40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES [PARLEMENTAIRES.* [10 juillet 1T90.] que le procès-verbal reste ainsi qu’il a été .rédigé, veuillent bien se lever. La délibération se passe au milieu des cris redoublés de plusieurs membres de la partie gauche, on crie à la surprise; on demande que M. le président soit rappelé à l’ordre. M. Cottln en fait la motion expresse. M. le Président remercie l’opinant de ce qu’il a pris un parti modéré, et de ce qu’il n’a pas demandé sa destitution. Il descend du fauteuil pour que l’Assemblée le juge. — Quelques membres applaudissent; mais le vœu le plus général l’invite à reprendre sa place ; il obéit au milieu des applaudissements. M. Charles de Lameth rappelle l’état de la délibération, les principes de M. de Delley, auteur de la motion, et il soutient que l’article a été décrété constitutionnellement. — Je sais, dit M. Charles de Lameth, qu’il a été proposé par amendement de dire seulement, à la fédération du 14 juillet; mais j’en appelle à la bonne foi de l’Assemblée, a-t-on statué sur cet amendement ? je dis que non. Je propose donc que la question soit ainsi posée : que ceux qui pensent que l’amendement ait été adopté veuillent bien se lever. On s’oppose à cette manière de poser la question. M. Rœderer atteste que le décret a été porté ainsi qu’il est dans le procès-verbal ; que M. Le Chapelier l’a lu plusieurs fois dans les mêmes termes, et qu’il n’a été fait aucune réclamation. M. Rœderer est appuyé par la majorité de l’Assemblée. Enfin, après de longs et de tumultueux débats, le calme se rétablit. La priorité est refusée à la manière de poser la question proposée par M. de Lameth. L’Assemblée décide que le procès-verbal restera ainsi qu’il a été rédigé. « Art. 2. A la fédération du 14 juillet, le président de l’Assemblée, etc. » (La séance est levée à quatre heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du samedi 10 juillet 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie. M. le Président. Vous avez décidé ce matin que les députés à la fédération présenteraient à la fois leur billet de confédéré et celui d’entrée à l’Assemblée nationale, pour être admis dans les tribunes. Gomme cette disposition ne pouvait être appliquée cette après-midi, j’ai donné l’ordre que les tribunes fussent ouvertes aux gardes nationaux députés qui se sont trouvés présents. M. Arthur Dillon. Vous désirez tous que les députés à la confédération retournent dans leurs départements, contents les uns des autres. Ce sentiment me garantit le succès d’une observation que je vais vous présenter. Les députés des gardes nationales sont au nombre de 18 mille; ceux des troupes de ligne sont au nombre de 1,100. Les membres de cette Assemblée, chargés (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. de distribuer les billets, pourraient ne pas con" naître un grand nombre des députés des troupes de ligne, qui dès lors se trouveraient, contre votre intention, privés d’assister à vos séances. Cette circonstance pourrait donner lieu à des mécontentements particuliers, que vous éviterez en ordonnant que chaque jour 60 billets soient remis aux troupes de ligne par un des commis de vos bureaux. (Cette proposition est adoptée.) M. de Foucault. J’ai aussi une proposition à faire qui satisfera tout le monde. Il y a toujours deux cents places vacantes de notre côté; il faut les donner aux députés confédérés ; comme ils seront en uniforme, ils ne jetteront ni embarras, ni incertitude dans les délibérations. M.de Noailles, député de Nemours. Je suis prêt à soumettre à l’Assemblée le travail du comité militaire sur l’organisation de l’armée. Il serait intéressant pour les députés des troupes de ligne d’assister en plus grand nombre à vos séances et je demande qu’on leur donne des billets en conséquence. M. Rœderer. Cette proposition doit être confondue avec celle que vous venez d’adopter ; il n’y a pas lieu de délibérer de nouveau. M. Populus, secrétaire , donne lecture du procès-verbal du vendredi matin 9 juillet. M. de Mirabeau, aîné. Il y a dans le procès-verbal une inconvenance d’expressions que je demande à relever. Le décret sur les cérémonies de la fédération, dit : A la gauche du roi et à la suite du président; il faudrait mettre : A la gauche du roi et à la droite du président.. (Ce changement est décrété.) M. de Roîs-Roovraye, député de Château-Thierry , admis à la séance de vendredi matin, à la place de Graimberg, prête son serment civique. Une députation des citoyens des Etats-Unis d'Amérique, qui se trouvent actuellement à Paris, et parmi lesquels est M. Paul Jones , est admise à la barre. M. William-Henry Vernon, au nom de cette députation, prononce le discours suivant (1) : Messieurs, frappés d’admiration à la vue du développement et de l’extension de leurs propres principes dans cet heureux pays, les citoyens des Etats-Unis de l’Amérique, qui se trouvent à Paris, sollicitent ardemment la faveur d’approcher du saint autel de la liberté, et de témoigner à l’Assemblée nationale cette vive reconnaissance et le profond respect que méritent les pères d’un grand peuple et les bienfaiteurs du genre humain. L’étoile d’Occident, quides bords éloignés répandait son éclat-, réunit ses rayons à ceux du soleil glorieux qui verse des torrents de lumière sur l’Empire français, pour éclairer, enfin, l’univers. La force de la vérité est irrésistible, et la célébrité de ses progrès est au-dessus de tout calcul. Nous avons cru, et nous le souhaitons sincèrement, que les bienfaits de la liberté seraient un jour appréciés ; que les nations sortiraient de leur (1) Ce discours est inexactement reproduit au Moniteur. 41 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juillet 1790.] léthargie, et réclameraient les droits de l’homme avec une voix que les hommes ne pourraient pas étouffer; nous avons cru que le luxe et la passion de dominer perdraient leurs charmes illusoires; que ces chefs, ces rois, ces dieux de la terre renonceraient aux distinctions idolâtres qu’on leur prodiguait, pour se confondre avec leurs concitoyens, et se réjouir de leur bonheur; nous avons cru que la religion se dépouillerait de ses terreurs empruntées, et qu’elle rejetterait les armes meurtrières de l’intolérance et du fanatisme, pour prendre le sceptre de la paix. Ces événements s’accélèrent aujourd’hui d’une manière étonnante, et nous éprouvons une joie indicible, et jusqu’à présent inconnue, de nous trouver devant cette vénérable assemblée de héros de l’humanité, qui, avec tant de succès, ont combattu dans le champ de la vérité et de la vertu. Puissent les douces émotions d’une conscience satisfaite, et les bénédictions d’un peuple heureux et reconnaissant, être le prix de vos généreux efforts! Puisse le roi patriote, qui a si noblement sacrifié avec vous sur l’autel de la patrie, en partager amplement le fruit 1 Le monarque, qui, en commençant sa carrière, a répandu ses bienfaits sur des régions éloignées, était bien digne d’échanger l’éclat séduisant du pouvoir arbitraire contre l’amour et la gratitude de ses concitoyens. Dans la France régénérée, l’on peut bien l’appeler le premier roi des Français ; mais, dans le langage de l’univers, il sera le premier roi des hommes. Nous n’avons plus qu’un voeu à former : c’est que vous vouliez bien, Messieurs, nous accorder l’honneur d’assister à l’auguste cérémonie qui doit assurer, pour toujours, le bonheur de la France. Lorsque les Français combattaient et versaient leur sang avec nous sous l’étendard de la liberté, ils nous apprirent à les aimer. Aujourd’hui que l’établissement des mêmes principes nous rapprochent davantage, et resserre nos liens, nous ne trouvons plus dans nos cœurs que les doux sentiments de frères et de concitoyens. C’est au pied de ce même autel où les représentants et les soldats citoyens d’un vaste et puissant Empire prononceront le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi, que nous jurerons une amitié éternelle aux Français ; oui, à tous les Français fidèles aux principes que vous avez' consacrés ; car , comme vous, Messieurs, nous chérissons la liber té ; comme vous, nous aimons la paix. Et ont signé : G. Howell, James Sevan, Joël Barlont, F.-L. Tancy, Alex. Contec, Benjamin Jarvis, W.-H. Vernon, Tho. Appliton, N. Harrison, Jh. Anderson. Samuel Blachden, Paul Jones. M. le Président répond : Messieurs, c’est en vous aidant à conquérir la liberté, que les Français ont appris à la connaître et à l’aimer. Les maius qui allèrent briser vos fers, n’étaient pas faites pour en porter : mais plus heureux que vous, Messieurs, c’est notre roi lui-même, c’est un roi patriote et citoyen qui nous a appelés au bonheur dont nous jouissons, à ce bonheur qui ne nous a coûté que des sacrifices, et que vous avez payés par des flots de sang. Deux sentiers différents nous ont conduits au même terme : le courage a rompu vos chaînes ; la raison a fait tomber les nôtres. Par vous la liberté a fondé son empire dans l’Occident; mais dans l’Orient aussi elle compte des sujets, et son trône aujourd’hui s’appuie sur les deux mondes. L’Assemblée nationale reçoit avec une douce satisfaction l’hommage fraternel que viennent lui rendre les citoyens des Etats-Unis de l’Amérique, qui se trouvent près d’elle. Que ceux-là appellent encore leurs frères! Que les Américains et les Français ne fassent plus qu’un peuple : réunis de cœur, réunis de principes, l’Assemblée nationale les verra encore avec plaisir réunis à cette fête nationale qui va donner un spectacle, inconnu jusqu’ici dans l’univers. L’Assemblée nationale vous offre les honneurs de sa séance. M. Robespierre. J’oserai vous faire une proposition déjà devancée par l’impression profonde qu’ont dû. laisser le discours des députés de l’Amérique (IL s'élève des murmures ), de la députation des Etats-Unis (Nouveaux murmures), des citoyens américains, et la réponse de M. le président. Vous avez souvent entendu vos concitoyens parler le langage de la liberté; mais aucun d’eux ne s’est exprimé avec plus de noblesse et d’énergie; l’Assemblée a entendu. . . Je demande, au nom des personnes qu’elle vient d’entendre... (Des murmures interrompent l'opinant), je demande plutôt aux personnes qui m’ont interrompu, qu’elles ne démentent pas, en étouffant la voix d’un membre qui veut parler le langage de la liberté, l’admiration que l’Assemblée a méritée ; c’est ce sentiment qui m’inspire la hardiesse, bien pardonnable à un de vos membres, de penser que je pourrais librement rendre un hommage sincère. (L'impatience de l' Assemblée se manifeste par de nouveaux murmures.) Si, au milieu des circonstances dont vous êtes témoins, je persiste dans la résolution de dire quelques mots... ce n’est pas par un autre motif que de convaincre tous ceux qui sont présents à votre délibération, qu’il n’est interdit à aucun membre d’exercer ce droit de suffrage, caractère essentiel de la liberté, dans une assemblée délibérante, et je ne m’écartais ni de ce principe, ni de ce sentiment, lorsque je voulais vous proposer, le premier, de donner aux citoyens que vous venez d’entendre une marque de considération digne de vous, digne d’eux. (Après quelques phrases que des interruptions fréquentent ne permettent pas à l’opinant d’achever, M. Robespierre propose d’ordonner l’impression du discours des citoyens des Etats-Unis d’Amérique, ainsi que de la réponse de M. le président, et d’accorder à ces citoyens la place qu’ils sollicitent à la cérémonie de la confédération.) M. l’abbé llaury demande l’impression du discours de M. Robespierre. L’Assemblée décrète l’impression du discours de la députation et de la réponse de M. le président. On observe que la demande d’une place à la confédération est déjà accordée par un décret rendu à la séance du matin. On introduit une députation de la congrégation de l'Oratoire , qui dit (1): Messieurs, il eût été flatteur pour notre supérieur général , d’être lui-même auprès de cette auguste Assemblée l’interprête de ses propres sentiments et de ceux de notre congrégation. C’eût été le plus beau jour de sa longue vie. Vous l’excuserez, Messieurs, sur son grand âge et les infirmités qui l’accompagnent, et vous nous permettrez de parler en sou nom et en celui de tous nos confrères. (1) Le discours prononcé par la députation de l’Oratoire n’a pas été inséré au Moniteur.