I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 avril 1791.] 4A] ces da Saint-Siège. Nos liaisons avec le pape sont & peu de chose près purement spirituelles, à l’exception de quelques traités de commérce entre les Français et les habitants des domaines de l’Eglise en Italie; ces relations politiques n’exigent pas cette espèce de ballottement des Avi-gnon&is et Comtaains entre la France et Rome. D’ailleurs, ce trafic� des peuples est-il permis? Non, j’ose dire qu’il est tout à la fois attentatoire à la dignité des peuples, immoral et indécent : Il faut, ou réunir pour toujours à la France les Avi-nonais et les Comtadins, ou leur laisser la liberté e choisir tel gouvernement qu’ils voudront. HUITIÈME QUESTION. Si la France , en vertu du droit d'hérédité , ou de haute propriété, veut prononcer la réunion, n'a-t-elle pas, àplus forte raison, ledroit d'accepter l'offre des Avignonais et des Comtadins, supposés libres et indépendants ? l’ai déjà prouvé plusieurs fois que la France ayant un droit positif sur Avignon et le Comtat Venaissin, pouvait en vertu de ce droit, ordonner la réunion de ces deux pays à l'Empire français. Il est tout aussi évident que, en supposant les Avignonais et les Comtadins libres et indépendants, elle peut, sans blesser le droit politique des nations, accepter l’offre que ces peuples lui font de se réunir à la France. Elle n’a pour cela d’autres motifs à consulter que celui de son intérêt, dès que son droit et celui des deux peuples sont bien reconnus et constatés. NEUVIÈME QUESTION. Est-il de l'intérêt de la France d'ordonner la réunion en vertu de sonpropre droit, ou de l'accepter en vertu de l'indépendance supposée des Avignonais et Comtadins? Cette question est très facile à résoudre ; car, soit que la France ordonne la réunion en vertu de son droit, soit qu’elle l’accepte en vertu de celui des Avignonais et Comtadins, le résultat sera le même pour son intérêt et pour celui des deux peuples réunis; car je ne présume pas que l’un ou l’autre mode de réunion puisse apporter quelque changement dans les conditions à stipuler. La Constitution, décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi, deviendra, dans le cas de réunion, celle des Avignonais. Nos lois leur seront communes, à l’exception peut-être de celles relatives à nos dettes; car il ne serait pas juste qu’ils contribuassent à l’acquittement des sommes qui, en aucune manière, n’ont tourné à leur avantage; ils ne devront être soumis qu’aux subsides nécessaires pour l’entretien annuel du gouvernement et de l’administration religieuse, civile, politique et militaire, à moins que, ayant eux-mêmes des dettes nationales à acquitter, ils ne réfèrent les confondre avec les nôtres pour tre acquittées par la partie de nos subsides destinée à cet emploi. Dans ce cas, ils supporteraient tous les impôts que payent actuellement les autres Français. Mais ceci doit être renvoyé aux moyens d’exécution, si l’on effectue la réunion. DIXIÈME QUESTION. Cette réunion dev/a-t-elle causer de l'ombrage aux nations ou aux princes de l'Europe. Les nations étrangères et les princes pourraient concevoir de l’ombrage de la réunion d’Avignon et du Comtat à la France, si nos droits sur ces deux pays n’étaient pas aussi légitimes. Personne en Europe ne les ignore. La prise de possession de ces deux pays par Louis XIV en 1662 et 1668, et par Louis XV en 1768, ont fait connaître, à tous ceux qui veulent s’instruire, la légitimité de nos prétentions sur ces deux pays. Les cabinets des différents princes renferment certainement les traités, conventions et négociations qui ont eu lieu dans ces temps, notamment le traité de Pise sous Louis XIV. Toutes les bibliothèques contiennent les preuves incontestables de nos droits. La situation d’Avignon et du Comtal au milieu de nos provinces est connue de tout le monde. Quelles seraient donc les causes raisonnables des jalousies et inquiétudes des princes de l’Europe? C’est une conquête, dira-t-on, mais une conquête est le résultat, ou d’une guerre faite franchement entre deux ou plusieurs peuples, ou d’une agression hostile et imprévue Ç Murmures à droite.) -, et le mot conquête ne s’applique qu’à un territoire qu’on n’a jamais possédé, ou qu’on ne possède plus, en vertu d’un traité solennellement fait entre deux parties qui avaient qualité pour traiter. Aucun de ces caractères ne se trouve dans la réunion proposée. Ce n’est point une conquête; car la réunion ne sera le résultat d’aucune guerre, ni d’aucune agression hostile de la part de la France. Ce n’est point une conquête, car ce territoire ne formera pas pour nous une nouvelle possession. De tout temps, il a été reconnu pour être une partie inaliénable du comté de Provence. La France en a toujours conservé la haute propriété. Seulement elle a bien voulu, par certaines considérations pour la cour de Rome, en laisser la jouissance aux papes. C’est donc dans cette jouissance que nous rentrerons, en indemnisant le pape, s’il y u lieu, des sommes que ses prédécesseurs ont pu débourser pour l’acquérir. Ce ne sera donc pas la loi du plus fort contre le plus faible. La loi du plus fort entraîne toujours avec elle l’idée d’une injustice. Elle ne peut s’appliquer qu’à un objet dont on s’empare sans y avoir aucun droit... M. Pabbé Maury. Hé bien! Soyez les plus faibles et venez-y. Plusieurs membres : A l’ordre 1 à l’ordre ! M. de Menou. Ce caractère se retrouve-t-il dans la réunion d’Avignon et du Comtat? Le plus fort ne commet donc aucune injustice, lorsqu’il reprend ce qui lui appartient : il ne fait qu’user de son droit. Pour mieux faire sentir cette vérité, je demande la permission d’appliquer le principe à un fait. Il existe, dans l’intérieur de la France, deux pays qui nous sont entièrement étrangers, quant à la souveraineté; la principauté de Montbéliard, enclavée entre les terres de l’ancienne Franche- 402 lAuemblie nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 avril 1791.) Comté et de l'Alsace, et la république de Mulhouse, enclavée dans le département du Haut-Rhin . Nous n'avons aucune espèce de droits sur ces deux pays : si nous voulions nous en emparer, ce serait là la loi du plus fort, et par conséquent une extrême injustice; et certes l’Assemblée nationale n’ordonnera jamais une telle mesure. Mais, en supposant que cela pût être, ce serait alors que les nations et les princes auraient le droit de s’élever contre nous ; car il est évident que nous serions gouvernés par l’esprit de rapine et de conquête. Je demande actuellement s’il y a aucune espèce de parité entre les deux pays dont je viens de parler, et les domaiues d’Avignon et du Comtat Venaissin. Il me semble encore avoir entendu faire, contre la réunion, une objection relative aux princes très puissants. Mais, a-t-on dit, si au lieu du pape un des princes les plus puissants de l’Europe possédait Avignon et le Comtat, ordonneriez-vous la réunion ou l’accepteriez-vous d’après le vœu des Avignonais et Comtadins ? Voix diverses : Non ! non ! Oui ! oui I M. de Menou. Cet argument est bien futile; car la force de mon adversaire m’ôterait elle mon droit? Elle ne fait tout au plus qu’eu suspendre l’exercice. Je dois, en cette occasion, consulter mon intérêt, et je raisonne ainsi : J’ai un droit certain à telle chose; mais, dans ce moment-ci elle est injustement retenue par quelqu’un qui est plus fort que moi, et qui ne consent pas à me la rendre. Mon intérêt alors me prescrit de l’abandonner; car avec elle je pourrais perdre ce que je possède ailleurs. Si celui qui la retient est d’une force égale à la mienne; je ferai encore sagement d’attendre une occasion plus favorable, pour faire valoir mon droit, car le combat poui-rait être douteux. ( Rires et applaudissements.) Mais celui qui la retient, quoique plus faible que moi, est cependantenétat de résister longtemps. Je dois alors calculer si les dépenses que je ferais, pour rentrer dans mes droits, n’absorberaient ou même n’excéderaient pas le profit qui me reviendrait de la jouissance de ma propriété. Et cependant mon droit n’en existe pas moins. Je fais donc sagement de rentrer dans la chose qui m’appartient réellement, lorsque j’en trouve l'occasion; et, par cette conduite, je ne blesse ni la morale, ni la justice, ni la raison, ni le droit des nations. ( Murmures à droite.) L’objection est donc absolument oisive. Mais, dit-on encore, si d’autres peuples, voulant se déclarer libres et indépendants, demandaient à se réunir à J a France, vous accepteriez donc leur vœu? Quelle conséquence 1 Les principes de justice et de raison, principes que nous avons solennellement consacrés par un décret, ne nous prescrivent autre chose envers les peuples qui voudraient se rendre indépendants, que de ne pas nous opposer à ce qu’ils soient libres ; mais ils ne nous prescrivent nullement de les adjoindre ou incorporer à l’Empire français. Les autres peuples peuvent exercer leurs droits indépendamment de nous, comme nous avons exercé les nôtres indépendamment d’eux. La conséquence qu’on a prétendu tirer de la réunion d’Avignon, relativement aux autres peuples, est donc évidemment fausse. Les nations et les princes de l’Europe n’ont doue aucun motif raisonnable de concevoir de l’ombrage de cette réunion; au total, s’il s’en trouve d’assez déraisonnables pour nous désapprouver, qu’ils viennent nous attaquer ..... Plusieurs membres à droite : Ah ! ah 1 M. de Menou, rapporteur. Nous leur ferons sentir la différence qu’il y a entre les bras armés par le despotisme, et ceux armés par la liberté... Voix diverses : Ah ! ah ! Oui 1 oui 1 M. de Menon, rapporteur . Et je leur promets que les combats que nous leur livrerons ne seront pas des jeux d’enfants. ( Rires et applaudissements à droite.) M. Legrand. Nous ne provoquons personne, et je suis étonné que M. le rapporteur provoque les pays étrangers. M. de Menon, rapporteur, mais, pour me servir de l’expression de Trivulce à la bataille de Marignau : « Ce seront des combats de géants. » Un membre à droite : Surtout si vous commandez l’armée. M. de Menon, rapporteur. ONZIÈME QUESTION. Par cette réunion l'Assemblée nationale contreviendra-t-elle à ses décrets? L’esprit et la lettre des décrets de l’Assemblée nationale, relativement à la guerre, sont de n’en jamais faire d’injustes, de n’être jamais le3 agresseurs, de ne pas faire de conquêtes, de ne pas envahir la propriété des autres nations. Or, j’ai démontré que, pour réunir Avignon, nous n’entreprendrions pas de guerre, mais qu’en supposant même que nous fussions obligés de la faire pour cet objet, la justice serait entièrement de notre côté : car la guerre serait défensive. J’ai démontré que la réunion d’Avignon n’était ças une conquête : j’ai prouvé que ces deux pays étaient notre propriété : Donc, en ordonnant on acceptant 1 ur réunion, l’Assemblée nationale ne contreviendra en aucune manière à ses décrets. DOUZIÈME QUESTION. Si la réunion est ordonnée ou acceptée , sera-t-il dû quelque indemnité au pape ? Plusieurs membres : Eh 1 eh 1 M. de Menou. Quant au Comtat Venaissin, on ne retrouve nulle part de trace certaine qu’aucun pape en ait acheté la jouissance. En 1209, Innocent III se lit remeltre en dépôt plusieurs places du Comtat, pour s’assurer, disait-il, de la parole du comte de Toulouse. Il les garda. En 1229, Grégoire IX se fit céder tout le Comtat, et il assura lui-même qu’il ne le gardait qu’en dépôt. Eu 1274, Grégoire X se le fit donner par Philippe le Hardi, auquel il n’appartenait pas; mais on ne retrouve, à cet égard, aucune stipulation d’argent. Il est donc très probable que jamais