[29 août 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. Camus, au nom des comités militaires et des pensions, propose deux dispositions relatives aux traitements des officiers invalides et aux gratifications annuelles assignées sur les fonds de la loterie royale. Ces articles sont décrétés en ces termes: « Les officiersinvalides compris en l’étatenvové à l’Assemblée nationale, le 14 avril dernier, par le ministre de la guerre, seront payés, pour la présente année 1790, des sommes portées dans la troisième et la cinquième colonne de-dits états, jusqu à concurrence de 600 livres pour chacun d’eux, si lesdites sommes réunies montent à celle de 600 livres; et dans le cas où elles excéderaient, ils seront pavés de 600 livres seulement, en conformité de l’article premier du titre 3 du décret général sur les pensions, et en ce, non compris leur traitement d’activité. « Les personnes portées sur l’état des gratifica-tionsannuelles assignées sur les fondsde la loterie royale de l’année 1788, pour des sommes plus fortes que celles dont elles ont été payées en exécution des décrets des 26 mars et 7 avril derniers, seront payées de l’excédant desdites sommes pour l’année 1789 seulement. >» M. Camus soumet ensuite un troisième article concernant les sommes à payer sur le bail actuel des fermes. Il prooose d’allouer une somme de 1,200 livres à une dame Marès, employée, pour cette somme, sur l’état des personnes qui ont travaillé dans les fermes. « Nous n’avions, dit M. Camus, aucune connaissance, dans le comité des pensions, des gratifications sur les fermes lorsque nous vous avons présenté notre travail. Nous en avons été instruits depuis par la dame Marès, qui a 1,200 livres de cette façon et qui n’est pas payée depuis 1789, quoique d’autres aient été payés. Alors on nous à instruits que, lors du dernier bail, M. de Calonne avait chargé les fermiers de payer annuellement 1,300,000 livres divisés en trois états. M. Necker a détruit cet abus et suspendu ces payements ; il s’agit de savoir si vous ordonnerez qu’on les continue provisoirement. » M. Chantaîre. Je demande la question préalable. M. Gérard, député de Rennes. Je demande aussi la question préalable. On dit que la dame Marès est pauvre: il y a aussi des pauvres dans nos campagnes, et il faut plus de 30 villages pour payer toutes ces sommes. M. d’André. Je demande l’impression du rapport et l'ajournement. (Cette motion est adoptée.) M. Rewbell. Vous ignorez une grande partie des abus en finance parce qu’on n’ose pas les dénoncer. Ayez la fermeté et la justice d’assurer aux subalternes leur état. C’est ce que firent Sully et Colbert, quand ils voulurent réformer les finances. Je demande que l’Assemblée déclare qu’elle prend sous sa protection immédiate ceux qui donneront des renseignements utiles à l’Etat. M. Camus se plaint à son tour des grandes difficultés qu’éprouvent les comités pour avoir connaissance des objets de finances, et il appuie la motion de M. Rewbell. L’Assemblée charge les opinants, conjointement avec le comité des pensions, de présenter un projet de décret à cet égard. 405 On fait lecture d’une lettre de M. la Tour-du-Pin. Ce ministre annonce que le roi l’a chargé d’informer l’Assemblée nationale que le mouvement des troupes autrichiennes vers les provinces belges exigeait des précautions de notre part, non pas qu’il ait sujet d’avoir des soupçons, mais que, dans un moment où toutes les puissances sont armées, la prudence demande qu’on augmente les forces de cette frontière ; qu’il faut pour cela retirer des troupes de l’intérieur, et qu’il est bien important d’ordonner aux municipalités de ne pas arrêter leur marche. (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre au comité militaire.) M. le Président. L’ordre du jour est la discussion du projet de décret du comité des finances sur la fabrication de la monnaie de billon( 1). M. Maurfssart, rapporteur. Messieurs, dans la séance d’hier un membre de cette Assemblée a proposé d’instituer on comité snécial pour les monnaies. Je crois donc qu’avant de s’occuper de la fabrication de la monnaie de billon il est nécessaire de déterminer, par avance, la théorie générale des monnaies, et qu’il y a lieu d’ajourner jusqu’à ce qu’un comité que vous nommerez, vous soumette un travail d’ensemble. M. Martinean. Tout le monde me paraît d’accord pour reconnaître qu’il y a urgence à fabriquer de la monnaie de billon ; le moyen semble s’en offrir à nous sans qu’il en coûte rien à la nation; c’est la fonte des cloches qui sont devenues inutiles par la suppression des maisons religieuses et de plusieurs paroisses. — M. Pasquier, citoyen de Paris, assure avoir trouvé le moyen de rendre la matière des cloches ductile et malléable ; il évalue cette matière à 200 millions de livres pesant, dont la nation peut disposer, et en estime la valeur à vingt sous la livre au lieu de 8 et 9 sous qui sont offerts par quelques personnes. Je demande que les propositions faites par M. Pasquier soient examinées avec soin et que l’Assemblée désigne, dans son sein, des commissaires chargés d’assister aux essais qui seront faits. M. ATaurlssart. J’ai eu plusieurs conférences avec M. Pasquier, qui m’a affirmé qu’en effet l’opération était possible, mais je n’ai jamais assisté à aucun essai. M. de Virieu. Je persiste dans la motion que j’ai présentée hier pour nommer un comité qui serait chargé d’établir une législation monétaire : il existe de grands abus dans cette partie et il est utile de les réformer. M. 'Vernier. M. Beauregard offre de fabriquer du billon par le moyen de la fusion ; son plan procurerait à la nation un produit net d’environ 155 livres par quintal. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély). Je demande l’ajournement des motions qui ont été faites, jusqu’au moment où le travail de la Constitution sera terminé. L’Assemblée ne doit passe lais~er détourner de son but par des propositions incidentes. (1) Voyez le rapport de M. Naurissart,, du 16 jan-▼ier 1790. Archives Parlementaires , tome XI, page 225. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1790.} 406 [Assemblée nationale.] M. Itewbell. Personne n’a nié que la fabrication' du billon était nécessaire, mais on prétend que la théorie de la fabrication des monnaies doit précéder cette opération ; d’un autre côté oa demande l’aiournement, ce qui tend à continuer la vente de l’argent. Le comité des finances parle de quelques frais, de quelques pertes qui ne sont rien auprès des avantages qui doivent résulter de l’opération qui vous est proposée. Je ne m’oppose pas à ce qu’on nomme un comité, mais je demande qu’on mette immédiatement à la discussion la fabrication de la monnaie de billon. (Get ordre de discussion est mis aux voix et adopté.) M. Wanrisgart, rapporteur , présente en quelques mots le résumé de son rapport et doune lecture du projet du décret en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant les diverses demandes qui lui ont été adressées, pour que, vu la disette de la menue monnaie, il lui plût ordonner incessamment une fabrication de monnaie de billon ; « Considérant qu’iJ est convenable de donner au roi, sur une monnaie nouvelle, le titre glorieux de roi des Français, a décrété et décrète : « Art. 1er. Qu’il sera incessamment fabriqué dans les divers hôtels des monnaies du royaume la quantité de deux millions de marcs de monnaie de billon, du poids et titre ci-après. « Art. 2. Le susdit billon sera fabriqué au titre de deux deniers de fin, au remède de trois grains. « Art. 3. Il sera fabriqué dans chaque monnaie un tiers de pièces valant cinq sous, un tiers de pièces valant deux sous, et l’autre tiers de pièces valant dix-huit deniers. Les pièces de cinq sous seront à la taille de quarante au marc, au remède de poids de trois pièces au marc ; les pièces de deux sous, à la taille de cent vingt au marc, au remède de poids de huit pièces au marc ; et enfin, les pièces de dix-huit deniers, à la taille de cent soixante pièces au marc, au remède de poids de douze pièces au marc sans aucun recours de la pièce au marc. « Art. 4. Lesdites pièces porteront d’un côté pour légende : LOUIS XVI, roi des Français, et de l’autre leur valeur numéraire, conformément aux empreintes figurées au bas du présent décret, et seront, lesdites pièces, marquées sur la tranche d’une' simple hachure. « Art. 5. Lesdites pièces de billon auront cours dans toute l'étendue du royaume pour la susdite valeur ; mais on ne pourra être contraint, dans aucun payement, d’en recevoir pour plus de six livres. « Art. 6. Les pièces de billon fabriquées en France, actuellement en circulation, de la valeur de 2 sous et 18 deniers continueront d’avoir cours jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. « Art. 7. Les déchets sur cette fabrication seront alloués aux directeurs des monnaies, à raison de six pour cent, et tous les frais de fabrication seront fixés à 20 sous par marc, dont la répartition sera faite par le roi entre tous les officiers et ouvriers des monnaies. « Art. 8. L’Assemblée nationale fait très expresses inhibitions et défenses de recevoir ou donner, dans les payements, aucunes pièces de billon de fabrication étrangère. « Le présent décret sera, sans délai, présenté au roi pour être sanctionné. » Charles de Bmuueth. Messieurs, je viepg vous soumettre une observation en quelque sorte préjudicielle. C’est qu’avant de prendre aucune décision vous fassiez procéder à bref délai aux expériences dont on vous a entretenu; ces expériences ne sauraient occasionner qu’un très court retard : elles vous promettent de grands avantages : aussi je demande que la motion de M. Martineau obtienne la priorité. M. le Président met aux voix l’ajournement de la discussion. (L’Assemblée décide que la discussion continue.) Plusieurs membres demandent la parole, notamment M. de Cussy et M. l’évêque d’Autun. M. de Cussy (1). Messieurs, quoique rien de ce qui intéresse l’ordre public ne puisse paraître indifférent aux régénérateurs de cet empire, j’ose croire que ce qui touche immédiatement à l’intérêt de la classe la moins fortunée des citoyens excitera, dans tous les temps, votre vigilance la plus active et voire attention la plus soutenue. Permettez-moi, Messieurs, de les réclamer en ce moment, où j’ai à vous entretenir de la monnaie basse, de celle qui détermine en quelque sorte les salaires du peuple, facilite ses transactions journalières, et fixe le prix des denrées de première nécessité. Si je n’étais accoutumé à respecter, dans tous les députés de la natiou, des hommes dignes de la confiance qu’ils ont obtenue, je serais tenté de vous dire, Messieurs, que le projet, qui vous a été présenté par le rapporteur de votre comité des finances est une suite de l’attentat qu’un ministre audacieux n’a pas craint d’exécuter contre les propriétés mobilières de la nation. M. de Galonné a dégradé d’un quinzième de poids l’or destiné à circuler entre les mains de l’homme puissant; on vous propose, en ce moment, d’affaiblir d’un dixième le poids d’une monnaie basse consacrée particulièrement aux besoins et à l’acquit des services journaliers du peuple. En affaiblissant le poids de notre monnaie d’or M. de Calonne en conserva du moins le titre. Si même on veut ajouter foi aux procès-verbaux qu’il ordonna, quoique la cour des monnaies, cette gardienne incorruptible de nos lois monétaires, en ait démontré l’irrégularité, j’ai presque dit l’infidélité, il employa, s’il faut l’en croire, une grande partie du bénéfice qu’il réservait au fisc sur le poids des anciens' louis, à rétablir fe titre des nouveaux. Mais, enfin, les louis neufs furent fabriqués au même degré de fin que celui que renfermaient ou auraient dû renfermer les anciens. Aujourd’hui votre comité vous propose d’ordonner une nouvelle fabrication de billon, dans laquelle on diminuera d’un cinquième la faible quantité d’argent fin employé dans la fonte des sols fabriqués en exécution de l’édit de 1738. En comparant ce qui a été fait sur vos monnaies précieuses, et ce qu’on vous propose aujourd’hui de faire sur vos monuaies basses, ne pourrait-on pas croire que l’on voudrait vous amener par degrés, à votre insu et contre vos intentions, à la déplorable nécessité d’altérer le titre, ou d’affaiblir le poids de vos monnaies d’argent, pour rétablir entre tous vos métaux une juste et convenable proportion ? Ce projet détestable fut celui de M. de Galonné. Le crime de sa pensée est tracé de sa propre main dans une apostille mise en (1) Le Moniteur s’est borné à reproduire le projet de décret proposé p�r M. de (jussy. ; .