[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789 ] 575 ter partout les leçons, les sentiments et les principes de l’Assemblée. M. Pinterel de Louverny, député de Château-Thierry, demande la permission de s’absenter pendant deux jours , pour des affaires très-iutéressantes. Cette permission lui est accordée. M. Malouet reprend sa motion de la précédente séance tendant à fixer des bornes à la juridiction des municipalités. Ce que je propose, dit-il, et ce que j’ai déjà proposé deux fois, tend à empêcher les grandes municipalités de prendre un empire sur les municipalités de moindre considération. (L’Assemblée se montre impatiente). L’orateur se hâte de lire deux articles portant : 1° qu’aucune municipalité n’aura, en administration, autorité ni juridiction sur une autre ; qu’elle ne pourra rendre ses arrêtés exécutoires ni les faire proclamer et afficher hors de son territoire ; 2° qu’il sera défendu à toutes les municipalités des villes capitales et principales et à toutes autres, de prononcer par statuts et règlements sur les détails de la haute police et d’administration générale, autrement qu’en exécution des décrets de l’Assemblée nationale sanc-;onnés par le Roi. M. Charles de Lameth. La disposition qui nous est proposée est inadmissible dans les circonstances actuelles. Si elle était admise, personne ne pourrait prévoir où s’arrêterait le désordre dans la capitale, car vous n’ignorez pas à combien de pouvoirs la municipalité de Paris a succédé et dans combien d’occasions elle a été obligée d’outrepasser les attributions qui lui sont confiées dans un autre ordre de choses. Si vous adoptiez la motion, vous mettriez la subsistance de la capitale entre les mains du premier intrigant venu. Voilà les motifs qui m’engagent à demander la question préalable. M. Defermon. Qu’avons-nous décrété sur les municipalités ? qu’elles seront chargées de la perception et du recouvrement des impôts. Vous décréterez plus tard quels statuts elles pourront faire relativement à la police ; mais le faire à présent serait exposer les campagnes aux plus grands désordres. Je demande que la motion soit ajournée jusqu’au moment où l’on s’occupera de l’organisation du pouvoir judiciaire. M. Dufraisse-Duchey. Les craintes des préopinants sont autant de chimères, tandis qu’il serait du plus grand danger que les grandes villes, profitant de l’influence que leur donne nécessairement leur population, s’arrogeassent une espèce d’empire surfes villes d’une faible importance. M. le vicomte de Alirabeau parait à la tribune. On demande la clôture de la discussion. Elle est prononcée. M. le vicomte de Alirabeau, s’écrie : On nous ferme la bouche dès que nous voulons décadré les provinces et les opprimés 1 M. le Président consulte l’Assemblée quidé-ide qu’il n’y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur la motion de M. Malouet. L’ordre du jour appelle la discussion de la motion de M. le comte de Mirabeau relative aux grades administratifs et aux conditions d’éligi - bilité. M. le Président rappelle que cette motion, faite dans la séance du 10 décembre au matiu , propose qu’il soit décrété que, pour être membre de l’Assemblée nationale, il faudra y avoir été député une fois, ou avoir rempli pendant deux ans, des fondions graduellement dans les municipalités , les districts et les départements, ou avoir occupé, durant trois ans, un office de judi-cature. M. Barrère de Vieuzac (1). Messieurs, quoique le premier soin des législateurs soit de se défier de l’éloquence, et d’examiner froidement ce qu’elle lui présente avec enthousiasme, je ne peux m’empêcher de rendre un hommage public aux grandes vues que M. de Mirabeau a développées hier dans cette même tribune. C’est une sublime pensée de mettre de la fraternité entre toutes les fonctions publiques. C’est une belle conception législative de jeter un voile d’honneur sur toutes les magistratures, de changer tous les emplois publicsien témoignage de vertu, défaire de ces dépôts, que la patrie confie à un citoyen, autant de titres pour parvenir aux fonctions les plus éminentes de la société. Il fallait surtout, en régénérant les municipalités, effacer les traces de cette espèce de flétrissure que l’orgueil, les préjugés , le despotisme des agents subalternes du pouvoir, et le fisc lui-méme, leur avaient imprimées depuis un siècle. 11 fallait engager tous les citoyens sans distinction à servir la patrie avec le même zèle, dans les magistratures les plus inférieures, pour mériter la préférence sur leurs concurrents. Il fallait enfin ouvrir le trésor de l’honneur, au lieu d’accorder à ces faits odieux de privilèges, des exemptions et de vaines prérogatives. C’est ainsi, Messieurs, qu’à Rome, par une allégorie admirable, on n’arrivait au temple de l’honneur qu’en passant par celui de la vertu. Mais, en adoptant ces grandes vues de législation, devons-nous adopter aussi l’application qu’en fait M. de Mirabeau? Devez-vous exiger rigoureusement cette marche expérimentale, et ces honneurs graduels? Devons-nous exclure, avec sévérité, des grands honneurs ceux qui n’auront pas parcouru toute l’échelle politique que l’auteur de la motion a élevée devant vous ? C’est ici que les doutes se présentent.... Je ne dirai pas que la motion de M. de Mirabeau détruit absolument vos décrets qui admettent des éligibles à l’Assemblée nationale, âgés de 25 ans, puisque, d’après son calcul, il faudra avoir 35 ans révolus pour y parvenir. Je ne dirai pas que cette motion fait revivre les trois degrés d’élection que vous avez sagement proscrits, dans l’idée de donner au peuple une influence plus directe, et un champ plus vaste à l’élection. Je ne dirai pas que la motion tend à faire administrer toutes les municipalilés par des jeunes gens âgés de 21 ans, tandis qu’il importe à la nation que des hommes mûrs soient chargés de ces fonctions importantes mêlées de justice, de police, d’administration et de pouvoir militaire; le bon sens de l’administration est bien différente du génie des lois. (1) L’opinion de M. Barrère de Vieuzac n’a pas été insérée au Moniteur.