682 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { « Le citoyen Flouret, curé de Cany (Cuy-Saint-Fiacre), département de la Seine-Inférieure, ab¬ dique les fonctions de son ministère. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (I). Suit la lettre du citoyen Flouret (2). « 6 frimaire, 2e année de la République française une, indivisible et impéris¬ sable. « Législateur frère et ami, « Je profite, en vrai sans -culotte, des avan¬ tages de la loi pour abdiquer sur-le-champ toutes les fonctions de mon ministère. « Salut et fraternité. « Flouret, curé de Guy, département de la Seine-Inférieure, et canton de Goumay. » La Société populaire de Brives, la première du département de la Corrèze qui ait abjuré les erreurs du catholicisme, écrit que dans une fête qu’elle a célébrée, le second décadi de brumaire, en l’honneur des martyrs de la liberté, les lettres des prêtres ont été brûlées par des enfants, au chant de Y Hymne à la liberté ; cette Société ne se borne pas à des fêtes : elle a ouvert une sous¬ cription pour armer, monter et équiper un cava¬ lier; la recette excède déjà la somme nécessaire pour cet objet. En attendant qu’elle envoie l’ar¬ genterie de son église, elle envoie une croix de Saint-Louis, 2 croix de Malte en or, une boucle de col et un cachet aux armes de Malte, en argent. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (3). Suit la lettre de la Société populaire de Brive (4). « Représentants, « Les républicains de Brive, fiers de se trou¬ ver au niveau des circonstances, s’empressent de vous faire part des succès que leur zèle infa¬ tigable pour la propagation des principes a rem¬ portés sur la superstition, cette antique enne¬ mie du bonheur de l’homme. « Comme ils n’ont plus désormais d’autre religion que le culte de la liberté, ils ne veulent plus reconnaître de saints que les braves qui ont versé leur sang pour elle. A la fête absurde que des prêtres menteurs célébraient en l’hon¬ neur de tous les idiots ou fripons dont les noms formaient la légende, ils ont substitué la fête des héros françaist Ce fut décadi 20 brumaire que nous honorâmes leur mémoire. L’hommage était digne de leurs mânes sacrés, car chaque cœur était un foyer ardent de patriotisme. Nous mettons sous vos yeux un exemplaire du procès-verbal de la cérémonie et des discours et couplets qui ont été prononcés ou chantés. (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 391. (2) Archives nationales, carton G 285, dossier 833. (3) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 391. (4) Archives nationalest carton C 285, dossier 833, Nous espérons avant peu vous envoyer les détails d’une fête non moins intéressante, qui aura lieu décadi prochain dans la ci-devant église paroissiale, en l’honneur de la Raison. C’est là que nous porterons les derniers coups au monstre du fanatisme. Tous les gobelets tels que les calices, ciboires, croix et saints d’argent avec lesquels nos jongleurs faisaient leurs tours de foire seront brisés et envoyés à la Monnaie, pour expier tous les crimes et toutes les sottises dont .ils ont été les instru¬ ments. « Mais que parlons-nous encore de prêtres? Il n’en reste plus dans notre commune. Elle a la gloire d’être la première du département de la Corrèze qui en ait vu abjurer publi¬ quement leur erreur, elle est maintenant la seule qui n’en compte aucun dans son sein. Le 24 brumaire, Vielbans a remis ses lettres de prêtrise : son exemple a été suivi par tous ses confrères auxquels se sont joints deux curés des environs. Ces anciennes victimes du pré¬ jugé reconnaissent que ce n’est que de cette époque qu’ils sont vraiment dignes de porter le saint nom de républicains. « Ces divers brevets d’imposture ont été brû¬ lés par les mains de nos (enfants, au chant de Y hymne des Marseillais. « Nous ne nous bornons pas à des fêtes, représentants. Dans le sein de notre Société il a été ouvert une souscription pour monter, armer et équiper un cavalier. La recette excède déjà la somme nécessaire pour la République. Que faut -il faire pour elle? Parlez, représen¬ tants, les patriotes de Brive sont prêts à tout. Leurs sentiments sont renfermés dans ces mots : La liberté ou la mort! Et sans la République point de liberté ! Avec une telle devise on peut aller loin dans la carrière. _ « P. S. En attendant les ustensiles de notre ci-devant église, nous ferons passer à la Monnaie une croix de Saint-Louis, deux croix de Malte en or, une boucle de col et un cachet aux armes de Malte en argent. Le propriétaire de la première est un sans-culotte qui l’avait ache¬ tée depuis plus de dix ans d’un pauvre cheva¬ lier mort depuis dans la misère et qui eût préféré la plus modique pension à cette frivole récompense. L’une des deux autres a été dépo¬ sée sur l’autel de la patrie par une ci-devant religieuse maltaise; la troisième, avec les deux autres effets, a été offerte par un brave sans-culotte qui en était le propriétaire sans que pour cela sa famille ait jamais été entachée de noblesse ni d’aucune espèce de chevalerie. « Brive, le 7 frimaire, l’an II de la République française une et indivisible. Les membres composant la Société des Amis de la République. » (Suivent 52 signatures.) Procès-verbal de la fête célébrée à Brive en l’hon¬ neur des héros martyrs de la liberté (1). Le second décadi de brumaire, l’an II de la République française, une et indivisible. Les prêtres, pour honorer les morts, don-(1) Archives nationales, carton C 285, dossier 833, [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j « £Xemi 683 naient aux vivants un spectacle triste et lugubre qui flétrissait leur âme, les détachait de leurs semblables, et les livrait à la terreur en leur montrant de loin la vengeance étincelante debout sur la pierre funèbre qui devait couvrir leur cendre. La Société populaire de Brive a voulu substituer à ces cérémonies barbares une cérémonie auguste et simple, capable d’élec¬ triser les cœurs et de les porter aux belles actions par le souvenir de celles qui ont illus¬ tré les premiers martyrs de la liberté. En consé¬ quence, elle a arrêté dans une de ses séances qu’il serait célébré une fête civique en l’hon¬ neur des héros morts en défendant les droits de l’homme. Le second décadi de brumaire était marqué pour cette fête. Le son de la cloche de la commune et le bruit des tambours ont annoncé l’instant de la réunion sur la place delaLiberté.Là,les autorités constituées, la Société populaire et le peuple, après avoir salué avec respect le signe auguste de la rédemption du monde, ont fait retentir l’air des paroles sublimes de Y Hymne des Mar¬ seillais , tandis qu’une musique simple et guer¬ rière accompagnait leurs voix patriotiques, L’air Ça ira a donné le signal de la marche vers l’autel de la patrie. Ce cortège d’une section d’un peuple dont la guerre est aujourd’hui le besoin le plus impé¬ rieux était ouvert par la force armée. Venait après une herse traînée par deux bœufs couron¬ nés de lauriers et escortée par un groupe de cultivateurs. C’était aussi sa fête. Ensuite paraissait le président de la Société, une pique à la main et le bonnet rouge sur la tête. Après lui marchaient sur deux lignes 12 vétérans armés et équipés. L’une de ces lignes était continuée par 12 jeunes gens de la première réquisition, costumés, mais sans armes ; l’autre l’était par 12 jeunes filles nubiles vêtues de blanc et parées de rubans tricolores. Mar¬ chaient ensuite deux groupes, l’un de jeunes enfants des deux sexes, l’autre de pères et de mères de famille. Suivaient les autorités cons¬ tituées, les membres de la Société populaire et le peuple. La marche était fermée par un vil tom¬ bereau chargé de titres, d’armoiries et d’autres attributs de l’orgueil et de la tyrannie qui de¬ vaient être livrés aux flammes. Sur l’autel de la patrie était élevée l’urno funéraire qui devait contenir les cendres de ses intrépides défenseurs. Derrière cet autel s’est placée la force armée. Le président de la Société et les 12 vétérans sont montés sur le plus haut gradin; et, tandis qu’au bas se rangeaient, d’un côté les 12 jeunes filles, de l’autre les 12 jeunes volontaires; tandis qu’en face de l’autel et à quelque dis¬ tance se groupaient les enfants et les pères de famille; tandis que plus loin se rendaient les autorités constituées et la Société populaire, le restant du peuple fermait l’enceinte de ce lieu sacré devenu le sanctuaire de toutes les vertus républicaines. Alors le président a levé son bonnet au haut de la pique qu’il tenait dans ses mains. Cet emblème révéré a été salué par une décharge de trois coups de canon, et le peuple a mille fois répété le nom chéri de la divinité qu’il représente. Ensuite le président, appuyé sur l’urne funéraire, a prononcé le discours sui¬ vant : « Citoyens, « Une pompe, à la fois funèbre et civique. nous réunit autour de l’autel de la patrie, heu¬ reuse et mémorable journée où mes concitoyens et mes frères abjurant leurs antiques erreurs, renversant les idoles, abattent les statues et substituent enfin à des cérémonies bizarres et religieuses une cérémonie digne de ceux qui ont péri pour la liberté, digne [de ceux qui veulent honorer leur mémoire. « Intrépides défenseurs de notre liberté, vous qui, bravant la mort au milieu des com¬ bats, avez terminé votre carrière au champ de la gloire, victimes honorables de la Révolution, vous tous qui avez expiré sous le fer assassin de l’aristocratie en fureur, recevez le tribut que la patrie reconnaissante doit à vos sacrifices. Ces sacrifices n’auront pas été faits en vain puisqu’ils allument dans nos cœurs le désir brûlant d’en tirer une vengeance éclatante; puisqu’ils agrandissent nos âmes et nous retra¬ cent fortement le souvenir du serment que nous avons fait de mourir, s’il le faut, pour la même cause; ces sacrifices n’auront pas été faits en vain, puisqu’ils ont enfanté l’idée d’éterniser votre mémoire, et d’élever des autels à des dieux trop longtemps méconnus; si vos tombes ont été rougies du sang des ennemis du peuple, elles sont arrosées des larmes de vos amis, de vos frères; elles sont ornées de fleurs et de lau¬ riers que chacun de nous veut acquérir en marchant sur vos traces. « Mais c’est moins par des pleurs et des gémissements que par des actions vertueuses que nous devons honorer les cendres de ces illustres martyrs de la liberté; leur sort est digne d’envie, il est beau d’échanger une vie périlleuse contre une gloire immortelle et d’a¬ cheter pour quelques années une réputation qui passe à l’immortalité. « Non, non, intrépides et zélés défenseurs des droits de la nature, vous qui avez tout sacri¬ fié pour elle, nous ne rendrons pas vos sacrifices inutiles, nous en connaissons tout le prix. Non, non, la République ne descendra pas du rang honorable où vous l’avez élevée, et tandis que vos frères d’armes dispersent aux frontières la masse des esclaves de l’Europe, les sans-culottes de l’intérieur forment de nouvelles phalanges pur réparer nos pertes, en même temps qu’ils surveillent ou enchaînent tous ceux qui furent vos ennemis, tous ceux qui le sont de la patrie. Ces sans - culottes s’exercent à la pra¬ tique des vertus en méditant vos actions hé¬ roïques et en se rappelant tous les actes de pa¬ triotisme qui vous ont mérité la haine des tyrans et la reconnaissance des hommes; ces sans-culottes n’oublieront jamais que leur bonheur, le triomphe de la liberté et l’établis¬ sement d’un gouvernement républicain en France, sont le fruit de vos sacrifices et de la courageuse résistance que vous avez opposée à tous les intrigants, à tous les factieux, à tous les modérés ; enfin à tous ceux qui se sont armés contre la liberté des peuples. » Aussitôt, la Société populaire, les autorités constituées, les pères et les mères de famille ont déposé sur la cendre des morts des couronnes de chêne, qui n’étaient pas le gage de la douleur, mais de l’admiration et de la reconnaissance. Les jeunes filles aussi ont présenté leur offrande aux mânes des héros, après leur avoir adressé ce couplet : 684 (Convention nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « Sé�mb�noa Il est, ainsi que le suivant, sur l’air : Comment goûter quelque repos. Que les tributs du citoyen, Amis raniment votre cendre Oh ! que n’a-t-il pu vous les rendre En vous serrant contre son sein !... L’amour des travaux de Bellone Devait vous payer à son tour; Entendez donc aussi l’amour Il vous offre cette couronne. Puis se tournant vers les jeunes gens de la première réquisition, une couronne à la main : Vous, nos frères, allez comme eux, Volez aux champs de la victoire... Mais puissent la paix et la gloire Vous rendre bientôt à nos vœux ! Que chacun auprès de Bellone Songe qu’en quittant ce séjour, Dans nos cœurs il laissa l’amour Et dans nos mains une couronne. LES JEUNES GENS Sur l’air i Rien ne plaît tant aux yeux des belles. Elle est à nous, cette couronne ! Oui, nous jurons de l’obtenir. C’est la beauté qui nous la donne... Ah ! dans nos rangs est-il personne Qui craigne de mourir Quand la Beauté l’ordonne? àmour ! Amour ! au milieu du carnage, En t’invoquant, nous combattrons, v Ou nous mourrons, Dignes d’obtenir ton suffrage. Ta main défendra leur ouvrage La liberté L’égalité. Nous combattrons Ou nous mourrons, Dignes d’obtenir ton suffrage... Hélas ! bientôt nous vous fuirons... Elle est à nous cette couronne, etc. Alors sont descendus les respectables vété¬ rans courbés sous le poids des armes; il les ont remises entre les mains de cette brillante jeunesse, l’exhortant à ne les faire jamais servir que pour la défense de la liberté et regrettant d’avoir usé toutes leurs forces au service du despotisme. Après leur avoir donné l’accolade, les jeunes gens sont allés prendre la place qu’ils occupaient, et les pères de famille leur ont adressé les couplets suivants : Sur l’air de V Hymne des Marseillais. Volez, enfants, dans la carrière Qui fut témoin de leur valeur. Suivez leur sang sur la poussière C’est là le chemin de l’honneur. (bis) Qu’à votre aspect, la tyrannie Laisse tomber son sceptre affreux Et que les peuples malheureux ’ Le brisent sur sa tête impie ! Courage ! nos enfants, vengez tous ces héros. Marchez ! qu’un sang impur, arrose leurs tombeaux ! LES JEUNES GUERRIERS Marchons ! qu’un sang impur, arrose leurs tom¬ beaux ! LES PÈRES DE FAMILLE Si votre courage succombe, Si vous mourez en combattant, Ah ! puisse dans la même tombe S’engloutir le dernier tyran ! (bis) Loin que les larmes de vos pères Insultent à votre destin, On les verra, le front serein; Répéter à vos jeunes frères : Courage ! nos enfants, vengez tous ces héros. Marchez ! qu’un sang impur, arrose leur& tombeaux f LES JEUNES GUERRIERS Marchons ! qu’un sang impur, arrose leurs tom-[beaux I Après les pères, ont paru les enfants. Ils tenaient dans leurs mains une guirlande de fleurs emblème du printemps de la vie. Avant de la poser sous l’urne des martyrs, leur voix naïve a chanté ces vers à leurs mâaes. Sur l’air : C’est pour loi que je les arrange. Ne dédaignez pas notre enfance, Mânes sacrés de nos héros ! Ah I permettez à l’innocence D’honorer aussi vos tombeaux. Trop jeunes encore, pour offrande, Sous l’urne de nos défenseurs, Nous ne posons qu’une guirlande : Le printemps n’offre que des fleurs. O ! lorsque plus grands, de la gloire Nous pourrons écouter la voix Nous jurons à votre mémoire D’immoler les soldats des rois... Mais non, non, alors sur la terre On ne verra plus de tyran, Chaque homme sera notre frère, Nous vous vengerons en l’aimant. Rivet, commandant de la garde nationale. est ensuite monté à l’autel et a prononcé ce discours : « Républicains, « D’autres fois, vous vous êtes réunis pour donner des regrets aux héros que leur courage n’a pu garantir des poignards des tyrans; d’autres fois, vous vous êtes rangés autour do leur tombe dans le dessein d’apaiser leurs mânes par une cérémonie religieuse; mais ce n’est que d’aujourd’hui que vous leur aurez rendu des honneurs vraiment dignes d’eux et de la cause qu’ils défendirent; aujourd’hui, pour la première fois, leurs ombres se seront réjouies d’une fête qui présente à nos yeux le spectacle intéressant et utile d’un peuple de citoyens de tout sexe et de tout âge pressé autour de l’autel de la patrie, non pour pleurer inutilement les enfants qu’elle a perdus, mais pour offrir à celle-là de nouveaux soutiens, à ceux-ci des vengeurs. Voilà, citoyens, la seule offrande qui pût toucher les mânes des hommes illustres dont vous venez de couronner la cendre. Eh ! qu’ont-ils besoin de vaines larmes ceux dont la mort a mis à leur gloire le sceau de l’immortalité, ceux qui ne voudraient revivre que pour mourir de nouveau pour l’affranchis¬ sement de leurs frères ? Insensés que nous étions lorsque nouvellement épris des charmes de la liberté dont les vertus et le culte nous étaient (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. *jj S’éœmbre*"*� 685 encore étrangers, nous allions former des vœux pour ses martyrs dans des maisons consacrées à l’empire de l’erreur et de la superstition ! Quand de froides prières, langage servile de la timide et crédule ignorance qui tint si long¬ temps nos pères sous le joug de la tyrannie des prêtres et des rois, auraient pu transmettre à l’Etre suprême l’expression des sentiments d’un peuple libre, quel intérêt pouvions -nous ajouter à la mémoire des hommes généreux qui ont scellé de leur sang la conquête de la liberté et de l’égalité? Nous implorions le Créateur pour les braves qui se vouèrent à la libération de ses créatures et à l’extermination des brigands qui lui disputent sa puissance sur elles ! Nous affligions leurs grandes âmes en voulant les consoler... Ah! s’ils avaient pu se faire entendre de nous alors : Malheureux! Que faites -vous ! nous eussent -ils dit : ne perdez pas le temps en des cérémonies vaines et ridi¬ cules ! Armez-vous et courez nous venger ! Gourez défendre contre la férocité des despotes et de leurs esclaves ligués pour le détruire Védifice de la liberté du monde dont V érection nous a coûté la vie! Ce discours, qu’ils n’ont pu nous faire parvenir, le génie de la liberté vient de nous le souffler; ce génie dont l’heureuse influence fait succéder la raison au vertige, le dévoue¬ ment à l’égoïsme, l’enthousiasme des grandes choses aux froides conceptions de l’orgueil, enfin toutes les vertus républicaines aux vices du despotisme et de l’esclavage; son feu sacré a pénétré nos cœurs d’une chaleur nou¬ velle ; il a agrandi et épuré tous nos sentiments. . . Cette fête est le premier fruit de ses inspira¬ tions divines; tout y porte l’empreinte de son sublime caractère; tout y est simple et modeste comme l’égalité qui y préside, imposant et majestueux comme la hberté qui en est l’objet; quel cœur assez froid pourrait résister aux tendres émotions que sa disposition inspire? « O liberté ! o égalité ! votre ascendant pou¬ vait seul enchaîner toutes les passions parti¬ culières et en faire perdre le souvenir dans le sentiment de l’affection commune qui nous attache à vous; sous votre empire le même intérêt lie tous les citoyens, le même cœur règle tous leurs mouvements; et vous n’avez d’enne¬ mis que parmi des hommes inanimés. « Mais le temps approche, que dis -je, le moment est venu qui doit en épuiser l’espèce; quel espoir pourrait encore rester à ces bêtes féroces, lorsqu’un peuple puissant et libre est debout tout entier pour les détruire? « Jeunes républicains, braves camarades, c’est à vous qu’appartient l’hpnneur de leur frapper les premiers coups; que pourrait leur fureur contre votre courage? La cause que vous allez défendre est le garant de vos succès ; bientôt vous reviendrez triomphants recevoir cette couronné que la patrie, par les mains de la beauté, présente à votre émulation; oui, jeunes guerriers, c’est la beauté qui vous la garde et quand vous avez juré de l’obtenir, quelle puissance pourrait vous la disputer? « Vous venez de revêtir l’armure de ces valeureux vétérans ; leur attitude fière vous découvre à la fois que le feu du républicanisme ne peut être amorti par les glaces de l’âge, et qu’ils ne vous cèdent leurs armes que parce que l’épuisement de leurs forces leur a ôté l’espoir de les faire servir aussi utilement que vous contre les tyrans dont la mort est la seule jouissance qu’ils puissent éprouver près de descendre au tombeau; ils attendent de vous cette jouissance et leur attente ne sera pas trompée; ils mourront libres ou vous mourrez avant eux; ils en partagent l’assurance avec nous et le bonheur qu’elle nous présage leur fait envisager sans regrets la fin de leur carrière. « Mais si les événements enchaînant votre courage, vous vous trouviez victimes d’un aveugle destin, braves soldats, qu’aucun sen¬ timent de méfiance ne trouble vos derniers instants ! Votre mort n’aura pas été sans fruit; nous sommes tous républicains, et notre pays demeurera libre ou il ne sera plus qu’un désert. » Après ce discours, le président se tournant vers les autorités constituées, leur a dit î Citoyens, dans un temps de révolution, tout citoyen est magistrat, venez donc partager avec vos frères des fonctions trop pénibles et trop multipliées pour vous seuls; ils sont prêts à vous soulager dans vos travaux. Et les fonction¬ naires publics se sont aussitôt confondus avec le peuple. Puis s’adressant à tous : Le sexe fort, dit-il, doit être V appui du faible; citoyennes, voilà vos défenseurs. A ces mots, il présente la main à la plus âgée des mères de famille. Chacun, imitant son exemple, cherche dans la foule son épouse ou celle qui peut un jour le devenir et, la musique donnant le signal du départ, le cortège s’avance vers le monument de Desail-leux. Là le président élevant la voix : Peuple, dit-il, nous célébrons aujourd'hui la fête des martyrs de la liberté. Desailleux, le premier, succomba dans nos murs sous le poi¬ gnard de V aristocratie, je pose en ton nom cette couronne de chêne sur la cendre de ton ami. Le cortège se remet en marche. Dès qu’il est parvenu sur la place de la Fraternité, on entonne un hymne à la concorde. Le président remplit une coupe qui passe tour à tour dans les mains du peuple et de ses magistrats, tandis que la musique joue l’air : Où peut-on être mieux... On finit par se donner mutuellement un baiser fraternel. Telle était l’ordonnance de cette fête, tels étaient les hommages que le peuple de Brive rendait aux mânes des héros. Son cœur se livrait sans réserve aux douces émotions d’une douleur religieuse, aux mouvements rapides du républicanisme le plus pur, aux élans d’une vive reconnaissance envers ses législateurs siégant sur la Montagne. Et cependant la disette au front livide planait sur ces lieux mêmes qu’il remplissait de ses chants patrio¬ tiques, et au retour de la fête il devait la trouver assise devant le seuil de sa maison... O liberté, liberté ! C’est là un de tes miracles ! Ducham, président; Crozat aîné; Publicola Ca vaille, secrétaires. Des députés du 11e bataillon de Paris, composé des contingents de la première réquisition des sections des Champs-Elysées, des Tuileries et des Invalides, viennent justifier ce bataillon des im¬ putations qui lui ont été faites; en approuvant la démarche sublime de leurs pères, ils nient qu’ils aient jamais chanté l’air infâme : O Richard , o mon roi, etc. Le soir du jour où ce bataillon arriva à Caen, le procureur de la commune en¬ tendit trois volontaires chanter dans la rue cette . chanson, il les suivit jusque dans un café où ils