[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 octobre 1790.] 25 nale, imprimé et envoyé à chacun des membres huit jours avant que Je scrutin pour l’élection commence. « Art. 6. Sur ce tableau, l’Assemblée nationale choisira au scrutin quarante sujets. « Art. 7. Les quarante sujets seront présentés au roi, qui en choisira trente pour former le tribunal de cassation. « Art. 8. Tous les six ans on procédera à l'élection de la moitié des membres du tribunal de cassation; les mêmes juges pourront être continués. A la première élection, dans six ans, la moitié qui devra sortir sera déterminée par le sort ; aux élections suivantes, elle le sera par tour d’ancienneté. « Art. 9. A cette élection de six ans en six ans, le Corps législatif choisira au scrutin, sur le tableau des éligibles nommés par chaque département, vingt sujets, sur lesquels le roi en choisira quinze. « Art. 10. Ceux qui, par le choix des électeurs des départements, auront été inscrits sur le tableau des éligibles au tribunal de cassation, y referont inscrits. « Art. 11. Pour les élections qui suivront la composition du tribunal, en tête du tableau seront placés les quinze juges sortant qui peuvent être réélus; ensuite indistinctement tous les sujets choisis par les électeurs des départements. « Art. 12. Tous les quatre ans, les électeurs de chaque département, après avoir nommé les députés pour la législature, feront un scrutin préalable pour décider s’il y a lieu de désigner un nouveau sujet. Il ne sera fait aucune addition à la liste pour les départements où les électeurs n’auront pas trouvé lieu à une nouvelle désignation; et, dans le cas contraire, les noms des sujets nouvellement élus seront ajoutés aux anciens . « Art. 13. Lorsque six places vaqueront dans le tribunal de cassation, il sera procédé, dans la forme prescrite pour les élections, à la nomination dés sujets qui rempliront ces places. Le Corps législatif choisira huit personnes sur le tableau des éligibles; sur ces huit, le roi en choisira six. « Art. 14. Les membres intermédiairemeut élus dans le cours des six années seront, à l’époque du renouvellement par moitié, quelque peu de durée qu’ait eu leur exercice, sujets à réélection, comme l’eussent été les juges qu’ils remplaceront; et, pour l’exercice de leurs fonctions, ils seront attachés à la section à laquelle appartenaient les juges dont ils prendront la place. « Art. 15. Lorsque huit jours seront écoulés depuis l’impression, la distribution et l’aftiche du tableau des éligibles, le scrutin sera ouvert; il sera donné à chaque membre du Corps législatif un billet de scrutin signé de l’un des secrétaires de l’Assemblée, sur lequel le votant écrira les noms de ceux sur lesquels il portera son suffrage; il déposera son billet dans une urne disposée à cet effet dans un des secrétariats, et fermant à trois clefs différentes, dont l’une sera entre les mains du président, et les deux autres dans celles de deux des secrétaires. « Art. 16. Pour être élu, il faudra avoir la majorité absolue des suffrages, « Art. 17. Si les deux premiers scrutins ne donnent pas cette majorité pour tous les sujets à élire, on procédera à un troisième, lors duquel les voix ne se porteront plus que sur ceux qui auront eu le plus de voix au second scrutin, et on prendra les sujets en nombre double defe juges qui resteront à nommer, de manière que, s’il faut encore six personnes pour compléter le nombre fixé, on votera sur les douze qui auront eu le plus de voix, et ainsi pour tous les autres nombres; l’élection sera alors décidée à la pluralité relative. « Art. 18. Le premier scrutin sera ouvert pendant quinze jours, le second pendant huit, le troisième pendant trois jours seulement. « Art. 19. Le nombre des votants sera, après la clôture de chaque scrutin, publiquement con staté par le président, dans une des séances du Corps législatif; il sera nommé douze commissaires pour faire le dépouillement des scrutins. « Art. 20. Le roi fera, dans trois jours francs, notifier son choix au Corps législatif. Si la notification n’est pas faite dans les trois jours, ceux qui, par la majorité absolue des suffrages, auront été nommés au premier et au second scrutin, seront membres du tribunal de cassation ; et, en cas que le nombre des membres du tribunal ne soit pas complet, il sera rempli par ceux qui auront eu le plus de voix au troisième scrutin. « Art. 21. Le roi fera expédier aux membres du tribunal de cassation des lettres patentes dans la même forme que celles fixées pour les autres juges du royaume. » M. Robespierre (1). Messieurs, j’ai quelques observations à vous soumettre sur l’organisation de la haute cour nationale. Le crime, en général, peut être défini : un attentat aux droits d’autrui. Les crimes de lèse-nation sont les attentats commis directement contre les droits de la nation, différents des crimes ordinaires qui sont des attentats aux droits des particuliers. Ainsi que les délits ordinaires, les crimes de lèse-nation sont de diverses espèces et de divers degrés que les lois doivent soigneusement distinguer. Us peuvent attaquer ou les propriétés, la vie du corps politique comme les autres propriétés, la sûreté, la vie des individus. Ceux qui peuvent compromettre la vie et la sûreté du corps politique sont ceux qui méritent toute l’attention du législateur, et peut-être les seuls qui puissent motiver l’institution d’un tribunal particulier, d’une cour martiale. On ne peut attaquer à la sûreté, à la vie des individus, que par des moyens physiques et par la violence ; mais on peut atteindre de deux manières la sûreté et la vie de la nation : parce qu’elle a en même temps une existence physique comme collection d’hommes, et une existence morale, comme corps politique; celui qui attente à la liberté du peuple , c’est-à-dire aux lois constitutionnelles qui lui assurent l’exercice et la conservation de ses droits, est coupable de parricide envers la nation ; comme celui qui immole les citoyens par le fer et par le feu ; car dès que la liberté est anéantie, le corps politique est dissous; il n’y a plus ni nation, ni magistrats, ni roi : il ne reste qu’un maître et des esclaves. Dans l’état habituel des peuples ; c’est-à-dire quand la Constitution est affermie par le temps, et l’ordre public établi sur des bases solides, les crimes de Jèse-nation doivent être nécessairement rares ; du moins, ceux qui peuvent être (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours do M. Robespierre: nous insérons ici la version du Journal le Point-du-Jour, tome XV, pages 384 et suiv. % (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 octobre 1790.] tentés par des simples citoyens, parce que l’ambition de chaque individu est entraînée par la force publique, et par la volonté générale ; les séditions, les conspirations contre le gouvernement sont des événements momentanés, ré-seryés pour les temps de troubles et de révolution ; et cette sorte de crime de lèse-nation n’exigerait pas l’établissement d’un tribunal permanent; Ce n’est que de la part de ceux qui sont revêtus de la puissance publique, que l’on peut craindre, dans tous les temps, des attaques plus ou moins ouvertes contre la liberté du peuple. S’il existe dans l’Etat une magistrature qui donne un pouvoir immense de grands moyens de force et de séduction, c’est celui-là qui menacera sans cesse les autres pouvoirs et la liberté publique; c’est contre elle que le législateur doit prendre lis plus grandes précautions, c’est contre elle, principalement, que le tribunal de lèse-nation doit être établi. Bientôt de ces notions simples découleront tous les principes de l’organisation de ce tribunal. Observons maintenant que ces notions minces nous prouvent déjà que rien n’est plus délicat, et n’exige une attention plus scrupuleuse et plus inquiète que cette organisation. Dans les temps de révolution, lorsqu’un peuple secoue le joug du despotisme, un tribunal de lcse-nation est peut-être nécessaire pour réprimer les complots des factions puissantes qui conspirent contre la Constitution naissante; mais il ne peut rendre ce service au peuple, qu’autant qu’il est composé de citoyens attachés aux principes nouveaux et à la cause populaire. Que les partisans du despotisme ou de l’aristocratie s'en emparent, qu’il soit corrompu ou seulement faible et pusillanime, il devient alors le plus terrible fléau de la liberté. Or, dans des temps de cabale et d’intrigues, pour peu que ce parti conserve quelque audace et quelque influence, surtout s’il a adopté le système de se couvrir du masque de patriotisme pour tromper la crédulité des citoyens : il n’est que trop facile peut-être de le corrompre ou de le composer d’hommes corrompus d’avance, ou du moins susceptibles de l’être. Dans les temps ordinaires, il n’est pas non plus à l’abrj de ce danger ; parce qu’il est sans cesse exposé à toutes les séductions du pouvoir dominant dont il doit arrêter et punir les usurpations. Ce sont les inconvénients extrêmes, attachés à la nature même de la chose, qui, avant le décret de l’Assemblée nationale, m’avait persuadé que l’institution d’un corps destiné à juger ces sortes de crimes était beaucoup plus dangereux qu’utile à la liberté; que dans les temps d’une révolution telle que la nôtre, les conspirateurs ne pouvaient avoir de surveillant plus sûr, ni de vengeur plus redoutable que les représentants de la nation, et la majorité des citoyens qui l’avaient opérée, que, dans tous les temps, le véritable frein du despotisme était la vigilance de l’Assemblée nationale, à laquelle le peuple devait naturellement se rallier, dans toutes les circonstances où la liberté était en danger. Mais puisque votre opinion s’est déjà déclarée pour la formation d’une cour nationale avec tant de force, qu’il serait téméraire de la combattre, je pars de ce point, et je tire des observations que j’ai présentées jusqu’ici toutes les bases de l’organisation de ce tribunal. Puisque d’qu côté, par la nature de ses fonctions, il est en quelque sorte constitué l’arbitre dus destinées du peuple ; que de l’autre, à déployer un grand courage et une vertu incorruptible contre tout ce qu’il y a dans l’Etàt de plus puissant et de plus redoutable, il s’ensuit •. Qu’il doit être nommé par le peuple. L’évidente nécessité de cette conséquence, répond à tous ceux qui voudraient le faire nommer, en tout ou en partie, par le roi. De tous les pouvoirs qui composent un gouvernement, le pouvoir exécutif, concentré dans les mains d’un seul, est, sans contredit, le plus dangereux pour la liberté ; c’est sous ses efforts continus qu’elle est succombée plus ou moins promptement chez toutes les nations; n’est-ce pas la responsabilité de ses agents? N’est-ce pas le soin de réprimer les attentats contre la Constitution qu’ils peuvent commettre, ou favoriser, qui doit être naturellement le principal objet des fonctions de la cour nationale. Ce serait donc insulter au bon sens et à la raison, de vouloir confier au roi ou aux ministres le pouvoir de concourir, en quelque manière que ce soit, à la formation de ce tribunal. Ce principe -là réfute l’article proposé par votre comité de Constitution, qui veut que les grands juges de ce tribunal soient pris parmi les membres du tribunal de cassation ; ce h’est pas là précisément le plus grand inconvénient, mais les juges du tribunal de cassation, il veut les faire choisir en dernière analyse par le roi. Il met donc les principes de l’organisation de la cour nationale en opposition avec son objet ; il fait un écueil de la Constitution, de ce qui devait en être le boulevard ; et après tout, n’est-il pas trop absurde et trop dérisoire que la cause la plus mince d’un particulier ne puisse être jugce que par des juges populaires ; et que la cause auguste de la liberté et de la nation soit abandonnée à des juges choisis par la cour et par les ministres ? Mais ce n’est point assez que les juges du tribunal de lèse-nation ne puissent être leur ouvrage et leurs créatures, il faut encore qu’aucun officier nommé par eux, ne puisse intervenir ni influer dans les affaires soumises à sa décision ; il est donc absurde de placer [très de ce tribunal un commissaire du roi. Le comité de Gonstitu-lion, lui-même, nous indique cette contradiction dans le projet de décret que nous discutons, puisqu’il semble avoir rendu hommage au principe que nous réclamons, par l’article où il propose d’exempter de la sanction du roi les décrets du corps législatif, qui décideront les accusations qu’il intentera devant la cour nationale. Une autre conséquence importante dérive des observations que nous avons exposées. C’est que s’il ne suffit pas que tous ceux qui concourent, de quelque manière que ce soit, au jugement des crimes de lèse-nation, soient nommés par le peuple, il faut encore prendre toutes les précautions possibles, pour défendre ceux que le peuple aura choisis, contre les dangers de la corruption. Or, les plus simples et les plus efficaces qui se présentent à l'esprit, sont : 1° Que la durée de son autorité soit courte ; 2° Qu’il soit surveillé par le Corps législatif;. 3° Qu’il soit aussi nombreux que la nature de la chose peut le permettre. Le premier de ces trois objets me paraît rempli par l’article du projet qui porte que les membres seront renouvelés tous les deux ans. Le second l’est aussi, à mon avis, par l’article qui ordonne qu’ils ne connaîtront que des nf- {Assemblée nationale.) f ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 octobre 1790.) faires qui lui auront été déférées par les décrets de l’Assemblée nationale, et que deux membres de cette Assemblée seront commis par elle pour la poursuite des accusations qu’elle aura arrêtées, Mais je ne puis concilier, avec l’esprit de ces dispositions, celui qui tend à fixer le siège du tribunal de lèse-nation dans un lieu éloigné de quinze lieues de celui où résidera l’Assemblée nationale. La surveillance que celle-ci doit exercer semble exiger plutôt qu’il soit rapproché d’elle; et si je considère cette proposition, sous d’autres rapports, il me semble qu’un tribunal défenseur des droits de la nation, dont les jugements doivent être l’impression du vœu général, qui d'ailleurs a besoin d’être soutenu par l’opinion publique, contre les tentations qui l’environnent, ne peut pas être mieux placé que dans une ville qui est ie centre des lumières, et où l'opinion publique exerce son heureuse influence, avec plus d'impartialité et d’énergie; et certes les grands services que le patriotisme éclairé et courageux de la capitale a rendus à la liberté et à l’Assemblée nationale, ne suffiraient-ils pas seuls, pour vous démontrer la nécessité de fixer dans son sein le tribunal qui doit exercer une si grande influence sur la prospérité et sur la dorée de votre ouvrage? Quant au troisième objet, je veux dire le nombre des juges, il me paraît trop restreint par le comité; au lieu de borner à trente-deux ou vingt le nombre des jurés, je voudrais au moins que chaque département nommât deux jurés ; je voudrais que le nombre qui resterait après la réduction opérée par les récusations exercerait ses fonctions, et que l’on prît parmi eux les grands juges. Enfin, pour parvenir plus sûrement au but que j’ai indiqué, et toujours guidé par le principe londamental que j’ai adopté, je voudrais ajouter deux dispositions à celles dont je viens de parler. La première, que les membres de la cour nationale ne pussent pas être réélus. La seconde serait l’application d’une loi que vous avez déjà faite pour l’Assemblée nationale, et qui, par une raison semblable, conviendrait parfaitement au tribunal de lèse-naiion : je désirerais même qu’elle fût étendue, à leur égard, comme je présume que vous l’étendrez même pour les membres du Corps législatif; je voudrais donc que ceux de la cour nationale ne pussent recevoir aucuns dons, pension, ni emploi du pouvoir exécutif, même pendant les deux ans qui suivront immédiatement le temps de leur magistrature. Je ne crois pas avoir besoin de prouver la nécessité de cette intention. On sent assez qu’une loi qui borne une pareille prohibition à la durée des fonctions de celui qui en est l’objet, laisse l’illusion des promesses et la séduction de l’expérience, source de corruption plus dangereuse et plus féconde que la faculté de recevoir sur-le-champ l’avantage qui peut être l’objet de l’ambition ou de la cupidité. M. l’abbé Manry (1). Messieurs, nous sommes tous impatients d’organiser enfin le tribunal suprême destiné à punir les crimes de lèse-nation. Il est bien temps, eu effet, qu’un peuple, qui veut (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. l’abbé Maury. être libre, ne soit plus soumis à ces jugements arbitraires, à ces odieux comités de recherches qui ont déshonoré le berceau de notre liberté. Les réflexions que je viens vous présenter sur l’imprimé qui a pour titre : Nouveau et dernier projet du comité de Constitution, sur la formation de la haute cour nationale, se divisent naturellement en deux parties. J’examinerai succinctement ce que votre comité de Constitution aurait dû faire, et je discuterai ensuite, article par article, ce qu’il a fait. D’abord, il doit vous paraître bien étrange, sans doute, qu’avant d’organiser la haute cour nationale, votre comité de Constitution ne se soit pas occupé préalablement delà loi fondamentale qui doit régler les jugements de ce nouveau tribunal. Les crimes de lèse-nation et de haute trahison peuvent être commis ou par des particuliers, ou par les dépositaires de la force publique, ou par les ministres du roi, ou par les officiers de la justice, ou par les corps administratifs, tels que les municipalités, les directoires, les districts, les départements. Il est donc évident qu’avant d’instituer un pareil établissement, la première base de notre travail doit être de définir clairement les crimes de lèse-nation et de déterminer les peines destinées à les punir. Tout serait arbitraire, tout deviendrait despotique dans les décisions d’un tribunal qui n’aurait pas reçu, du Corps législatif, cette règle invariable de ses jugements. Quoique cette haute cour paraisse organisée par le comité de Constitution, comme le véritable pouvoir exécutif de l’Assemblée nationale, elle ne réunira cependant pas, comme le corps que l’on dit constituant, l’universalité des pouvoirs politiques. Elle n’aura pas, comme nous, la faculté de suppléer les lois, de juger les choses selon les personnes; et je m’oppose expressément, au nom de tous les amis de la liberté, à l’érection de ce nouveau tribunal, jusqu’à ce que je connaisse le code des délits et des peines dont l’exécution lui sera confiée. Le comité de Constitution ne nous dit pas si l’exécution des jugements qui émaneront de la haute cour nationale sera soumise, comme en Angleterre, à l’autorisation formelle du roi. Il ne nous dit pas si Sa Majesté aura la faculté d’accorder la grâce après la condamnation ; et quoique je ne présume pas que l’on ose jamais contester à la couronne ce privilège vraiment royal, je me défie des préléritions dans les lois constitutionnelles, et je demande que ce droit soit formellement reconnu. Le plan que nous présente le comité de Constitution porte uniquement sur l'institution du jury. Je ne m’oppose assurément point à cette forme de jugement qui établit en matière criminelle deux tribunaux différents, dont l’un prononce sur le fait et l’autre sur le droit. Le jugement par jurés a déjà été admis en France jusqu’à la fin de la première race. Nos pères l’appelaient le jugement des pairs ; et nous en avons conservé jusqu’à nos jours des traces bien précieuses dans la juridiction des experts et des prud’hommes ; dans l’attribution des causes qui intéressent les membres de la pairie à la seule cour des pairs ; dans le droit qu’ont les magistrats souverains de n’être jugés que par le tribunal dont ils sont membres ; dans les jugements des juridictions consulaires pour les marchands; dans les conseils de guerre pour les militaires ; dans les officialités pour les ecclésiastiques. Ce jugement des pairs ou des jurés, qui était parmi nous d’origine germaine, fut établi en 28 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [25 octobre 1790. France avant qu’on le connut en Angleterre. Mais il fut aboli dans notre patrie par lès conquêtes de l’autorité royale sur le gouvernement féodal. Une pareille forme de législation était en effet impraticable dans les cours absolues du roi ; au lieu que tous les parlements anglais qui furent assemblés depuis la publication de la grande charte, ne cessèrent de réclamer les institutions saxonnes et perfectionnèrent toujours l’établissement tutélaire des jurés, judicium per pares, comme l’une des lois les plus sages des anciens Germains. Ce fut ainsi que ce peuple vraiment digne de porter le noble fardeau de la liberté conserva dans ses tribunaux le jugement par jurys, appelé par ses jurisconsultes, ['épreuve par raison ; tandis que nos juges rie voulaient encore reconnaître l’innocence qu’à l’épreuve absurde et barbare du fer rouge ou de l’eau bouillante. Mais le nouveau jury qu’on veut instituer aujourd’hui parmi nous, n’est ni le jury des anciens francs, ni le jury de l’Angleterre, ni le jury d’Amérique. C’est un établissement bizarre et monstrueux qui n’a point de nom dans aucune langue ; de même que l’institution d’un tribunal antérieur aux lois qui doivent diriger ses jugements, est une innovation sans exemple chez aucun peuple policé. J’insiste sur cette importante considération, parce qu’il est évident que notre haute cour nationale serait sans activité jusqu’à ce que le code que je sollicite soit rédigé. Or, si les juges du tribunal suprême sont ainsi condamnés d’avance à être frappés d’inertie, ce serait commencer notre travail par la fin, que d’instituer des magistrats avant d’avoir décrété les lois dont ils seront les ministres. Je demande donc d'abord cette loi constitutionnelle, de peur qu’on ne fût ensuite tenté de s’en passer -, et je ne veux reconnaître aucun juge dans la nation, sans avoir lu auparavant le code auquel il vient me soumettre. Vous ne sauriez investir ce nouveau tribunal de la force publique, sans avoir déterminé avec précision les crimes dont il doit connaître et les châtiments qu’il peut infliger. Ce n’est pas à nous qu’il faut imputer la perte d’un temps précieux, lorsque nous proposons un tel moyen dilatoire. Quand votre comité de Constitution voudra se conformer dans sa marche à l’ordre naturel des idées et à la série nécessaire des lois, il abrégera infiniment sa route; et personne ne sera tenté d’opposer le moindre obstacle à vos décisions. Mais il ne faut pas que l’impatience de multiplier nos décrets précipite une délibération de laquelle dépendent la tranquillité, l’honneur, la vie des citoyens et le salut public. Après ces observations générales, je passe à l’examen des articles du projet qui nous est présenté. « Art. 2. Lors des élections pour le renouvellement d’une législature, les électeurs de chaque département, après avoir nommé les représentants au Corps législatif, éliront au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages un citoyen ayant les qualités nécessaires pour être député au Corps législatif, lequel demeurera inscrit sur le tableau de haut jury pendant tout le cours de cette législature. » J’ignore si la contribution d’un marc d’argent supposera dans un haut jury la fortune nécessaire, pour l’environner de la considération que ses fonctions exigent. J’observe qu’en Angleterre il faut jouir d’un revenu foncier trois fois plus considérable pour être élu par les shérifs, membre des jurys ordinaires. Mais sans insister sur les qualifications des jurés, je prétends que cet article est en opposition avec les principes fondamentaux des jugements par jury. Le but manifeste du jugement par jury est de donner à l’accusé toute la confiance possible dans ceux de ses concitoyens à qui la loi défère le droit de décider de son sort. En conséquence, le premier principe de cette institution, exige que les citoyens soient rarement appelés à remplir les fonctions du juré; qu’ils ne puissent être chargés de ce saint ministère une seconde fois, que lorsque tous les autres habitants du canton, libres et légaux , c’est-à-dire dûment qualifiés, l’ont exercé à leur tour ; qu’ils ne soient délégués que pour un seul-procès criminel, et qu’après l’avoir jugé ils rem trent le plus tôt possible dans la classe commune, afin que le justiciable puisse devenir le juré de son propre juge, si celui-ci est impliqué dans une procédure criminelle. Lorsque les grands juges d’Angleterre vont tenir leurs assises, on s’écarte un peu, je le sais, de la pureté du principe; et les jurés exercent leurs fonctions juridiques pendant le cours de la session qui se proroge pendant trois jours. Mais leur ministère ne dure jamais plus longtemps ; et à chaque session le jury est renouvelé tout entier. Les Anglais regardent cette sage précaution comme le palladium de leur sûreté individuelle. Notre comité nous propose de mettre font le royaume en mouvement pour élire dans chaque département un juré destiné à remplir son ministère pendant deux ans auprès de la haute cour nationale. Or, c’est bouleverser foutes les idées que nous avons du jugement par jury, que de le rendre électif, et de faire du ministère des jurés un état permanent. C’est perdre tous les avantages de cette belle institution que d’en proroger les fonctions pendant deux années entières. U est essentiel d’ailleurs pour la parfaite organisation du jury, que l’accusateur ne puisse jamais connaître ‘d’avance les jurés qui prononceront sur l’accusation qu’il aura intentée. La loi a craint sagement en Angleterre que le dénonciateur ne pût sonder en secret les dispositions des jurés, concerter avec eux sa marche, pressentir leur opinion, pratiquer enfin les juges avant de hasarder une action juridique. C’est pour éviter ce danger qu’elle a frappé de nullité toute nomination de jurés antérieure à l’accusation. C’est pour le même motif qu’elle a rendu le droit de récusation si favorable à l’accusé, et si sévère contre l’accusateur. Celui-ci doit sa confiance à tous ses concitoyens indistinctement, pourvu qu’il soit dûment qualifié; au lieu que le citoyen traduit en justice ne doit la sienne qu’à ceux qu’il en croit dignes. On a vu souvent en Angleterre plusieurs habitants d’un canton effrayés de la nomination d’un shérif, à qui le choix des jurés appartient, s’éloigner de leur île pendant toute la durée des fonctions de ce magistrat qui leur était suspect. Je propose, Messieurs, ces exemples et ces considérations, je ne dis pas seulement à votre patriotisme, mais encore à votre délicatesse, pour vous montrer des inconvénients qui seraient évidemment contraires à l’esprit du jury, et cependant inévitables, si votre haut jury était permanent durant deux années consécutives. Le second principe fondamental en matière de jury, c’est que les prévenus d’un crime capital [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 octobre 1790.] 29 ne puissent être jugés que par des jurés du lieu où le délit a été commis. Le grand bienfait de cet établissement consiste en effet à donner pour juge à chaque accusé des hommes dont il est personnellement connu, et qui peuvent saisir l’ensemble de sa vie. La violation de ce principe constitutionnel du jury du voisinage, parut aux Américains le présage le plus effrayant de la tyrannie, et fut l’un des principaux motifs de leur insurrection contre l’Angleterre. Or, cette loi si sage lie recevra plus d’application si vous formez un haut juré composé de membres élus dans quatre-vingt-trois départements. Les Anglais tiennent si fortement à cette règle de législation, que non seulement les petits jurés sont choisis dans chaque comté, mais que les grands jurés sont toujours pris en nombre égal dans les centaines qui forment les divisions de chaque comté. Notre comité de Constitution suppose d’ailleurs très légèrement que nous aurons en France de grands jurys. Je soutiens qu’une telle institution ne pourra jamais s’établir dans le royaume, à cause de l’incompatibilité que la Constitution a prononcée entre les fonctions publiques. Quand vous aurez composé vos municipalités, vos directoires, vos districts, vos départements, vos législatures, vos tribunaux et vos nombreux petits jurys, il ne vous restera plus assez de citoyens actifs pour former les grands jurys. Il est bien étrange, sans doute, que le comité de Constitution à qui tous ces calculs n’auraient pas dû échapper, transforme ainsi provisoirement le Corps législatif lui-même en grand jury, sans s’être assuré s’il y aura un seul grand jury dans le royaume. L’esprit général de" cet article s’écarte donc visiblement de tous les principes du jury. Si l’on me dit qu’il sera peut-être quelquefois indispensable, dans la pratique, de renoncer à quelques-unes de ces règles fondamentales, je ne contesterai point l’empire futur des circonstances, mais je répondrai que notre première loi constitutionnelle, en matière de jury, ne doit pas être un recueil d’exceptions particulières, ou de dérogations générales à l’esprit du jury. « Art. 4. La haute cour martiale connaîtra de tous les crimes et délits dont le Corps législatif jugera nécessaire de se rendre l’accusateur. Nulle autre affaire ne sera portée à la haute cour nationale » . Il ne faut pas nous dissimuler que nous allons instituer un tribunal excessivement redoutable; et la terreur qu’il doit imprimer n’a pas besoin d’être encore aggravée par l’incalculable danger d’opposer à chaque accusé un adversaire aussi prépondérant que le Corps législatif. Mettez-vous ici un moment, Messieurs, à la place de l’innocence calomniée! supposez que c’est vous que l’on accuse, et songez que si vous adoptiez le plan de votre comité, vous seriez le seul corps législatif de l’univers qui se fût jamais réservé le droit de poursuivre un individu dans les tribunaux, au nom de toute la nation. En Angleterre, les communes qui exercent quelquefois ce ministère terrible, ne forment pas seules le Corps législatif; d’ailleurs, elles n’accusent jamais d’un crime capital que les pairs et les douze grands juges du royaume. Quand elles dénoncent les autres citoyens, c’est au pouvoir exécutif qu’elles ont recours. Le roi fait poursuivre alors par son procureur général dans les tribunaux ordinaires, et l’action des communes finit au moment où la procédure commence. Le poids de l’intérêt national n’est par conséquent jamais opposé à la défense d’un accusé, et nul n’est exposé à cette lutte inégale et terrible d’un seul contre tous. Dans tous les Etats-Unis de l’Amérique septentrionale, excepté en Pensylvanie, le Corps législatif est composé de deux Chambres. Les accusations nationales y sont intentées dans l’une et poursuivies dans l’autre. C’est devant le conseil exécutif que les accusés de ce genre sont traduits en Pensylvanie. L’effet de ces poursuites se réduit d’ailleurs à prononcer de simples incapacités politiques pour occuper des emplois publics (1); et ces exclusions civiles sont les peines les plus fortes que l’on puisse infliger pour cette espèce d’accusation. Ces exemples doivent nous rendre d’autant plus circonspects, que notre Corps législatif n’étant composé que d’une seule Chambre, et voulant provoquer des condamnations capitales, nous avons un plus grand intérêt à donner à notre haute cour nationale les formes les plus convenables aux principes de la liberté. Il me suffit, dans ce moment, Messieurs, d’a-veriir ainsi votre sagesse, afin qu’elle examine avec impartialité, si les représentants de la nation doivent exercer le droit de se rendre accusateurs auprès de la haute cour nationale. Mais quelle que soit votre décision, je demande spécialement que le Corps législatif soit soumis à des dommages et intérêts envers tout citoyen qu’il accusera injustement, lorsque le prévenu sera déchargé d’accusation par le tribunal suprême. Cette ré-, paration de justice, gu’une législation raisonnable ne saurait refuser à aucun accusé, devient bien plus sacrée encore, lorsque ce sont les représentants du peuple lui-même qui ont accablé l’innocence de tout le poids d’une accusation nationale. Voici, Messieurs, une autre réclamation encore plus importante. Je demande que le roi ait aussi le droit d’accuser, par le ministère du procureur général de la couronne. Vous ne pouvez pas lui contester, outre la voie de l'appel à son peuple, (1) Voici la disposition textuelle de la Constitution des Etats-Unis de l’Amérique. « Le Sénat seul aura le pouvoir de « juger tous les cas d’empêchement. Quand « les sénateurs siégeront à ce sujet, ils prêteront ser-« ment ou affirmation. Dans le cas où l’on procédera « contre le président des Etats-Unis, le chef haut-justi-« cier présidera. Nul ne sera déclaré atteint et con-« vaincu sans le concours des deux tiers des membres « présents. Les jugements en cas d’ empêchement ne s’é-« tendront pas plus loin qu’à la destitution de l’office « possédé, et aune sentence qui déclarera incapable d’oc-«. cuper et de remplir aucun emploi d’honneur, de conte fiance et de profit sous les Etats-Unis. Mais la partie oc atteinte et convaincue n’en sera pas moins soumise « et sujette à la plainte, au jugement, à la condamnait tion et à la peine, suivant la procédure et les lois « ordinaires. » Section troisième , article premier. Ensuite, dans la section seconde de l'article troisième, j’aperçois une autre disposition constitutionnelle pour proscrire le jury des procédures instruites en présence du Sénat qui forme la Chambre haute, ou la première Chambre du Corps législatif. Il y est décrété formellement que le procès de tous les criminels, excepté dans le cas d’empêchement, se fera par jurys et que ce procès sera suivi dans l’état où lesdits délits auront été commis. Il est donc constant, que l’organisation de notre haute cour nationale, telle qu’elle nous est proposée par le comité de Constitution, ne ressemble en rien à aucun tribunal connu ; et que l’on invite notre Corps législatif à se réserver des droits inouïs dans l’histoire des nations policées, dans le code même des . Républiques les plus libres. [Assemblée nationale .] ARCHIVES PAkLEMEISÎ’AWËül. [25 octobre 1790 .'j par la dissolution du Corps législatif, l’expédient plus commun de dénoncer à la loi les violations de sa prérogative, qui est une partie intégrante de la Constitution. Quel rempart pourrait défendre le trône contre les entreprises du Corps législatif, si le monarque n’avait pas la ressource légale d’accuser les usurpateurs de son autorité? Le roi doit jouir également de cette faculté contre tous les perturbateurs de l’ordre public. Si vous lui ôtez le droit d’accuser, vous le réduisez à l’impossibilité de faire exécuter les lois, s’il ne pouvait pas même requérir le jugement des coupables? Vous avez déjà décrété contre le vœu de la raison, que le roi ne nommerait point les juges; et vous n’oserez peut-être pas déclarer ouvertement que vous lui interdisez jusqu’à la faculté de demander justice aux magistrats élus par le peuple. Que l’on me dise, quel est l’inconvénient qui peut résulter de cette prérogative royale? Que peut-on craindre des suites d’une telle accusation, quand raccusation n'élit point les juges, et ne doit jamais prononcer le jugement? Vous reviendrez, Messieurs, je vous le prédis, de l’erreur capitale dans laquelle vous êtes tombés, lorsque vous avez décidé que les procureurs du roi n’exerceraient point dans les tribunaux ordinaires les fonctions d’accusateurs publics. J\e vous préparez donc pas une rétractation de plus, en consacrant le même principe dans l’organisation de la plus haute cour nationale. Vous avez fait du roi de France, que vous appelez encore, je ne sais pourquoi, le roi des Français, un roi in partibus. Il est un grand pensionnaire du royaume; mais il n’est plus le magistrat suprême de l'Etat; et je vous annonce qu’en affaiblissant ainsi continuellement son autorité par vos conquêtes constitutionnelles, vous avez préparé vous-mêmes la chute de votre Constitution. Ce n’est point la réunion, c’est l’équilibre des pouvoirs qui doit la conserver ; et il ne peut plus y avoir d’équilibre, quand il ne reste plus aucun contrepoids à cette puissance colossale que vous avez usurpée. Vous avez oublié que vous étiez les mandataires responsables du peuple français. Vous avez agi comme les plénipotentiaires de toutes les extravagances du jour, que vous appelez fièrement l’opinion publique. Vous vou3 êtes érigés sans mission, en corps constituant; et vous n avez pas compris que si vous étiez réellement un corps constituant, vous auriez sans doute le droit de régler tous les articles constitutionnels ; mais que bien loin d’être autorisés, dans cette hypothèse, à vous approprier tous les pouvoirs, comme vous l’avez l’ait, vous ne pourriez plus en exercer aucun, pas môme le pouvoir exécutif. Votre mission se bornerait à rédiger une Constitution sourhise à la révision du peuple, et à laisser ensuite l’exercice de tous les pouvoirs politiques, à tous ceux que l’autorité constituante en aurait investis. « Art. 5. La haute coür nationale ne se formera que quand le Corps législatif aura porté un décret d’accusation. » Le Corps législatif ne doit être assemblé que pendant quatre mois chaque année. Il résulterait par conséquent de la disposition de cet article, que durant huit mois entiers les criminels de lese-uation ne pourraient pas même être dénoncés â là haute cour nationale. L’impunité la plus absolue serait donc, pendant les deux tiers de l’année, l’effet nécessaire de cette jalousie de pouvoirs, qui réserverait au Corps législatif le privilège exclusif de décréter l’accusation avant de convoquer le tribunal? Cette première absurdité vous paraîtra grave sans doute, lorsque le Corps législatif sera dispersé; mais elle sera bien plus frappante encore durant les sessions mêmes du Corps législatif. 11 y aura nécessairement eu effet un intervalle d’un mois entre le décret d’accusation et la formation de la cour nationale, puisqu’il faudra que les hauts jurés soient avertis, et qu’ils aient le temps d’arriver des extrémités du royaume. Vous ne pourrez pas faire arrêter le prévenu ; car vous ne serez pas ses juges, et vous avez décrété, dans votre déclaration des droits de l’homme, que nul ne pouvait être privé de sa liberté, qu’en vertu d’un jugement légal. Dès qu’un citoyen sera accusé par vous d'un crime de lèse-nation, il contestera donG paisiblement avec ses amis, quel sera le parti qu’il lui conviendra de prendre ; et s’il préfère l’évasion aux hasards d’une procédure criminelle, après trois semaines d’intrigues et de réflexions, il pourra laisser là votre menaçant patriotisme, et sortir du royaume à très petites journées. « Art. 6. Elle se réunira à une distance de quinze lieues au moins du lieu ou la législature tiendra ses séances. Le Corps législatif indiquera la ville où la haute cour nationale s’assemblera. » En éloignant la haute cour nationale du Corps législatif, à quinze lieues de distance, vous voulez empêcher sans doute l’ascendant de votre voisinage, et surtout prévenir l’influence de l’opmkm populaire qui pourrait commander aux juges des décisions dont l’indépendance la plus absolue doit être toujours le premier et le plus sacré caractère? Eh bien! Messieurs, pourquoi vous réserveriez-vous donc le choix de la ville où la haute cour nationale tiendra ses séances? Cette indication ne serait-elle pas suspecte dans la bouche d’un accusateur? La disposition des esprits sera-t-elle la même dans tous les lieux? Sera-t-elle indifférente au sort de l’accusé? Tout doit être en sa faveur, dans son jugement, excepté les témoins et la loi. C’est donc pour lui que je réclame, au nom de l’humanité, le droit de choisir à vingt lieues de distance du Corps législatif, la ville où il voudra être jugé. Des législateurs ne peuvent rien se réserver dans l’ordre judiciaire, et celui qui, après avoir décrété les lois, ne s’arrête pas religieusement pour laisser agir le magistrat chargé de leur exécution, ne doit plus être appelé qu’un tyran dans toutes les langues qui conservent encore la mâle énergie de la liberté. « Art. 7. Le décret du Corps législatif portant accusation n’aura pas besoin d’être sanctionné par le roi. » Je conviens que la responsabilité des ministres deviendrait illusoire, si le décret d’accusation porté contre eux avait besoin de la sanction du roi. J’adopterai donc l’article relativement aux ministres ; mais lorsqu’il s’agira de tout autre accusé, je regarde cette sanction Bacrée comme le seul boulevard du trône, comme le seul rempart de la nation contre les vexations du Corps législatif. C'est mettre le roi hors de la Constitution que de le rendre étranger aux accusations de haute trahison. Je n’ose pas arrêter ici ma pensée sur l’abus énorme, que pourraient faire les représentants de la nation, du droit d’accuser et üe faire juger les ennemis réels ou prétendus de l’Etat, sans l'intervention du roi, et je ne saurais deviner ce qu’un pareil concours peut jamais avoir de funeste pour le peuple. C’est calomnier le trône, c’est tromper la nation, que de lui désigner insidieusement dans la Constitution elle- ÎAssemUée nationale.) ARGlÜVÈS PÀÜLËMENTÀiRÈS. [25 oetobre 1790.) $[ même, qui ne doit être qu’un grand pacte d’union, le chef suprême de l’Etat comme son premier ennemi. « Art. 8. Avant de porter le décret d’accusation, ie Corps législatif pourra appeler et entendre à sa barre les témoins qui lui seront indiqués; il ne sera point tenu d’écritures des dires des témoins. » Quoi! Messieurs, vous vous transformez en grands jurés, c’est-à-dire en accusateurs publics, et vous voulez entendre les témoins qui appuient vos accusations ! Depuis quand, en matière de législation criminelle, a-t-on imaginé une coalition si révoltante ? L’accord des accusateurs et des témoins ne s’appelle pas une poursuite légale; elle s’appelle un complot ; elle anéantit toute l’autorité des témoignages juridiques ; et s’il existait un tribunal auquel on pût dénoncer une tellè conjuration, l’innocence y trouverait un asile, et les coupables eux-mêmes n’y invoqueraient pas inutilement des vengeurs ! Ne nous proposez donc plus, dans vos lois, ces collusions criminelles, et après avoir accusé, souvenez-vous que si vous correspondez, à la barre de votre assemblée, avec les témoins qui confirmeront vos dénonciations, la voix publique de l’Europe n’appellera plus alors ces prétendus témoins que vos complices. C’est l’accusé seul que vous devez interroger à la barre. C’est là que vous pouvez entendre les témoins qu’il veut produire lui-même, pour vous épargner les frais d’une procédure très dispendieuse, et peut-être la poursuite d’un innocent gui parviendrait à vous désabuser. Tout autre interrogatoire, subi devant vous, rendrait les témoins récusables. Quel danger n’y aurait-il pas d’ailleurs à entendre, en présence de la nation assemblée, des témoins auxquels la loi accorde aujourd’hui la faculté de varier jusqu’au récol-lement, et qui n’oseraient plus ensuite se rétracter s’ils avaient affirmé des faits faux devant le Corps législatif 1 « Art. 9. Lorsque le Corps législatif aura décrété qu’il se rend accusateur, il fera rédiger l’acte d’accusation de la manière la plus précise et la plus claire, et il nommera deux de ses membres pour, sous le titre de grands procurateurs de la nation, faire auprès de la haute cour nationale la poursuite de l’accusation. » Ces mots acte d’accusation ne me paraissent ni clairs , ni précis. G’est le titre d’accusation que le Corps législatif doit faire rédiger, mais l’acte d’accusation comprend le corps des preuves d’instruction. Que signifient, d’ailleurs, ces deux membres, z tce n’est certainement pas à vous de les recueillir, parce que vous n’êtes pas des juges grands procurateurs de la nation ? Pourquoi deux procurateurs? Si c’est le ministère public que vous leur confiez, ce ministère n’est-il pas essentiellement un? Ce ministère ne sera-t-il pas peut-être délégué par vous-mêmes dans la suite aux commissaires du roi? Qu’ est-ce que la poursuite de l’accusation? Sont-ce des solliciteurs nationaux dans un procès criminel, que vous prétendez instituer? Pourquoi les tirer du Corps législatif? Est-ce pour rendre leur mission plus imposante auprès des juges, tandis que vous avez cru devoir éloigner de vous, à quinze lieues de distance, cette haute cour nationale ? Qu’a-t-elle besoin de vos agents et de votre impérieuse influence pour remplir ses fonctions? Vous le voyez, Messieurs, je n’ai pas même besoin ici d’alléguer des raisons pour combattre cet article. Il me suffit d’interroger rapidement votre comité de Constitution, et mes seules questions se réfutent, sans doute, assez victorieusement dans vos esprits. « Art. 12. Les accusés auront huit jours pour déclarer leurs récusations. » Le droit de récusation est l’un des privilèges les plus précieux en matière criminelle. Vous ne donnez que huit jours pour l’exercer: mais, au bout de huit jours, la haute cour nationale ne sera pas assemblée ; et là récusation est infiniment moins avantageuse à l’accusé, lorsque les jurés lui sont encore inconnus. Vous ne nous dites pas si les récusations devront être motivées. Vous ne nous dites pas combien de hauts jurés l’accusé pourra récuser. Vous ne nous dites pas qui jugera les récusations. Vous né nous dites pas si les accusés conserveront cette belle prérogative de la législation anglaise, qui consiste, suivant l’expression d e Blackstone, à récuser, dans la totalité du jury, les jurés à vue, à, ne vouloir pas être jugés par un juré dont la physionomie leur inspire de la terreur. Si vous convoquez votre haut jury tout entier, vous appellerez donc quatre-vingt-trois jurés que vous réduirez à vingt-quatre, ou même à vingt, il en résultera que vous renverrez soixante de ces hauts jurés dans leurs provinces, dès qu’ils se seront rassemblés pour remplir leur ministère. N’êtes-vous pas frappés, Messieurs, des dépenses, des fatigues, des embarras, et, si j’osé le dire, du ridicule de tous ces jurés ambulants qui accourront des extrémités du royaume, pour savoir s’ils seront admis à juger, et qui, après avoir ainsi exercé leur magistrature patriotique sur les grands chemins, seront obligés de retourner aussitôt chez eux pour se reposer d’un long voyage inutile? On ne peut pas leur épargner ces indécentes corvées ; car il faut que l’accusé les voies, pour les récuser, après avoir interrogé leur réputation ; après s’être informé de leur caractère moral, de leurs principes politiques; et après avoir, pour ainsi dire, étudié dans leurs regards la confiance ou la méfiance qu’ils doivent lui inspirer, « Art. 15. La forme de procéder qui sera établie pour les jürés ordinaires sera suivie pour le haut jury. » \ous n’avez pas encore établi la forme de procéder pour les jurés ordinaires; vous ne pouvez donc pas en faire provisoirement la base des règles judiciaires qui seront suivies dans la haute cour nationale. Organisez d’abord vos petits jurys, afin que nous connaissions d’avance la marche des jugements qui seront rendus par le tribunal suprême. Qui vous presse d’instituer seulement de nom cette haute cour nationale, avant d’avoir décrété ni les lois qu’elle doit suivre, ni la méthode de procédure qu’elle sera tenue d’adopter? Il me semble que la raison veut que l’on publie les lois, avant de créer les juges; et que l’élément habituel de la législation soit fixé, avant que son élément extraordinaire soit résolu. J’ai d’ailleurs les plus puissantes raisons de me méfier de l’organisation de vos petits jurys; je ne l’adopterai jamais de confiance; et j’invite le comité de Constitution à nous proposer sans délai ce nouveau mode judiciaire. Procédons avec ordre si nous ne voulons pas revenir sur nos pas. Ne nous exposons point à faire beaucoup de mouvement sans aucun progrès; et écartons de nos délibérations tous ces décrets hypothétiques qui ne nous apprennent rien. Quand on demande une cour nationale, c’est un tribunal actif que l’on sollicite, et non pas la vaine apparence d’iin tribunal suprême dont notre comité de Constitution 32 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 octobre 1790.J ne nous présente que le fantôme, en nous invitant à délibérer sur le projet d’un projet. Ce n’est pas sans de très fortes raisons que je demande, avant tout, de connaître cette organisation du jury, annoncé aux peuples par nos décrets comme un bienfait vraiment national. Outre les erreurs graves que je viens de relever en ce genre, dans le plan que j’examine, plusieurs autres décisions de l’Assemblée nationale m’ont déjà convaincu, souvent, que cette partie de la législation anglaise n’était nullement familière à nos comités. Par exemple, nous avons décrété que le jugement par jurés serait introduit dans les tribunaux militaires, auxquels il ne saurait jamais s’allier. Nous l’avons même admis dans notre marine; comme si un jury pouvait se former sur un vaisseau en pleine mer, à l’instant d’un délit dont le châtiment doit toujours être prompt. Il faut avouer que de pareils décrets doivent étrangement embarrasser les admirateurs ordinaires de nos procès-verbaux, qui ont fait tant de serments de fidélité à notre gloire, dans leurs adresses d’adhésion. J’avoue toutefois, Messieurs, que le jury des Anglais eux-mêmes D’est pas exempt d’abus. Je connais plusieurs formes vicieuses qui le dégradent, et je les soumettrai à votre censure, lorsque vous discuterez cet article important de la législation criminelle; mais il n’en est pas moins vrai qu’en général le code de l’Angleterre doit être notre règle dans cette partie, en y amalgamant les sages modifications des Américains. Or, j’entrevois déjà, dans nos discussions, une mulii-tude de questions épineuses, qu’il est d’autant plus essentiel de résoudre d’abord, que ces décisions préliminaires influeront, plus qu’on ne pense, sur l’organisation de la haute cour nationale. Ainsi, Messieurs, pour vous en indiquer des exemples, quel sera le serment que vous exigerez des jurés ? quelles seront les qualités requises pour être appelé aux fonctions de juré? par qui les jurés seront-ils choisis? le jury sera-t-il formé par les élections du peuple, ou par la voie du sort, à chaque procédure criminelle? l’unanimité des avis des jurés sera-t-elle nécessaire, ou la simple pluralité suffira-t-elle pour fixer le rapport qu’on appelle verdict? Quelle sera cette pluralité? Accorderez-vous aux étrangers un Jury composé en totalité, ou en partie d’étrangers? Admettrez-vous enfin, après avoir aboli la confiscation qui suivait la peine de mort, le jugement par contumace, dans toute la rigueur des lois anglaises ? Voilà les premières difficultés qui vont environner votre délibération sur les jurés. Non seulement elles ne sont pas encore éclaircies; mais je vois que votre comité s’élançant vers le terme de nos travaux, sans avoir mesuré, assuré et aplani notre route, s’écarte, dès ses premiers pas, de l’esprit et des principes du jury anglais, et qu’il les méconnaît sans scrupule dans tous les articles du plan irréfléchi qu’il nous propose. En voici la dernière disposition : « Art. 16. Le commissaire du roi auprès du tribunal du district, dans le territoire duquel la haute cour nationale s’assemblera, fera auprès d’elle les fonctions de commissaire du roi; elles seront les mêmes respectivement à l’instruction et au jugement, que celles qu’il exercera auprès du tribunal criminel ordinaire. » Toujours des lois contingentes ! Vous n’avez pas encore déterminé quelles seront les fonctions des commissaires du roi auprès des tribunaux de district. Je vous annonce même que vous serez étrangement embarrassés pour leur assigner une activité réelle, si vous vous obstinez à les dépouiller de l’accusation publique. Mais quels que soient vos projets que j’ignore, je ne saurais déléguer à ces commissaires, auprès de la haute cour nationale, une mesure de pouvoir que je ne connais point. Que gagne-t-on à nous environner ainsi de ténèbres? Cet état d’incertitude qui tient tous nos décrets en suspens, annonce, de la part du comité de Constitution, un étrange embarras, ou une bien étonnante légèreté. L’édifice, dont nous lui avons demandé le plan, commence pour ainsi dire par le faîte, et ne nous offre de toute part que des pierres d’attente. Ce comité nous propose aujourd’hui de révoquer l’attribution que nous avons accordée au Châtelet pour juger tous les crimes de lèse-nation, sans rien mettre provisoirement à sa place, sans s’inquiéter du sort des infortunés qui sont détenus dans les prisons comme prévenus de ce délit capital. Ce même comité de Constitution, qui, pour paraître actif, met toujours les législateurs de la France au présent, et les lois au futur, joint à cette étrange proposition un projet d'organisation de la haute cour nationale, sans nous présenter ni l’énumération des crimes qu’elle doit poursuivre, ni le tableau des peines qu’elle pourra infliger, ni la marche judiciaire à laquelle ses jugements seront soumis; en sorte, Messieurs, que, dans la même séance, ce comité de l’avenir vous invite à laisser d’un côté les accusés sans juges, et de l’autre le tribunal suprême de la nation sans lois. Ses destructions réelles mènent à l’anarchie, et ses prétendues créations au retour du chaos. Je conclus donc à ce que l’organisation de la haute cour nationale soit ajournée jusqu’à ce que le comité de Constitution nous ait présenté : 1° Un projet de loi qui définisse clairement les crimes de lèse-nation, pour ne rien laisser d’arbitraire dans une accusation si importante, et qui énonce irrévocablement les peines que nous prononcerons contre les coupables ; 2° Un projet d’organisation pour les jurys ordinaires, avec le mode d’instituer, ou de suppléer les grands jurys. Et subsidiairement j’invite le comité de Constitution à vouloir bien prendre en considération les raisons que j’ai eu l’honneur de vous exposer, afin qu’il puisse écarter de son nouveau travail les erreurs et les inconvénients que je viens de relever dans son projet inadmissible. M. Franeois-Paul-Hlicolas Anthoine, député de la Moselle (1). Messieurs, lorsque les juges s’écartent, dans leurs jugements, de la disposition formelle de la loi, l’arbitraire s’introduit à la place de la volonté générale ; la liberté civile est attaquée. Lorsqu’un ou plusieurs particuliers conspirent contre la sûreté de l’Etat, soit en essayant de renverser la Constitution, soit en mettant en danger les agents inviolables de la nation, soit en introduisant dans l’Empire des ennemis étrangers, c’est la liberté politique qui est compromise. Ainsi, la Cour de cassation, destinée à conserver •l’unité de l’exécution de la loi, garantit la liberté civile; et le tribunal, qui juge les crimes d’Etat, conserve la liberté politique. (1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. Anthoine, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 octobre I790.J Ces deux institutions sont donc, d'une nécessité absolue pour assurer la stabilité de la Constitution. Mais, par une fatalité qui tient à la nature même des choses, plus un ressort e>t puissant en politique, plus aussi il est dangereux, plus il convient d’en modérer et d’en diriger l’action avec le scrupule des précautions les mieux combinées. Dans l’organisation du pouvoir judiciaire, nous avons paré aux abus de la puissance, en évitant les juridictions trop étendues et les corps trop nombreux, en écartant des nominations l’influence ministérielle, en épurant les choix, en contenant les fonctionnaires par un renouvellement périodique. Combien, à plus forte raison, ces sages mesures ne deviennent-elles pas nécessaires, lorsqu’il s’agit de former des tribunaux redoutables dont l’influence doit se faire ressentir à la fois dans toutes les parties de la France; dont la juridiction n’aura de limites que celles de l’Empire; le pouvoir, d’autres bornes que la loi et la conscience des hommes qui en occuperont les places? Le tribunal destiné à connaître des crimes d’Etat ou de lèse-nation, est le premier à l’ordre du jour : il semblerait que je dusse m’en occuper avant de passer au projet d’établissement du tribunal de cassation ; mais comme dans mon plan ce dernier tribunal devient partie intégrante du jugement des crimes d’Etat, je parlerai d’abord du tribunal de cassation. Du tribunal de cassation. Il est déjà un point arrêté par l’Assemblée nationale, c’est que la cour de cassation sera unique et séante auprès de la législature. Nous avons donc à examiner : 1° Quelles doivent être ses fonctions ; 2° Gomment et par qui ses membres doivent être nommés ; 3° En quel nombre doivent être les membres de cette cour, et combien de temps iis doivent rester en place. Je diffère peu de l’avis du comité de Constitution sur les fonctions qu’il convient d’attribuer à la cour de cassation. Ges fonctions étant dans la nature même de l’institution de ce tribunal, elles ne doivent me conduire à aucune discussion, et on les trouvera renfermées dans les articles que j’ai rédigés à la suite de ce discours. Je combattrai seulement, à cet égard, un des points du projet du comité : il attribue à la cour de cassation le droit de ramener, par des avertissements ou par des réprimandes, ceux des juges et des officiers du ministère public qui manqueraient à leur devoir. Cette disposition me paraît infiniment éloignée du véritable point de vue sous lequel on doit considérer les fonctions de juge. Un juge s’écarte de son devoir lorsqu’il contrevient formellement et sciemment à une loi constitutionnelle ; alors il est coupable de forfaiture : c’est à l’accusateur public à le poursuivre, et aux tribunaux à le juger. Un juge s’écarte de son devoir lorsqu’il rend un jugement tellement contraire à la loi, qu’il en naisse évidemment une action contre lui; c’est le cas de la prise à partie, et les tribunaux en décident encore. Un juge s’écarte de son devoir en négligeant, par ignorance ou par inattention, quelques-unes des formes prescrites par la loi ; alors la cour de lre Série. T. XX. 33 révision casse le jugement et peut enjoindre au juge d’être plus attentif à l’avenir. Un juge, enfin, s’écarte de son devoir lorsque ses mœurs et sa conduite contrastent avec la dignité de son caractère; mais nul corps, nul individu ne peut recevoir le droit légal de l’en blâmer : sa punition sera le mépris de ses concitoyens, et son exclusion au renouvellement du tribunal. Il est donc vrai que dans aucun cas la Cour de cassation ne doit avoir cette police de bureau et d’administration, tolérable sous l’ancien régime, où les ministres pouvaient contenir ou avilir même les ouvrages de leurs mains; odieuse sous l’empire de la liberté, où un fonctionnaire n’est comptable qu’à la loi et à son propre cœur. Mais cptte disposition, vicieuse en elle-même, est bien plus dangereuse encore dans le projet du comité de Constitution ; il fait ainsi mouvoir tout le système judiciaire par des fils attachés à chaque juge, et se réunissant en un faisceau qui vient aboutir dans la main du garde des sceaux, que le comité élève à la présidence du tribunal de cassation. Ainsi donc un ministre, assis parmi des hommes au choix desquels il aurait puissamment concouru, disons-le, parmi ses créatures, pourrait faire mouvoir à son gré tous les tribunaux de France, par les ressorts puissants de la terreur et de la séduction. C'est à une Cour de ca-sation, essentiellement dévouéeau ministère, présidée par le ministre, que vous confierez l’effrayante faculté de juger en dernier ressort de l’état et de la fortune de tous les Français. Je dis juger en dernier ressort, car ce tribunal devant être nécessairement maître d’admettre les requêtes en cassation, il pourra les admettre toutes, même sans moyens, de nullité : il pourra donc attirer à lui la juridiction suprême de tous les tribunauxdu royaume. Le compte annuel que le comité lui fait rendre à la législature, ne vous rassurera pas; la législature n’aura pas le temps de juger des procès. Vous êtes étonnés, Messieurs, qu’on ose vous proposer de livrer ainsi à un agent du pouvoir exécutif, la direction de tout l’ordre judiciaire, et vous allez me suivre avec intérêt dans la recherche des moyens les plus propres à organiser la cour de cassation, de manière à lui faire produire tout l’effet qu’on doit en attendre, sans mettre la liberté en péril. L’Assemblée nationale a déjà décrété que les juges seraient élus par le peuple, ou par des hommes délégués par lui; en sorte que, s’il est démontré que les membres de la Cour de cassation sont de véritables juges, il s’ensuit nécessairement que l’Assemblée a attribué d’avance au peuple, ou à ses électeurs, la nomination aux places de ce tribunal. Or, il est clair que les membres de la cour de cassation sont de véritables juges; car on ne peut opérer sur la loi que de trois manières : en la faisant, ce qui est la fonction du Corps législatif; en en ordonnant et en en procurant l’exécution par l’intervention de la force publique, ce qui est la fonction du pouvoir exécutif ; ou enfin en en faisant l’application, ce qui en constitue les fonctions des juges. Ce n’est pas des deux premières manières que la cour de cassation opère sur la loi, c’est donc de la troisième : ils appliquent donc la loi (1). (1) Le comité de Constitution appelle juges les membres de la cour de cassation. 3 34 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Et en effet, lorsque l’on casse un jugement à raison des défauts de forme qui s’y trouvent, on y substitue nécessairement un autre jugement conforme à la loi. On juge donc à la fois que la loi n’a pas été bien appliquée, et l’on tâche de l’appliquer mieux : on opère donc une application de la loi : on est donc bien réellement juge : on doit donc, dans les termes précis de la Constitution, être élu par le peuple. D’après ce raisonnement inattaquable, je puis me dispenser d’appuyer sur les considérations importantes qui doivent empêcher les législateurs d’attribuer au roi la nomination des membres de la cour de révision, ou le choix entre trois sujets pour chaque place, comme l’a proposé le comité de Constitution. L’Assemblée nationale a connu les inconvénients graves qui auraient résulté de mettre dans la main du ministère le choix des juges ordinaires, elle ne voudra pas mettre moins de circonspection dans la composition d’un tribunal bien autrement imposant et dangereux. Le choix entre trois sujets attribué au roi par le comité de Constitution, entraîne une partie des inconvénients que présente le choix pur et simple, et il a de plus l’immoralité, il ouvre la source à des calomnies, à des haines. La nomination qui vient d’être faite des commissaires du roi est infiniment peu propre à nous rassurer sur le succès des nominations ministérielles (1). En vain voudrait-on nous rassurer par la chute prochaine des agents actuels du pouvoir exécutif, et par un choix de ministres moins indignes delà confiance de la nation. Qui d’entre vous osera me garantir un avenir incertain? qui d’entre vous osera proposer de faire lléchir des vérités éternelles devant l’instabilité des circonstances ? Les membres de la cour de cassation doivent donc être élus par les électeurs de chaque département. Je propose trente-trois membres; ils ne seront pas trop nombreux pour juger à la fois les requêtes en cassation arriérées, celles qui se présenteront à chaque instant, et les procédures intentées contre les accusés de crime d’Etat. Les électeurs de chaque déparfement nommeront un sujet destiné à composer soit la cour de cassation, soit le petit jury pour le jugement des crimes de lèse-nation, ce qui fera en tout quaire-vingt-trois élus, dont les noms seront envoyés sur-le-champ à la législature. La législature tirera par la voie du sort trente-trois noms sur les quatre-vingt-trois ; et ces trente-trois personnes, composant la cour de cassation, se rendront sur-le-champ à leurs fonctions ; les cinquante autres resteront dans leurs départements, et continueront de remplir les fonctions dont elles seront revêtues, ou de vaquer à leurs occupations personnelles jusqu’à ce qu’elles soient appelées pour procéder au jugement d’u i crime d’Etat ou de lèse-nation. Les trente-trois membres que le sort aura désignés pour composer la cour de cassation, s’étant rendus au lieu de leurs séances, éliront entre eux un président. Je n’abuserai plus des moments (1) M. le garde des sceaux vient de nommer commissaire du roi le procureur de la commune de Montauban, véhémentement soupçonné d’avoir été l’auteur de la guerre civile, et pour ce mandé à la barre et ensuite suspendu de ses fonctions par décret du 26 juillet dernier, envoyé à Montauban par M. le garde des sceaux lui-même. Ainsi ce ministre a violé à la fois le respect dû à la nation, à la loi et au roi. [25 octobre 1790.] de l’Assemblée pour établir contre le comité de Constitution que le garde des sceaux ne doit pas être président né de cette cour; il est impossible que vous vouliez adopter une institution dé testable, que le despotisme lui-même n’aurait pas osé proposer à des esclaves. Reste à examiner si le membres de la cour de cassation doivent être à vie, s’ils doivent subir le renouvellement de six ans fixé pour les autres juges, ou s’il convient de les soumettre à la période de deux ans prescrite aux législateurs. S’il est vrai, en principe, que les membres de la cour de cassation sont de véritables juges ; si les plus puissantes considérations, puisées dans la connaissance du cœur humain et dans l’intérêt sacré du peuple, nous ont déterminés à faire élire ces fonctionnaires par le peuple, nous sommes forcés, pour être conséquents, de conclure aussi que leurs fonctions doivent être temporaires; cet argument à majori, tiré de ce que nous avons décrété pour les juges de districts, me paraît être sans réplique fondée. Des juges à vie dominant la vaste étendue de l’Empire; des juges à vie assis près de la législature, auraient sur elle l’inappréciable avantage du temps et de l’habitude; leur puissance s’alimenterait et s’accroîtrait perpétuellement de leur puissance même; l’intluence du ministère et de l’opulente liste civile parviendrait tôt ou tarda les attaquer, à les vaincre; voire prudence ne se permettra pas de se faire des monstres pour les combattre. Les juges de cassation seront donc temporaires, et plus la durée de leur mission sera courte, moins ils seront dangereux. Il me paraît très important de ne les instituer que pour deux ans, comme les membres des législatures. L’intérêt public, la facilité de trouver des sujets et les vues d’économie se réunissent pour appuyer cet article. L’intérêt public , parce que l’on est plus difficilement séduit, corrompu, intimidé dans le cours de deux ans, que pendant six années. La facilité de trouver des sujets, parce que l’on abandonne plus volontiers ses foyers et ses affaires particulières pour un terme de deux ans que pour un espace plus long. Les vues d’économie, parce que les appointements de dix-huit francs par jour, fixés aux membres des législatures, seront au moins suffisants pour indemniser les membres de la cour de cassation; en sorte qu’en supposant celte cour assemblée toute l’année, le traitement de chacun de ses membres ne coûtera à l’Etat que 6,500 livres : tandis que s’ils étaient institués pour six ans, il faudrait, à raison d’un établissement pour ainsi dire fixe, leur attribuer des appointements beaucoup plus considérables ; et que dans mon système vous avez encore au profit de l’Etat cette chance, que par le manque d’affaires la cour de cassation pourra, surtout par la suite, n’être assemblée que cinq ou six mois année courante. Une seule objection m’a été faite à cet égard ; c’est la crainte prétendue de manquer de sujets éclairés, si l’on ne les laisse en place que l’espace de deux ans. Elle est trop facile à détruire, cette objection. On ne pense pas qu’il soit besoin de plus de lumières pour appliquer la loi, pour juger si elle a été bien ou mal appliquée, que pour faire cette loi ; opération qui suppose le génie le plus vaste, les connaissances les plus étendues ; et cependant vous avez sagement décrété que les législatures seraient renouvelées en entier tous les deux ans. Vous avez bien prévu que cette disposition ne diminuerait pas la concurrence aux placesdes lé- 35 [Assemblée nationale.] gislatures. Il n’est pas plus à craindre qu'elle écarte les aspirants au tribunal de cassation ; il est même très vraisemblable que ces dernières fonctions, plus paisibles, seront préférées par bien des hommes à celles de législateurs. La cour de cassation ainsi organisée, je passe à ce qui doit, dans mon système, tenir lieu du tribunal de lèse-nation. Rien ne sera plus simple que cette institution. Du jugement des crimes de lèse-nation. Il existe en ce moment, et il existera encore pendant quelque temps, des complots perfides et dangereux contre la Constitution. Les hommes pour qui la destruction des abus a été un sujet de larmes, conserveront une tendance extrême à les rétablir, tant que l’exécution généreuse et paisible de lois constitutionnelles, tant que la vente intégrale des biens nationaux, tant que la libre perception des impôts n’auront pas achevé d’anéantir le frêle édifice de leurs espérances. Mais lorsque Ja machine sera montée, lorsque les rouages du système politique tourneront librement et sans confusion sur leurs pivots, les conspirations ne seront plus que des chimères, et les crimes d’Elat que des actes de folie. Rarement l’appareil formidable de la justice nationale aura besoin d’être déployé contre les coupables. Ainsi le tribunal destiné à juger les crimes de lèse-nation ne doit point être toujours assemblé, mais aussi il doit être toujours prêt à se réunir lorsque les circonstances l’exigeront. Le pouvoir de juger en dernier ressort les crimes d’Etat est le plus terrible des pouvoirs. lin corps unique, stable et permanent, chargé de cette redoutable fonction, serait la plus dangereuse de loutes les institutions. Si c’était la législature, elle serait un sénat, et rien ne pourrait résister à ses volontés; si ce n’était pas la législature, ce tribunal serait plus puissant qu’elle, et il pourrait l’anéantir. Il faut donc qu’il puisse être procédé au jugement des crimes d’Etat, sans que le tribunal devienne dangereux pour la liberté, et aussi sans que les coupa-bies échappent au supplice, et les innocents à l’absolution. Ce moyen m’a paru d’une extrême facilité. Pour juger en matière criminelle, cinq opérations sont nécessaires : l’accusation, l’instruction, le jugement du grand jury, qui prononce s’il y a lieu ou non à l’accusation ; le petit jury, qui prononce si l’accusé est coupable ouinnocent, et la sentence du juge, qui prononce telle ou telle peine d’après la foi. En mettant ces cinq opérations dans la main de différents agents, il est évidentqu’on évite, autant qu’il est possible, les dangers de la séduciion, de la connivence, de l’ignorance; et de plus, on a l'avantage de ne pas former un tribunal unique, dont j’ai déjà démontré les inconvénients. Et si cette forme n’offre ni plusde retard, ni plus d’incertitude, ni plus de dépenses pour le Trésor public, que ne le ferait un tribunal unique, il sera clair qu’elle est la moins mauvaise possible. Or, celle que je vais proposer a tous ces avantages, sans aucuns inconvénients, et déjà tous les agents dont j’ai besoin existent dans la Constitution. L’accusation et la poursuite seront faites par un comité pris dans le sein de la législature : ce comité sera appelé Comité de poursuites. Il formera son accusation par devant le légis-|25 octobre 1790.] lateur qui prononcera s’il y a lieu ou non à l’accusation; voilà les fonctions de grand jury remplies : on ne voudra pas les contester aux représentants de la nation, chargés de veiller à sa sûreté. L’instruction aura été faite avant que l’accusation soit portée à la législature, par deux commissaires nommés par le tribunal du lieu du délit, à la diligence du comité de poursuites. Gela fait, les cinquante jurés dont nous avons parlé plus haut, résidant dans les départements qui les auront nommés, seroqt convoqués, et se rendront auprès de la législature : ils examineront la procédure et prononceront si l’accusé est coupable ou non. Enfin, le tribunal de cassation n’ayant plus alors qu’à exercer les fondions de grand juge, prononcera que l’accusé, déclaré coupable d’im tel crime, doit subir une telle peine en vertu de la loi. Comme les crimes de lèse-nation deviendront de plus en plus rares, que le grand jury ne recevra de traitements que lorsqu’il sera réuni, on ne doit pas craindre la dépense occasionnée par celte institution si nécessaire d’ailleurs. Lorsqu’il n’y aura aucune procédure à juger, il n’existera aucun tribunal de lèse-nation, aucun fonctionnaire à la charge de l’Etat; lorsqu’il y aura un crime, le rassemblement des agents nécessaires à son jugement s’opérera au premier signe du Corps législatif. Teiestle projet que j’ai conçu; il me paraît d’une exécution prompte, simple et facile; du moins on ne me reprochera pas de ne me tromper jamais qu’à l’avantage de la puissance ministérielle . PROJET DE DÉCRET. Articles communs à la cour de cassation et à la cour nationale. Art. 1er. Huit jours après la publication du présent décret, les électeurs de chaque département se réuniront pour nommer un sujet destiné soit à la cour de cassation, soit au petit jury de la cour nationale. Art. 2. Pour être éligible, il faudra réunir toutes les conditions prescrites pour les membres de la législature; et, de plus, avoir été juge, suppléant ou homme de loi pendant six ans. Art. 3. L’élection se fera au scrutin et à la pluralité absolue des suffrages dans la forme prescrite pour la législature. Il sera nommé à l’élu un suppléant dans la même forme et sous les mêmes conditions d’éligibilité. Art. 4. L’élection faite, le nom du sujet élu sera envoyé à l’Assemblée nationale par le procureur général du département. Art. 5. Aussitôt que les noms des 83 élus et des 83 suppléants seront parvenus à l’Assemblée nationale ou à la législature, il sera procédé par la voie du sort, séance tenante, au choix de 33 sujets qui formeront la cour de cassation, et de 33 suppléants sur la liste des 83 suppléants. Art. 6. Les cinquante autres élus formeront le petit jury de la cour nationale, et les cinquante suppléants restants seront destinés à suppléer ces jurés. Art. 7. Les trente-trois sujets, que le sort aura destinés à former la cour de cassation, se rendront à Paris aussitôt après la notilication de leur élection définitive qui leur sera faite par le ministre de la justice. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 86 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 octobre 1790.] Art. 8. Les cinquante personnes destinées à former le petit jury national resteront dans leurs départements, et pourront continuer à y remplir les fonctions dont elles étaient revêtues, jusqu’à ce qu’elles soient appelés au jugement d’un crime d’Etat. Art. 9. Les membres de la cour de cassation et ceux de la cour nationale seront nommés pour deux ans, et recevront, par chaque jour, la même indemnité qui est attribuée aux membres de la législature, et de même seulement pendant le temps que dureront leurs fonctions. Art. 10. Lorsqu’une place déjugé de cassation ou de juré de la cour nationale viendra à vaquer, le premier suppléant inscrit sur les listes que le sort aura formées, ainsi qu’il a été dit, sera appelé pour la remplir. Cour nationale. Art. 1er. La cour nationale connaîtra seulement des crimes dont le Corps législatif se rendra accusateur. Art. 2. II sera formé dans le sein de la législature un comité de poursuites, composé de douze membres élus au scrutin. Art. 3. Lorsqu’un crime d’Etat sera découvert ou présumé, le comité de poursuites, sans en rendre compte à la législature, fera informer et décréter, s’il y a lieu, par le juge du lieu du délit. Art. 4. L’information faite et rapportée à la législature, elle prononcera s’il y a lieu ou non à l’accusation. Art. 5. S’il y a lieu à l’accusation, le comité de poursuites mandera sans délai les cinquante jurés résidants dans leurs départements, lesquels se rendront dans la ville où la législature tiendra ses séances. Art. 6. L’accusé ou les accusés pourront récuser 25 jurés, sans autre motif que leur volonté. Art. 7. Les jurés ne pourront juger qu’au nombre de 20 au moins. Art. 20. Si le petit jury juge que l’accusé est coupable, le tribunal de cassation en son entier, faisant les fonctions de grand juge, prononcera que l’accusé a encouru telle ou telle peine en vertu de la loi. Cour de cassation. Art. 1er. Les 33 membres de cette cour éliront entre eux leur président, lequel restera en place pendant deux ans-, ils se formeront en trois sections de onze juges chacune. Art. 2. Chaque section élira dans son sein son président particulier. Art. 3. Les fonctions du tribunal de cassation seront de prononcer sur toutes les demandes en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort, de juger les contestations de compétence entre les tribunaux, et les demandes de prise à partie formées contre un tribunal entier, ou contre un commissaire du roi. Art. 4. Toutes les sections exerceront les mêmes fonctions et jugeront séparément les demandes en cassation. Les affaires actuellement pendantes, et celles à venir, seront réparties entre les sections. Art. 5. Elles se réuniront lorsqu’il sera question de juger une prise à partie contre un tribunal, ou contre un juge, ou contre un commissaire du roi. J’adopte ici les articles 7, 8, 9, 10, jusqu’à l’article 20 inclusivement du projet du comité de constitution. Art. 6. Le délai pour se pourvoir en cassation d’un jugement, sera de six mois, du jour de la signification du jugement. Art. 7. Le greffier sera nommé parles membres du tribunal: il ne sera révocable que pour prévarication jugée. Art. 8. L’installation du tribunal de cassation sera faite par une députation de douze membres de la législature, et par deux commissaires du roi, après que tous les membres de ce tribunal auront prêté à la barre de l’Assemblée du Corps législatif le serment de bien et fidèlement remplir leurs fonctions. Art. 9. Le conseil des parties, les maîtres de requêtes, les avocats au conseil sont supprimés. Ils cesseront leurs fonctions le jour de l’installation de la cour de cassation. Art. 10. La place de chancelier de France est supprimée; il y aura un seul ministre de la justice sous le titre de garde des sceaux. Art. 11. Nul ne pourra être élevé à la place de ministre de la justice, s’il n’a exercé la profession de juge ou d’homme de loi pendant douze ans. Plusieurs membres demandent l’impression du discours et du projet de décret de M. Anthoine. L’impression est ordonnée. M. Buzot. J’ai demandé la parole pour faire une observation sur la marche de la discussion. Si elle continue comme elle a commencé, il sera difficile de délibérer. Le désordre delà délibération vient peut-être du peu d’ordre du projet de décret. Il paraîtra indispensable de commencer par organiser le tribunal de cassation; de décider par qui seront choisis les membres qui le composeront, quelle sera la durée de leurs fonctions, s’ils seront réélus en totalité ou en partie ; alors vous verrez s’il est possible d’accoler la haute cour nationale au tribunal de cassation. Ensuite, passant aux jurés, vous examinerez le projet de votre comité sur cet important objet. Je demande donc que vous renvoyiez le plan de haute cour nationale au comité de Constitution. Sans doute, ce comité fera disparaître plusieurs erreurs qui ont été aperçues par plusieurs opinants, et notamment par M. l’abbé Maury. Je propose de plus de décréter que les commissaires de révision, adjoints au comité de Constitution, se réuniront aux membres de ce comité pour nous présenter demain une série de questions. M. JLe Chapelier. On vous propose de vous occuper sur-le-champ du tribunal de cassation. J’observe d’abord que nous n’avons fait que suivre le désir et l’empressement de l’Assemblée. Il nous a paru qu’il n’y avait aucun inconvénient à s’occuper auparavant de la haute cour nationale, puisque vous avez décrété qu’il y aurait un tribunal de cassation ; mais nous ne mettons aucune opposition à ce que l'un passe avant l’autre. Quant aux propositions de réduire le projet de décret en une série de questions, et de réunir au comité les nouveaux adjoints qui lui ont été donnés, je m’oppose à ce qu’elles soient adoptées. Rédiger en questions, c’est le moyen sûr de marcher plus lentement par le même chemin. Relativement à l’association des adjoints, je dois déclarer, au nom du comité, qu’il a mûrement réfléchi le projet dont il s’agit, et que c’est là l’ultimatum de ses 37 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [23 octobre 1790.] idées. Je demande donc qu’on décide si on s’occupera du tribunal de cassation avant de discuter le projet d’une haute cour nationale. Quand cette question sera décidée, la discussion s’établira sur le système général, puis article par article. M. Duport. Il est extrêmement nécessaire que les éléments soient d’abord établis. L’organisation générale des jurys devrait être décidée avant qu’on eût fait l'application d’un tribunal particulier. Lundi prochain, ce travail sera proposé à l’Assemblée; quand il sera terminé, quand le tribunal de cassation sera formé, la haute cour nationale aura tous les éléments qui entreront dans sa composition. M. de Cazalès. J’appuie les observations qui viennent d’être faites, mais je demande en même temps que vous décrétiez des lois sur les crimes de lèse-nation. Ce crime n’a été que trop longtemps indéfini, et la postérité n’apprendra pas sans surprise que les législateurs ont créé un tribunal et que des juges ont osé juger avant nue la véritable acception du mot crime de lèse-nation ait été fixée. M. Démeunier. Il y a dix mois que ce travail est fait ; il reste encore à graduer les peines; ce code sera bientôt achevé. Le projet qu’on vous propose aujourd’hui est une organisation définitive dans la Constitution: si l’on veut un tribunal provisoire, quand les nouveaux tribunaux seront établis, il sera facile de le trouver. (L’Assemblée délibère et décide qu’elle s’occupera du tribunal de cassation avant de discuter le projet d’organisation de la haute cour nationale.) M. l’abbé Maury. Pour épargner véritablement le temps de l’Assemblée, il me semble qu’il serait convenable de commencer par le code pénal et par les jurys, sur lesquels nous n’avons pas tous les mêmes idées : régions les jurys dans les tribunaux ordinaires ; nous verrons alors si nous établirons un grand jury pour la haute cour nationale. M. Robespierre. Vous avez une disposition plus pressante, plus importante à prendre en ce moment; il existe un tribunal inconstitutionnel et frappé de la haine de tous les bons citoyens; vous ne pouvez le laisser subsister : je demande que sur-le-champ il soit supprimé. {On applaudit .) M. lie Chapelier. Deux propositions viennent d’être faites : l’une est une motion d’ordre, l’autre est une motion contre un tribunal : sur la première, je remarquerai que nous avons bien décrété d’une manière générale que les délits seraient jugés par un jury; nous pouvons décider de même qu’un grand jury sera affecté à la haute cour nationale. Cependant je ne me dissimule pas que la discussion serait plus utile si la loi des jurys était portée. Quant au code pénal, il y a eu dans tous les gouvernements des crimes qui mettaient la chose publique en danger, et le code à établir ne sera pas plus difficile que la définition de ces crimes. J’observerai, sur la seconde motion, que j’ai déjà fait remarquer à l’Assemblée l’impossibilité de conserver le Châtelet; j’ai annoncé qu’après l’organisation de la haute cour nationale nous provoquerions l’établissement d’un tribunal provisoire. On propose aujourd’hui de supprimer entièrement le Châtelet; cette proposition est trop étendue. La cessation de ses fonctions, quant aux procédures civiles et criminelles ordinaires, serait de la plus fâcheuse conséquence; mais on peut sans inconvénient lui retirer la connaissance des crimes de lèse-nation. M. Chabroud appuie cet amendement, que M. Robespierre adopte. On demande à aller aux voix. M. l’abbé Maury. Je demande à observer au comité de Constitution qu’il doit apporter d’autant plus d’attention au jury... {On observe que ce n'est pas la question.) Il nous propose la chose du monde la plus monstrueuse en législation. Quant au Châtelet, comme il ne peut juger que sur votre propre renvoi, je ne vois pas un grand inconvénient à ce qu’il reste saisi de la connaissance des crimes de lèse-nation. Si vous vouiez le remplacer par des juges choisis par le peuple, attendez que ces juges soient nommés... (On demande à aller aux voix.) Nous n’avons que trois partis à prendre : ou créer une commission, ce qui répugnera sans doute à cette Assemblée ; ou attendre, ce qui me paraît le plus sage ; ou donner congé à tous les scélérats qui voudraient attaquer la nation. L’Assemblée délibère et décrète ce qui suit : « L’Assemblée nationale décrète que l’attribution donnée au Châtelet de juger les crimes de lèse-nation, est révoquée ; et, dès ce moment, toutes procédures faites à cet égard, parce tribunal, sont et demeurent suspendues. » M. de Foucault. Je suis autorisé, plus que qui ce soit, à vous engager à prendre en considération les arrestations des comités de recherches nationaux. Un homme très respectable et très respecté, puisque c’est un général d’armée... {On demande à passer à l'ordre du jour.) Il faut aujourd’hui rendre la liberté aux per.-onnes injustement accusées. {Il s'élève des murmures.) Puisque nous ne pouvons parvenir à détruire le comité des recherches, je demande qu’on augmente ses droits, et qu’à celui de faire arrêter, on ajoute celui d’absoudre. M. Foidei. Je ne monte pas à cette tribune pour excuser le comité des recherches; il n’a jamais été dirigé dans sa conduite que par le zèle le plus pur et le plus infatigable. Je n’ai pour objet que de vous instruire d’un nouvel événement. On a arrêté à Mâcon M. de Bussi et huit autres personnes violemment soupçonnées d’un projet de conjuration contre l’Etat. Deux autres personnes, arrêtées au pont de Beauvoisin, sont violemment soupçonnées de complicité. La présence de M.de Bussi à Mâcon peutoccasimmer une fermentation dangereuse pour lui. Je demande, comme vous l’avez ordonné ausujetdeM.Trouard, que M. le président se retire pardevers le roi pour le prier défaire transporter à Paris ces différentes personnes sous bonne et sûre garde. M. l/abbé Maury. Je demande que, si l’accusation n’est pas fondée, les membres du comité des recherches puissent être pris à partie. M. Rrieur. Je ne crois pas qu’on puisse faire droit à l’instant sur la demande de M. Voidel, et je propose d’ajourner à demain, pour que le comité nous présente les détails sur cette affaire. M. de Sérent. Quoique je n’aie pas de détails