[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] « Messieurs, « L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction votre offrande. Puisse ce premier acte de vertus civiques vous rappeler sans cesse ce que tout citoyen doit à la chose publique, et vous faire trouver le prix de votre dévouement dans la seule estime de la patrie ! » S’adressant ensuite à la foule de ceux qui ont offert des dons patriotiques, M. le Président leur dit : > « Messieurs, l’Assemblée nationale est dans l’heureux embarras de répondre à tous les actes du patriotisme dont elle est le témoin. Citoyens de tous les âges, de toutes les conditions, allez, et dites à vos condisciples, à vos frères, à vos concitoyens, que l’Assemblée nationale, remplie d’admiration pour le dévouement des Français, sera au comble de la satisfaction quand elle* les verra réunir l’esprit de paix et de fraternité, l’oubli de toutes les haines et le respect des lois au noble désintéressement qui les anime. « L’Assemblée nationale vous permet d’assister à la séance. » Le Châtelet de Paris, ayant à sa tête M. de Bou-lainvilliers, prévôt de Paris, et M. Talon, lieutenant civil, est annoncé et introduit à la barre. Cette cour vient, en conséquence de la permission qu’elle a demandée, et qui lui a été accordée le matin par l’Assemblée nationale, prêter le serment civique. M. Talon, lieutenant civil , prononce le discours suivant : « Messieurs, nous venons remplir le vœu le plus cher à nos cœurs, et nous acquitter du plus saint de nos devoirs. Quand tous les Français s’empressent de se réunir à la constitution pa‘r un serment solennel, les ministres de la loi, encore plus comptables de leurs sentiments et de leurs principes envers la nation, doivent offrir les premiers ce témoignage religieux de fidélité et d’obéissance. « Placés sous l’empire d’une constitution libre, nous n’avons plus à redouter ces jours de deuil, où nous ne pouvions servir la cause publique que par l’inaction et le silence, et nous sommes assurés que désormais le serment qui lie tous les citoyens à la patrie ne se trouvera plus en opposition avec celui qui nous attache à nos fonctions. « Le Châtelet de Paris doit, en particulier, jurer à l’Assemblée nationale qu’étant revêtu par elle du plus redoutable des pouvoirs, porté par elle au milieu d’une carrière aussi pénible qu’éclatante, où l’expérience ne peut lui servir de guide, il ne cessera de marcher avec courage vers le flambeau qui lui sera présenté par la loi, au travers des tumultes et des orages dont la fureur des passions, ou l’erreur des préjugés, peuvent chercher à l’environner. » M. de Boulainvilliers, prévôt de Paris , exprime ensuite les sentiments de patriotisme, de soumission aux décrets de l’Assemblée, et d’attachement à la nouvelle constitution, qui l’animent, ainsi que les magistrats dont il a l’honneur d’être le chef. Tous ensuite ont prêté solennellement le serment civique, au bruit des acclamations et des 45S applaudissements dont la salle retentissait de toutes parts. M. le Président fait au Châtelet de Paris la réponse suivante : « Messieurs, le Châtelet de Paris, dépositaire des plus grands intérêts, justifie l’honorable confiance que l’Assemblée nationale lui a témoignée. Elle voit avec satisfaction cette cour être la première à donner l’exemple de la soumission, de la fidélité et du respect pour les lois. » M. le Président lit un billet de M. le garde des sceaux, qui lui annonce que les lettres patentes portant établissement d’une cour supérieure provisoire de justice à Rennes, en exécution du décret de l’Assemblée, sont scellées et envoyées. La discussion sur le j ugement à porter sur la conduite de la nouvelle chambre des vacations du parlement de Bretagne obtient la priorité sur plusieurs autres affaires placées à l’ordre du jour. M. Le Chapelier. Avant de présenter un projet de décret, je rappellerai que l’adresse de la ville de Rennes nous prescrit de demander une punition éclatante, et que la députation de Bretagne, touchée de l’aveuglement de quelques magistrats ses compatriotes, a cru devoir s’en référer à l’Assemblée. Mais depuis, les circonstances ont bien changé : sa générosité, secondée par des conjonctures nouvelles, la démarche du Roi, le patriotisme des citoyens, tout l’engage à proposer un décret aussi doux qu’il est possible. « L’Assemblée nationale délibérant sur la conduite des membres de la seconde chambre des vacations du parlement de Rennes, déclare que dans le moment où le Roi est venu se réunir si intimement avec la nation, elle ne veut se rappe 1er que les actes de patriotisme qui honorent le monarque et les citoyens; mais, attendu que ceux qui ont refusé d’obéir â la loi et au Roi ne peuvent exercer les droits de citoyens actifs, l’Assemblée décrète que les magistrats de la nouvelle chambre des vacations du parlement de Rennes seront privés de ces droits jusqu’à ce que, par une requête présentée au Corps législatif, ils aient obtenu la permission de prêter serment à la loi, au Roi et à la Constitution. » M. deCazalès. Ce décret étant conséquent à ce lui que vous avez rendu dans une pareille circonstance, doit être admis quasi dans toutes ses parties. 11 serait cependant très aisé de prouver que les magistrats de la nouvelle chambre des vacations de Rennes n’ont pas commis de délit. Ne pas convenir que tout citoyen est le maître de rentrer quand il le veut dans la vie privée, ce serait méconnaître la liberté que vous avez consacrée... Vous devez réprimer l’abus d’autorité de la municipalité de Rennes, et venger l’atteinte qu’elle a portée à la liberté de onze citoyens non prévenus de délits, non jugés, et dont les membres de la municipalité ne sont pas les juges, en plaçant des sentinelles jusque dans la chambre des magistrats. Se pourrait-il que la constitution, que nous avons tant désirée, fît renaître l’oppression ? que nous eussions changé le despotisme ministériel contre le despotisme municipal?... Il est temps que l’Assemblée assure la liberté des individus, qu’elle désavoue tout ce qui peut y être contraire, et qu’elle annonce qu’elle hait le despotisme, quelque part qu’il se trouve. -