28 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mars 1790.1 dis que tout homme qui a un père et qui sait combien cet être est sacré, doit respecter un fils gui veut partager les malheurs de l’auteur de ses jours. II est beau de faire marcher avant tout les droits de la nature. Il n’appartiendrait qu’à des âmes insensibles, et qui redouteraient la vérité, de repousser un fils qui vient parler pour son père, en lui opposant des fins de non-recevoir. M. le comte de Mirabeau. Il me semble que le préopinant se trompe également et dans l’objet qu’il nous suppose et dans les motifs de sa compassion vraiment généreuse� L’Assemblée juge-t-elle lorsqu’elle demande desmotifs? Au contraire, elle suspend sa délibération. Nul autre ne peut rendre compte des motifs du magistrat que le magistrat lui-même. Je vais plus loin ; si le réquisitoire est un délit, vous avez le corps de délit ; et, quels que soient les motifs qui ont dicté cet acte, il n’en est pas moins ce qu’il est; vous pourriez le juger. On vous propose de demander les motifs; cette modération convient toujours à une assemblée législative. Je ne crois pas que le président de la chambre des vacations mérite le même sort que le procureur général. Je ne trouve qu’une faute dans l’arrêt : l’injonction faite aux municipalités est inconstitutionnelle ; il faut apprendre aux parlements qu’ils n’ont rien à enjoindre et à ordonner aux municipalités. M. de Cazalès. Si la ville de Bordeaux s’était bornée à dénoncer ce réquisitoire, et n’avait pas interprété ses expressions, je serais de l’avis de M. de Mirabeau. Le fils du magistrat accusé vient défendre son père contre les interprétations calomnieuses : il paraît extraordinaire que quand tout citoyen est admis à dénoncer, le fils d’un citoyen accusé ne puisse prendre sa défense. (On ferme la discussion.) L’Assemblée délibère. M. Dudon de l’Estrade fils est admis à la barre. 11 entre avec rapidité. M. Dndon de l’Estrade fils. Je savais bien, Messieurs, que la nature serait la plus forte ; et si quelque chose peut nuire à mes moyens, c’est la sensibilité dont je suis affecté. Je ne prendrai point la raideur de la discussion pour justifier ici mon père. Je regrette qu'il s’en soit servi dans son réquisitoire, puisqu’elle a donné lieu à d’aussi fâcheuses interprétations. S’il s’est livré à quelques expressions trop fortes, il faut donner quelque chose à la faiblesse humaine... (On entend quelques murmures.) Vous ne pourrez, par ces improbations, atténuer mes réclamations. M. le Président. Je vous prie de continuer purement et simplement l’apologie de votre père. M. Iludon de l’Estrade fis. Je pourrais l’excuser en vous retraçant sa vie tout entière. Le peuple qui le maudit aujourd'hui est trompé. Quand les parlements se sont opposés avec vigueur au despotisme ; quand mon père bravait les violences et les injustices des ministres, on l’applaudissait, on lui préparait des triomphes. Ce n’est pas un mauvais citoyen qui a employé toute l’autorité de sa place pour alimenter la ville de Bordeaux pendant l’hiver dernier. Si vous considérez le grand âge de mon père, si vous savez qu’il est malade en ce moment, vous le dispenserez d’un voyage qui altérerait encore sa santé. — - M. Dudon ajoute que les improbations qui se sont manifestées ne lui permettent pas d’entrer dans de plus grands détails sur la justification de son père. — 11 se retire. M. Alexandre de Eameth. Vous venez d’entendre M. Dudon de l’Estrade fils ; en rendant hommage à sa piété filiale, on ne peut se déguiser qu’il n’a pas justifié son père. Il nous parle de l’opposition des parlements au pouvoir arbitraire : il me semble qu’ils ont été moins les ennemis du despotisme que ses rivaux... Il faut, pour rendre la justice, être honoré dans l’opinion publique ; il faut que la justice soit rendue, et les provinces en sont presque privées. Je voudrais que, par une mesure provisoire, les parlements fassent remplacés par des tribunaux qui méritassent la confiance des citoyens. M. l’abbé de llarmond. Si je croyais qu’il fût nécessaire de disculper le parlement de Bordeaux, je rappellerais à l’Assemblée qu’elle ne peut être juge dans sa propre cause; mais je ne crois pas que cette cour ait besoin d’être défendue. Elle a enjoint aux municipalités d’user de tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour ramener l’ordre. Quel était alors l’état du ressort du parlement de Bordeaux ? J’étais membre du comité de rapports ; nous recevions des procès-verbaux effrayants, qui constataient des brigandages, des massacres, des incendies ..... On confond ie réquisitoire, qui n’a rien de commun avec l’arrêt, et cet arrêt n’a rien de coupable. Voilà donc l’affaire réduite à un seul particulier, et ici la cause devient bien belle; elle a été plaidée par le fils de l’accusé, par un fils troublé par le respect que vous lui avez inspiré. Je dénie toutes les intentions qu’on croit voir dans son réquisitoire ; il n’a pas attaqué la constitution qu’il a juré de maintenir: il a demandé que la force publique fut employée pour arrêter les brigandages ..... C’est un citoyen respectable, âgé de quatre-vingts ans, et qui pendant cette longue carrière, a rendu de grands services à sa patrie : il n’y a que quatre ans qu’il gémissait sous une lettre de cachet, pour avoir défendu avec courage les intérêts de ses concitoyens.... Sa réponse est dans la dénégation que je fais en son nom des interprétations qu’on donne à une phrase de son réquisitoire. M. Ee Chapelier. Toutes les expressions du réquisitoire annoncen t l’intention des’élever contre vos décrets. Il est certain que les troubles étaient calmés lorsque le réquisitoire a été prononcé. Cette dernière assertion est fortement déniée. L’Assemblée commence à devenir très tumultueuse. On demande que la discussion soit fermée, qu’elle soit continuée, qu’elle soit ajournée. Après de longs débats, l’ajournement est rejeté. Plusieurs projets de décret sont présentés. — La priorité est accordée à celui du comité. M. de Sèze. La faiblesse de la santé de M. Dudon de l’Estrade et son grand âge ne nous permettent pas, en quelque façon, de le mander à la barre. M. de Eachèze demande la même grâce pour le président de la chambre des vacations. M. de Cazalès est d’avis que l’on supprime la partie du décret qui comprend les témoignages de la satisfaction de l’Assemblée pour le zèle patriotique de la milice nationale et de la municipalité de Bordeaux. M. le baron de Menou. Personne n’ignore les manœuvres des parlements contre les opéra- [5 mars 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 29 tions de l’Assemblée. Je demande que le parlement de Bordeaux soit supprimé, et les membres de la chambre des vacations déclarés incapables d’exercer les droits de citoyen actif. (Les mouvements d’une partie de l’Assemblée augmentent.) M. Alexandre de Lanielli. L’Assemblée est très décidée à ne pas abandonner cette question sans la traiter : il faudrait donc la laisser délibérer paisiblement. Ne vous aveuglez pas ; on peut frapper la liberté dans sa naissance. Si l’Assemblée faisait bien, elle renverrait cette affaire au Châtelet. Sous peu de jours, d’autres parlements nous occuperont encore; qu’on ne nous parle pas des prétendus services des membres du parlement de Bordeaux, quand ils sont coupables de délits certains... M. Lambert de Frondeville. Il est temps de délivrer les parlements des persécutions véritables qu’ils éprouvent ; c’est une persécution que de les accuser sans preuves. Je fais la motion que, dès ce moment, toutes les chambres de vacations soient supprimées. M.Defermon propose le décret suivant: « L’Assemblée nationale supprime la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, et défend aux membres qui la composent de continuer leurs fonctions. Ordonne que son président se retirera pardevers le roi, pour le supplier de donner des ordres pour la formation d’une nouvelle cour. » La question préalable est demandée sur divers amendements, successivement présentés et rejetés ou adoptés. Après de longs et tumultueux débats, l’Assemblée décrète ce qui suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le comité des rapports sur la dénonciation faite par les officiers municipaux et les citoyens de la ville de Bordeaux, de l’arrêt de la chambre des vacations, du 20 février 1790, et du réquisitoire du procureur général du roi : « Décrète que le président de la chambre des vacations et le procureur général du roi du parlement de Bordeaux, seront mandés à la barre pour rendre compte des motifs de leur conduite, ët qu’ils s’y rendront dans un intervalle de quinze jours, à compter de celui de la notification du présent décret ; «‘Et cependant l’Assemblée nationale, prenant en considération le grand âge du sieur Dudon, procureur général, le dispense de se rendre à la barre, et lui ordonne de rendre compte par écrit des motifs de sa conduite. « L’Assemblée charge en outre son président de témoigner par une lettre aux officiers municipaux, à la milice nationale et aux citoyens de la Ville de Bordeaux, la satisfaction avec laquelle l’Assemblée a reçu les nouvelles preuves de leur zèle et de leur patriotisme. » M._ le Président lève la séance à minuit et demi, après avoir indiqué celle du lendemain pour neuf heures et demie du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRESIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du vendredi 5 mars 1790 (1). M. le comte de Castellane, l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier matin. M. le comte de Croix observe qu’on a omis d’insérer dans la rédaction du décret portant suppression de la féodalité la liberté accordée aux communes de se pourvoir, dans cinq ans, contre les usurpations qui ont été faites de leurs biens communaux. L’Assemblée décide que cette omission sera réparée au procès-verbal. M. l’abbé Gouttes, membre du comité des finances, fait un rapport sur une demande de la ville d'Orléans qui sollicite V autorisation de faire un emprunt pour le soulagement des pauvres. M. Salomon de La Saugerie appuie le décret proposé par le comité des finances. Le décret est mis aux voix et adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des finances, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. Ier. La commune d’Orléans est autorisée à faire un emprunt de la somme de deux cent quarante-trois mille six cents livres, dont le gage spécial sera le capital des rentes dues à la commune d’Orléans par la ville de Paris, et dont l’intérêt est de 12,180 livres. « Art. 2. Les fonds provenant de cet emprunt seront employés à faire des achats de grains; et les sommes pr°yeimnt des ventes qui serontfai-tes, au marché, desdits blés conformément à la délibération de la commune, serviront au remboursement dçs sommes prêtées au comité dans l’urgent besoin que la ville a éprouvé au mois dernier. « Art. 3. La municipalité d’Orléans justifiera du remboursement ci-dessus , par les quittances qu’elle produira à l’administration du district, et par un compte public. » M. l’abbé Gouttes. Gomme nous sommes assaillis par un grand nombre de demandes semblables, votre comité a cru devoir vous proposer l’article suivant : « L’Assemblée nationale exhorte toutes les municipalités du royaume à pourvoir, de la manière la plus prompte et la plus convenable, à la subsistance des pauvres de chaque municipalité.» On demande l'ajournement de ce projet de décret. Le rapporteur consent à l’ajournement, qui est prononcé. M. le baron «le Cernon, rapporteur du comité de constitution, fait le rapport d’une difficulté survenue entre les districts de Riom et de Tbiers en Auvergne. Chacun de ces districts réclame la ville de Maringues et les paroisses de Limons, Lu-zillat, la Vialle, la Tissonnière et Joze. Le comité est d’avis de les comprendre provisoirement dans (i) Celte séance est incomplète au Moniteur. i