720 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] ché au milieu d’eux jusque dans la rue Saint-Honoré. Le vicomte de Mirabeau désirait rejoindre aux Feuillants sa voiture. M. de Cazalès lui a observé que le peuple s’amassait et qu’il valait infiniment mieux prévenir une émeute. Nous sommes entrés dans la maison deM. Bour-deille, banquier; nous avons passé par une porte de derrière, qui donne dans la cour des Jacobins; nous avons gagné le jardin, duquel nous sommes sortis; aidés de cette même garde nationale, dont nous avons infiniment à nous louer à tous égards, en escaladant une muraille, toujours accompagnés de M. Michau, officier de la garde nationale qui nous a comblés de prévenances et d’honnêtetés et nous a menés chez lui, d’où nous nous sommes rendus à nos demeures respectives. Nous devons payer à la garde nationale le tribut d’une reconnaissance mieux sentie, qu’elle ne peut être exprimée; et nous osons espérer qu’elle y sera d’autant plus sensible, que nous n’avons jamais prodigué nos louanges. Nous n’ajouterons aucune réflexion : ce récit n’en est pas susceptible; et nous nous contenterons de nous écrier avec tout bon Français : Malheureux peuple! comme on t’égare! ..... Le vicomte de Mirabeau. de Cazalès. 2e ANNEXE à la séance de VAssemblée nationale du 13 avril 1790. Pétition des juifs établis en France pour parvenir à l'entière jouissance des droits de citoyens . (1) Nosseigneurs, une grande question est pendante au tribunal suprême de la France, Les juifs seront-ils ou ne seront-ils pas CITOYENS? Déjà, cette question a été agitée dans l’Assemblée nationale; et des orateurs, dont les intentions étaient également patriotiques, ne se sont point accordés dans le résultat de leur discussion. Les uns voulaient que les juifs fussent admis à l’état civil. D’autres soutenaient cette admission dangereuse. Une troisième opinion consistait à préparer, par des réformes graduées, l’amélioration entière du sort des juifs. Au milieu de tous ces débats, l’Assemblée nationale a cru devoir ajourner la question, et le décret du 24 décembre dernier, relatif à cet ajournement, est peut-être un des actes qui honorent le plus la prudence et la sagesse de cette Assemblée. Get ajournement a été fondé sur la nécessité d’éclairer davantage une question aussi importante; de prendre des renseignements plus positifs sur ce que sont et ce que peuvent être les juifs; de connaître plus exactement ce qui est en leur faveur et ce qui leur est contraire; de préparer enfin les esprits, par une discussion approfondie, au décret, quel qu’il soit, qui prononcera définitivement sur leur destinée. (1) Cette pétition avait été adressée à l’Assemblée nationale le 28 janvier 1790. On a dit aussi que l’ajournement avait été fondé sur la nécessité de savoir positivement quelles étaient les véritables demandes des juifs; attendu, ajoutait-on, les inconvénients d’accorder à cette classe d’hommes des droits plus étendus que ceux qu’elle désire. Mais il est impossible qu’un pareil motif ait dirigé le décret de l’Assemblée nationale. D’abord, le vœu des juifs était parfaitement connu, et ne pouvait être équivoque. Ils l’avaient exposé clairement dans leurs adresses des 26 et 31 août dernier.' Ceux de Paris l’ont répété dans une nouvelle adresse du 24 décembre. Ils demandaient que, toutes les distinctions avilissantes sous lesquelles ils ont gémi jusqu’à ce jour étant abolies, ils fussent déclarés citoyens. Mais d’ailleurs, comment pourrait-on supposer que des législateurs, qui font remonter tous leurs principes à la source immuable de la raison et de la justice, aient voulu se détourner ici de leur marche accoutumée, pour chercher ce qu’ils doivent faire, non dans ce qui doit être, mais seulement dans cé qui leur est demandé? Si, par une suite de l’avilissement auquel les juifs ont été condamnés, il était possible qu’ils eussent montré ou qu’ils montrassent encore quelque insouciance pour la conquête de leurs droits, et que cependant, il fût démontré que ces individus ne peuvent conserver leur état actuel, sans compromettre le nom Français, et sans nuire essentiellement aux intérêts de la France ; s’il était démontré que la régénération, qui est presque consommée, ne pourrait subsister à côté du sort affligeant des juifs, croit-on que l’Assemblée natio-tionale auraiit le droit de faire céder l’intérêt public à ses demandes inconsidérées, et qu’il ne fût pas au contraire de son devoir, de relever des hommes qui voudraient rester avilis, en les forçant d’accepter une destinée dont l’influence ne se bornant pas à eux seuls s’étendrait encore sur tous les Français ? Ce n’est donc point parce qu’on a cru important de connaître, au juste, quelles sont les demandes des juifs, mais parce que la question a été jugée digne d’un examen approfondi, qu’elle a été ajournée. Leurs demandes, au reste, comme nous venons de le dire, sont bien connues ; et nous les répéterons ici. Ils demandent à être citoyens. Et le droit qu’ils ont d’être déclarés tels; l’ avantage qui en résultera pour la France; les inconvénients qui seraient la suite d’un décret opposé à leurs vœux ; tous ces moyens, et d’autres encore, seront exposés dans cet écrit, avec l’énergie qui convient à des hommes qui réclament, non une grâce, mais un acte de justice. Enfin, aucune des objections faites par leurs adversaires, ou plutôt par les adversaires de leur admission à l’état civil, ne restera sans réponse, Peut-être auraient-ils mieux fait de s’abandonner entièrement aux défenseurs qu’ils ont déjà trouvés et qu’ils trouveront encore dans l’Assemblée nationale (1). Mais ils ont pensé que sur une question où il s’agit de leur vie ou de leur mort sociale, c’était pour eux un devoir indispensable de se défendre eux-mêmes; et ils n’ont pu résister à l’impulsion qui les a portés à le remplir. Ils se seraient d’ailleurs attirés, par leur silence, (1) Un des hommes qui les a le mieux défendus par ses écrits, se trouve, heureusement pour leur cause, assis au nombre de leurs juges. C’est M. l’abbé Grégoire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] 721 l’objection favorite de ces hommes qui, toujours prêts à les accuser, auraient fait servir leur indifférence apparente à un reproche d’incapacité; et ils combattent, au moins, ou préviennent cette objection. Le plan qu’ils se proposent est vaste. Mais ils feront en sorte de tout abréger; et souvent, ils se borneront à indiquer les objets au lieu de les développer. S’ils n’avaient à convaincre que la justice, ils auraient bien peu de choses à dire. Mais ils ont à combattre un préjugé ; et ce préjugé est si avant encore dans bien des esprits, Su’ils craindront toujours de n’en pas dire assez. n raisonne, d’ailleurs, de leur religion, de leurs mœurs, de leurs lois, comme si on connaissait parfaitemenl tous ces objets; et il importera de relever des erreurs, qui sont, à cet égard, répandues, accréditées, et qui perpétuent le préjugé sous lequel les juifs restent opprimas. Voici, au reste, le plan de leur mémoire : Ils commenceront par établir les principes qui réclament pour les juifs le droit de citoyens ; Ils prouveront, ensuite, que la France est elle-même intéressée à ce que ce droit leur soit accordé ; Ils retraceront et combattront les objections, sur lesquelles on se fonde pour leur refuser l’état civil ; Entin, ils démontreront que le droit de citoyens doit être accordé aux juifs, sans restriction et sans retard; c’est-à-dire qu’il serait à la fois injuste et dangereux de vouloir les préparer à le recevoir par des améliorations graduées, et qu’il y aurait aussi injustice et danger à ne pas les en revêtir avec la plus grande promptitude. Commençons par les principes qui réclament impérieusement l’élévation des juifs au rang de CITOYENS. Un premier principe, c’est que tous les hommes domiciliés dans un Empire, et vivant comme sujets de cet Empire, doivent indistinctement participer au même titre et jouir des mêmes droits. Ils doivent tous avoir le titre et posséder les droits de citoyens. Par leur domicile , en effet, et par leur qualité de sujets, ils contractent l’obligation de servir la atrie; ils la servent réellement; ils contribuent l’entretien de la force publique; et la force publique doit une égale protection et une répartition égale de jouissances à tous ceux qui concourent à la former. Il serait d’une extrême injustice qu’elle ne rendit pas à tous, dans la même proportion, ce qu’elle reçoit de tous, et que les uns fussent favorisés par elle au préjudice des autres. Ces idées n’ont pas besoin d’un plus grand développement; leur évidence frappe tous les esprits. Il n’y a plus maintenant qu’une seule chose à examiner : les juifs qui vivent en France y sont-ils ou n’y sont-ils pas domiciliés? Y vivent-ils ou n’y vivent-ils pas comme sujets de la France? Assurément on n’aura jamais la pensée de les y regarder comme des étrangers; soit parce qu’ils seraient dans une impossibilité absolue de s’assigner une autre patrie ; soit parce qu’ils naissent, qu’ils s’établissent, qu’ils ont leur famille en France; que, dans certaines villes, ils ont même des quartiers séparés qui leur sont attribués; soit enfin parce qu’ils paient tous les impôts auxquels les Français sont assujettis, indépendamment des autres taxes qu’on leur fait encore payer à part. Les juifs ne sont donc point des étrangers en France. Ils sont sujets de cet Empire; et par conséquent ils sont et doivent être citoyens. Car, 1™ Série, T. XII. dans un Etat, quel qu’il soit, on ne connaît que deux classes d’hommes, les citoyens et les étrangers. Ceux qui ne sunt pas dans la seconde classe doivent être dans la première. Les juifs, encore une fois, sont donc et doivent être citoyens. A la vérité, ils sont d’une religion réprouvée par celle qui domine en France. Mais le temps n’est plus où l’on disait que c’était la seule religion dominante qui donnait le droit aux avantages, aux prérogatives, aux emplois lucratifs et honorables de la société Longtemps on a opposé aux protestants cette maxime, digne de l’inquisition ; et les protestants n’avaient point d’état civil en France. Aujourd’hui ils viennent d’être rétablis dans la possession de cet état; ils sont en tout assimilés aux catholiques; là maxime intolérante que nous venons de retracer ne pourra plus leur être opposée. Pourquoi continuerait-on de s’en faire un argument contre les juifs? En général, les droits civils sont indépendants des principes religieux. Et tous les hommes de quelque religion qu’ils soient, à quelque secte qu’ils appartiennent, quelque culte qu’ils pratiquent, pourvu que leur cul te, leur secte, leur religion n’offensent pas les principes d’une morale pure et sévère, tous ces hommes, disons-nous, pouvant tous également servir la patrie, défendre ses intérêts, contribuer à sa splendeur, doivent tous également avoir le titre et les droits de citoyens. Que résulterait-il du système contraire, en vertuduquel ce serait laseule religion dominante et d’autres religions dont les dogmes approcheraient plusou moins de celle-là, qui pourraien t conférer ce titre et ces droits ? Il en résulterait que ce serait ériger en principe, que la force doit prévaloir sur la faiblesse, le plus grand nombre sur le plus petit, tandis que les droits sociaux ne doivent être calculés et mesurés que par la justice. Il en résulterait que, dans les pays où ce ne serait pas la religion catholique qui serait la religion dominante, les catholiques pourraient être légalement soumis à toutes les injustices dont on accable aujourd’hui les juifs. Il en résulterait qu’il est permis ou de violenter les consciences, ou de les séduire car, vous les violentez, en usant de persécutions pour forcer les individus à abjurer leur culte, vous les séduisez, en leur offrant plus d’avantages dans la religion dominante que dans la leur. Et vous savez que la violence n’est pas plus permise ici que la séduction. Vous savez qu’en matière de croyance, c’est à l’évidence seule, et non à la force, que l’homme doit soumettre sa raison. Vous savez que, par la force, vous ne gagneriez que des indifférents ou des hypocrites, et que lareligion aurait plus à se plaindre qu’à s’applaudir de pareilles conquêtes. Vous savez, enfin, que le juif est attaché à sa religion, comme vous à la vôtre, et que les injustices ne sont pas plus permises avec lui, qu’eUes ne le seraient contre vous-mêmes; que c’est d’elle-même et d’elleseule que la conscience peutrecevoir ses inspirations; que nul être sur la terre n’a le droit de lui commander ; et qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse demander compte aux hommes de leurs opinions relatives à lui, et de la forme sous laquelle ils lui rendent leurs hommages. Il sera permis aux juifs de représenter qu’une religion n’aurait le droit de s’arroger quelque empire sur une autre, que si elle pouvait offrir, en faveur de l’excellence de son origine, cette évidence irrésistible, dont la lumière doit frapper et convaincre, à la fois, tous les esprits ; mais 46 722 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.} que, s’il est impossible de supposer qu’elle ait pour tous une telle évidence, il est impossible également qu’elle oblige tous les citoyens ; que, s’il est impossible qu’elle les oblige tous, ce n’est point un délit de ne pas croire à ce qu’elle enseigne ; et que, si ce n’est point un délit, il ne peut point y avoir de peine prononcée contre ceux qui refusent de se soumettre à ses dogmes. Aussi, le root de tolérance , qui, après tant de siècles et tant d’actes intolérants, paraissait être un mot d’humanité et de raison, ne convient-il plus à une nation qui vient affermir ses droits sur la base éternelle de la justice. Et l’Amérique, à qui la politique devra tant d’utiles leçons, l’a réjeté de son code, comme un terme qui tendait à compromettre la liberté individuelle, et à sacrifier certaines classes d’hommes à d’autres classGs. Tolérer , en effet, c’est souffrir ce qu’on aurait le droit d’empêcher ; et la religion dominante qui, seule peut-être, à la différence des autres religions, doit avoir des ministres avoués par la nation et un culte payé par elle, n’a pas le droit d’empêcher qu’une autre religion s’élève humblement à côté d’elle. Or, la conséquence nécessaire de ce principe, c’est que les religions différentes ayant toutes des droits égaux, il serait contradictoire qu’il y en eût une qui donnât un droit de prééminence sur une autre, relativement aux fonctions de citoyens. Si l’on veut se convaincre davantage de cette vérité, que l’on réfléchisse à la nature de ces fonctions. Elles consistent à payer à l’Etat les contributions qui sont le prix de la tranquillité et de la sûreté publiques ; à défendre la patrie tant des divisions intestines que des guerres du dehors ; à concourir par ses talents, par ses lumières, par ses vertus, à la gloire de la nation. Or, pour remplir tous ces devoirs, est-il nécessaire d’être de telle ou telle religion, d’adopter ou de rejeter tel ou tel dogme? Quand des hommes réunis pour la défense commune, servent avec une égale ardeur la chose publique, va-t-on leur demander ce qu’ils croient ou ce qu’ils ne croient pas ? S’inquiète-t-on en un mot de la nature de leurs dogmes ? Ce qu’ils font n’importe-t-il pas plus que ce qu’ils croient ? Dès lors leur culte, quel qu’il soit, peut-il être la mesure des droits qui doivent leur être accordés 1 Ainsi, deux principes incontestables assurent aux juifs le droit de citoyens. D'abord, leur qualité seule de sujets du royaume leur assure ce droit ; nous l’avons prouvé. Leur religion particulière ne peut pas le leur enlever ; nous venons de l’établir. C’est donc une suite nécessaire des vrais principes, qu’ils soient déclarés citoyens ; et il est impossible qu’ils ne soient pas déclarés tels. Mais après avoir prouvé ce que la nation est obligée de faire pour eux, par esprit de justice, il ne faut pas perdre de vue ce qu’elle doit faire par intérêt pour elle-même. Les juifs voient régner la liberté autour d’eux. Ils la voient et l’adorent. S’ils n’en jouissaient pas comme tous ceux qui les environnent, si leur état empirait par la comparaison perpétuelle de leur sort et de celui des autres hommes; ah ! (leur sera-t-il permis de le dire) des destinées plus heureuses leur sont promises dans un Etat voisin, où ils viennent d’être restitués dans l’exercice de tous les droits civils: et pourrait-on les blâmer d’aller chercher la tranquillité et le bonheur, où le bonheur et la tranquillité les appellent ?| Jusqu’à présent, dira-t-on, ils étaient avilis ; et ils n'ont pas néanmoins abandonné la France! Non, ils ne l’ont point abandonnée; mais alors, au moins, ils avaient l’espérance d’un meilleur sort; et s’ils ne l’obtiennent pas à l’époque où nous sommes, dans quel temps veut-on qu’ils espèrent de l’obtenir? Ils n’ont pas jusqu’à: présent abandonné la France ! Mais jusqu’à présent, tout fléchissait sous la loi du plus fort; et la soumission commune servait d’exemple à la leur. Pourraient-ils aujourd’hui avoir le courage de souffrir des maux excessifs, lorsque la nation n’a pas eu celui d’en supporter de moindres? Ils n’ont pas jusqu’à présent abandonné la France! Mais jusqu’à présent, c’était le préjugé qui les opprimait, plutôt que la loi elle-même ; et ils ne sont pas encore assez avilis, pour consentir aujourd’hui à se courber sous une oppression légale, lorsque les représentants de la nation ont déclaré que tous les hommes sont égaux en droits, et qu’ils ont mis au nombre de ces droits, la résistance à l’oppression { 1). En France, les juifs ne seraient donc pas des hommes ! Sages représentants de la nation, ne retenez donc point les juifs dans l’état d’avilissement auquel ils ont été condamnés jusqu’à ce jour. Ils le disent à regret; mais vous leur saurez gré peut-être de leur sensibilité et de leur franchise; P Autriche est à votre porte ; et il serait à craindre que l’Autriche eût bientôt recueilli dans son sein quelques-uns de ces hommes qu’on voudrait continuer à traiter en esclaves au milieu de vous, et qu’elle traite chez elle en hommes libres. C’est alors que vous vous plaindriez bien davantage et de la langueur du commerce, et de la rareté du numéraire, et de la mendicité qui vous assiège de toutes parts, et qui trouve chez eux? quoi qu’on en dise, des hommes charitables qui la consolent et qui la secourent. Quelques-uns des juifs sont riches. Presque tous s’adonnent au commerce, puisque les autres occupations leur sont interdites. La France est-elle bien en état de faire à ses voisins le présent de leur activité et de leurs richesses ? Français, n’oubliez pas que toutes les fois que, sur des accusations calomnieuses, les juifs ont été chassés de France, votre intérêt vous a bientôt forcés de les y faire rentrer; etque l’un de vos rois (1), dans ses lettres-patentes concernant le rappel des juifs, disait en propres termes « qu’il ne trouvait pas d’autres moyens pour rétablir les finances épuisées, qu’en rappelant des gens propres à faire fleurir le commerce et circuler l’argent. » Voyez d’ailleurs l’Espagne, où l’agriculture est languissante, et où l’agriculture fleurirait, si trois cent mille juifs qui en ont été chassés, y existaient encore. Et que le triste exemple de ce royaume soit une leçon utile pour le vôtre. On répondra peut-être à tout cela, que les juifs ont l’habitude de l’oppression, qu’ils auraient encore le courage de la supporter, et qu’ils ne déserteraient pas la France. Eh bien, croit-on que l’état d’avilissement dans lequel la plupart d’entre eux sont, pour ainsi dire, repoussés continuellement par les institutions humaines, n’aurait pas une influence extrêmement dangereuse sur le peuple libre au milieu duquel ils vivraient, et qu’il est prudent de nourrir un semblable (1) Articles 1 et 2 de la Déclaration des droits. (1) Phiiippe-Ie-Hardi. — Louis-le-Hutin a tenu aussi à peu près le même langage, [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] specfacle, à côté des passions nobles que doit enfanter la liberté? II faut ajouter que si les juifs restaient au milieu de vous, sans avoir le droit de citoyens, ils consommeraient vos productions, sans rien produire eux-mêmes; qu’ils seraient servis par la chose publique, sans que (a chose publique fût servie par eux; qu’ils conserveraient toujours l’esprit de leur corps, sans jamais prendre celui de la nation; qu’ils attireraient tout à eux enfin, sans jamais rien faire pour le bien de la patrie; et voilà comment ils seraient forcés de se venger, et comment ils se vengeraient nécessairement, et par la nature même des choses, de la distinction qui serait établie entre eux et les autres hommes. Soit qu’ils abandonnassent le royaume, soit au contraire, qu’ils continuassent à y fixer leur séjour, le décret qui ne leur accorderait pas le droit de citoyens, serait donc également préjudiciable à la France. Mais qu’une existence civile, et entièrement semblable à celledesautres Français, leur soit accordée, et tout à coup le commerce prendra dans leurs mains un nouvel essor, l’industrie une activité nouvelle. Bientôt encouragés par l’amélioration de leur sort; et pouvant, à leur gré, diversifier leurs occupations, ils tenteront de fabriquer eux-mêmes des marchandises, que l’étranger fournit au royaume, à grands frais. Ils cultiveront certains arts, en perfectionneront d’autres, et établiront ainsi une concu-rence, toujours, et sous tous les points de vue, favorable au peuple. Pourquoi ne reprendraient-ils pas aussi la vie agricole, qui était celle de leurs ancêtres en Palestine? En un mot, à la différence du moment actuel, où le commerce, qui est la seule branche d’industrie permise aux juifs, resserre toutes les liaisons, et isole entièrement ces hommes des autres hommes, il arrivera que la faculté qu’ils ont d’acquérir des immeubles, de vendre ou d’acheter ouvertement des marchandises, de cultiver des terre3, de se présenter dans les assemblées publiques, multipliera leurs rapports, leur fera perdre insensiblement l’esprit d’isolement, dont la plupart d’entre eux sont pénétrés, les intéressera, par degrés, au bonheur de la patrie, comme au leur propre, et eu fera de bons et d’utiles citoyens. Il ne faut point oublier un article important de prospérité pour la France, qui résultera de l’admission des juifs à l’état civil. C’est un accroissement prodigieux de population. Si la France était un Etat d’une médiocre étendue, et dont le sol fût ingrat et pauvre, le produit de ses terres et de son commerce ne suffirait pas aux besoins d’un plus grand nombre d’habitants ; et par cette raison, une population plus considérable lui serait plus nuisible qu’avantageuse, puisque cette population ne pourrait s’effectuer qu’au préjudice de ses habitants actuels. Mais considérez l’étendue du territoire de la France, la richesse de sou sol, le génie industrieux des Français; et voyez si on n’élèverait pas encore à un plus haut degré de puissance, ce royaume déjà si puissant, en fécondant toutes les ressources qu’il présente; en donnant plus d’activité à son commerce, en mettant à profit toute son industrie; en cultivant soigneusement ses terres; eu cultivant surtout celles qui sont incultes. Or, vous parviendrez facilement à ces résultats désirables par une population plus nombreuse. Il est donc nécessaire de favoriser la population; et vous la favoriserez, eu donnant aux juifs tous les droits de citoyens. Non seulement, en effet, vous conserverez les juifs qui existent en France, mais ceux-là même, bientôt vous en verrez croître le nombre au milieu de vous, par l’effet seul de l’amélioration de leur sort. Leurs usages, leurs mœurs, leurs lois mêmes encouragent parmi eux la propagation de l’espèce humaine; et leur population, lorsqu’elle n’est point arrêtée parle malheur, est véritablement hors de rapport avec celle des autres hommes. On se récriera, peut-être, sur cet accroissement de population. Il aurait été dangereux dans l’ancien état des choses.ll sera très utile dans celui qui se prépare. Si les juifs, en effet, sont déclarés citoyens, plus il y en aura, et plus il y aura de bras consacrés au service de la patrie. Nous n’ajouterons pas qu’en accordant aux juifs l’existence civile à laquelle ils ont droit, vous attirez à l’instant, en France, un grand nombre de ceux qui sont répandus sur la surface du globe, et qui, dans divers royaumes sont exposés à tant de traitements odieux, et à tant de barbares insultes. 11 est au-dessous de la justice et de la générosité françaises, de calculer ainsi ses moyens de bonheur et de prospérité, et de fonder sa richesse sur les dépouilles des autres peuples. Mais du moins, il sera beau et honorable pour la France, d’étre un asile ouvert à l’humanité persécutée, et elle forcera ainsi les autres puissances ou les autres nations àêtre justes comme elle, en leur montrant tout ce qu’on perd à ne pas l’être. Mesurez donc actuellement les avantages qui résulteront de l’admission des juifs à l’état civil, avec les inconvénients qui résulteraient de cette non-admission ; et voyez ce que vous auriez à faire, si la justice ne vous recommandait pas, indépendamment de votre intérêt et de votre gloire, de traiter cette classe d’hommes en citoyens. La justice, votre intérêt, votre gloire, tout réclame donc en faveur des juifs le titre et les droits dont vous jouissez vous-mêmes. Gette conséquence dérive essentiellement de principes qu’il est impossible de combattre, et de faits qu’il est également impossible de nier. Il n’y aurait que des considérations particulières relatives aux juifs, qui pourraient atténuer la force de cette conséquence; et il faudrait que ces considérations fussent bien puissantes, il faudrait qu’elles démontrassent invinciblement, par les mœurs, par le caractère, par les usages et par les lois des juifs, l’impossibilité et même le danger de faire autre chose de cette classe d’hommes qu’une classe protégée par la nation qui lui donne un asile. Examinons et pesons les considérations diverses qu’on oppose au vœu des juifs, et aux principes qui consacrent leur vœu. Mais avant de retracer ces objections et d’v répondre, il est important de se rappeler qu’il y a deux ans, lorsquil s’agissait d’améliorer le sort des protestants, il n’y eût pas d’argument qu’on ne se permît pour faire avorter la loi qui ne faisait cependant que les relever de l’oppression sous laquelle ils gémissaient, sans leur donner aucune espèce de droits. Quelques esprits ennemis de toute innovation croyaient voir dans Y enregistrement de cette loi, la subversion de l’Empire français; et un parti nombreux et violent s’opposa longtemps à l'accomplissement des vœux du monarque et de la saine partie de sa nation. La loi a été néanmoins enregistrée; le feu s’es-t 724 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 avril 1790.] apaisé; la raison a pénétré dans les esprits qu’elle n’avait pas convertis encore ; et le décret, qui va bien plus loin que la loi de 1787, puisqu’il assimile en tout les protestants aux catholiques, ce décret n’a trouvé dernièrement aucune opposition dans l’Assemblée nationale. Ne soyons donc point effrayés des objections qu’on accumule contre les juifs. Elles sont l’effet d’un préjugé semblable à celui qui voulait étouffer la réclamation des protestants, et le même sort leur est réservé. Tant qu’un certain ordre de choses existe, il a toujours plus ou moins de défenseurs ; car autrement, il n’existerait plus. Aussi les innovations, quelles qu’elles soient, rencontrent toujours des obstacles plus ou moins puissants à raison de la nature et de l’ancienneté des préjugés qui attaquent et des abus qu’elles dénoncent. Mais quand elles sont depuis longtemps sollicitées par la voix publique, quand leur nécessité est reconnue par la partie la plus éclairée de la nation, le préjugé succombe, les abus sont proscrits, les innovations triomphent ; et l’on finit par être plus étonné des oppositions qu’elles ont rencontrées, que les opposants n’ont jamais pu l’être des innovations elles-mêmes. Quoi qu’il en soit, examinons les objections faites contre l’admission des juifs à l’état civil. On leur reproche en même temps et leurs vues qui les rendent indignes de cet état, et leurs principes qui les en rendent à la fois indignes et incapables. Un coup d’œil rapide sur la destinée aussi bizarre que cruelle de ces malheureux individus, écartera peut-être la défaveur dont ou cherche à les couvrir, et montrera si l’on est en droit de leur faire faire tous les reproches qu’on leur adresse. Toujours persécutés depuis la destruction de Jérusalem ; poursuivis tantôt par le fanatisme, et tantôt par la superstition ; tour à tour chassés des royaumes qui leur donnaient un asile, et rappelés ensuite dans ces mêmes royaumes; exclus de toutes les professions et de tous les métiers; privés même de la faculté d’être entendus eu témoignage contre un chrétien (1); relégués dans des quartiers séparés, comme une autre espèce d’hommes avec qui il est à craindre d’avoir des communications; repoussés de certaines villes qui ont le privilège de ne les point recevoir; obligés, dans d’autres, de payer l’air qu’ils y respirent, comme à Ausbourg, où ils paient un florin par heure, et à Brême, un ducat par jour; astreints dans plusieurs endroits à de honteux péages : Voilà le tableau d’une partie des vexations exercées encore aujourd’hui contre les juifs. Et l’on oserait se plaindre de l’état d’avilissement où quelques-uns d’eux peuvent être plon-és! On oserait se plaindre de leur ignorance et e leurs vices 1 Ah! n’accusez point les juifs; car, ce serait faire retomber sur les chrétiens eux-mêmes, tout le poids des accusations. Les vices de quelques-uns d’entre eux sont l’Ouvrage des peuples qui leur ont donné un asile; l’avilissement des autres est le fruit des institutions qui les ont environnés. Pour tout dire, en un mot, ce n’est point par l’avilissement et les vices qu’on leur reproche (1) Voyez le mémoire éloquent de feu M. le président Dupaty pour les sept hommes de Metz, suivi d’une consultation de M. Godard. Les p. 43, 46, 47, 48, 73 et 74 sont dignes d’être consultées. aujourd’hui, qu’ils se sont attirés les vexations dont on les a accablés ; mais ce sont ces vexations qui ont produit leur avilissement et leurs vices. C’est parce qu’ils avaient une religion opposée à la religion dominante; c’est parce qu’ils croyaient la leur supérieure à toutes les autres, et qu’ils le disaient peut-être un peu hautement; c’est parce qu’ils ne voyaient aucunes lois comparables aux leurs, qu’ils ont commencé par exciter contre eux la jalousie et la haine. Ils n’étaient alors ni vicieux ni vils. Mais on ne supporte pas longtemps un esprit d’orgueil et des prétentions de supériorité des autres. Us ont donc commencé par être haïs. Bientôt, comme on n’osait pas s’avouer les motifs d’une pareille haine, on a cherché à la justifier, et à se la pardonner à soi-même, en épiant en eux des ridicules ou des vices. Quelques juifs méprisables ont servi la haine populaire; et le mépris dû à eux seuls s’est étendu à tous : ils étaient d’ailleurs peu nombreux; leurs adversaires étaient en grand nombre; et l’opinion publique, qui, dans les siècles reculés surtout, recevaient facilement toutes les impressions, s’abreuvant, comme à plaisir, de tous les récits exagérés qu’on lui présentait contre les juifs, s’est élevée de toutes parts contre eux avec une puissance dont on a peine à concevoir toute l’étendue. — De là, ces vexations étu diées, ces insultes érigées en lois, tous ces signes de mépris dont les divers peuples, à l’envi, ont accablé les juifs. Et, comme il est dans la nature de l’homme de se raidir contre la persécution, comme il est dans sa nature également de haïr ses persécuteurs, et de chercher quelquefois à s’en venger; comme il est dans sa nature, enfin, lorsqu’il est avili, de tomber dans l’indolence et dans l’abattement, de fuir des regards qui lui rappellent sans cesse l’infériorité à laquelle on le condamne, ou de ne paraître en leur présence qu’avec un extérieur timide et rampant, les juifs, ou plutôt la plupart d’entre eux, ont eu envers les chrétiens des torts qu’il est impossible de déguiser, et sont tombés dans un état vraiment déplorable d’avilissement. Mais on voit que, dans l’origine, ils ne méritaient aucun des odieux traitements qu’on s’est permis contre eux. On voit, par conséquent, qu’ils ne font aujourd’hui que ce qu’on les a faits, c’est-à-dire, vils, parce qu’on les a avilis, et entachés de quelques vices, parce qu'oulesy a, en quelque sorte, condamnés. Leurs vices, encore une fois, sont donc l'ouvrage des peuples qui leur ont donné un asile; ils ne sont point la cause, mais l’effet des injustices exercées contre eux. Entrons maintenant dans de plus grands détails. On leur fait un crime de l’usure. Mais d’abord, tous ne sont pas usuriers ; et il serait aussi injuste de les punir tous du délit de quelques-uns, que de punir tous les chrétiens de 1 usure commise par quelques-uns d’eux, et de l’agiotage exercé par plusieurs. Depuis un grand nombre d’années, d’ailleurs, les tribunaux n’ont retenti que de loin en loin de plaintes en usure contre les juifs. Et, souvent, les chrétiens qui les accusent ont succombé dans leurs plaintes (1). (1) La dernière plainte de ce genre que nous connaissions, est. celle rendue par M. de Saint-Janvier, contra Hayem Worms. Il s’agissait d’un objet considérable. La [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] 725 Réfléchissez, enfin, à la condition des juifs. Exclus de toutes les professions, inadmissibles à tous les états, privés même delà faculté d’acquérir un immeuble, n’osant et ne pouvant débiter ouvertement les marchandises dont ils font le commerce, à quelle extrémité les réduisez-vous? Vous ne vouiez pas qu’ils meurent; et cependant vous leur refusez tous les moyens de vivre : vous les leur refusez, et vous les écrasez d’impôts. Vous ne leur laissez donc véritablement d’autre ressource que l’usure; et surtout, vous ne laissez que cette ressource à la classe la plus nombreuse de ces individus, aux besoins desquels l’intérêt légitime d’une modique somme d’argent est bien loin de pouvoir suffire. Ces considérations sont d’une vérité si frappante, qu’elles ont été reconnues et consacrées d’une manière légale. 11 y a toujours des moments où l’injustice est sentie, et où l’on sent en même temps, le besoin où l’on est de la modifier et de la tempérer : et les actes de faveur ou d’indulgence qui émanent alors de la puissance publique, ne sont véritablement que des actes de justice et de nécessité. On a donc senti que, si l’usure était et devait être défendue aux citoyens, à qui tant de moyens sont ouverts pour assurer et améliorer leur existence, elle ne pouvait ni ne devait l’être à des hommes à qui tous, excepté celui-là seul, sont interdits. Et la loi, et les tribunaux ont permis l’usure aux juifs, comme l’unique ressource que la nation, qui leur refusait tout, devait au moins leur laisser. Sans parler des empereurs Charles V et Ferdinand 1er, qui, en Allemagne, ont permis aux juifs de percevoir des intérêts plus forts que ceux de la loi, nous citerons en France, les lettres-patentes de 1632, qui autorisent les juifs à prêter à 16 0/0 ; et nous ajouterons que divers arrêts du parlement de Metz leur ont permis de prêtera 12. D’après de telles considérations et de tels faits, serait-il donc encore possible de reprocher aux juifs des usures rendues nécessaires par les institutions des peuples qui leur donnent un asile, et autorisées par les lois de ces mêmes peuples , des usures, d’ailleurs, dont on ne se plaint que vaguement, et si vaguement, qu’on voit, dans lès tribunaux, moins de juifs encore que de chrétiens accusés de ce genre de délit ? 11 est donc prouvé, sous tous les rapports, qu’il ne serait ni juste, ni même convenable d’insister sur les imputations d’usure faites aux juifs. A ces imputations, on en joint d’autres, également dénuées de fondement. On leur reproche et leur avilissement et leur ignorance. Mais qu’est-ce qui donne des lumières ? C’est l’éducation. Qu’est-ce qui remplit l’âme de passions nobles et élevées? c’est le désir et l’espoir d’occuper une place dans la société, de parvenir aux dignités, aux emplois, de se créer à soi-même un poste, où l’on puisse être utile à sa patrie et à ses concitoyens. Faut-il s’étonner maintenant que les juifs, tenus perpétuellement à une distance infinie des autres hommes, dégradés du titre de citoyens, non seulement comptés pour rien dans la société, mais accablés de mépris par elle, aient langui, pour la cause fut plaidée avec éclat au parlement de Paris. Et le défenseur éloquent de Hayem Worms, M. de Sèze, après avoir commencé par concilier à son client l’intéiêt des magistrats, obtint, le 29 janvier 1785, un arrêt solennel qui le déchargea de l’accusation d’usure portée contre lui, plupart, dans un état d’abjection et d’avilissement qui, à son tour, a produit et entretenu leur ignorance ? Quels avantages eussent-ils recueilli de leurs lumières, et pourquoi dès lors eussent-ils sacrifié un temps considérable à en acquérir, puisqu’à l’avance il leur était interdit d’en faire usage ? Ah ! il faut bien plutôt s’étonner qu’au milieu des institutions dirigées contre eux et des traitements injustes auxquels ils étaient exposés, leur avilissement n’ait pas été plus grand et leur ignorance plus profonde. On voit aujourd'hui parmi eux, et même en France, des hommes que leurs sentiments et leurs lumières rapprochent des autres citoyens. On en voit, qu’une âme élevée en-traîneaux plus généreux sacrifices envers la chose publique. On en voit qui, dans différentes circonstances, dans les temps de guerre et de famine, ont rendu à la nation les services les plus signalés. On en voit, enfin, qui se livrent avec succès à l’étude de la philosophie et des lettres, et dont les écrits honoreraient des citoyens français. Certes, de pareils hommes sont bien dignes de quelque considération particulière ; car, l’on doit compter pour quelque chose tous les obstacles qu’ils ont eu à vaincre, et l’intervalle immense qu’ils ont eu à franchir. Non, les juifs ne sont pas encore ni aussi ignorants, ni aussi avilis qu’ils devraient l’être, à raison de leur bizarre et malheureuse destinée. Ce qu’ils sont, au reste, ils le sont par la force impérieuse des circonstances qui les ont environnées. Mais qu’on écarte ces circontances ; que tout change autour d’eux, et ils changeront aussi; et les vices dont on les accuse, les défautsqu’on leur impute, tout ce qu’on leur reproche, enfin, disparaîtra, quand les causes de ce qui existe auront elles-mêmes disparu. Dans le temps de leur existence politique, ils étaient, comme tous les autres peuples de la terre, livrés aux sciences, aux arts, aux objets d’administration publique; et ils comptaient, parmi eux, plusieurs hommes distingués, dans ces différentes parties. Aujourd’hui, dans les villes de Vienne et de Berlin, où ils ne sont pas persécutés, et où ils reçoivent, au contraire, de grands encouragements, on compte aussi, parmi eux, plusieurs hommes de lettres et plusieurs savants. C’est à Berlin qu’est mort en 1786 le fameux Moses-Mendelshon, l’un des plus grands philosophes et des meilleurs écrivains du siècle; génie vraimeut rare, à qui les Allemands ont donné le titre de platon moderne, et à qui ils destinent un monument public. C’est aussi à Berlin qu’existe aujourd’hui le docteur Bloch, professeur d’histoire naturelle, de physique, de mathématiques et de chimie; homme rare encore, et qui passe pour l’un des plus instruits et des plus profonds qui soient nés en Prusse. A Berlin, c’est à un juif, au célèbre docteur Hertz, que le roi a confié l’éducation de ses enfants; et ce juif a le titre de conseiller aulique du roi. Enfin, considérez les juifs dans les contrées de la France où ils ont été le moins persécutés. Voyez-les surtout à Bordeaux, où ils jouissaient de privilèges considérables. Quelque voix s’est-elte, depuis longtemps, élevée pour les accuser ? On dit qu’en Pologne, où ils possèdent une grande province, ils font labourer leurs champs par des esclaves chrétiens, pendant qu’ils pèsent des ducats, et qu’ils çalculent çe qu'ils peuvent 726 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1T90.] ôter des monnaies, sans s’exposer aux peines portées par la loi. — D’abord, le délit habituel qu’on leur suppose d’altérer les monnaies est imaginaire. Si quelques-uns ont pu s’en rendre coupables, ce n’est pas une raison pour l’attribuer à tous. — Est-ce vrai, ensuite, qu’ils s’occupent exclusivement du commerce, pendant qu’ils font labourer leurs champs par des esclaves chrétiens? Ce serait la faute de la constitution de la Pologne, cù l’on ne compte que deux classes d’hommes, des nobles et des esclaves, et où le commerce se trouve, par conséquent, abandonné entièrement aux juifs. Mais l’assertion n’en est pas moins hasardée. Dans YUkraine et dans la Lithuanie , on voit des milliers de juifs qui cultivent eux-mêmes leurs champs. L’assertion relative aux juifs de Pologne ne prouve donc rien. Et il résulte, au contraire, de tout ce que nous avons dit auparavant, et des exemples que nous avons cités, que, partout, les juifs deviendront meilleurs, lorsqu’on aura cessé de les persécuter. Leur organisation physique est, en effet, la même que celle des autres hommes; et si la société ne les traite pas différemment, pourquoi différeraient-ils eux-mêmes dans la manière de la servir et d’exister dans son sein? On répond que, dans le cas même où tout changerait autour des juifs, les juifs ne feraient remarquer en eux aucune espece de changement; et que tous leurs usages seraient constamment les mêmes, parce que leurs principes sont invariables. Et ici, se multiplient, contre ces malheureux individus, des objections sur lesquelles on se repose avec d’autant plus de complaisance, qu’elles sont, en apparence, moins dirigées contre eux-mêmes que contre leur propre religion; et qu’on se sauve ainsi de la défaveur attachée à combattre des hommes qui sont dans le malheur. On dit que leur morale autorise la tromperie et la mauvaise foi; Que l’usure envers les étrangers est un des préceptes de leur religion ; Que leur religion leur commande également de haïr les étrangers ; Que dans la religion juive, il y a un très grand nombre de fêtes, qui forceraient les juifs à l’inactivité, tandis que les autres citoyens travailleraient à la chose publique; que toutes les semaines particulièrement, il y aurait pour eux, par l’institution de leur sabbat, et l’obligation où ils seraient de chômer le dimanche, un jour de plus, que pour les autres citoyens, consacré au repos ; Que leur religion défend le service militaire; que, d’un autre côté, ils ne pourraient faire ce service avec les autres citoyens, le jour du sabbat; qu’ils n’y seraient nullement propres, attendu l’usage où ils sont de se marier très jeunes; Que la différence de leurs mets, en fait un peuple à part, qui ne peut avoir de communication intime, ni de rapports directs avec les autres hommes; Qu’il leur est impossible de s'affectionner au pays qu’ils habitent, parce qu’ils soupirent continuellement après une nouvelle patrie, et qu’ils ne prendraient jamais l’esprit public. Voilà les objections qu’on a faites, ou qu’on pouvait faire contre eux. Voilà les arguments, en vertu desquels on prétend que les juifs sont inadmissibles au titre et aux droits de citoyens. Il faut répondre séparément à chacune de ces objections. Est-il vrai, d’abord, que la religion des juifs autorise la tromperie et la mauvaise foi ? Certes, aucun article de la loi de Moïse ne contient des préceptes aussi contraires au bonheur de la société ; et les accusateurs des juifs seraient bien embarrassés d’en citer un seul. Appelleront-ils, au secours de leur assertion, quelques commentaires de cette loi ? Mais ce n’est point par des commentaires mal interprétés, ou par des ouvrages obscurs de quelques juifs apostats, que l’on doit se permettre de juger de la religion des Hébreux. Combien la religion catholique serait elle-même décriée, Bi l’on se permettait de juger de ses dogmes et de ses principes, par les commentaires de quelques-uns de ses théologiens ! Les juifs nient donc formellement que leur religion autorise les délits sociaux, qu’on met au nombre de ses préceptes. Quant à l’usure, qu’on dit aussi autorisée par leur religion, ils s’élèvent, avec autant de force, contre cette assertion que contre la précédente. Il ne peut y avoir que deux versets du Deuté-sûnome , mal interprétés, qui aient pu donner lieu à cet étrange blasphème contre la loi des juifs. Ces versets sont ainsi conçus : Non fœnerabis fratri tuo ad usuram , pecuniam ; nec furges, necquamlibet aliam rem. Sed alieno (1). Mais la véritable traduction de ces versets est celle-ci : « Tu ne prêteras à intérêt à ton frère, ni argent, « ni grains, ni rien autre chose. » « Mais tu prêteras à intérêt à l’étranger. » il y a en effet, dans la langue Hébreuse, un terme particulier pour exprimer l'usure , et un autre, pour exprimer l’intérêt ; or, c’est le second qui est employé par la loi, lorsqu’elle parle du prêt à l’étranger : on la calomnierait donc, en lui supposant un autre sens que celui qu'elle offre réellement, et en confondant avec Vusure qui est défendue, l’intérêt qui ne peut pas i’être. Cette loi, à la vérité, établit une différence entre les étrangers et les juifs. Elle dit : Vous ne prêterez à intérêt à votre frère ; mais vous prêterez à intérêt à l’étranger : c’est comme si elle disait : « vous pourriez exiger, de tous ceux à qui vous prêterez, un intérêt légitime ; mais je vous recommande entre vous un esprit particulier de bienfaisance et de désintéressement ; je vous défends de demander à voire frère l’intérêt que vous demanderez à l’étranger ». Une pareille loi peut-elle être un objet de blâme? Et le législateur des Hébreux, qui voulait faire régner des rapports plus intimes, un commerce de secours plus actif entre les divers membres de sa nation, qu’entre eux et les étrangers, ne faisait-il pas pue loi fondée à la fois sur la nature et sur la justice? Tous les jours, dans quelque pays et dans quelque religion que ce soit, ne fait-on pas pour ses amis, pour ses proches, pour les hommes avec qui l’on a des rapports habituels, tout ce qu’on ne se déterminerait pas aussi facilement à faire, et tout ce qu’il serait même impossible, tout ce que les facultés ne permettraient pas de faire pour des étrangers ? Il ne faut haïr personne ; il faut agrandir, autant qu’il est possible, le cercle de sa bienfaisance. Mais il est permis d’avoir dans son cœur des objets particuliers de prédi-(1) Vtrs, 19 et 20 du chap. 23. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1S avril 1790.] 727 lection; et la préférence qu’on leur donne, n’est pas de la haine contre le reste des hommes. C’est ici le lieu de répondre au reproche fait à la religion juive, de recommander la haine contre les étrangers. Ah ! c’est encore là une insigne calomnie contre cette religion. Si, quelque part, Dieu a voulu inspirer à son peuple une sainte colère contre d’autres peuples, c’est contre les habitants seuls de la terre de Ghanaan, qui avaient mérité sa proscription. Mais partout, il prescrit aux juifs de ne faire aucun tort aux étrangers, de ne pas les maltraiter ; il leur dit, au contraire, de les aimer, de leur donner du pain; de visiter les malades; de fournir des vêtements à ceux qui sont dans le besoin. En un mot, les maximes de la religion judaïque sont si humaines, qu’elles recommandent a ceux qui moissonnent et à ceux qui vendangent de laisser des épis et des grappes pour le pauvre et pour l’étranger. Peut-on voir enfin, une réfutation plus complète de l’accusation dirigée contre les juifs, que ces paroles d’un de leurs prophètes : « Procurez, autant qu’il sera en vous, la tranquillité de la ville où je vous ai transportés; priez Dieu pour elle; car la tranquillité de cette ville sera la vôtre (1) ». Et les principes d’amour et de bienfaisance envers les étrangers sont exprimés avec tant de clarté, et répétés fréquemment dans la loi de Moïse, qu’il a été imposible aux commentateurs, de les défigurer par de malignes ou de fausses interprétations. On lit, dans le Talmud, qu’un payen s’étant un jour présenté chez le juif Hidelle, pour apprendre de lui ce que c’était que la loi de Moïse, Hidelle répondit : Mon fils, aimer son prochain, comme on s'aime soi-même, voilà la loi de Moïse; le reste n’en est que le commentaire et l'explication. Nous osons demander maintenant si une religion, qui porte sur une pareille base, peut être accusée de prêcher la haine contre les étrangers? Et ici, nous croyons devoir invoquer les principes qu’elle renferme, pour combattre, par un nouvel argument, l’accusation qu’on se permet contre elle, relativement à l’usure. Ne serait-il pas, en effet, de la plus absurde inconséquence, que, d’un côté, cette religion recommandât tant d'amour, de bienfaisance, de charité, envers les étrangers, et que, de l’autre, et en même temps, elle recommandât de les vexer par de scandaleuses usures? Elle ne recommande donc point l’usure contre les étrangers. Elle ne dit point de les haïr, puisque, partout, elle établit des principes et exprime des sentiments contraires à ceux de la haine. Elle ne prescrit pas davantage la tromperie et la mauvaise foi. Ces trois arguments, par lesquels on cherche à démontrer l’impossibilité d’élever les juifs au rang de citoyens, leur ont donc été injustement opposés; et il n’y a pas d’apparence qu’ils reparaissent dans la discussion définitive qui aura lieu. Mais on leur reproche le nombre de leurs fêtes, qui leur donnent bien plus de jours de repos qu’aux autres citoyens. D’abord, ce nombre qui a été porté à cinquante-six par un de leurs adversaires, (1) Et quœritepacem civitatis,adquam transmigrare vos fecl ; et orate pro eâ ad Dominum : quia in paçe illius eritpax pestra. Jerem, cap. 29, v. 7, doit être réduit à treize (1) ; et encore sur ces treize la plupart se rencontrent avec le jour de leur sabbat et avec les fêtes des catholiques. Le nombre qui reste est donc trop peu important, pour qu’il mérite une réponse particulière. Ils ont, à la vérité, à raison de leur sabbat qui revient toutes les semaines, cinquante-deux jours de repos qu’ils ne partagent pas avec les càtho-: liques. Et l’on objecte que, par respect pour les observances religieuses de ceux-ci, étant obligés de chômer le dimanche ou du moins de ne pas travailler publiquement, ils auront chaque semaine deuxjours de suite consacrés au repos. La réponse des juifs sera bien simple; c’est qu’ils se soumettent à une apparente inaction les jours de fête célébrés par les catholiques; et qu’eux seuls auront à en souffrir. C’est que la plupart des métiers et des professions ne s’exercent pas en commun, mais isolément; que le repos des uns ne dérange par conséquent pas les opérations des autres; que les juifs chercheront à regagner, par une plus grande activité, les pertes de temps qu’ils éprouvent; qu’au reste, s’ils travaillent un moindre nombre de jours que les catholiques, ils feront des profits moins considérables que ceux-ci; que voilà' le seul inconvénient qui en résultera, mais qu’on ne peut leur opposer un inconvénient qui n’est que pour eux seuls, et qui n’est, en aucune manière, préjudiciable aux autres. On répondra qu’il serait préjudiciable à ceux-ci, en ce que le service militaire auquel les juifs seraient assujettis le jour du sabbat, ne serait pas fait par eux. On fait même une objection plus forte, en disant que la loi de Moïse défend le service militaire, et que, d’ailleurs, elle y rend les juifs absolument impropres. Avant de répondre à chacune des objections, il est important d’observer que, dans le cas même où le service militaire serait interdit aux juifs par leur religion, ce ne serait pas un motif pour leur refuser le titre et les droits de citoyens. N’y a-t-il donc d’autres professions que celle des armes, d’autres métiers que celui de la guerre? La conscription, qui avait pour objet de faire de tous les citoyens des soldats, sans considération pour leur tempérament, pour leur goût, pour leurs fortunes, vient d’être rejetée par l’Assemblée nationale. Chacun est libre de consacrer sa vie ou de la dérober à l’exercice des armes. On peut être bon citoyen sans être soldat. Et, en effet, si l’on sert bien sa patrie, qu’importe que ce soit dans le tumulte des camps ou dans l’intérieur tranquille des villes? La religion des Quakers et des Anabaptistes leur interdit la guerre ; et cependant, ils n’en sont pas moins de bons citoyens. Le Quaker, en particulier, est séparé par une infinité d’usages des hommes avec lesquels il vit ; et il sert aussi bien qu’eux le pays qu’il habite. (1) Voici le tableau de ces treize fêtes : Deux, au mois de septembre, pour le nouvel an des juifs; Une, appelée le grand jour de pardon, dix jours après le nouvel an; Quatre, appelée fêtes de tabernacles ; Quatre, à Pâques; Et Deux, à la Pentecôte. Nous observerons que les fêtes de tabernacle sont au nombre de neuf, et celles de Pâques au nombre de huit. Mais au moyen de cinq jours d’intervalle dans le temps des fêtes de tabernacle, pour vaquer à ses affaires, et au moyen des quatre jours pour le même objet dans le temps des fêtes de Pâques, les unes et les autres se trou* vent en tout réduites à quatre, 728 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES! [13 avril 1790.) Quand il serait donc vrai que la religion des juifs leur défendît le service militaire, on ne pourrait se fonder sur une pareille défense, pour leur refuser les droits de citoyens, puisque le service militaire est une charge dont on peut s’en affranchirai que celui qui s’en affranchit a d’autres moyens d’être utile à la chose publique. Mais ou s’est trompé, en parlant de la défense imposée aux juifs par leur religion. Nulle part, on n’en trouve de traces dans la loi de Moïse. Voudrait-on dire que le service militaire leur est interdit, parce que, le jour du sabbat, il leur est défendu de porter les armes; et que des hommes qui ne sont pas tous les jours disposés à marcher et à agir ne peuvent être soldats? Mais la défense particulière de porter les armes le jour du sabbat n’existe pas plus, d’une manière indéfinie, dans la loi de Moïse, que la défense générale du service militaire. Serait-il vraisemblable que Moïse, qui a fait les lois des Israélites, et qui les a formés à la guerre, leur eût interdits, indéfiniment, les combats un jour de la semaine? Ne les eût-il pas rendus la proie des assaillants, en les mettant, par sa loi, dans l’impossibilité de se défendre, s’ils étaient attaqués le jour du sabbat? Il ne faut donc pas même soupçonner que la loi dont on parle puisse exister. Nous ne dissimulerons pas cependant qu’après leur retour de la Perse, les juifs s’imaginèrent, supersticieusement, qu’il ne leur était pas permis de se défendre le jour du sabbat, et que Dieu seul devait les secourir. Mais s’élant aperçus, dans une guerre mémorable, où périt "un grand nombre de juifs, qui ne voulurent pas se défendre, que le principe qu’ils s’étaient faitsétaitaussi'absurde que dangereux, ils décidèrent qu’ils se défendraient le jour du sabbat s’ils étaient attaqués, mais que, ce jour-là, ils ne seraient jamais lesaggresseurs(l). Cette décision était encore réservée dans des bornes trop étroites; et on lit dans IeTalmud (2), qu'il est du devoir de tout juif de faire sans distinction quelque ouvrage que ce soit le jour du sabbat, si, par-là , la vie d’un seul homme peut se sauver. Tous les faits d’ailleurs, tant anciens que modernes démentent hautement le reproche fait à la religion juive, de contraindre à une entière inaction, pendant le jour du sabbat, les soldats juifs. — Dans le dernier siège de Jérusalem, n’ont-ils pas combattu indistinctement tous les jours ? — Us ont servi en Macédoine, sous Alexandre ; en Egypte, sous les Ptolémées; à Rome, sous Pompée, César et Antoine; et l’histoire ne dit pas qu’il y avait un jour de la semaine où ils étaient obligés de se reposer; ce jour de repos était même impossible dans la continuelle activité des armées. — Nous ajouterons qu’il y a quelques années, un juif portugais, au service de la Hollande, déploya, dans un célèbre combat entre les Anglais et les Hollandais, une bravoure si distinguée, qu’il excita l’émulation de ses compatriotes, et que ceux-ci ayant demandé au grand rabbin d'Amsterdam, la permission de servir sur les flottes, il Va accordée, et a donné sa bénédiction à une résolution aussi noble, enenjoignant seulementaux combattants d,' observer le sabbat, et les autres rites et préceptes de la loi, AUTANT QUE LE SERVICE LE PERMETTRAIT (3). /il �acbab., lib. 1, cap. 2, vers. 34 —42. o Tü1?-,1îd» Mass" EruJdn. pages 19 et 45. (o) Addition du traducteur çtç l’ouvrage de M. Dohm, iffo 94 A. • Ainsi, d’un côté, il est prouvé que la loi de Moïse ne contient, relativement au service militaire, aucune défense qui doive empêcher les juifs d’être admis aux droits de citoyens ; et de l’autre, il est également prouvé que les défenses qu’elle pourrait contenir seraient incapables de nuire à cette admission. L’objection tirée de la prétendue impossibilité où sont les juifs d’entrer dans le service militaire disparaît donc entièrement. Dira-t-on qu’il y a une espèce de service militaire, étranger à celui des armées, et auquel tous les citoyens qui ne sont pas enrôlés dans celles-ci, sont vigoureusement assujettis; que ce service est celui de ces gardes nationales , qui jusqu’à présent ont si bien travaillé à opérer la Révolution, et qui désormais contribueront à la maintenir; qu’ici la souscription est, pour ainsi dire, établie, puisque le service est obligatoire et personnel ; que, dès lors, on ne peut plus opposer comme au sujet du service des armées, la liberté où l’on est de s’enrôler ou de ne pas s’enrôler ; et que des hommes, à qui la loi défendrait de porter les armes un certain jour de la semaine, et séparerait ainsi des autres citoyens, ne pourraient être assimilés à eux pour avoir leur titre et exercer leurs droits ? Cette objection n’aurait aucune force dans le cas même où il ne serait pas prouvé que la défense, sur laquelle on se fonde, n’existe pas. Le service, en effet, dont il s’agit, n’est pas journalier; il n’exige, dans le cours d’une arnnée, qu’un certain nombre de jours proportionnés au nombre des citoyens; ces jours pourraient être arrangés de manière à ce qu’ils ne se rencontrassent pas avec ceux fêtés par les juifs; et il n’y a aucun chef de milice qui se refusât à ces arrangements, qui ne seraient ni difficiles pour lui ni préjudiciables aux citoyens. Si, d’ailleurs, une nécessité impérieuse leur en faisait la loi, on les verrait, le jour même de leur fête, marcher, agir et se défendre avec autant de courage que leurs compagnons d’armes. Mais c’est beaucoup trop insister sur une objection qui, de toutes manières, comme on le voit, est dénuée de fondement. Nous ne répondrons plus que deux mots, pour terminer tout ce qui concerne le service militaire, à cette objection résultant de ce que la loi des juifs les rend impropres à ce service. D’abord, qu’importerait qu’ils y fussent impropres? Et serait-ce une raison pour leur refuser les droits de citoyens ; puisqu’ils pourraient exercer d’autres professions utiles à la société ; puisqu’il y a une liberté absolue de s’enrôler ou de ne pas s’enrôler; puisqu’enlin ils pourraient être traités, relativement à la seconde espèce de service dont nous venons de parier, comme un grand nombre de citoyens, qui, ne pouvant servir en personne, contribuent, par des taxes particulières, à cette charge ou à cette fonction publique? Mais en quoi et comment les juifs seraient-ils impropres au service militaire ? N’ont-ils pas formé autrefois un peuple de guerriers ? Et leur loi, qui autrefois les rendait propres à la guerre, pourrait-elle aujourd’hui les y rendre impropres? Us se marient jeunes, dit-on. — Mais ils ne se marient pas avant Rentier accroissement de leurs forces. Mais la profession des armes, d’ailleurs, ne convient-elle qu’à des célibataires 1 Mais enfin, ceux qui se voueraient à cette profession ne [Assemblée nationale.] . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.J 709 pourraient-ils pas, comme tant d’autres hommes qui sont de leur religion, prolonger leur célibat? Il suffit, au reste, de les considérer dans les temps anciens, et de voir ce qu’ils sont sur les flottes de la Hollande, pour réfuter ce reproche qui leur est fait d’inaptitude au service militaire. Ils y sont impropres par un autre motif, ajoute-t-on ; par leur manière de se nourrir, différente de celle des autres hommes ; et par l’embarras, l’impossibilité même où l’on serait de pourvoir à cette nourriture. Mais la plupart des mets leur sont communs avec les catholiques; et quant à ceux qui leur sont particuliers, il leur est possible, ou de s’en abstenir pendant quelque temps, ou de les préparer eux-mêmes. Ce n’est point cette différence entre leur manière de se nourrir et celle des catholiques qui doit être un obstacle à leur admission aux droits de citoyens. Il y a tant d’autres rapports intéressants par lesquels ces hommes de religions diverses peuvent se rapprocher les uns des autres, que ceux-là seuls doivent être considérés. Et ces rapports, qui sont ceux de bienfaisance, de charité, de patriotisme, de talents, seront communs aux juifs comme aux chrétiens, quand tous ensemble ne formeront qu’un peuple de frères et de citoyens. On prétend que cette communauté touchante ne se formera jamais ; parce que les juifs sont au milieu des peuples qui leur donnent un asile, une tribu particulière qui, tournant sans cesse les yeux vers une autre patrie, aspire continuellement à abandonner la terre qui la porte, et à qui il est impossible de s’affectionner au pays qu’elle habite. — Il y a une manière péremptoire de répondre, pour les juifs, à cette objection. C’est en citant leur Talmud, qui leur impose la loi de ne s’occuper de leur rentrée en Palestine, que lorsque de hautes merveilles leur annonceront le Messie. Leur religion ne leur défend donc pas, et leur intérêt leur fera un devoir de s’attacher aux lieux qui renfermeront leurs professions, et qui leur offriront le bonheur. Ainsi, ni la religion, ni les mœurs, ni les rites et usages des juifs ne s’opposent à leur élévation au titre de citoyens, et ne sont incompatibles avec les fonctions que ce titre impose. On doit déjà être convaincu de cette vérité. Mais ou le serait encore davantage, si l’on con-naissaitplusexactement cette religion, ces mœurs, ces rites et usages, dont on parle si souvent sans les connaître. 11 est du devoir des juifs d’en retracer ici le rapide tableau, afin de réparer les outrages faits à la vérité, et de justifier en même temps la légitimité de leur vœu. Leur religion renferme trois dogmes principaux : L’unité de Dieu ; L’immortalité de l’âme ; Les peines et les récompenses futures. Leur culte est fondé sur trois principaux rites : La circoncision ; Le sabbat ; Et les fêtes qui leur sont particulières. Leurs lois étaient nombreuses ; une grande partie ne s’observe plus parce qu’elle ne peut plus être observée. Une de ces lois ordonnait que l’homme épousât la veuve de son frère, mort sans postérité. Elle n’existe plus. La polygamie leur était permise autrefois. Elle n'a plus lieu aujourd’hui, excepté dans quelque coin de l’Orient. . Le divorce leur est permis ; mais il est extrêmement rare. Nous ne parlons pas de leurs autres lois (1). Ils sentent la nécessité que tous les citoyens d’un vaste Empire soient soumis à un plan uniforme de législation. Nous arrivons maintenant à leur morale et aux usages qu’elle a produits (2). Elle a été souvent calomniée ; on va juger si elle méritait de l’être. La charité envers leurs frères indigents est une de leurs premières vertus. Ils ne manquent jamais de payer aux pauvres la dîme que les chrétiens payaient au clergé, et soumettent même, à cette espèce d’impôt volontaire, le produit de leur industrie. Us ont un respect religieux pour les auteurs de leurs jours; Us ne meurent point sans recevoir la bénédiction de leurs pères, ou sans la donner à leurs enfants; Leur instituteur est respecté par eux autant qu’un père; Une vénération profonde est portée aux vieillards ; Enfin, ils s’interdisent le commerce, en gros, des blés ; et leur religion prononce une sorte d’anathème contre ceux qui entassent cet objet de première nécessité. Les principes de leur morale sont donc aussi touchants que purs ; et si leurs actions n’ortt pas toujours paru conformes à ces principes, c’est par un effet de la haine qui leur était vouée, et des injustices exercées contre eux. Mais, sans avoir besoin de développer ici les conséquences qui résulteront d’un autre ordre de chose, on voit que ni la religion, ni la morale, ni les lois des juifs, ne contiennent des principes antisociaux. Les juifs sont donc faits, comme tous les autres membres de la société, pour être citoyens ; puisqu’ils peuvent, comme eux tous, contribuer à son bonheur; et leur religion ne peut former aucun obstacle à l’accomplissement de leur vœu, puisqu’elle n’est, relativement à ceux qui ne la professent pas, qu’un assemblage particulier de dogmes et de cérémonies, qui n’importent nullement au bien général de l’Etat. Voilà des maximes que la raison et la justice avoueront sans doute, et qui doivent assurer aux juifs le succès de leurs réclamations. Mais le préjugé du peuple est mis en avant. On dit que l’admission des juifs à l’état civil sera pour eux un arrêt de mort, et par intérêt pour eux-mêmes, il faut leur refuser cette admission. Ah 1 par intérêt poureux.au contraire, accordez-leur ce qu’ils réclament, et ce que vous devez leur accorder. C’est précisément l’état de nullité, de honte, d’abjection profonde, auquel vous condamneriez les juifs ; c’est l’authenticité de votre refus qui semblerait être une approbation solennelle des haines populaires, qui exciterait ces haines au lieu de les éteindre, et qui autoriserait (1) Chez les juifs, les femmes n’héritent qu’à défaut de mâles. La majorité est fixée à 13 ans. Les inhumations sont précipitées. Pour tous ces objets, qui n’ont pas de rapport à la religion, les juifs doivent être soumis aux lois générales du royaume. (2) Si l’on voulait beaucoup de détails à cet égard, on pourrait consulter l’importantouvrage deM. dePastout, intitulé : Moïse considéré comme législateur et comme moraliste. 730 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 avril 1190.) le peuple à de nouveaux excès, en lui montrant, dans les juifs, des hommes au-dessous de lui, et voués dès lors aune dégradation éternelle (1). Le peuple, comparant la déclaration des droits, si souvent lue, relue par lui, et dont il lui est si facile d’abuser, avec la malheureuse destinée des juifs, ne pourrait pas même voir en eux des hommes; il n’y verrait que les vils instruments de ses passions, le jouet honteux de ses caprices : et son préjugé s’enracinerait; et sa haine deviendrait inextinguible; et sa fureur, qui a si souvent éclaté contre les juifs, serait plus facile encore à s’enflammer ; tandis qu’un décret solennel en leur faveur, un décret demandé à l’avance, et sanctionné ensuite par la saine partie de la nation, serait à la fois le blâme du passé et une leçon pour l’avenir. Illustres représentants de la nation, hâtez-vous de manifester votre vœu; et le peuple, accoutumé à vous croira, à vous respecter, à vous obéir, vous croire, vous respectera, vous obéira, quand vous lui direz de voir dans un juif, son concitoyen et son frère. Un motif de crainte s’empare des esprits ; et l’on dit que les juifs, qui ont en Alsace plus de 12 millions d’hypothèques, sur les terres, deviendraient dans un mois propriétaires de cette province; que, dans dix ans, ils l’auraient entièrement conquise, et que cette province ne serait plus qu’une colonie juive. — À-t-on bien calculé la valeur des hypothèques des juifs sur les terres d’Alsace; et est-il bien vrai d’abord qu’elles 3’élèvent à douze millions? Pourquoi ne pas dire d’ailleurs que les juifs sont débiteurs de la moitié des sommes dont ils sont, par les hypothèques , créanciers apparents ? Peut-on supposer, ensuite, que les juifs, qui ont un intérêt si puissant de ménager l’esprit du peuple, voudraient au contraire l’animer contre eux, en profitant, si à la hâte, du bienfait qui leur serait accordé? Mais, au reste, admettons dans toute son étendue l’assertion avancée contre les juifs ; si leurs créances sont légitimes, si leurs hypothèques sont légales, si, en vertu de ces hypothèques, ils ont le droit bien incontestable de posséder les terres qui y sont affectées, pourquoi n'useraient-ils pas de ce droit? Serait-ce parce qu’ils sont juifs? Mais qu’importe cette qualité de juifs , et quels rapports a-t-elle à la faculté d’acquérir, ou de posséder un immeuble? — Ils formeraient, dit-on, une colonie juive? Et qu’importe encore ? On ne s’accoutumera donc jamais à séparer la qualité de juif de celle de citoyen ! On verra le juif partout, et le citoyen nulle part? Non, ce ne serait point une colonie juive , mais une colonie citoyenne, qui serait établie en Alsace. 11 n’y aura, dans les diverses parties du royaume, que des citoyens, enveloppés dans la classe générale ; soumis aux lois communes ; unis, s’ils se rendent coupables de quelque délit; onorés* s’ils se conduisent avec honneur. Les juifs étant citoyens, pourront donc, sans inconvénients, être plus nombreux ici que là, avoir plus de propriétés dans un lieu que dans un autre ; comme les protestants sont, sans inconvénients, plus nombreux et plus riches, dans le Languedoc, que dans les autres provinces. Il n’v a point, pour cela, de colonie de protestants; il n’y aura pas davantage de colonie de juifs. Les (1) Déjà, par un effet du décret du 23 décembre, qui tient en suspens le sort des juifs, il a été affiché en Alsace, que tous les domiciliés, à l'exception des juifs, auraient le droit d’entrer daps les assemblées, noms de secte ne sont rien ; et c’est par le seul titre de citoyens, que les individus d’un même Empire doivent se rapprocher les uns des autres, tant pour leur intérêt particulier, que pour l’intérêt public. Ainsi, point d’inconvénients que les juifs, en devenant citoyens, devinssent propriétaires des terres gui leur appartiennent, puisque, par l’effet des lois communes, ils ne pourraient être autre chose que ce que sont aujourd’hui les différents propriétaires du royaume. Mais, nous le répétons, ils sont les premiers intéressés à éteindre dans l’esprit du peuple le préjugé qui le domine encore : et ils se garderont bien de tous les actes qui pourraient tendre à le perpétuer. Les colonies dont on parle deviendraient-elles d’ailleurs assez puissantes, pour être dangereuses? Il y a aujourd’hui cinquante mille juifs en France ; si, dans quelques années, par une suite de l’amélioration de leur sort, leur population se doublait, que serait-ce que cent mille juifs, à côté de vingt-cinq millions d’habitants ? Sous tous les points de vue, l’objection que nous venons de combattre ne peut donc être un obstacle à l’admission des juifs à l’état civil. Voilà toutes les objections humaines épuisées. Les voilà toutes détruites. Mais le ciel en fournit encore aux adversaires des juifs; et voici l’argument qu’ils tirent de la religion catholique; de cette religion, qui est une religion de paix, de bienfaisance, de charité. Ils prétendent que Dieu a condamné les juifs à un malheur éternel ;- et que les catholiques ne peuvent ni ne doivent contrarier les décrets de la divinité (1).— Mais les juifs ne seront-ils pas toujours malheureux, par leur seule dispersion sur la terre! Ne seront-ils pas toujours malheureux, tant que, par leur réunion complète, ils ne formeront pas un peuple puissant, tel que celui qui existait à Jérusalem? Et, dès lors, cette prophétie de malheurs, qu’on leur oppose sans cesse, ne continuera-t-ellé pas à s’accomplir 1 La cessation de toutes les injustices humaines en vers les juifs, la concession de tous les droits civils, ne peuvent donc être considérés comme un combat de la terre contre le ciel, puisque les hommes en faisant ce qu’ils doivent, n’empêcheront point la colère divine, qui est indépendante de leurs actions, de s’exercer, comme auparavant, contre les juifs ! Est-ce aux hommes, en effet, de vouloir interpréter les décrets de la Divinité! Est-ce à eux à se charger de sa vengeance! Lorsque Dieu a dit que les juifs seraient malheureux, a-t-il commandé aux hommes de les rendre tels ! Leur a-t-il dit : il y aura une portion de vos semblables, à qui il vous sera permis de tout refuser impunément, que vous pourrez, impunément, haïr, et traiter en esclaves! C’est à la Providence à exécuter, à son gré, ses desseins. Et c’est aux hommes à remplir leur véritable mission sur la terre, celle de rendre tous les hommes heureux. Dira-t-on que la destinée des juifs est immuable ; que leur sort est d’être toujours malheureux; ue tous les efforts qui voudront arrêter le cours e leurs malheurs, seront constamment impuissants ; et cherchera-t-on à prouver toutes ces assertions par la révocation forcée du bill de 1753, qui, en Angleterre, avait accordé aux juifs les droits (1) La réponse à cette objection s» trouve dans l’ouvrage de M, l’abbé Grégoire, intitulé : E suai sur la régénération physique, morale et politique desjuifs, pages 130 et 134; et dans un autre écrit du même auteur, ayant pour titre ; Motiçn en faveur des juifs , pages 1$ et IA [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.[ 73� de citoyens! — Certes, on pourrait dire aussi qu’en 17401e roi des Deux-Siciies, devenu depuis roi d’Espagne, avait accordé aux juifs des privilèges distingués; mais qu’un prétendu prophète d’un ordre monastique ayant annoncé que le roi n’aurait pas d’héritiers mâles, s’il conservait les juifs dans son royaume, le roi consentit à les hannir et les bannit en effet. Pourquoi ne citerait-on pas cet acte étrange desuperstition, comme un argument contre l’admission des juifs à l’état civil ! A l’égard delà révocation rapide du bill de 1153, elle ne sera, pour aucun esprit impartial, un objet d’étonnement, quand on saura qu’en 1753 le préjugé contre les juifs était encore plus enraciné et plus violent en Angleterre, qu’il ne l’est aujourd’hui en France ; et la preuve de ce fait, c’est la cruauté des lois portées , dans ce premier royaume, contre ces malheureux individus. Il y avait une telle haine contre eux, sous les règnes de Guillaume le Conquérant et de ses successeurs, jusqu’à celui d’Edouard 1er, que ceux même qui contractaient quelque alliance avec les juifs, étaient comparés à tout ce que la nature, dans ses écarts, peut offrir de plus révoltant, et qu’ils étaient condamnés à être ensevelis vivants dans la terre (1). De pareilles lois ont fini, à la vérité, par être réprouvées par les descendants de ceux qui les avaient portées, Mais elles peignent l’esprit du peuple anglais à l’époque où elles étaient encore en vigueur; elles prouvent que cet esprit n’a pu s’affaiblir tout à coup, que la haine ne pouvait s’éteindre que par degrés, et qu’en 1753 le préjugé devait être encore plus fort qu’il ne peut l’être aujourd’hui en France, où malgré la barbarie des lois, il n’en a jamais existé d’aussi cruelles que celles que nous venons de citer. Le préjugé, d’ailleurs, se tempère en France, par la douceur des mœurs françaises. Mais pouvait-il être tempéré de même en Angleterre! Il fallait tout y attendre de l’influence du temps, de celle de la liberté ; et il est hors de doute qu’aujourd’hui, où les idées ont pris une altitude considérable dans cette île célèbre, on n’v verrait plus un événement tel que celui de 1753. — Il faut considérer, d’un autre côté, que les lumières qui commencent par affaiblir et qui finissent par détruire entièrement les préjugés, sont, dans ce moment, plus universelles et plus étendues en France, qu’elles ne l'étaient, en 1753, en Angleterre. Ainsi la révocation du bill de 1753 n’a été en Angleterre que l’effet de plusieurs circonstances, qui, n’existant point en France, n’y forceront point la révocation du décret réclamé par les juifs, et qu’ils osent dire que toute la nation réclame pour eux. Si d’ailleurs on cite la révocation du bill de 1753, comme un argument contre l’admission des juifs à l’état civil, les juifs citeront, à leur tour, les deux édits de l’Empereur ; ils citeront le second surtout, qui est le complément du premier ; qui leur accorde tout ce qu’on a senti qu’on aurait pu leur accorder dans le précédent; qui les met, enfin, au niveau des autres citoyens; et ils oseront dire que nul repentir n’a encore suivi la promulgation de ces édits ; que le peuple, au contraire, est satisfait de l’acte de justice dont les juifs ont été l’objet, et qu’il n’y a pas d’apparence que la révocation de cet acte paraisse jamais nécessaire et soit jamais demandée. (1) Contrahentes cum Judœis vel Judœabus, peco-rantes et sodomitce, »’« Urra viri çonfodiantw, Êleta, ]ib. i, cap, 37 Aucune objection ne peut donc résister à cette justice impartiale et sacrée, qui veut que les juifs, qui sont des hommes, soient traités en hommes. Tous les raisonnements qu’on a présentés ont été réfutés par d’autres raisonnements. Toutes les considérations ont été vaincues par des considérations plus fortes. Tous les faits ont été combattus par d’autres faits ; et il ne doit rester dans les esprits, que l’intime conviction de la nécessité d’une loi favorable aux juifs, et dans les âmes, que le désir ardent qu’une telle loi soit bientôt promulguée. Mais on propose des tempéraments ; on dit hautement qu’ils sont nécessaires ; que, sans ces tempéraments, la concession de tous les droits civils faite aux juifs aurait les plus grands dangers ; on demande, en conséquence, ou que les juifs se rendent, pendant quelques années, dignes de la loi qu’ils réclament, ou qu’on les prépare à la recevoir par des améliorations successives et graduées. Ah ! tout serait perdu, si de pareilles idées pouvaient trouver faveur dans les esprits. Mais avant de faire voir tous les inconvénients gui en seraient la suite, qu’il soit permis aux juif sde représenter que, si c’est une justice de leur accorder le litre et les droits de citoyens, ce serait une injustice de retarder pour eux le moment de cette concession ; Qu’il leur soit permis de dire qu’il n’est pas au pouvoir des hommes de ne pas cesser d’être injustes, aussitôt qu’il s’aperçoivent et qu’ils reconnaissent qu’ils l’ont été. Qu’il leur soit permis de dire, enfin, que si, tous les jours, on invoque avec succès cet axiome encore plus juste qu’numain, qu’il vaut mieux souvent cent coupables que de voir périr un innocent, les mêmes principes de justice ne veulent pas qu’un seul homme, qui serait digne de posséder les droits des citoyens, soit sacrifié à un plus grand nombre d’hommes qui ne seraient pas encore dignes de cette possession. Or, ici, ce n’est pas un seul homme, parmi les juifs, c’est plusieurs, c’est un très grand nombre qui sont dignes d’être citoyens et qui doivent l’être. Serait-il juste de les priver de leurs droits, de les condamner à l’isolement et à l’opprobre, parce que d’autres hommes, parmi eux, avilis, parce qu’ils doivent l’être, avilis, parce qu’il serait extrêmement difficile qu’ils ne Je fussent pas, ne paraissent pas encore dignes du titre et des droits de citoyens ? Si ceux-ci n’en sont pas encore dignes, ils le deviendront. S’ils n’en sont pas dignes encore, faut-il pour cela en priver les autres ? Que la loi qui peut et qui doit également atteindre tous les citoyens, punisse tous ceux qui, par quelque bassesse ou quelque délit, se montreraient indignes de ce titre ; et tous les dangers seront prévenus ; et tous les inconvénients seront sauvés ; et la société, lorsqu’elle éprouvera quelque trouble ou quelque préjudice, sera vengée. En un mot, sous prétexte qu’il y a des juifs encore avilis et indignes des droits civils, qu’il n’y ait pas, contre tous, uue loi générale de proscription ; c’est-à-dire une loi injuste qui envelopperait l’innocent avec le coupable, et le bon avec le mauvais citoyen. La justice rejette donc tous les tempéraments qui pourraient être proposés relativement à l’état des juifs. Voyez, maintenant, quels seraient les inconvénients qui en résulteraient. Par ces tempéraments qui auraient pour objet, pu de retarder le moment de la civilisation des 732 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] juifs, ou de leur donner des lois particulières, ou de les soumettre à une surveillance qui ne serait établie que pour eux. ou enfin de ne leur accorder qu’une portion des droits civils, vous feriez croire au peuple que les juifs sont, en effet, des hommes différents des autres hommes ; et vous repousseriez dans le fond des cœurs le préjugé qui est prêt à s’en échapper ; vous le perpétueriez, au lieu de le condamner et de le détruire. Tous les auteurs qui ont écrit en faveur des juifs ont partagé, suivant nous, la même erreur ;(1) c’est de vouloir ou adoucir, par degrés, lesort des juifs, au lieu de le rendre sur-le-champ tel qu’il doit être, ou de faire à leur égard des règlements particuliers, au lieu de les astreindre aux lois générales. Ils voudraient, par exemple, que le nombre des juifs fût limité dans chaque Ville ; que toutes les fois que le nombre excéderait celui qui est fixé, on en fît refluer quelques-uns dans d’autres endroits; que, dans les villages, on n’admît que ceux qui sont artisans ou artistes, et non ceux qui seraient livrés au commerce ; qu’on les obligeât de s’instruire ; qu’un commissaire royal surveillâtles assemblées, qu’ils seront obligés de tenir pour les affaires indispensables relatives à leur religion ; que dans ces assemblées, tout fût traité en langue vulgaire. Nous le disons hautement ; plus on ferait de ces règlements particuliers, et plus on fortifierait la ligne de démarcation qui a existé jusqu’à présent entre les juifs et les chrétiens; tandis que les efforts communs doivent tendre à l’effacer entièrement. 11 faut que les juifs aient leurs lois religieuses, il faut qu’ils aient des règlements intérieurs relatifs à l’exécution de ces lois. Mais dans tout ce qui concerne l’ordre civil, évitez toute distinction entre eux et les chrétiens; évitez tout ce qui pourrait, à chaque instant, réveiller d’anciennes haines ; qu’en toutes choses les juifs se trouvent mêlés, confondus, unis avec les Français. Voilà, nous le croyons, les seuls principes conformes au maintien des droits sociaux. Voilà les seuls qui puissent entretenir la paix et cimenter la concorde dans un Etat. Tout ce qu’on n’aurait pas osé, d’ailleurs, ou tout ce qu’on n’aurait osé, qu’avec des précautions infinies, à une époque plus reculée, on peut et on doit l’oser dans ce moment de régénération Universelle, où toutes les idées et ses sentiments rennent une nouvelle direction ; et il faut se âter de l’oser. Pourrait-on craindre encore l’influence d’un préjugé contre lequel la raison réclame depuis longtemps, lorsque tous les anciens abus sont détruits et tou3 les préjugés anciens renversés ? Les changements qui s’opèrent dans la machine politique ne déracineront-ils pas dans l’esprit du peuple les idées qui les dominaient ? Tout change autour de lui ; il faut que le sort des juifs change en même temps; et le peuple ne sera pas plus étonné de ce changement particulier que de tous ceux dont il se voit chaque jour environné. Voici donc le moment, le véritable moment de faire triompher la justice ; attachez l’amélioration du sort des juifs à la Révolution ; amalgamez, pour ainsi dire, cette révolution partielle à la révolution générale ; et vos efforts seront couronnés ; et le peuple ne murmurera point ; et le temps con-(1) M. le comte de Mirabeau est peut être le seul, qui, dans son moset mendelshonn, ne soit pas tombé dans cette erreur. solidera votre ouvrage et le rendra inébranlable. L’occasion est unique peut-être, parce que ce grand acte de justice n’éprouve aucune résistance ; et les représentants de la nation, qui ont fait tant de bien à travers tant d’obstacles, ressentiront quelque satisfaction à n’exprimer qu’une volonté, et presque point d’obstacles à vaincre. On a cherché à effrayer les juifs, en leur disant que l’ajournement du 24 décembre était indéfini, et que l’Assemblée nationale, par un esprit de prudence, en avait saisi l’idée avec empressement, pour se dispenser de juger la question. Ah I qu’ils ont rejeté bien loin ce moyen insidieux qu’on a mis en usage, pour essayer de tromper leurs vœux et décourager leurs espérances 1 Gomme ils ont soutenu, au contraire, que des législateurs qui, dans toutes les circonstances, avaient montré un respect si profond pour les droits de l’humanité, des égards si touchants pour le malheur, montrassent aujourd’hui une prudence, qui serait à la fois (ils oseront le dire), de la pusillanimité et de l’injustice ! Les juifs ne sont plus, à la vérité, exposésàtous les traitements odieux auxquels ils étaient exposés autrefois. On ne leur dit plus, comme sous le règne de Dagobert Ier et de Léon l’Isaurien, qu’il faut opter entre le baptême ou la mort. On ne leur enlève plus, comme on le faisait en d’autres temps, leurs enfants impubères, pour élever ces enfants dans la religion catholique. On n’a plus cette active et absurde barbarie, mise en usage sous le régime féodal, de forcer d’abord les juifs à se convertir, et de confisquer ensuite leurs biens lorsqu’ils s’étaient convertis, afin que cette confiscation fût une sorte d’indemnité des capitations énormes qu’on leur faisait payer pour leur qualité seule de juifs. On ne les brûle plus, on ne les massacre plus légalement ; on ne les soumet plus, certains jours de l’année, à des cérémonies aussi cruelles qu’avilissantes. Mais on les traite comme des esclaves, et avec plus de mépris encore. Mais, dans certaines villes, on les relègue dans des quartiers à part, où il leur est enjoint d’habiter, des maisons étroites et malsaines. Maison les écrase de taxes arbitraires. On leur fait payer un droit d e protection (1), d’un côté; un droit d’habitation (2), de l’autre; un droit de réception (3). Et tous ces droits (4) existent encore et sont, daQS ce moment-ci même, réclamés (5). (1) Les juifs de Metz paient au roi un droit de protection, cédé à la maison de Brancas, et qui s’élève annuellement à la somme de vingt mille livres. Les juifs de l’ancienne domination alsacienne paient aussi au roi un droit particulier de protection. (2) Le droit d'habitation est un droit que les juifs de l’ancienne domination alsacienne paient aux seigneurs dans la terre desquels ils habitent. (3) Le droit de réception est un droit que les juifs paient, dans une partie de l’Alsace, aux seigneurs qui leur permettent de demeurer dans leurs terres. Il est indépendeanl du droit d’habitation. Ce droit doit être payé pour chacun des enfants qui veut établir son domicile dans le lieu qui a été choisi par son père. (4) Lorsque les juifs allaient à Strasbourg pour leurs affaires, ils payaient 3 livres par jour à la ville. Mais depuis 1784, le roi, qui, par une infinité d’excellentes lois particulières, a préparé la révolution actuelle, a supprimé ce droit, ainsi que tous les autres droits de péage corporel. (5) Le Mercure de France, du 16 janvier 1790, page 135, annonce un désaveu de M. le duc de Brancas-Céreste, sur l’assertion relative au paiement de la somme de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] 733 Mais enfin à l’exception de quelques-uns d’eux qui ont reçu du gouvernement quelques privilèges particuliers, ou qui ont, en leur faveur, des lettres-patentes, tous sont privés de la faculté d’exercer un art, d’embrasser une profession, d’acquérir et de posséder un immeuble. Si quelques-uns d’eux, en Alsace, acquièrent un asile, voilà bientôt un catholique, qui, sans droit de parenté, mais par le seul droit d’oppression, exerce contre eux un retrait appelé retrait de préférence. Tous enfin, sans exception, tous et partout, sont privés de la faculté d’être éligibles aux emplois et aux charges d’une société dont ils sont membres. Et c’est lorsqu’un tel état de choses existe encore; c’est lorsque tant d’injustices sont réunies contre eux, qu’on oserait dire que l’Assemblée nationale a ajourné indéfiniment la question relative à leur sort! c’est lorsque cette Assemblée attaque tous les préjugés, détruit tous les abus, fixe les droits des hommes, et règle en même temps leurs devoirs; c’est enfin, lorsqu’elle régénère le royaume entier; c’est au milieu de toutes ces circonstances, et entraînée par le mouvement qu’elle s’est donné à elle-même, qu’on voudrait qu’elle s’arrêtât, à la vue des préjugés et des abus qui lui sont dénoncés; qu’on voudrait qu’elle méconnût les droits d’une classe d’hommes, qu’elle dispensât d’autres hommes de leurs devoirs, et qu’elle condamnât à un malheur éternel cinquante mille individus, dont il est en son pouvoir de briser à l’instant les fers! Et ce serait lorsque tous les préjugés se taisent, et qu’il est si facile de leur porter un dernier coup; ce serait lorsqu’un intervalle immense sépare le moment actuel des temps anciens, et que ce qui reste à faire en faveur des juifs est bien moins considérable que ce qui a été fait jusqu’à présent par l’influence réunie des lumières et du temps; ce serait lorsque tout sollicite, tout réclame impérieusement l’amélioration du sort des juifs, que l’Assemblée nationale se rendrait sourde à tant de voix, qui la pressent de parler et d’agir! Ah! de pareilles craintes sont chimériques, et la seule pensée en est importune. Illustres représentants de la nation ; vous êteê humains, vous mettrez donc un terme aux malheurs des juifs; vous êtes justes, vous les revêtirez du titre et des droits qu’ils réclament. Hâtez seulement l’époque solennelle de votre justice. Hâtez-la; car les malheureux sont impatients; et on leur pardonne de l’être lorsqu’après de longues et de si longues infortunes, leur âme a été enfin ouverte à l’espérance ! Hâtez-la, car le peuple finirait peut-être par se méprendre sur la nature de vos intentions; et les juifs, que vous avez accueillis avec bienveillance, dont vous avez entendu les plaintes avec bonté, 20,000 livres par an à la maison de Braneas. Ce désaveu, hui a pour titre : Réclamation, semblerait annoncer que l’assertion est fausse. Mais dans le moment actuel, les juifs de Metz sont assignés, pour le paiement de cette somme à la requête de M. le duc de Braneas, duc de auraguais. La question relative à ce paiement se trouve même actuellement pendante devant deux tribunaux; savoir : au bailliage de Metz, à la requête de M. le duc de Braneas, et au Châtelet de Paris, en vertu d’une saisie-arrêt, faite entre les mains des juifs de Metz, par un créancier de M. le duc de Braneas. M. de Normandie, procureur au Châtelet, qui, sur sa réputation d’intégrité et de lumières, a été choisi par les juifs de Metz pour les défendre au Châtelet, a bien voulu nous communiquer toutes les pièces du procès. à qui vous avez solennellement permis de prononcer, dans la présente session , sur leur destinée; pourraient être victimes du délai que vous apporteriez à la décision de leur sort. Et vous, peuple, qui avez assez longtemps persécuté les juifs, voyez, sans déplaisir et sans inquiétude, leur élévation prochaine; vous venez de recouvrer des droits qui vous sont chers; n’empêchez pas les juifs de conquérir, à leur tour, ceux dont ils doivent être revêtus; que votre bonheur ne soit point troublé par l'image de l’in-fôrtune, qu’il ne le soit point par les effets toujours funestes de l’envie. — Consentez, au contraire, à faire de toutes parts des heureux, afin de l’être davantage vous-même. Vous avez été injuste envers les juifs; les juifs ont pu avoir des torts envers vous; que tout s’ensevelisse dans l’oubli; que les vieilles haines s’éteignent; qu’un même esprit anime désormais les juifs et les chrétiens; que tous ensemble se pénètrent de la nécessité de concourir, par des efforts communs, au même but; et l’acte de justice qui émanera de l’Assemblée nationale sera, en même temps, un acte mémorable de réconciliation entre les divers individus des deux religions. Ils rendront séparément leurs hommages à la Divinité; ils auront leurs lois religieuses à part; mais ils serviront, en commun, et avec une égale ardeur, la chose publique; toutes leurs lois civiles et politiques seront les mêmes; ils auront les mêmes principes, le même zèle, la même âme; pour tout dire, en un mot, ils ne seront que des citoyens et des Français ; et dans tout ce qui intéressera la prospérité de la nation et le bonheur du roi, dans tout ce qui concernera les devoirs de charité et de bienfaisance qu’ils doivent exercer les uns envers les autres, on ne remarquera entre eux aucune différence; et ils se montreront rivaux de patriotisme et de vertus. mayer-marx ; Ber-Isaac-Ber ; David ) Sintzheim ; Théodore -Cerf -Berr; > Députés . Lazare-Jacob; Traisnel, père, \ CERF-BERR, ci-devant syndic général des juifs. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-LEMARQUIS DE BONNAY. Séance du mercredi 14 avril 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le cardinal de Rohan écrit à M. le président pour obtenir de l’Assemblée l’autorisation de s’absenter à cause de sa santé. L’Assemblée le lui permet. M. le marquis de La Poype-Vertrieux, député de la sénéchaussée de Toulon, demande la permission, à cause de sa santé, de se faire remplacer par M. Millet de Mureau, sou suppléant. L’Assemblée y consent. M. le Président lit une lettre qui lui a été adressée par M. Leclerc de Juigué, archevêque de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.