[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 février 1790.] 709 auguste et simple, pénétrait les cœurs de la présence sensible de la Divinité. Cette sérénité pure et majestueuse qui donnait à sa physionomie douce une empreinte céleste ne l’a pas abandonné jusques sous les glaces de l'âge, dans les angoisses de la souffrance et entre les bras de la mort. Le pasteur de sa paroisse, neveu de son grave et ancien ami, l’a trouvé toujours égal à lui-même, invariablement attaché à ses principes religieux ; écoutant sans peine ce que d’autres idées également sincères suggéraient à la conscience de celui qu’un zèle paisible animait dans ses exhortations modestes, et qui n’en payait pas avec moins d’équité le tribut d’admiration dû au génie et à la piété du plus vertueux des mortels. Il lui a porté lui-même avec une touchante édification le viatique et l’onction des mourants. M. de l’Epée reçut le grand juge de sa vie comme le suprême objet de son amour, et ne porta vers l’éternité que les regards de l’espérance. Ces sentiments divins semblaient ne lui laisser aucun mouvement de regret pour la terre. Cependant assez près de sa dernière heure, il avait entendu quelques sanglots de ses élèves, qu’on écartait de sa présence ; il avait aperçu une sourde et muette qu'une plus parfaite éducation et une plus sensible vertu distinguaient parmi ses disciples et qui dévorait ses pleurs: au milieu du saint office que son pieux frère lui récitait encore et qu’il répétait dans l’extrême recueillement de son âme, prête à l’aller continuer avec les anges, une parole des divines Ecritures applicable à l’institution qu’il délaissait et à ces chers orphelins de la nature qui allaient se trouver sans père, réveilla, agita la flamme de son cœur prête à s’éteindre et fit couler ses dernières larmes. Messieurs, c’est la patrie entière qui les recueille ces larmes d’un grand homme, d’un immortel citoyen. G’est la mère commune qui devient celle de cette famille abandonnée. L’hommage que vous rendez en ce moment, à la mémoire de leur instituteur, n’est que le gage solennel de votre zèle généreux, pour propager et consommer l’œuvre de son génie, et les munificences de sa vertu. Vous vous obligez vous mêmes, vous engagez la grande cité dont vous êtes les dignes interprètes et dont vous avez porté le vœu à l’Assemblée nationale par une pétition remplie de la plus sensible éloquence (1), à donner à l’établissement du saint prêtre la perfection et l’immortalité. Voilà donc les effets purs de cette liberté civique, le plus beau don des deux ! Voilà comment elle honore la nature, elle secourt l’humanité; elle seconde la religion; elle anoblit les cœurs, elle agrandit les âmes; elle étend le domaine de la Providence remplit les intentions de l’instituteur universel des êtres, et représente efficacement sa divine paternité dans l’empire! Prenez part à ce triomphe de la raison, des mœurs, de l’Evangile, de la patrie, sublimes ombres de Pascal, de Nicole, de Sacy, de Kacine, de Descartes dont les cendres reposent dans ces deux temples réunis, et qui avez dû quittera ce moment le séjour éternel, pour errer au milieu de nous afin d’assister à une cérémonie aussi auguste, célébrée parmi vos tombeaux I Et vous émules, des pensées religieuses et des vertus sévères de l’objet de nos hommages, qui vivez libres enfin dans la profession de vos principes et dont le zèle patriotique a tant d’éclat à l’Assemblée de la nation et à celle de la cité! Et vous zélateurs d’une doctrine moins austère, mais qui forme aussi des patriotes et des saints ! Vous généreux philanthropes, qui avez eu le bonheur et la gloire de réunir dans votre société de bienfaisance, l’instituteur des Aveugles (1) et celui des Sourds et Muets, ces deux génies qui se disputaient des miracles en faveur de l’humanité ! Et vous nos frères non catholiques, nos chers concitoyens, nos vrais amis, que notre tendresse pourra comme celle du prêtre que nous honorons, gagner à l’unité de la foi, en même temps que vous êtes déjà, selon son désir, reçus à l’unité de la patrie! Et vous même antique nation d’Israël, si chère à l’amour de ce saint homme et à ses espérances ; vous les dépositaires de nos premières Ecritures et de nos divins oracles, vous qui après notre longue dispersion produite par vos prophètes et les nôtres allez voir s’opérer cette réunion solennelle également annoncée par eux! Et vous enfin, intéressants objets de la sollicitude civique, enfants plus chers à la patrie qu’à la nature; création du génie et de la religion; non plus le rebut mais l’orgueil de l’humanité; qui avez appris et qui continuerez de vous instruire, à rendre le silence plus éloquent que la parole, les signes de la pensée plus intelligibles que les sons qui la transmettent! Génération présente, génération future de tous les humains privés en naissance des organes les plus sensibles de l’intelligence, et destinés à participer au prodige qui les supplée! Bénissez tous avec les citoyens de cette auguste assemblée l’homme unique dans les annales du monde à qui la ville créatrice de la liberté française décerne les honneurs suprêmes. Les morts* et les vivants, le ciel et la terre, le présent et l’avenir, la nature, la religion, la patrie le proclament grand ; et ce concert de louanges en faveur d’un simple prêtre, d’un simple citoyen retentit dans l’élernité. Hic Ma-gnus vocabitur , in regno cœlorum. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séance du vendredi 26 février 1790(2). M.' le marquis de La Coste, l’un de 31 M. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier matin. M. Gaultier de Biauzat, autre secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier soir. M. Boutteville-Dumetz demande que le discours prononcé par MM. les députés de Bordeaux ne soit pas inséré dans le procès-verbal de la séance du soir. Cette proposition, étant conforme aux usages de l’Assemblée, est adoptée. Un membre demande que M. le Président soit chargé d’écrire au margrave d’Anspach pour l’informer que le comité des rapports examinera l’af-(1) Elle a été rédigée par M. Godard, jeune jurisconsulte doué d’une belle âme et d’un rare talent. C’est le même ■qui a fait l’Adresse de la commune en faveur des juifs. (I) M. Haüy. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur.