394 [Assemblée nationale.] ARCHIVES RARLEMEJSTAJRES. [24 septembre 1790. nombre de pétitions de ces mêmes villes, qui sont absolument contraires. Cette contradiction n’est qu'apparente et d’aucune importance, car heureusement ce dissentiment n’est dans ces villes, comme dans l’Assemblée nationale, que celui de la minorité. La majorité cherche toujours à éloigner la contre-révolution ; je dis Ig contre-révolution, car la plus grande importance que nous apportons à la mesure que nous pro-- posons, c’est que nous la croyons faite pour anéantir toute espèce d’espoir de contre-révolu-ti.on. (On applaudit ,) M. d’Aubergeon de Murfnais, On entraîne l’Assemblée par ces applaudissements. M. Duval, ci-devant ’d’Eprémesnil. M, le Président, engagez, M. de Mirabeau à exposer des faits. M. de Mirabeau. Voici le fait que j’aurais exposé plus tôt, si je n’avais été aussi fréquemment interrompu par les murmures. Demain j’apporterai la iiassé des pétitions qui m’ont été adressées de la plus grande partie des villes du royaume ; j’en lirai le dossier à l’Assemblée, et si, contre mou avis, elle donne autant de poids à cette espèce de récolte qu’à, des raisonnements sages et justes, elle verra que, sans exception, il n’est pas une des villes dont vous venez d’entendre les noms, dont nous ne puissions présenter les vœux contradictoires. De deux choses l’une, ou l’on donnera beaucoup, ou l’on donnera trop peu d’importance à ces pétitions. Si l’on attache beaucoup d’importance au nombre des pétitions..,., M. Duval s’écrie : régulières. M-de Mirabeau ..... . je consens à faire rentrer dans la balance celles dont je suis porteur, sans compter Paris, que je m’étonne un peu de n’entendre pas nommer; si au contraire on n’en donne qu’au poids des raisons, alors il ne faut ni s’étonner, ni s’indigner de toutes ces lectures. Je voulais done dire à M. le rapporteur que nous sommes munis de pièces comme lui, et que c’est à raison de ces pièces que nous sommes contraires en faits . M. d’Aubergeon. Je sais qu’à Lyon, que l’on vous dit être pour les assignats, on a mendié et calqué des signatures ; voilà les pétitions dont M. de Mirabeau est porteur. M. Ea Réveillère de Eépentix. Parmi les villes que l’on vous dit être contraires aux assignats, j’ai entendu nommer celle d’Angers. J’ai remis sur le bureau, dans une des dernières séances, une adresse de la municipalité d’Angers, qui, dans les derniers troubles, s’est montrée avec tant d’énergie ;• elle désavoue la première pétition, au bas de laquelle se trouvent cinquante signatures mendiées, et parmi lesquelles l’on ne compte, pour ainsi dire, que des négociants qui ne font pas pour mille écus d’affaires. Les dix-neuf vingtièmes de la ville demandent l’émission des assignats et désavouent cette première adresse, afin que cette ville ne soit pas soupçonnée d’avoir manqué de patriotisme.! M. le Président consulte l’Assemblée, qui dér eide que M. Regnauld-d’Epercy fera le rapport dont il a été chargé par le comité d’agriculture et de commerce. M. ReguauJd-d’Epercy (1). Messieurs, YOUS avez renyoyé à votre comité d’agrjeulture et de commerce l’opinion des négociants de Bordeaux relativement à la nouvelle émission d'assignats qui vous a été proposée. L’opinion et le vœu des autres places sur cette question importante lui ont été successivement adressés, et il vient aujourd’hui vous offrir le résultat de l’e�a? men qu’il a fait de ces différentes pièces. Votre comité a pensé. Messieurs, que si les lumières et les talents réunis dans cette Assemblée peuvent suffire pour jeter le plus grand jour sur un problème aussi difficile à résoudre, il n’en est point peut-être sur lequel il soit aussi indispensable de consulter l’opinion des différentes places de commerce, puisque, dans cette circonstance, surtout, le succès ou la ruine dg vos opérations dépend entièrement de cette opinion. Mais ce qui doit encore augmenter yotre confiance, ce qui doit la justifier, c’est l’identité des principes qui ont dirigé ces diverses opinions, conçues à la fois dans tous les points de l’Empire, adoptées par ceux qui sont les premiers intéressés au succès de vos opérations, exprimées avec cette simplicité qui caractérisé le langage de la persuasion et de la vérité ; ce qui doit augmenter votre confiance, c’est l’impossibilité absolue où les places de commerce ont été de s’entendre et de correspondre entre elles; c’est la certitude que l’esprit de partis n’a pu avoir part à leurs délibérations ; c’est l’expression louchante de leur patriotisme et du dévouement respectueux qu’elles ont pour la sagesse de vos décrets. Op vpus a dit, Messieurs, qu’elles n’étaient point d’accord entre elles ; on vous a dit aussi que la majorité de leurs opinions était en faveur des assignats. L’une et l’autre assertion est également fausse, Il serait difficile de trouver une identité de principes plus marquée, que celle qu’on aperçoit d’abord dans toutes les adresses qui vous sont parvenues ; dans toutes, le développement des motifs est presque le même, et, lorsqu’on remarque quelques différences, elles tiennent à des lopalités qui ne peuyent pas se ressembler, où à dep conséquences éloignées tirées des mêoms principes. Vous vous convaincrez aussi, Messieurs, si vous daignez prêter quelque attention au rapport de votre comité, que non seulement la majorité des opinions du commerce n’est, point, favorable à une nouvelle émission d’assignats, mais encore que la presque totalité y est directement opposée. Eu effet, Messieurs, votre comité a reçu trente-trois adresses de places de commerce, dont sept Semblent favorables à l’émission des assignats et vingbsix lui sont contraires (2), Les sept premières sont : Bordeaux, Louviers, Saint-Malo, Lorient, Rennes, Tours et Auxerpe, Les vingt-six places qui émettent un vœu contraire, sont: Lyon, Nantes, le Havre, la Rochelle, Marseille, Rouen, Lille, Valenciennes, Amiens, Abbeville, Elbeuf, Reims, Sedan, Granville, Caen, Orléans, Laval, Saint-Quentin, Angers, Troyes, le Mans et Montpellier. Votre comité vous offrira d’abord lep observa-(1) Ce rapport n’a pas été inséré au Moniteur. (21 Depuis la rédaction de ce rapport, Louviers, qui d’abord n’avait point émis de vœu positif, s’est décidé formellement contre le prpjet d’émission d’assignats ; il en sera rendu compte ci-après. 195 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] lions motiyées des places qui lui ont paru désirer les assignats. Mais il croit qu’à l’exception de deux ou trois tout au plPS vous jugerez, comme lui, que l'opinion de ces places ne favorise nullement rémission d’assignat qui vous a été proposée, et qu'aucune, une seule exceptée, ne l'admet telle qu’elle a été détaillée dans le premier projet. BORDEAUX. « Le premier sentiment qu’a fait naître en pops « le projet de pette imposante opération, disent « les négociants de Bordeaux, a été un grand éton-« nement : nous n’avons pu meme nous défendre, « nous osons l'ayouer, d’un mouvement d’effroi à « l’aspect du système hardi qui, changeant tout « à coup les destinées d’un graud empire, deyait « le plonger dans un abîme de misère, ou l’éleyer « au faîte de la grandeur et des prospérités. » Ce sentiment leur a été commun avec toutes les villes dont l’opinion nous est connue : toutes regardent le décret sur. les assignats comme devant décider infailliblement du salut ou de la perte de la France. Toutes pensent aussi, comme les négociants de Bordeaux, qu’il est utile et même indispensable à la nation d’ppèrpr l’acquittement de la dette exigible; toutes penseqt, comme eux, que la véritable destination des biens nationaux est le payement des créanciers de l’État» dont ces biens sont devenus le gage : toutes applaudissent à la justesse et gu patfmlisme de leurs vues, lorsqu’ils disent; « ce moyen attacherait infailliblement les mé-s contents à la chose publique, les convertirait, « par l’intérêt, à la Révolution, les forcerait àdi-« rjger leurs vues dans le sens des événements « .actuels, et rendrait en quelque sorte leur for-« tune responsable de leur patriotisme : inesti-« mable avantage! qu’un financier peut compter « pour peu de chose, mais que de vrais citoyens « français considèrent comme le plus salutaire ga-« rant de la Constitution. » Mais la conséquence que les négociants de Bordeaux tirent decosprincipes,est; l°quelerembour-seuiopl total de la dette exigible sô fasse en assignats forcés pans intérêt, ayant pour gage et pour amortissement la vente des biens nationaux ; 2° que l’Omission desdits assignats p’ait lieu qu au 15 avril prochain, époque à laquelle écherra le premier coupon d’intérêt des 400 millions circulant, lequel sera acquitté, et les deux autres annulés, pour ne plus faire qu’un et même service ayec les nouveaux-, 3° qu’à compter du jour du décret, les çréappes exigibles commencent àêtre remboursées par le moyen de promesses d’assignats au 15 avril prochain; lesquelles promesses seront dès à présent reçues pour l’acquisition des biens nationaux seulement; 4° qu’il soit créé et mis en circulation la quantité estimée nécessaire de petits assignats, depuis \% jusqu’à 200 liyrps. j4u premier coup d’qpil, p|en pe paraît rIus favorable au système d’pne nouvelle émission d'assignats, malgré les différences faciles à apercevoir entre cette opinion et le premier projet; cependant les négociants de Bordeaux fournissent eux-mêmes des armes contre leur demande, lorsque voulant répondre aux objections qu’on peut faire contre cette grande émission de papier-monnaie, ils disent qùe, pour être immense, elle n’excède point lq somme du numéraire existant dans l’Etat ayant son introduction, ce qu'ils ne démontrent poipt, et ce qu’il serait essentiel de démontre�; lorsqu’ils observent que l’émission totale des nouveaux assignats, ne pouvant s’opérer que par une longue succession de travaux, et dans nu long intervalle de temps, laisserait aux assignats précédemment en circulation, le temps de s’éteindre par leur pla?- cement en biens nationaux, et qu’ainsi lp tiers de cette somme de papier territorial ne serait peut-être jamais distribué sur la surface du royaume. Ainsi, d’après lps négociants de Bordeaux eux-mêmes, il faut rejeter les assignats, s’il ne peut point y avoir d’équilibre entre eux et le numéraire existant dans Je royaume, et, vraie ou fausse, imar gipaire ou fondée, l’opinion de la destruction de cet équilibre par les assignats est l’ppinion générale. Votre comité s’attendait aussi que les négociants de Bordeaux examineraient l’influepce des assignats sur le commerce extérieur, principale source de leurs richesses, et il n’en est pas question dans lepr lettre ; la natqre de cette influence doit cependant contribuer popr beaucoup à la décision de la question. On peut ensuite demander aux négociants de Bordeaux pourquoi ils désirent si vivement que l’on décrète deux milliards d’assjgqats, puisqu’ils conviennent que, peut-être, il n’eu sera jamais distribué un tiers 'sur la surface dq royaume ? Votre comité pense que lq réponse q cette question pourrait être embarrassante, parce qu’en bonne administration, moins qu’ai) leurs, il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessite, il ne faut point inutilement effrayer rirpagiaatiop et alarmer la faiblesse des citoyens; i| faut enfin toujours préférer les opérations les plus simples et les plus exactes. LOUVIERS. Les commerçants de Louyiers n’émettent aucun vœu sur la question des assignats en général ; ils croient qu’eljp est, en quelque sorte, étranger� à uqe petjte ville de ooqamerpe et dp fabrication, où toutes les idées sont renfermées dqns le cercle des calculs et des combinaisons qqi conduisent à l’industrie. Cependant ils conviennent qqe l'opération des assignats offre, au premier aperçu, 'des côtés brillants; qu’elle parqît remettre dans le commerce plus de deux milliards de bleus qui en étaient retranchés; qu’elle semblé indiquer aux capitalistes le commerce et l’agriculture, comme les seuls moyens d’activité et fl’accroissement, qssureç le crédit de la nation, en rendant la banqueroute impossible, intéresser a ia Révolution ceux qui lui sont le plus opposés, et faciliter enfin l'exécution du décret de rassemblée nationale, quj ordonne qqe les biens ecclésiastiques soieqt vendus pour acquitter les dettes de l’Etat. Mais les commerçants de Lonviers ne se dissimulent pas qu’une question aussi importante ne saurait etre jugée par l’enthousiasme; qu’il faut voir l’objet squs toutes ses faces, calculer les inconvénients, interroger l’expérience, entendre les objections et, pour se servir de leurs express siens, lire avec une espèce 4e certitude, dans l’avepir, les effets qu’une si grande émission doit produire. Ges réflexions, dictées par }q prudence et l’amour du bien, pe présentent, pomme vous voyez, Messieurs, aupqpe opinion 4xe sur la question des assignats. Aussi l’hcmorame membre qqi a parlé dans la séance de yendpedi 17, a-t-il représenté, §q npiq d§§ cpmmersmiîs de Leuviers, 19g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] qu’ils n’avaient jamais prétendu émettre aucun vœu sur cette question. Ils ont observé seulement que leurs manufactures ne peuvent s’alimenter que par de l'argent comptant; qu’un million en papier ne ferait pas pour eux, l’effet de 100 livres en numéraire; que déjà ils payent le numéraire à un prix exorbitant; que bientôt ils ont à craindre de ne pas trouver à en acheter ; que si ce malheur arrivait par l’émission d’une trop grande quantité de papier, c’en serait fait, non seulement des manufactures, mais de la Constitution, mais du royaume entier. « L’insurrection générale, disent-ils, de « cette immense quantité d’ouvriers qui travail-« lent dans les manufactures, de cette foule in-« nombrable d’hommes qui vivent du travail de « leurs mains, et conséquemment d’un payement « journalier, aurait bientôt bouleversé la France, « d’une extrémité à l’autre. » Et remarquez, Messieurs, que cette crainte est manifestée en même temps par les manufacturiers et négociants des villes les plus florissantes du royaume. Cependant ceux de Louviers indiquent comme un remède palliatif à la disette actuelle du numéraire, des assignats de 12 même de 6 livres en y joignant de la monnaie de Ipllon pour 150 millions. Ce n’est qu'à raison de ce projet que votre comité a rangé leur opinion parmi celles qui étaient favorables aux assignats : mais il n’a pas besoin de vous faire observer que ce projet n’exige pas une nouvelle émission d’assignats, et qu’il indique seulement l’échange d’une quantité déterminée des assignats déjà émis. SAINT-MALO. L’opinion du commerce de Saint-Malo est tellement motivée, qu’on ne peut la regarder comme un vœu en faveur des assignats. Les négociants y déclarent, à la majorité de 35 voix contre 3, que cette grande opération peut être aussi salutaire que funeste à l’Empire. « Si la circulation n’est « pas forcée, disent-ils, et si les biens nationaux « suffisent pour retirer la masse entière du paie pier, nul doute que l’opération ne puisse sau-« ver l’Etat, parce qu’elle fera augmenter la con-« currence et la valeur des biens nationaux, « parce qu’elle attachera à la Constitution tous « les créanciers remboursés par ce papier, parce « que les créanciers s’empresseront de le con-« vertir en biens nationaux, ou de le prêter ou de « l’échanger s’ils ne veulent point en acquérir. » Si, au contraire, la circulation du papier est forcée, ces créanciers s’empresseront de le répandre ; ils n’auront plus l’intérêt personnel de le convertir directement ou indirectement en domaines nationaux; dès qu’ils en seront débarrassés, ils cesseront de soutenir la Constitution, iis l’attaqueront, ils la calomnieront, s’ils en sont les ennemis ; la vente des domaines souffrira nécessairement d’une circulation forcée qui diminuera la concurrence; enfin (ce sont les termes mêmes dont se servent les négociants de Saint-Malo): « cette circulation forcée fera refluer cette « masse énorme de papier, vers des gens qui ne « peuvent acquérir les domaines nationaux; le « commerce et les manufactures en seront inon-« dés. Le peuple, les ouvriers n’en voudront « point ; de là, le discrédit ; de là, l’interruption « du commerce; de là, une disparition absolue « de l'argent ; de là, l’accaparement, l’agiotage « du papier, à une perte qui toujours augmen-« tera ; de là, enfin, le renchérissement des den-« rées de première nécessité, ce qui occasionnera « une secousse générale, des émeutes, des sédi-« tions, et une foule d’événements désastreux qui « ne peuvent se calculer. Et pourquoi tous ces « maux, ajoutent-ils? Pour procurer un débouché « de plus à des gens qui seront trop heureux de « recevoir un papier-monnaie bien hypothéqué, « et qui ne pourra être mort dans leur porte-« feuille, qu’autant qu’ils seront ennemis de la « Révolution. » Ainsi, Messieurs, le commerce de Saint-Malo demande des assignats, il est vrai, mais des assignats non forcés et sans intérêts. Votre comité peut donedire, avec vérité, que cette opinion est totalement contraire à l’émission de deux milliards d’assignats ; que les négociants de Saint-Malo auraient pu employer également toute autre expression, et qu’ils ont abusé des mots en se servant de celui de papier-monnaie, puisque tout papier qui ne circule pas forcément, n’est point un papier-monnaie. LORIENT. Le vœu des juges et consuls de Lorient est plus prononcé en faveur des assignats : une simple lettre, où leurs principes et leurs? motifs ne sont développés en aucune manière, annonce qu’ils sont pour l’émission des assignats, dans la quantité que la sagesse de l’Assemblée nationale croira devoir décréter ; que ces assignats doivent être forcés et sans intérêts; qu’une partie en doit être faite par coupons de 100, 50 et 25 livres; que pour faciliter l’émission et l’échange des derniers assignats dont les objets de détail, il conviendrait d’établir dans chaque ville des caisses pour l’échange de ces assignats contre du billon, lesquelles caisses seraient surveillées par les départements ou les municipalités. RENNES. La lettre écrite par le commerce de Rennes est encore plus courte et moins motivée que celle de Lorient. Les commerçants de Rennes sont d’avis de l’émission des assignats, pourvu qu’ils ne portent point d’intérêts ; qu’il n’y en ait point au-dessous de 200 livres, qu’ils seront seuls et uniquement destinés à l’acquisition des biens nationaux, et qu’on les brûle aussitôt qu’ils rentreront au Trésor royal, en présence des commissaires nommés par l’Assemblée nationale. Cette opinion diffère encore beaucoup d’un assentiment pur et simple au projet de décret qui vous a été proposé. TOURS. Mais celle de Tours, dont un commerce plus considérable augmente infiniment l’importance, en diffère encore davantage. Elle demande aussi que le remboursement de la dette exigible se fasse en assignats, mais en assignats forcés et portant, pendant trois ans seulement, un intérêt de 3 0/0 ; elle désire aussi qu’il n’y ait aucun assignat au-dessous de 200 livres. « Nous tremblons, « disent les négociants de Tours, que l’As-« semblée nationale ne se porte à les décréter « monnaie, ce qui serait un malheur affreux pour « le commerce, principalement. » Enfin, Messieurs, la juridiction consulaire 197 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] d’Auxerre pense que l’émission d’une certaine quantité d’assignats, proportionnée à la dette exigible, est indispensable : 1° parce qu’en remboursant avec ce papier la dette exigible, il n’y aura plus d’intérêts à payer, par conséquent diminution dans les impôts ; 2° parce que c’est une justice de rembourser les créanciers de l’Etat, surtout ceux pourvus d’offices supprimés, afin que, privés du produit de ces charges, ils puissent au moins disposer de leur capital ; 3° parce qu’en obligeant de ne recevoir que des assignats sans intérêts pour le payement des biens nationaux, cette vente sera plus promptement terminée, et les prix seront portés plus haut que si ce payement se faisait en espèces; le porteur de ce papier, ayant intérêt à le changer contre des biens-fonds, la plus solide des propriétés ; 4° parce que ces assignats, bien loin de faire disparaître le numéraire, en favoriseront la circulation ; 5° parce que ces assignats, étant divisés en petites sommes, telles que 25 et 50 livres, le commerce en recevra plus de facilité dans ses opérations de détail ; 6° parce que les personnes opposées à la Révolution, étant pour la plupart, créancières de l’Etat, auront alors intérêt de la soutenir et de la consolider. Tel est, Messieurs, l’exposé fidèle des opinions les plus favorables à l’émission des assignats qui vous a été proposée. Votre comité a désiré que je soumisse à votre sagesse les motifs qui les ont dictés, persuadé que leur examen et leur rapprochement jetteraient un grand jour sur le fond de la question. Vous avez vu, Messieurs, que Bordeaux, Lorient et Auxerre sont effectivement les seules villes qui demandent que les assignats soient forcés et sans intérêts, et encore peut-on dire qu’il y a une différence marquée entre le projet de Bordeaux et celui de Lorient, et que la plupart des motifs qui ont déterminé l’opinion d’Auxerre sont également applicables aux quittances de finance ou à tout autre papier qui en tiendrait lieu. D’ailleurs, Messieurs, il a été remis depuis à votre comité un procès-verbal , extrait du registre des délibérations du comité de commerce de Bordeaux, duquel il résulte que le vœu des négociants de cette ville n’a pu être exprimé légalement. Saint-Malo, Rennes et Tours, quoique sollicitant des assignats, peuvent être rangées à la suite des vingt-sept villes entièrement contraires à ce système. Louviers n’avait d’abord émis aucun vœu certain, mais, en examinant les aperçus que présente sa lettre, il est facile de se convaincre qu’elle craint plus qu’elle ne désire une émission d’assignats. Au surplus, le commerce de Louviers vient de s’expliquer d’une manière positive dans une délibération du 22 de ce mois, dans laquelle il dit qu’après un examen approfondi, il voit le précipice qu’ouvre au commerce et aux manufactures le plan désastreux dont il s’agit, et qu’il vote contre l’émission proposée de deux milliards d’assignats, regardant ce projet comme capable de mettre l’Empire dans le péril le plus imminent. Votre comité sent bien que, dans une question de cette importance, on ne saurait trop multiplier les raisons et les autorités, et peut-être les adresses des autres places de commerce achèveront-elles de dissiper vos doutes et vos incertitudes? LYON. Vous distinguerez surtout, Messieurs, l’opinion de la chambre de commerce de Lyon, de cette ville qu’on peut considérer, à beaucoup d’égards, comme la seconde du royaume, et qui surtout a reDdu, depuis si longtemps, les étrangers tributaires de l’industrie française. Cette opinion seule, votre comité ose le dire, suffirait pour prouver les progrès des lumières et du patriotisme parmi nous. L’extinction entière et subite d’une dette immense, accumulée pendant des siècles, paraît à la chambre de commerce de Lyon une question également intéressante pour l’Europe entière et toutes les classes de la société, pour les créanciers de l’Etat et pour ceux qui ne le sont pas. Elle applaudit à l’idée vaste et simple de réduire à une seule espace de papier national les titres nombreux et variés épars dans les mains de ceux qui ont pris ou acquis quelque intérêt dans les fonds publics. Elle croit même qu’à quelques égards cette opération serait avantageuse pour les créanciers de l’Etat; mais elle observe que ce n’est plus eux seuls qu’intéresse la création d’un papier-monnaie, que cette opération atteint tous les individus de la société. Lyon, plus que toute autre ville, est appelée à ressentir la commotion violente que cette opération fait appréhender, par la fixité de l’époque de ses payements et par leur vigueur. Arrivé à l’ouverture du payement d’août, elle pourrait voir, dès le moment même, la défection totale de sa place et la chute de son crédit. Dix millions d’espèces lui suffisent à peine annuellement pour le salaire journalier des ouvriers, qui ne doit et ne peut souffrir aucun retard. Les assignats déjà émis y perdent 4 et 5 0|0; mais cette perte, uniquement supportée par le commerce, n’a, jusqu’à présent, influé ni sur l’ouvrier ni sur le consommateur. La même observation se trouve consignée dans les opinions de Marseille, Valenciennes, Orléans, Laval, Angers, etc. Persuadée qu’on ne remédiera efficacement aux maux de l’Etat que lorsqu’on en connaîtra bien les causes, la chambre de Lyon recherche quelles peuvent être celles de la disette du numéraire. Elle les découvre dans la défaveur de la balance du commerce, qui, définitivement, ne peut être soldée qu’en argent, dans la cherté et la nullité presque totale des capitalistes les plus opulents; dans le séjour indispensable de notre numéraire chez l’étranger, à cause du bénéfice qu’il trouve à nous payer en assignats ; dans la méfiance inspirée par les mouvements de la Révolution ; enfin, dans le bénéfice que présente l’échange de l’assignat. Elle observe que chacune de ces causes devait naturellement peu à peu s’affaiblir, mais que l’admission du projet proposé ne ferait que les aggraver et rendre la guérison de nos maux plus difficile. Elle compare le sort des premiers assignats et celui qu’éprouveraient les seconds. Les premiers ont été accueillis en même temps par le patriotisme et par l’opinion; le commerce y a vu un moyen de plus de circulation et une hypothèque imposante dont la quotité ne laissait aucun doute, en calculant la proportion de 400 millions de papier avec la somme du numéraire existant. 198 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 124 septembre 1790.] Croit-on que les seconds produisent le même effet? Oubliera-t-on que le papier ne peut jamais représenter les valeurs elles-mêmes? La confiance seule et la facilité de changer le signe contre la chose peuvent le faire circuler avec avantage. Les nouveaux assignats ne représenteraient pas un numéraire effectif, mais une masse d'immeubles, de terres dispersées, qu’une aliénation forcée va dégrader, qui seront peut-être vendus lentement, parce qu’on voudra connaître les impôts avant d’acquérir. Gomment donc des assignats, qui ne pourront se réaliser que par des moyens placés dans un avenir éloigné, et dont l’effet successif, échappant aux yeux du porteur de ces papiers, n’entretient pas sa confiance comme la transmutation journalière et réciproque de l’argent et du papier-monnaie» comment ces assignats, ne portant aucun intérêt, n’éprouveraient-ils pas, dès leur naissance, une perte énorme ? Comment cette perte n’amènerait -elle pas un discrédit absolu et la ruine du royaume? Ces réflexions, Messieurs, ne sont pas particulières à la chambre de commerce de Lyon; votre comité les a retrouvées dans l’opinion de Marseille ; et presque toutes celles qui suivent sont reproduites dans les adresses que les autres villes lui ont fait parvenir. « Sans doute, dit la chambre de commerce de « Lyon» il est des intérêts que la création subite « des nouveaux assignats pourrait favoriser, des « capitalistes puissants, des agioteurs adroits, « habiles à décréditer eux-mêmes les effets qu’ils « veulent accaparer, peuvent agrandir leur foret tune des désastres publics ; leur voix insidieuse « peut colorer des prétextes spécieux. Le plan « proposé peut substituer à l’opinion publique les « clameurs de leurs adhérents, mais elle n'ébran-« lera pas votre sagesse. » La chambre de commerce de Lyon va plus loin ; elle suppose que les nouveaux assignats n’éprouveront aucune perte ; mais alors le prix des denrées, des salaires et des marchandises doublera toujours, parce qu’il s’établit partout en proportion de 1 abondance des reproductions et de la quantité de numéraire existant. Alors les manufactures tomberont dans toute l’étendue du royaume, par l’impossibilité de la concurrence avec les manufactures étrangères ; alors l’agriculture, dont l’état actuel aurait déjà besoin des plus grands encouragements, tombera encore davantage, et sera totalement découragée par le défaut de débouchés pour les denrées qu’elle fournit au commerce, et les matières premières dont elle approvisionne l’industrie ; alors notre misère naîtra de l’excès de notre opulence factice* Toutes les dépenses publiques suivront la même marche, la solde des troupes sera doublée, et l’on se verra forcé de doubler les impôts, Ges malheurs réels existeraient, même dans la supposition que les assignats ne perdraient rien sur la place. Que sera-ce-donc s’ils perdent considérablement, comme il n’y pas lieu d’en douter? « Bientôt la chute de nos manufactures amènera « l’évasion dans l’étranger de nos commerçants « eux-mêmes; la voix puissante de l’intérêt les « appellera, puisqu’ils pourront s’approprier nos « productions avec tant d’avantage, en acquérant* « à vil prix, pour les payer, nos assignats projetés* « tant que ie progrès successif de leur discrédit « leur permettra cette spéculation lucrative* » Votre comité croit devoir vous observer» ajouterons-nous, Messieurs, qu’indépendamment du vœu de la chambre du commerce, dont il vient de vous rendre compte* la ville de Lyon, d’une part, et plusieurs négociants et manufacturiers réunis ont également fait connaître le leur* absolument conformes à celui de la chambre de commerce. Il ne doit pas non plus vous iaisser ignorer qu’une opinion contraire vous a été apportée dès lors par un courrier extraordinaire* dépêché à Paris* par la société des amis de la uonstitulion* établie à Lyon. Votre comité des finances, à qui cette dernière adresse a probablement été renvoyée* aura sans doute l’honneur dë vous en rendre compte* NANTES. L’opinion du commerce de Mantes est la même : plus de cent quarante négociants et maisons de commerce les plus considérables ont signé uü acte en bonne forme* qu’ils ont envoyé aux dé* putés du commerce, et qui a été remis à votre comité, dans lequel il est dit* que le commerce de Nantes ayant été invité à S’assembler le B septembre, vers cinq heures après-midi, la plupart des négociants et marchands qui Së trouvèrent à cette assemblée ne furent instruits de son motif que lorsqu’elle se trouva en partie formée. La matière mise en délibération, il parut à tous ceux qui avaient quelques connaissances commerciales, que l’objet était d’assez grande importance pouf être mûrement réfléchi. Quelques-uns mêmes crûrent devoir faire quelques observations à cet égard. Ils représentèrent que si l’ASsetnblée nationale se croyait obligée de décréter de nouveaux assignats pour la libération des dettes de l’Etat, le commerce n’âurait pas à s’y opposer, mais que de tels effets ne doivent donc s’appliquer qu’a cette destination, et qu’on üe pouvait les des* tlher à la Circulation dü commerce. (ElbeUf, Granville et TroyéS sont dd même avis.) Ils observèrent que des billets forcés ruineraient et anéantiraient entièrement le commerce et les arts et métiers. (On retrouve là même observation dans les opinions de Marseille et de Troyes.) Ils assurèrent que de nouveaux assignats forcés feraient disparaître ie numéraire déjà très rare, que l’émission des premiers asssignats avait rendu plus rare encore. (Toutes les villes de commerce assument la même chose). Les principaux négociants de Nahtes requirent donc l’ajournement de l’affaire mise en délibération, au lundi. 6 septembre. Le plus grand nombre des individus dont l'assemblée était composée, parut adopter cet avis, et beaucoup Se retirèrent dans cette confiance. Vers le 9, à sept heures dü soir, rassemblée devint plus tumultueuse, et des personnes, sans doute intéressées, en profitèrent pour faire prendre une délibération illégale, sans réflexion, sans scrutin, qu’on vous a présentée, Messieurs, comme le Vteu du commerce de Nantes. Et cependant on trouve parmi les signatures dont elle est revêtue beaucoup de noms inconnus dans le commerce. On trouve, àü contraire, qtlê toutes Celles de la protestation, dont votre comité vous rend compte, appartiennent à des négociants ; on y retrouve même les noms de plusieurs particuliers qui avaient signé le premier arrêté, croyant qu’on n’y demandait pas _ des assignats forcés, mais seulement des délégations négociables de gré à gré. Il y aurait même eu beaucoup plus de signatures, si l’on avait eu le temps de les attendre, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790. J 199 Nous ajouterons que MM. les maire, Officiers municipaux et membres du conseil de la commune de Nantes, ont chargé un de leurs représentants à l’Assemblée nationale, de s’opposer de tout son pouvoir à la nouvelle émission d’assignats* LÈ HAVRE* L'assemblée générale des négociants du Havre a émis un vœu contraire aux assignats, à la majorité de cinquante-huit contre dix-huit. Elle a considéré combien il serait dangereux de répandre une quantité aussi considérable de richesses factices, dans un temps de troubles, où nous sommes environnés de gens intéressés à jeter du discrédit sur toutes les opérations du gouvernement. Elle observe qu’une semblable opération fournirait un appât et un nouvel aliment à l’agiotage; elle pourrait bien augmenter les valeurs pour un temps, mais toutes choses devant prendre naturellement un nouveau, il ne s’ensuivrait bientôt que trouble, embarras et désordre pour le commerce et les manufactures. Les négociants du Havre proposent donc que les créanciers de l’Etat, pour la dette exigible, soient remboursés en quittances de finances ou autres effets, dont le cours sera libre et non forcé, ne portant point intérêt, et reçus en concurrence avec les 400 millions d’assignats, préférés même au numéraire, dans l’achat des biens nationaux; que ces nouveaux effets jouissent d’une prime de 6 0/0, jusqu’au 31 décembre 1791; de 4 0/0, dans la seconde année, et soient reçus au pair par la suite ; enfin que, s’il en reste après la vente de tous les biens nationaux, ce qui prouverait qu’on aurait surtaxé la valeur de ces biens, il fût accordé à ces quittances, après toutes les ventes, 3 0/0 jusqu’au remboursement. LA ROCHELLE. La chambre du commerce de la Rochelle s’est demandé s’il convenait de disposer des biens nationaux pour acquitter la dette exigible, et dans ce cas queiie forme on devait donner à cette disposition ? D’accord avec tou tes les autres places du royaume, elle a conclu qu’on ne pouvait faire un emploi plus convenable des biens nationaux; mais, rejetant les assignats forcés qu’elle affecte même de ne pas nommer, elle désire que l’on délivre aux créanciers de l’Etat des reconnaissances portant promesse d’intérêt à 3 0/0, les intérêts remboursables, ainsi que le capital, à mesure de l’emploi en acquisition de biens nationaux, ces intérêts cessant au terme que l’Assemblée nationale fixera pour la consommation de la vente desdits biens. Mais la Chambre ajoute que la manifestation de la valeur des biens nationaux serait indispensable pouf le succès de cette opération. MARSEILLE. _ Les maire et députés du commerce de la ville de Marseille, voyant leur propre opinion consolidée par l’opinion la plus générale, regardent toute nouvelle émission d’assignats forcés comme une véritable calamité publique* capable de causer la ruine des particuliers et la plus grande commotion dans l'Etat. « Pourrait-on mettre en « circulation, sans les plus grands inconvénients, « disent-ils, une masse aussi considérable de « papier-monnaie, obligatoire pouf tousleséchân-« ges, dans un royaume comme là France, dont <> le numéraire effectif, en temps ordinaire, n’est « pas évalué à deux milliards ? » Ils montrent d’ailleurs lés mêmes Craintes qüe Lyon, pour la balance du commerce national, pour l’accroissement du prix des denrées, pour la diminution des exportations, et la chute totale dû commerce et des manufactures. Ils représentent aussi que les opérations dé commerce sont déjà sensiblement ralenties, par les difficultés qu’on rencontre dans les payements; qu’on ne parvient à se procurer l'argent nécessaire pour les ouvriers, qü’en perdant 4 à B 0/0, et qüe cette position devient tous les jours plus pénible et plus onéreuse, qu’elle est même devenue plus alarmante, depuis la proposition d’assignats forcés, faite à l’Assemblée nationale. Le commerce de Marseille a encore exprimé son vœu à cet égard, dans une assemblée générale du commerce. ROUEN. Le vœu des administrateurs du directoire du département de la Seine-Inférieure, du directoire du district de Rouen, du conseil général de la commune et de la chambre de commerce de la même ville, fixera sans doute votre attention, Messieurs, et par sa nature, et par les motifs qüi l’ont dicté. Ils pensent qu’il est de la sagesse, de la politique même, de faire, dans le plus court délai possible, la transmutation des propriétés nationales, puisqu’elle doit consolider à jamais l’édifice de la Constitution: mais ils ne se dissimulent pas que, quelque mesure qu’on adopte, la vente précipitée d’une masse si énorme de propriétés foncières. donnera un moindre produit, que Sauraient fait des ventes partielles et successives. Ils examinent ensuite si l’émission immédiate de deüx milliards d’asSiguats-monuàie est, comme ou l’st dit, un moyen sûr de relever le crédit, et de faire reparaître le numéraire. « Qu’est-ce qüe le crédit public ? demandent-ils. « C’est la confiance qu’inspire la position inté-» rieure et extérieure d’un Etat. Qu’est-ce qlle «. l’argent? celui des signes de propriété, qui « doit être le plus recherché dans lès troubles, « parce qu’il réunit à l’avantage d’être dispo-« nible, celui d’avoir une Valeur intrinsèque de « tous les temps, de tous les pays, et qui survit â « la révolution des Empires. Si donc, dans ün Etat, « continuent-ils, les limites des pouvoirs sont « sagement déterminées ; si les ministres ne peu-« vent disposer arbitrairement duîrésor public; « si la paix règne au dedans ; si des traités avau-« tageux et de bons alliés, tiennent dans le reste pect, des voisins inquiets, le crédit public sera « florissant, le numéraire réel et le numéraire « fictif circuleront avec une égale facilité; sou-« vent même ou préférera le signe fictif, qui se « prête mieux, par sa nature, aux opérations de « la banque, du commerce et des caisses pu-« bliqüès. Mais, après des déprédations énormes « et à la suite dé violentes convulsions, lorsque « le Trésor public est épuisé; lorsque l’impôt ne « présente pas encore l’équilibre de la dépense ; « lorsque les ennemis de la Révolution affectent « d’exagérer le mal et de ne pas croire au re-1 « mède: le discrédit est inévitable, le papier 200 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] « doit refluer, la position doit disparaître: et « telle est malheureusement la position actuelle « de la France. » Après ce tableau, qui ne sera sans doute étranger à aucun des hommes d’Etat et des politiques de cette Assemblée, ils observent que, dans des temps de crise, jamais l’émission d’un papier-monnaie n’a relevé le crédit d’une nation ; ils rappellent le peu de succès de celui que créa l’Espagne, au milieu des embarras de la dernière guerre, la perte énorme de celui des Américains, conquérants de leur liberté, qui alla jusqu’à 98 0/0. Ils représentent que, parmi les créanciers de l’Etat, on compte un grand nombre d’ennemis de la Révolution, et que, s’ils venaient à réaliser, enfouir ou exporter en métaux monnayés, une portion, même légère, du remboursement qui leur sera fait, ils pourraient enlever de la circulation jusqu’à la dernière pièce d’or ou d’argent. Ils démontrent que la mesure proposée mettrait dans les mains des ennemis de la Révolution, les moyens les plus sûrs de séduction, de puissance et de despotisme. Que ceux-là connaîtraient mal les besoins journaliers de l’agriculture, et les détails infinis des fabriques, qui croiraient que des assignats-monnaie peuvent subvenir à tous les besoins du commerce et de l’industrie. Que les assignats de 24 livres descendront à la vérité, sans difficulté, depuis le capitaliste millionnaire jusqu’à l’artisan, le laboureur et le manufacturier; mais, qu’arrivés à cette classe la plus nombreuse et la plus utile de la société, ils ne feront plus un pas qui n’occasionne des sacrifices, qui ne fasse naître des difficultés, qui ne provoque dés mécontentements, des murmures, des plaintes et peut-être des insurrections. Que les capitalistes, qui ruinaient la nation, et les grands qui l'opprimaient, en seront quittes pour un sacrifice léger, un sacrifice une fois fait, qui les déchargera de tout ce que ce mode de remboursement a d’onéreux, tandis que le peuple, le peuple seul, qui n’a point contribué à augmenter la dette de l’Etat, supportera, pendant plusieurs années, les frais de la liquidation, et sera plus exposé, que personne, aux vexations et aux ruses de l’agiotage et de la falsification. Qu’enfin le service de l’armée de terre et de mer, et celui des ateliers de charité, ne peuvent se faire qu’avec de l’argent, ce qui deviendra impossible, si l’on admet des assignats de 100, 50 et 24 livres, parce qu’il est constant qu’alors les sept huitièmes de la taille et de la capitation s’acquitteront en assignats. Ils proposent donc de substituer aux assignats, pour le remboursement de la totalité de la dette exigible, des quittances de finance ou reconnaissances nationales, lesquelles porteraient un intérêt de 5 0/0, et seraient admises, concurremment avec l’argent, en payement des domaines nationaux. LILLE. Les motifs de la chambre de commerce de Lille sont absolument les mêmes que ceux de Rouen ; elle propose aussi le même mode de remboursement, avec cette différence, qu’elle ne désigne point le taux de l’intérêt des quittances de finance, et qu’elle désire qu’on fixe, pour l’échange de ces quittances en domaines nationaux, une époque au delà de laquelle elles ne porteront plus d’intérêts. Cependant, Messieurs, les observations de la chambre du commerce de Lille sont précédées d’un fait particulier que votre comité croit devoir mettre sous vos yeux : « Depuis l’émission « des 400 millions d’assignats de 1,000, 300 et « 200 livres, dit-elle, notre ville, qui se trouve sur « la frontière de la Flandre autrichienne, voit, de « jour à autre, son commerce dépérir, ses ma-« nufactures, qui sont en grand nombre, s’a-« néantir, et nos ouvriers émigrer et porter leur « industrie chez nos voisins. La Flandre et le « Brabant, ces riches contrées, voient au con-« traire fleurir leurs manufactures, et enlèvent « à tout prix, notre numéraire, par le moyen des « assignats qu’ils réalisent en cette ville. Déjà « leur échange pour argent est porté à 6 0/0, et « nous avons à craindre qu’il ne vienne à une « baisse plus considérable, et que, par cette rai-« son, notre commerce et nos manufactures ne « se trouvent entièrement détruits. » VALENCIENNES. Les négociants de la ville de Valenciennes et les entrepreneurs des mines d’Anzin, Fresnes et Vieux-Condé, réunis, observent que 30,000 ouvriers sont employés tous les jours à la fabrique des batistes, linons, dentelles, et au blanchiment des toiles ; et que 15,000 et plus sont occupés à l’extraction des mines à charbon dans l'étendue du district. Ces ouvriers sont salariés tous les jours en argent comptant, et ne peuvent l’être autrement. Pour s’en procurer, depuis l’émission des 400 millions, les négociants n’ont cessé de faire les plus grands efforts et les plus grands sacrifices. Ils ne les regrettent point, dans la ferme persuasion où ils sont qu’ils ont contribué au bien public, et qu’un meilleur avenir leur fera oublier leurs pertes. Mais le projet des assignats les alarme : il ne leur offre que la perspective la plus affreuse et les plus grandes calamités. Ils craignent et démontrent qu’ils doivent craindre, de voir passer chez l’étranger, la précieuse manufacture des batistes et linons, qui met à contribution les quatre parties du monde, et n’a besoin que de son propre sol. Ils craignent de voir la destruction de leurs mines qui, en iournissant la subsistance à 15,000 âmes, donnent un combustible peu coûteux, à 30 lieues à la ronde. Us craignent enfin, de voir la multitude d’ouvriers qu'ils font vivre, aller enrichir nos voisins et leur porter notre industrie : de voir cette classe de citoyens indigents, si essentielle à ménager, manquer de tout et périr de misère. Ils adhèrent d’ailleurs aux justes et sages réflexions du premier ministre des finances, adressées à l’Assemblée nationale, le 27 août dernier. AMIENS. La chambre du commerce d’Amiens, également alarmée par le projet de nouveaux assignats forcés, représente que la branche principale de son commerce est la fabrique des étoffes, pour laquelle il faut absolument du numéraire effectif, les ouvriers de tout genre ne pouvant être payés qu’en argent comptant, et la majeure par- 201 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.) tie des matières premières, ne s’achètent que par petits lots. Elle craint que, les fabriques étant obligées de diminuer leurs travaux, ou même de les cesser entièrement, les ouvriers n’augmentent le nombre des malheureux qui manquent de subsistance et ne se portent à des excès dont nous n’avons déjà eu que trop d’exemples. ABBEVILLE. La chambre consulaire d’Abbeville, partageant les mêmes craintes et la même opinion, rappelle d’abord les différents objets de son commerce, savoir : la fabrication des toiles, celles des draps, des baracans, des moquettes, la corderie et la serrurerie. Dans la fabrication des toiles, la matière ne peut se payer qu’en argent. Dans celle des draps, elle peut être payée en assignats; mais elle ne fait pas la moitié de la dépense; tout le reste est de la main-d’œuvre qui exige de l’argent, par petites sommes, et par semaines, depuis 2 livres jusqu’à 7 livres. La valeur totale du baracan se paye presque toute en argent, par petites portions. Pour la moquette et les cordages, les matières ne peuvent être payées qu’en argent. Elles ne sont dans les moquettes que le tiers de la valeur; tout le reste est main-d’œuvre payable par semaine, depuis 24 sols jusqu’à 6 livres. La serrurerie ne se paye non plus qu’en argent. Toutes les fabriques d’Abbeville souffrent déjà de la première émission des 400 millons, et plusieurs se préparent à cesser, ne pouvant suffire à réaliser de l’argent contre du papier. La chambre du commerce désire donc qu’on substitueaux assignats, des quittances de finance; admissibles dan s l’acquisition des biens nationaux, et faites pour rembourser les hypothèques et les privilèges sur les charges et offices. DIRECTOIRE DU DÉPARTEMENT DE LA SOMME. A l’opinion des chambres de commerce d’Amiens et d’Abbeville, je réunis celle du département de la Somme, lequel, après avoir vu la délibération du district d’Abbeville, a entendu les députés composant le conseil général du district d’Amiens, des officiers municipaux, de la chambre du commerce et de la chambre consulaire de la même ville, déclare que, plein de confiance dans la haute sagesse de l’Assemblée nationale, il ne s’expliquerait pas sur l’importante question qu’elle examine dans ce moment si la raison suffisait seule pour apprêter une opération qui dépend presque entièrement de l’opinion publique et des passions des hommes, qu’il ne s’expliquerait pas même, si l’Assemblée nationale n’avait pas paru elle-même désirer être instruite de l’opinion qui règne dans les diverses parties de l’Empire et des vœux des départements. Puis, passant à l’examen de la question, ce direc-toiredémontre évidemment ladifférence qui existe entre un papier créé par un peuple libre, assigné sur des fonds territoriaux, et les billets désastreux qui, en 1720, ont produit tant de maux et ruiné tant de familles. Les uns représenteraient réellement les sommes et les valeurs qu’ils exprimeraient, tandis que les autres n’avaient d’autre hypothèque que l’imagination exaltée de l’inventeur de ce système ruineux. Mais le directoire de la Somme ne se dissimulant pas la raison, qui souvent a si peu de force contre les préjugés, et qui ne les détruit qu’avec lenteur, est encore beaucoup plus faible contre les passions, pense avec raison que les possesseurs du numéraire feront toujours la loi à ceux qui n’auront que du papier, et qui pouvant l’acquérir pour un prix au-dessous de sa valeur, rien ne pourra les engager à en payer la valeur entière, d’où naît la conséquence que les assignats-monnaie perdront à l’instant même de leur émission, que leur perte augmentera chaque jour, que dès lors, nous sommes menacés de maux incalculables, que la Constitution serait exposée aux plus grands dangers, et que c’est surtout cette dernière considération que le directoire se propose de soumettre à l’examen de l’Assemblée nationale. Puis, jugeant des effets que produiraient de nouveaux assignats-monnaie, par ceux que produisent les 400 millions déjà décrétés, le département estime que ceux dont on vous propose d’ordonner l’émission éprouveront une perte encore plus grande ; Qu'ils feront disparaître entièrement le numéraire, que déjà un coupable agiotage se répand dans les plus petites villes, même dans les campagnes, que les contribuables achètent des assignats pour payer le collecteur qui à son tour vend aux porteurs d’assignats le peu d’argent qu'il a reçu, que bientôt les receveurs des districts feront le même commerce, et que le Trésor public ne recevra plus que du papier, qu’il sera obligé d’échanger avec perte contre du numéraire pour subvenir aux dépenses qu’il est impossible d’acquitter sans numéraire effectif. Enfin ce directoire après avoir parcouru les différents inconvénients inséparables de la quantité d’assignats que l’on vous propose de décréter, après avoir déposé ses alarmes dans votre sein, offre le plus profond respect pour le décret que vous rendrez ; que si vous vous décidez, Messieurs, à ordonner l’émission de deux milliards d’assignats, il croira que ses craintes n’avaient aucun fondement, ou que vous aurez été enchaînés par des circonstances irrésistibles; et qu’il fera les plus grands efforts pour préparer dans son département l’opinion publique, ou réparer les maux qu’elle entraînerait et maintenir la Constitution . ELBEUF. Deux délibérations nous sont parvenues d’El-beuf l’une des fabricants de cette ville : et l'autre de la commune ; mais la dernière n’est qu’une approbation de celle des fabricants et une adhésion entière à leurs principes.' Ils rejettent l’émission de deux milliards d’assignats, comme une calamité pour le commerce. « Il ne s’agit pas, disent-ils, de nous créer un « numéraire fictif; il s’agit de rétablir la con-« fiance qui fera bientôt reparaître le numéraire « réel. Cette confiance renaîtra par l’extinction « des dettes de l’Etat, que la vente des biens na-« tionaux peut seul opérer; mais cette opération « doit se faire entre la nation et ses créanciers « seulement. La nation doit l’accompagner des « moyens avec lesquels les créanciers, qui ne « voudraient pas devenir acquéreurs, pourraient « céder avantageusement les assignats immeu-« blés qui leur seraient donnés en payement. » Les négociants d’Elbeuf croient qu’il serait de la dernière importance de procéder au plus tôt à une fabrication de monnaie de billou, spéciale- 202 [Assemblée nàtidnalej ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [2-4 septembre iY90*j ment destinée, autant que possible, aux manu factures. REIMS. Les juges-consuls et députés du commerce de ReimS, effrayés du projet des nouveaux assignats, croient que l’agiotage le plus effréné en est là suite inévitable ; que la disparution du numéraire ruinerait bientôt leurs manufactures qui sont déjà dans l’état le plus déplorable ; que tous les genres d’industrie de cette ville seraient réduits par là à l’inactivité la plus désespérante; que les propriétaires de vignes, maltraités, depuis plusieurs années, par de mauvaises récoltes, se verraient forcés d’abandonner cette culture dispendieuse, ne pouvant plus payer leurs ouvriers ;que les petits assignats, circulant dans la classe inférieure des ouvriers , y exciteraient bientôt des soulèvements, et feraient éclipser le peu de numéraire qui y paraît encore. « Que fera, « disent-ils, un ouvrier cardeur qui a quinze ou « vingt fileurs dans sa boutique, à qui, chaque