296 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le rapporteur du comité d’instruction publique [LAKANAL] lit son rapport sur les écoles primaires (73). LAKANAL, au nom du comité d’instruction publique, soumet à la discussion le projet de décret sur les écoles primaires (74). [LAKANAL : Citoyens, l’ordre social est fondé sur les lois; les lois s’appuient sur les mœurs; les mœurs s’épurent et se conservent par l’éducation : l’instruction et l’éducation doivent marcher ensemble et se prêter un appui mutuel, car comme l’a dit un philosophe célèbre; on ne forme pas l’homme [en] deux temps. En renversant la tyrannie, le premier pas à faire, c’est de répandre les lumières, sans elles, le froid inactif de l’ignorance gagnerait bientôt jusqu’aux extrémités du corps social, et vous auriez amené les Français à cet état de dégradation ou vouloit les réduire un des visirs que nous nommions ministre, lequel se flattait que bientôt en France on n’imprimerait plus que des almanachs. Il est temps, sans doute, de pourvoir à l’un des besoins les plus essentiels et les plus négligés de la République ; hâtons-nous d’établir l’enseignement, mais sur un plan plus national et plus organique, plus digne, en un mot, de nos futures destinées. Telles ont été les vues du comité et les intentions qu’il s’est attaché à remplir. Voici le décret que je suis chargé de vous présenter (75).] Institution des écoles primaires. La discussion s’ouvre article par article. Voici l’article Ier (76). Article 1er - Les écoles primaires ont pour objet de donner aux enfants de l’un et l’autre sexe l’instruction rigoureusement nécessaire à des hommes libres. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Je demande la radiation du mot rigoureusement. BOISSY-D’ANGLAS : Les écoles primaires sont créées pour enseigner ce qui est rigoureusement nécessaire à l’instruction des hommes libres ; c’est là ce qui établit leur différence avec les écoles secondaires. Je demande que le mot rigoureusement soit maintenu. (73) P.-V., XLIX, 230. Rép., n° 57 ; Rép., n° 58, texte du décret ; J. Paris, n° 57, cette gazette redonne le texte du rapport du 7 brumaire; J. Paris, n° 57 et n° 58, pour les chapitres I, II, III et IV ; J. Perlet, n° 784 ; C. Eg., n° 820 ; M. soir, n° 821 ; M. U., n° 1344 ; J. Fr., n° 782, 783 ; Gazette Fr., n° 1049, 1050, 1051, 1052; J. U., n° 1817, 1818; Ann. Patr., n° 685, 686, 687 ; Ann. R. F., n° 56, 57, 58, 59. (74) Moniteur, XXII, 514-516. J. Mont., n° 32; J. Paris, n° 57. (75) C. Eg., n° 820. (76) Pour le rapport complet sur les écoles primaires, voir Arch. Pari., tome C, 7 brumaire, n° 30. Nous reprenons dans ce rapport, les articles de loi présentés ici. AUDREIN : Il ne faut point présenter au peuple d’abstraction métaphysique; dès qu’il y a le mot nécessaire, il est inutile d’y joindre le mot rigoureusement. La radiation est décrétée et l’article adopté. Le rapporteur lit l’article II. Article II - Les écoles primaires seront distribuées sur le territoire de la République en raison de la population : en conséquence il sera rétabli une école primaire pour mille habitants. DUBOIS-CRANCÉ : Je voudrais que le comité eût mieux ménagé l’intérêt de ceux qui ont le plus besoin d’instruction et le moins de moyens pour s’en procurer. Il faudrait que les communes trouvassent cette instruction sans sortir de chez elles. LOUCHET : Pour établir un instituteur dans chaque commune, les revenus de la République ne suffiraient pas. DU ROY : Si l’on adoptait la proposition de Dubois-Crancé, il faudrait un instituteur non seulement pour chaque commune, mais encore pour chaque village; car il y a des communes formées de la réunion de plusieurs villages. Tous ceux qui ont vécu à la campagne savent que les enfants peuvent faire une demi-lieue pour aller chercher l’instruction. Je suis persuadé qu’avec le projet du comité vous aurez tout ce qui est nécessaire pour le moment. D’ailleurs, il vaut mieux donner sur le champ des moyens d’instruction, et ne pas rechercher la perfection la plus rigoureuse. LE RAPPORTEUR : D’après les calculs les plus connus, une population de mille habitants donne environ cent enfants de l’un et l’autre sexe; de manière qu’un instituteur aura environ cinquante enfants à instruire. Si vous augmentez le nombre des élèves, vous excédez les forces des instituteurs; si vous augmentez le nombre des instituteurs, vous ôtez l’émulation, et vous grevez le trésor public. Nous avons tout concilié en disant : nous établissons une école primaire pour mille habitants; mais s’il y en avait de mille à dix-neuf cents, il en serait établi une seconde. L’article est adopté. Le rapporteur lit l’article III. Article III - Dans les lieux où la population est trop dispersée, il pourra être établi une seconde école primaire, sur la demande motivée de l’administration du district, et d’après un décret de l’Assemblée nationale. Cet article est décrété. Il lit l’article IV. Article IV - Dans les lieux où la population est pressée, une seconde école ne pourra être éta- SÉANCE DU 26 BRUMAIRE AN III (16 NOVEMBRE 1794) - N° 20 297 blie que lorsque la population s’élèvera à deux mille individus, la troisième à trois mille habitants complets, et ainsi de suite. Cet article est adopté. Le rapporteur lit l’article V. Article V - Dans toutes les communes de la République, les ci-devant presbytères sont mis à la disposition des municipalités pour servir tant au logement de l’instituteur qu’à recevoir les élèves pendant la durée des leçons. ROMME : Dans plusieurs communes, en vertu d’arrêtés pris par les représentants du peuple en mission, on a mis en location les presbytères, qui ne se trouvent plus aujourd’hui sous la main des communes. Il faut donc que les baux soient résiliés. LE RAPPORTEUR : Telle est l’intention du comité. Il a entendu respecter les objets vendus ; mais ceux qui n’ont été que donnés à bail doivent servir aux écoles primaires. L’article V est adopté avec l’amendement de Romme. LE CARPENTIER : Je demande que les frais d’entretien et de réparation soient faits par les communes (77). ERHMANN : Je demande le renvoi de cette proposition au comité. La Convention renvoie à ses comités d’instruction publique et des Finances l’examen de la proposition, que, dans l’article IV [V] du chapitre premier, il soit dit que l’entretien des maisons servant au logement des instituteurs des écoles primaires sera aux frais de la Nation (78). LE RAPPORTEUR : Cette difficulté lui a été présentée. Il a cru que qui veut la fin veut les moyens. Vous avez décrété la gratuité des écoles primaires. Il a donc pensé que c’était au Trésor public que devaient être pris tous les fonds nécessaires à ces établissements. Au surplus, je ne m’oppose pas au renvoi. BOISSY d’ANGLAS : Le renvoi me paraît inutile. Je demande que l’article reste adopté comme il est. RÉAL : Votre intention n’est pas sans doute que les instituteurs aient des logements somptueux. En chargeant les communes de veiller aux frais d’entretien, de distribution, elles s’en (77) Cette phrase contient une erreur, rectifiée par Le Carpentier dans une lettre au rédacteur du Moniteur, publiée le 29 brumaire, car Le Carpentier avait demandé que l’entretien de ces logements soit à la charge de la nation. (78) P. V., XLIX, 230. acquitteront avec économie. Je demande le renvoi. Le renvoi est décrété. Dans les communes où il n’existe plus de ci-devant presbytère à la disposition de la nation, il sera accordé, sur la demande des administrations de district, un local convenable pour la tenue des écoles primaires. Le rapporteur lit l’article VI. Article VI - Chaque école primaire sera divisée en deux sections, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles ; en conséquence, il y aura un instituteur et une institutrice. Cet article est adopté. Il lit l’article VIL Article VII -Il y aura près de chaque administration de district un jury d’instruction composé de trois membres, nommés par le conseil d’administration de district, et pris hors de son sein. La Convention décrète cet article. Chapitre II Jury d’instruction. Le rapporteur lit l’article Ier. Article 1er - Il y aura près de chaque administration de district un jury d’instruction composé de trois membres nommées par le conseil d’administration du district, et pris hors de son sein. DURAND-MAILLANE : Sans attaquer l’institution du jury, je voudrais qu’il n’eût pas le choix définitif des instituteurs; qu’il fut seulement chargé de présenter la liste aux pères de famille, qui y donneraient leur approbation ; car ils ont un intérêt puissant à cet établissement des écoles primaires. BARAILON : Je demande que l’article soit adopté avec les amendements que je vais proposer. La Convention n’entend pas que le gouvernement révolutionnaire durera toujours. Pendant sa durée, l’article est bon ; mais lorsque les circonstances auront fait succéder à sa marche celle de la constitution républicaine, il ne sera plus suffisant. Je demande donc qu’on y ajoute, « pendant la durée du gouvernement révolutionnaire, et après, par le peuple. » LE PRÉSIDENT : L’amendement de Durand-Maillane est-il appuyé? GUYOMAR : Je l’appuie très fort. LE RAPPORTEUR : Je crois qu’il est aisé de concilier les deux amendements en faisant