crime dont il est question, il m’est impossible de donner un avis bien motivé sans connaître les pièces. ( Applaudissements au fond de la gauche et dans les tribunes.) M. Barnavc monte à la tribune ; il est accueilli, par les applaudissements d’une grande majorité de V Assemblée . Messieurs, la nation française vient d’essuyer une violente secousse; mais, si nous devons en croire tous les augures qui se manifestent, ce dernier événement, comme tous ceux qui l’ont précédé, ue servira qu'à presser le terme, qu’à assurer la solidité de la Révolution que nous avons faite. Déjà la nation, US juillet 1791] en manifestant son unanimité, en constatant l’immensité de ses forces au moment de l’inquiétude et du péril, a prouvé à nos ennemis ce qu’ils auraient à craindre du résultat de leurs attaques. Aujourd’hui, en examinant attentivement la Constitution qu’elle s’est donnée, elle va en prendre une connaissance approfondie, qu’elle n’eût peut-être pas acquise de longtemps si les principes de la moralité paraissait eu contradiction avec ceux de la politique, si un sentiment profond, contraire dans ce moment à l’intérêt national, n’eût pas obligé l’Assemblée à creuser ces grandes et importantes questions, et à démontrer à toute la France ce que savaient déjà par principe ceux qui l’avaient examinée, mais ce que la foule peut-être ne savait point encore; je veux dire la nature du gouvernement monarchique, quelles sont scs bases, quelle est sa véritable utilité pour la nation à laquelle vous l’avez donné. La question qni vous est soumise présente évidemment deux aspects différents ; la question de fait, la question de droit ou constitutionnelle. Quant à la question de fait, je me crois dispensé de la discuter par le discours éloquent qu’a prononcé à cetle tribune celui des opinants qui a, immédiatement avant moi, soutenu la même opinion. Je me plais à rendre justice, je ne dirai pas seulement à l’étendue des talents, mais à l’âme véritablement noble et généreuse qu’il a développée dans cette grande circonstance. ( Applaudissements .) 11 a, dis-je, suffisamment examiné le fait; je vais brièvement examiner la loi. Je vais prouver que la Constitution veut la conclusion que vos comités proposent; mais je dirai plus, je dirai qu’il est utile dans les circonstances, qu’il est bon [tour la Révolution que la Constitution la commande, ainsi. Je ne parlerai point avec étendue delà nature et de l’avantage du gouvernement monarchique; vous l’avez plusieurs fois examiné, et vous avez montré votre conviction en l'établissant dans votre pays. Je dirai seulement : toute Constitution, pour être bonne, doit porter sur ces deux principes, doit présenter au peuple ces deux avantages : liberté, stabilité dans le gouvernement qui Jalui assure. Tout gouvernement, pour rendre le peuple heureux, doit le rendre libre. Tout gouvernement, pour être bon, doit renfermer en lui les principes de sa stabilité; car autrement, au heu du bonheur, il ne présenterait que la perspective d’une suite de changements. Or, s’il est vrai que ces deux principes n’existent, pour une grande nation comme la nôtre, que dans le gouvernement monarchique, s’il est vrai que la hase du gouvernement monarchique et celle de ces deux grands avantages qu’il nous présente est essentiellement dans l’inviolabilité du pouvoir exécutif, il est vrai de dire que cette maxime est essentielle au bonheur, à la liberté de la France. Quelques hommes dont je ne veux pas accuser les intentions; à qui même, pour le plus grand nombre, je n’en ai jamais cru de malfaisantes; quelques hommes qui peut-être cherchent à faire en politique des romans, parce qu’il est plus facile de travailler ainsi que de contribuer à Futilité réelle et positive de son pays, cherchant flans un autre hémisphère des exemples à nous donner, ont vu eu Amérique un peuple occupant un grand territoire par une nopulationrare, n’étant environné d’aucun voisin poissant, ayant pour limites des forêts, ayant toutes les habitudes, toute la simplicité, tous les sentiments d’un peuple presque neuf, presque uniquement occupé à ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791. J 327 la culture ou aux autres travaux immédiats qui rendent les hommes naturels et purs, et qui les éloignent de ces passions factices qui font les révolutions des gouvernements; ils ont vu un gouvernement républicain établi sur ce vaste territoire : ils out conclu de là que le même gouvernement pouvait nous convenir. Ces hommes dont j’ai déjà annoncé que je n’attaquais par les intentions, ces hommes sont les mêmes qui contestent aujourd’hui le principe de l’inviolabilité: or, s’il est vrai que sur cette terre une population immense est répandue ; s’il est vrai qu’il s’y trouve une multitude d’hommes exclusivement 'occupés à ces spéculations de l’esprit qui exercent l’imagination, qui portent à l’ambition et à l’amour de la gloire : s’il est vrai qu’autour denous des voisins puissants nous obligent à ne faire qu’une seule masse pour leur résister avec avantage : s’il est vrai que toutes ces circonstances sont positives et ne dépendent pas de nous, il est incontestable que le remède n’en peut exister quedans le gouvernement monarchique. Quand le pays est peuplé et étendu, il n’existe, et l’art de la politique n’a trouvé que deux moyens de lui donner une existence solide et permanente : ou bien vous organiserez séparément les parties, vous mettrez dans chaque section une portion de gouvernement, et vo is fixerez ainsi la stabilité, aux dépens de l’unité, de la puissance et de tous les avantages qui résultent d’une grande et homogène association. Ou bien si vous laissez subsister l’union nationale, vous serez obligés de placer au centre une puissance immuable, qui, n’étant jamais renouvelée que par la loi, présentant sans cesse des obstacles à l’ambition, résiste avec avantage aux secousses, aux rivalités, aux vibrations rapides d’une population immense agitée par toutes les passions qu’enfante une vieille société. La solidité de ces maximes étant reconnue décide notre situation. Nous ne pouvons être stables dans notre existence politique, que par un gouvernement fédératif qu’aucun jusqu’à ce jour n’a soutenu dans cette Assemblée, que la division en 83 départements a été destinée à prévenir, et suffit seule pour rendre absurde, qu’il est, je pense, inutile de repousser; ou par le gouvernement monarchique que vous avez établi, c’est-à-dire en remettant les rênes du pouvoir exclusif dans une famille par droit de succession héréditaire. La liberté trouve son origine dans les mêmes principes. On vous a hier développé d’une manière savante, et qu’il est utile de mettre sous vos yeux, cette indépendance des deux pouvoirs, qui est la première base du gouvernement représentatif et monarchique. Là le peuple, qui ne peut lui-même faire ses lois, qui ne peut lui-même exercer ses pouvoirs, les mettant entre les mains de ses représentants, se dépouille ainsi passagèrement de l’exercice de sa souveraineté, et s’oblige de le diviser entre eux; car il ne conserve sa souveraineté qu’en en divisant l’exercice entre ses délégués : et s’il était possible qu’il la remit tout entière dans un individu ou dans un corps, dès lors il s’ensuivrait que son pouvoir serait aliéné. Tel est donc le principe du gouvernement représentatif et monarchique; les deux pouvoirs réunis se servent mutuellement de complément, et se servent aussi de limite; non seulement il faut que l’un fasse les lois, et que l’autre les exécute. Celui qui exécute doit avoir un moyen d’opposer son frein à celui qui fait la loi, et celui qui fait la loi doit avoir un moyen de soumettre l’exécution à la responsabilité : c’est ainsi que le roi a le droit de refuser la loi ou de la suspendre, eu opposant sa puissance à la rapidité, aux entreprises du Corps législatif; c’est ainsi que le pouvoir légis* latif, en poursuivant les écarts de la puissance exécutrice contre les agents nommés par le roi, leur fait rendre compte de leur gestion, et prévient les abus qui pourraient naître de leur impunité. De cette combinaison savante de votre gouvernement, il est résulté une conséquence : ce pouvoir dispensé au roi de limiter le pouvoir législatif, deyant nécessairement le rendre indépendant, devant par conséquent le rendre inviolable, il a fallu quand la loi mettait en lui non seulement la sanction, mais aussi l’exécution, il a fallu eu séparer de fait cette dernière partie, parce qu’elle est par sa nature nécessairement soumise à la responsabilité. Ainsi vous avez laissé au roi inviolable cette exclusive fonction, de donner la sanction et de nommer les agents : mais vous avez obligé, par la Constitution, les agents nommés par le roi, à remplir pour lui les fonctions exécutives, parce que ces fonctions nécessitent la critique et la cen-sure, et que le roi devant être indépendant pour la sanction, devant être par conséquent personnellement inattaquable, devenait incapable de les remplir. Vous avez donc toujours agi dans les principes d’indépendance des deux pouvoirs : vous avez donc toujours agi dans la considération de celte nécessité indispensable de leur donner mutuellement les moyens de se contenir. J’ai dit que la stabilité et la liberté étaient le double caractère de tout bon gouvernement; l’un et l’autre exigent impérieusement l’inviolabilité. S’il est vrai que pour être indépendant le roi doit être inviolable, il n’est pas moins vrai qu’il doit l’être pour la stabilité, puisque c’est cette maxime qui, le mettant à couvert de tous les efforts des factieux, le maintient à sa place, et maintient avec lui le gouvernement dont il est le chef. Telle est dans son objet cette inviolabilité essentielle au gouvernement monarchique : voyons quelle est la nature, et quelles sont ses limites} les voici très clairement à mes yeux : La responsabilité doit se diviser en deux branches, parce qu’il existe pour le roi deux genres de délit; le roi peut commettre des délits civils, le roi peut commettre des délits politiques : quant au délit civil (j’observe que cela est hors du cas que nous traitons maintenant); quant au délit civil il n’existe aucune espèce de proportion entre l’avantage qui résulte pour le peuple, de sa Iran* quillité conservée, de la forme de gouvernement maintenue, et l’avantage qui pourrait résulter de la punition d’une faute de cette nature. Que doit alors le gouvernement au maintien de Tordre et de la morale? Il doit seulement prévenir que le roi qui a fait un délit grave ne puisse le répéter; mais il n’est pas obligé de sacrifier évidemment le salut du peuple et le gouvernement établi à une vindicte particulière; ainsi donc, pour le délit civil du monarque, la Constitution ne peut établir sagement qu’un remède; je veux dire la supposition de démence; par là, sans doute, elle jette un voile sur un mal passager; mais, par là, en prévenant, par les précautions que la démence nécessite, la répétition du délit, elle conserve la forme du gouvernement, et assure au peuple la paix qui, dans une hypothèse opposée, pourrait être troublée à tout moment, non seulement par les jugements, mais même par les accusations auxquelles le prince serait en butte. Quant au délit politique, il est d’une autre nature; et je remarquerai seulement ici que nos ad- 328 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] versairesse sontétrarigement mépris sur ce point, car ils ont dit que c’était sur l’exercice du pouvoir exécutif que portait l’inviolabilité. Il est parfaitement vrai que c’est sur cet;e seule fonction-là qu’il n’y a pas d inviolabilité ; il ne peut pas exister d'inviolabilité sur les fonctions du pouvoir exécutif, et c’est pour cela que la Constitution rendant le roi inviolable l’a absolument privé do l’exercice immédiat de cette partie de son pouvoir; le roi ne peut pas exécuter, <>ucun ordre exécutif ne peut émaner de lui seul; le contreseing est nécessaire; tout acte executif qui ne porte que son nom est nul, sans force, sans énergie; tout homme qui l’exécute est coupable; par ce seul fait, la responsabilité existe contre les seuls agents nu pouvoir; ce n’est donc pas là qu’il faut chercher l’inviolabilité relativement aux délits politiques; car le roi, ne pouvant agir en cette partie, ne peut pas délinquer. La véritable inviolabilité du délit politique est celle qui porte sur lies faits étrangers à ses fonctions exécutives et constitutives. Cette inviolabilité-là n’a qu’un terme : c’est la déchéance. Le roi ne peut cesser d’être inviolable, qu’en cessant d’être roi; la Constitution doit prévoir lus cas où le pouvoir exécutif devient incapable et indigne de gouverner : la Constitution doit prévoir les cas de déchéance, doit clairement les caractériser; car s’il n’en était pas ainsi, le roi essentiellement indépendant deviendrait dépendant de celui qui jugerait la déchéance. J’examinerai bientôt ce moyen de Convention nationale que l’Angleterre a momentanément adopté, par la raison que sa Constitution, qui est faite pour le* événements, n’a jamais prévu les cas qui n’étaient pas encore arrivés : par la raison que, n’ayant pas un gouvernement de droit, mais de fait, “elle < st obligée de tirer toujours ses lois des circonstances : j’examinerai, dis-je, bientôt ce mode des conventions nationales qui peut avoir peu de dangers dans un pays tel que l’Angleterre, mais qui chez nous les présente en foule. Je dis que parmi nous l’inviolabilité des délits politiques ne peut avoir de terme que par la déchéance ; que la déchéance ne peut arriver que par un cas prévu par la Constitution, et formellement énoncé par elle ; de sorte que, le cas échéant, le jugement soit prononcé par la loi même. Si ce sont là les principes que nous avons admis jusqu’à ce jour, et qui doivent déterminer notre décision, il est facile de les appliquer à la circonstance. On a parfaitement démontré que les actes commis par le roi ne présentaient pas le cas de déchéance prévu par la Constitution, et ne présentaient non plus aucune abdication. Que résulte-t-il de là? Que si l’acte commis par le roi était en lui-même un délit (ce que je n’examinerai pas, M. Salle m’en a dispensé), la loi ne l’ayant pas prévu ne peut pas y être appliquée, la déchéance n’a pas lieu, l’inviolabilité demeure dans sa plénitude. Ici se présente directement l’argument qu’a fait M. Buzot sur l’exemple de l’Angleterre : la Constitution anglaise n’a point prévu les cas de déchéance, mais la nation la prononce lorsque les événements semblent la solliciter. Ici, je répète ma réponse :1a Constitution anglaise n’a pa-prévu ce cas, parce qu’elle n’a prévu aucun cas; il n’existe en Angleterre aucune Constitution écrite; il n’existe en Angleterre aucun usage permanent en cette partie; chaque fois que l’Etat essuie une crise, qu’il se présente une nouvelle combinaison d’événements politiques, alors les parfis qui dominent, alors ceux qui ont plus d’influence dans la nation, alors la conjoncture actuelle détermine le parti qu’on prend, et le mode par lequel on arrive à l’adopter; c’est ainsi que, dans certain cas, on a prononcé Ja déchéance pour des méfaits qui peut-être ne l’avaient pas méritée, et que plus anciennement, dans des cas plus graves, on ne l’avait pas prononcée; c’est ainsi qu’on a appelé en Angleterre des Conventions nationales, quand on les a cru propres à faire réussir les desseins des hommes dominants, et que, dans des cas où la liberté publique a été véritablement attaquée, on a laissé régner tranquillement celui qui l’avait plus heureusement tenté. Ce n’est pas là le système que nous avons admis : nous avons voulu que dans nos lois politiques, comme dans nos lois civiles, tout, autant qu’il était possible, fût prévu; nous avons voulu annoncer la pûne en déterminant d'abord le délit; nous avons voulu ôter, s’il était possible, tout à l’arbitraire, et asseoir, dans un pays plus sujet aux révolmions, parce qu’il est plus étendu, asseoir une base stable, qui pût prévenir ou maîtriser les événements, et soumettre à la loi constitutionnelle, même les révolutions. Ne nous défions donc pas de cette règle, car elle est bonne : nous n’avons cessé de la suivre pour les individus; observons-la aujourd’hui pour le monarque : nos principes, la Constitution, la loi, déclarent qu’il n’est pas déchu : c’est donc entre la loi sous laquelle nous devons vivre, entre l’attachement à la Constitution et le ressentiment contre un homme, qu’il s’agit de prononcer. Or, je demande aujourd’hui à celui de vous tous qui pourrait avoir conçu contre le chef du pouvoir exécutif foutes les préventions, tous les ressentiments les plus profonds et les plus animés; je lui demande de nous dire s’il est plus irrité contre lui, qu'attaché à la loi de son pays ( Applaudissements .) : et remarquez que cette “ différence, naturelle à l’homme libre, entre l’importance des lois et l’importance des hommes; que cette différence doit surtout s’établir, relativement au roi, dans une monarchie libre et représentative ; il me semble que vous eussiez fait une grande faute, si, lorsque constituant une monarchie héréditaire, et consentant par conséquent à recevoir des mains de la naissance ou du hasard celui qui devait exercer la première place, vous aviez laissé une grande importance au choix et à la qualité de l’homme; je conçois que partout où la volonté du peuple donne un gage de la capacité, partout où la responsabilité oblige l’officier public à exercer ses fonctions, on le punit de l’avoir enfreinte, il est nécessaire que les qualités personnelles agissent de concert avec la loi. Mais, ou bien vous avez fait une Constitution vicieuse, ou celui que le hasard de la naissance vous donne, et que la loi ne peut pas atteindre, ne peut pas être important par ses actions personnelles au salut du gouvernement, et doit trouver dans la Constitution le principe de sa conduite et l’obstacle à ses erreurs. ( Applaudissements .) S’il en était autrement, Messieurs, ce ne serait pas dans les fautes du roi que j’apercevrais le plus grand danger, ce serait dans ses grandes actions; je ne me méfierais pas tant de ses vices que de ses vertus : car je pourrais dire à ceux qui s’exhalent en ce momenten plaintes justes peut-être en moralité, mais bien puériles en politique; qui s’exhalent avec une telle fureur contre l’individu qui a péché ; je leur dirais : vous seriez donc à ses [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] 329 pieds, si vous étiez contents de lui!... (Applaudissements prolongés.) Ceux qui veulent ainsi sacrifier la Constitution à leur ressentiment pour un homme me paraissent trop sujets à sacrifier la liberté par enthousiasme pour un autre; et puisqu’ils aiment la République, c’est bien aujourd’hui le moment de leur dire : comment voulez-vous une République dans une nation où vous vous flattez que l’acte toujours facilement pardonné, d’un individu qui a en lui-même degrands moyens de justification, que l’acte d’un individu qui, quoiqu’on juge en lui certaines qualités, avait eu longtemps l’affection du peuple; quand vous vous êtes flattés, dis-je, que l’acte qu’il a commis pourrait changer notre gouvernement, comment n’avez-vous pas craint que cette même mobilité du peuple ému par l’enthousiasme envers un grand homme, par la reconnaissance des grandes actions (car la nation française, vous le savez, sait bien mieux aimer qu’elle ne sait haïr) ( Applaudissements répétés.), ne renversât en un jour votre absurde République; comment, leur dirai-je, vous avez en ce moment fondé tant d’espérances sur la mobilité de ce peuple, et vous n’avez pas senti que, si votre système pouvait réussir, dans cette même mobilité était le principe de sa destruction; que bientôt le peuple agité dans un autre sens aurait établi à la place de la monarchie constitutionnelle, que vous aurez détruite, la plus terrible tyrannie, celle qui est établie contre la loi, créée \ràv\'dLve\ig\Qmentç! (Applaudissements.) Vous avez cru que le peuple changerait aujourd’hui sa Constitution par une impression momentanée, et vous avez cru que ce conseil exécutif, faible par son essence, divisé incessamment entre ceux qui en formeraient le nombre, opposé à tous égards à l’instinct de la nation qui est tout entière pour l’égalité et toujours prête à s’insurger contre ce qui lui présenterait le simulacre d’une odieuse oligarchie, que ce conseil établissant dans le royaume le désordre et l’anarchie par la débilité de ses moyens, et par la division de ses membres, résisterait longtemps aux grands généraux, aux grands orateurs, aux grands philosophes qui présenteraient à la nation la puissance protectrice du génie contre les abus auxquels vous l’auriez livrée; vous avez cru que lanation, par un mouvement momentané, détruirait la royauté, et vous n’avez pas senti que, s’il en était ainsi, elle rétablirait un jour la tyrannie pour se défaire des troubles et de l’état humiliant dans lequel vous l’auriez plongée jusqu’à la déchéance. ( Applaudissements répétés.) Il est donc vrai que la Constitution veut que le roi soit inviolable, et que, dans un cas non prévu, il ne soit pas déchu du trône; il est donc vrai que tout homme vraiment libre veut exclusivement ce qu’a prononcé la Constitution. Mais je conviens en ce moment de laisser la Constitution de côté ; je veux parler dans la Révolution; je veux examiner s’il est à regretter que la déchéance ne s’applique pas à la conduite du roi; et je dis, du fond de ma pensée, je dis affirmativement, non. Messieurs, je ne chercherai point ici les motifs de Révolution dans ceux qu’on a voulu nous supposer. On a dit dans cette tribune, on a imprimé ailleurs que la crainte des puissances étrangères avait été le motif de circonstance qui avait déterminé les comités en faveur du décret qu’ils vous ont proposé; cela est faux, calomnieusement faux. Je déclare que la crainte des puissances étrangères ne doit point influencer nos opérations. Je déclare que ce n’est pas à nous à redouter des débats avec les rois, qui, peut-être, par les circonstances, ne seraient pas heureux pour nous, mais qui seront toujours plus menaçants pour eux. Quelque exemple qu’on puisse donner des peuples devenus libres par leur énergie, et rétablis sous le joug par la coalition des tyrans, une telle issue n’est point à craindre pour nous. Des secousses trop répétées ont fait pénétrer, jusqu’au fond du peuple, l’amour et l’attachement à la Révolution. On ne change plus l’état des choses, on ne rétablit plus des usurpations et des préjugés quand une telle masse s’est émue, et quand elle a dit tout entière : je sais être libre, je veux être libre, et je serai libre. Gela est profondément vrai en politique, comme juste en philosophie, et si on le veut, comme pompeux en déclamation. Il est parfaitement vrai que si quelque puissance voulait nous ôter notre liberté, il pourrait en résulter des désastres passagers pour nous, de grandes plaies pour l’humanité; mais qu’en dernière analyse la victoire nous est assurée. Aussi n’est-ce pas là, Messieurs, le motif révolutionnaire du décret. Ah! ce n’est pas notre faiblesse que je crains, c’est notre force, nos agitations, c’est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire. On a rappelé ailleurs et dans cette tribune les inconvénients de détails de tout autre parti que celai qui, après la Constitution achevée, la proposerait au roi pour l’accepter librement. On a assez bien établi que des régents passés en pays étrangers, éloignés de tout temps de la Révolution, remplaceraient mal le monarque que vous auriez éloigné; on a parfaitement établi qu’éloigner la régence de ceux à qui la Constitution l’a donnée, après en avoir éloigné la royauté, serait créer autant de partis qu’on aurait exclu d’hommes appelés parla Constituiion. On a très bien prouvé qu’un conseil exécutif de régence ou de surveillance mis à leur place augmenterait le mal au lieu d’y remédier, que les ennemis ou plutôt les chefs du parti contre-révolutionnaire en deviendraient plus nombreux, que la nation se diviserait elle-même, et que le pouvoir exécutif remis en de débiles mains n'aurait aucun effet sur eux ; que si ce conseil était pris dans l’Assemblée nationale, la Révolution paraîtrait n’être plus l’ouvrage que de l’ambition de ceux qui auraient voulu s’y faire porter; que l’Assemblée nationale perdrait l’estime; et que ceux qu’elle aurait placés à la tête du gouvernement auraient par là même perdu la force; que si le conseil était choisi au dehors de cette Assemblée, il se-raitpossible, sansdoute,d’yrecuei!iirdes hommes capables de gouverner ; mais il ne le serait pas autant d’y retrouver des hommes assez connus dans la Révolution, ayant pu attacher sur eux l’attention publique, ayant pu conquérir la confiance par une longue suite d’actes connus, de sorte que le second conseil serait encore plus fragile que le premier. On a très bien établi ces faits; mais je les prends en masse et je dis : tout changement est aujourd’hui fatal : tout prolongement de la Révolution est aujourd’hui désastreux; la question, je la place ici, et c’est bien là qu’elle est marquée par l’intérêt national. Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer? ( Applaudissements répétés.) Si vous vous défiez une fois de la Constitution, où sera le point où vous vous arrêterez, et où s’arrêteront surtout nos successeurs? J’ai dit que je ne craignais pas l’attaque des nations étrangères et des Français émigrés; mais je dis aujourd’hui, avec autant de vérité, que je 330 [Assemblé e aalionale.] crains la continuation des inquiétudes, des agitations qui seront toujours au milieu de nous, tant que la Révolution ne sera pas totalement et paisiblement terminée : on ne peut nous faire aucun mal au dehors, maison nous fait un grand mal au dedans quand on nous agite par des pensées funestes; quand des dangers chimériques, créés autour de nous, donnent au milieu du peuple quelque consistance et quelque confiance aux hommes qui s’en servent pour l’agiter continuellement. On nous fait un grand mal quand on perpétue ce mouvement révolutionnaire qui a détruit tout ce qui était à détruire, qui nous a conduits au point où il fallait nous arrêter, et qui ne cessera que par une détermination paisible, une détermination commune, un rapprochement, si je puis m’exprimer ainsi, de tout ce qui peut composer à l’avenir la nation française. Songez, Messieurs, songez à ce qui se passera après vous : vous avez fait ce qui était bon pour la liberté, pour l’égalité; aucun pouvoir arbitraire n’a été épargné, aucune usurpation de l’amour-propre ou des propriétés n’est échappée : vous avez rendu tous les hommes égaux devant la loi civile et devant la loi politique; vous avez ■repris, vous avez rendu à l’Etat tout ce qui lui avait été enlevé. De là résulte cette grande vérité, que, si la Révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger; c’est que dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la rovauté; c’est que, dans la ligne de l’égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l’attentat à la propriété. (Applaudissements.) Je demande à ceux qui m’entendent, à ceux qui conçoivent avec moi, que si les mouvements recommencent, que si la nation a encore de grandes secousses à éprouver, que si de grands événements peuventsuivre ou seulement se font redouter, que si tout ce qui agite le peuple continue à lui imprimer son mouvement, que si son influence continue à pouvoir agir sur les événements politiques; à tous ceux, dis-je, qui savent que, si les choses se passent ainsi, la Révolution n’est pas finie; je Jeur demande : existe-t-il encore à détruire une autre aristocratie que celle de la propriété? Messieurs, les hommes qui veulent faire des révolutions ne les font pas avec des maximes métaphysiques ; on séduit, on entraîne quelques penseurs de cabinet, quelques hommes savants en géométrie, incapables en politique : on les nourrit sans doute avec des abstractions ; mais la multitude, dont on a besoin de se servir, la multitude, sans laquelle on ne fait pas de Révolution, on ne l’entraîne que par des réalités, on ne la touche que par des avantages palpables. Vous le savez tous, la nuit du 4 août a donné plus de bras à la Révolution que tous les décrets constitutionnels; mais pour c ux qui voudraient aller plus loin, quelle nuit du 4 août reste-t-il à faire, si ce n’est des lois contre les propriétés ? Et si les lois ne sont pas faites, qui nous garantira qu’à défaut d’énergie dan-le gouvernement, que, quand nous n’aurons pas terminé la Révolution et réprimé le mouvement qui la perpétue, son action progressive ne fera pas d’elle-même ce que la loi n’aura pas osé prononcer? Il e-t donc vrai qu’il est temps de terminer la Révolution; il est donc vrai qu’elle doit recevoir aujourd’hui son grand caractère; il est donc vrai que, la Révolution paraîtra, aux yeux de l’Europe et de la postérité, avoir été faite pour la nation française, ou pour quelques individus : que si [15 juillet 1791. | elle est faite pour la nation, elle doit s’arrêter au moment où la nation est libre, et où tous les Français sont égaux : que si elle continue dans les troubles, dès lors elle n’est plus que l’avantage de quelques hommes, dès lors elle est déshonorée, dès lors nous le sommes .nous-mêmes. (. Applaudissements répétés.) Aujourd’hui, Messieurs, tout le monde doit sentir que l’intérêt commun est que la Révolution s’arrête. Ceux qui ont perdu doivent s’apercevoir qu’il est impossible de la faire rétrograder, et qu’il ne s’agit plus que de la fixer : ceux qui l’ont faite et qui l’ont voulue doivent apercevoir qu’elle est à son dernier terme, que le bonheur de leur patrie, comme leur gloire, exige qu’elle ne se continue pas plus longtemps. Tous ont un meme intérêt : les rois eux-mêmes, si quelquefois de profondes vérités peuvent pénétrer jusque dans les conseils des rois; si quelquefois les préjugés qui les environnent peuvent laisser passer jusqu’à eux les vues saines d’une politique grande et philosophique; les rois eux-mêmes doivent apercevoir qu’il y a loin pour eux entre l’exemple d’une grande réforme dans le gouvernement et l’exemple de l’abolition de la royauté; que si nous nous arrêtons ici, ils sont encore rois; que même l’épreuve que vient de subir parmi nous cette institution, la résistance qu’elle a offerte à un peuple éclairé et fortement irrité, le triomphe qu’elle a obtenu par les discussions les plus approfondies; que toutes les circonstances, dis-je, consacrent pour les grands Etats la doctrine de la royauté; que de nouveaux événements en pourraient faire juger autrement ; et que, s’ils ne veulent pas sacrifier à de vaines espérances la réalité de leurs intérêts, la terminaison de la Révolution depa nation française est aussi ce qui leur convient le mieux. Quelle que soit leur conduite, Messieurs, que la nôtre au moins soit sage; que la faute vienne d’eux, s’ils doivent en souffrir un jour, et que personne dans l’univers, en examinant notre conduite, n’ait un reproche juste à nous faire. Régénérateurs de l’Empire, représentants de la nation française, suivez aujourd’hui in variablement votre ligne; vous avez montré que vous aviez le courage de détruire les abus de la puissance; vous avez montré que vous aviez tout ce qu’il faut pour mettre à la place de sages et d’heureuses institutions; prouvez aujourd’hui que vousavez laforce, que vous avez la sagesse de les protéger et de les maintenir. La nation vient de donner une grande preuve de force et de courage : elle a solennellement mis au jour, et par un mouvement spontané, tout ce qu’elle pouvait opposer aux événements dont on ia menaçait. Continuons les mêmes précautions; que nos limites, nos frontières soient puissamment défendues : mais au moment où nous manifestons notre puissance, prouvonsaussi notre modération; présentons la paix au monde inquiet des événements qui se passent au milieu de nous : présentons une occasion de triomphe, une vive satisfaction à tous ceux qui, dans les ; ays étrangers, ont pris intérêt aux événements de'notre part : et qui nous disent, de toutes parts, vous avez été courageux, vous êtes puissants, soyez aujourd’hui sagvs et modérés; c’est là que sera le terme de votre gloire. C’est ainsi que vous aun-z prouvé que, dans des circonstances diverses, vous saviez employer des talents et des moyens, et des vertus diverses. C’est alors que vous retirant dans vos foyers, après avoir vigoureusement établi l’action du gouvernement, après avoir énergiquement pro-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 179] .] nonce que vous voulez que la France présente un asile paisible pour tous ceux qui voudront obéir aux lois; après avoir donné le mouvement à vos institutions (et cela est possible dans un temps prochain, car je ne suis pas disposé à éloigner l’instant de notre séparation), après avoir mis en vigueur tout ce qui fait agir le gouvernement, vous vous retirerez dans vos foyers, vous aurez obtenu, par votre courage, la satisfaction et l’amour des plus ardents amis de la Révolution et de la liberté ; et vous obtiendrez, de la part de tous, par de nouveaux bienfaits, des bénédictions ou du moins le silence de la calomnie. J’adopte les propositions de M. Salle, et je conclus à l’admission du projet des comités. ( Applaudissements répétés.) (L’Assemblée ordonne, à une très grande majorité, l’impression du discours de M. Barnave et l’envoi dans tous les départements.) M. de Fa Fayette. J’appuie l’opinion de M. Barnave et je demande que la discussion soit fermée. Un grand nombre de membres : Oui I oui ! (L’Assemblée ferme la discussion.) Un membre demande qu’avant de passer à la délibération sur le projet des comités, on s’occupe des articles proposés par M. Salle, relativement aux cas où le roi serait censé avoir abdiqué. (Cette motion est adoptée.) M. Salle. Voici les principes que j’ai proposé à l’Assemblée de décréter : Art. 1er. « Un roi qui se mettra à la tête d’une armée pour en diriger les forces contre la nation sera censé avoir abdiqué. Art. 2. « Un roi qui, après avoir prêté son serment à la Constitution, le rétractera, sera censé avoir abdiqué. Art. 3. « Un roi qui aura abdiqué reviendra simple citoyen, et seraaccusable, comme eux, pour tous les actes subséquents à son abdication. » M. d’André. Je demande qu’on aille aux voix sur ces articles. M. Rœderer. Je demande qu’il y ait déchéance pour le cas où un roi enlèverait l’héritier présomptif de la couronne. M. Goupillean. Je demande qu’il soit ajouté aux articles de M. Salle une disposition qui a déjà été présentée; elle consiste à dire qu’un roi qui refuserait d’accepter la Constitution purement et simplement serait censé renoncer à la couronne. M. Prieur. Les articles que l’on vous propose sont des articles constitutionnels, il est intéressant qu’ils soient aussi clairs que possible. M. le Président. J’observe à M. Prieur que M. Salle propose les principes, sauf rédaction. M. Prieur. Je demande que l’on pose dans l’article un principe et non pas un fait, et qu’on 381 dise : Tout roi qui sera convaincu d’avoir conspiré contre la Constitution, de quelque manière que ce soit, sera dans le cas de la déchéance. (Murmures.) Je vous dis que toutes les fois qu’un roi a accepté une Constitution et qu’il fait des conspirations contre elle, soit en se mettant à la tête d’une armée dans l’intérieur, soit eq entretenant des correspondances directes et coupables à l’extérieur, il n’est plus digne du trône. ( Applaudissements dans les tribunes.) Plusieurs membres : Aux voix les articles de M. Salle I (L’Assemblée adopte leg articles de M. Balle, sauf rédaction.) M. Muguet de Nanthou, rapporteur. Voici, maintenant, Messieurs, l’article 1er du projet du comité : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités militaire et diplomatique, de Constitution, de révision, de jurisprudence criminelle, des recherches et des rapports, « Attendu qu’il résulte des pièces dont le rapport lui a été fait, que le sieur de Bouillé, général de l’armée française sur la Meuse, la Sarre et la Moselle, a conçu le projet de renverser la Constitution ; qu’à cet effet il a cherché à se faire un parti dans le royaume, sollicité et exécuté des ordres non contresignés, attiré le roi et sa famille dans une ville de son commandement, disposé des détachements sur son passage, fait marcher des troupes vers Montmédy, préparé un camp prés cette ville, tenté de corrompre les soldats, les a engagés à la désertion pour se réunir à lui; sollicité les puissances voisines à une invasion sur le territoire français, décrète : « 1° Qu’il y a lieu à accusation contre ledit sieur de Bouillé, ses complices et adhérents, et que son procès lui sera fuit et parfait devant la haute cour nationale provisoire, séant à Orléans; qu’à cet effet les pièces qui ont été adressées à l'Assemblée seront envoyées à l’officier faisant, auprès de ce tribunal, les fonctions d’accusateur publie. » M. Robespierre. J’ai l’honneur de proposer un amendement qui sera sans doute dans les principes des comités : c’est que tous les coupables du délit dont vous vous occupez soient dénoncés et poursuivis. Je demande par exemple aux comité-, je demande aux plus zélés partisans de leur système de quel droit on excepte dans le décret les personnes qui ne sont pas inviolables; je veux parler de Monsieur, frère du roi, par exemple. (Applaudissements ; murmures et interruptions.) J’entends autour de moi des personnes qui m’arrêtent et me disent : Quelles sont vos preuves contre le frère du roi? Ces personnes ne sont certainement pas dans la question : s’il y avait des preuves contre les complices prétendus du délit, il ne s’agirait point de déclarer qu’il y a lieu à accusation et de leur faire leur procès, mais de les condamner. (Murmures prolongés.) On a interrompu mon raisonnement au moment où je n’en avais prononcé qu’une première partie qui en atten iaitune seconde; et c’était un moyen très facile de le trouver ridicule. Voici la seconde pariie de ce raisonnement : Puisqu’il n’est point question ici de prononcer un jugement définitif, mais seulement de déclarer qu’il y a lieu à accusation, et de faire le procès à tel ou tel individu, il s’ensuit qu’il ne faut point de