SÉANCE DU 7 FRIMAIRE AN III (27 NOVEMBRE 1794) - N° 47 269 que sur le référé, sous la même date, de l’accusateur public près ce tribunal, dans lequel il expose les embarras et les entraves que va éprouver cette section à raison des limites de sa compétence et de la variété des délits dont sont prévenus ou dont se trouveront coupables, par les débats les individus arrêtés en exécution des lois des 7 et 17 septembre 1793, et 26 frimaire dernier ; Considérant qu’à la vérité la loi du 26 frimaire défend de poser la question intentionnelle, mais que depuis est intervenue celle du 14 vendémiaire, qui consacre le principe d’étemelle vérité, qu’il ne peut exister de crime là où il n’y a point eu l’intention de le commettre, et qui ordonne en conséquence que la question relative à l’intention sera posée dans toutes les affaires soumises à des jurés de jugement ; qu’ainsi cette loi générale, étant postérieure à la première, l’abroge naturellement et de droit. Passe à l’ordre du jour, et au surplus décrète ce qui suit : «Tous les individus arrêtés en exécution des lois des 7 et 17 septembre 1793, et 26 frimaire dernier, seront jugés par la section du tribunal criminel du département du Nord qui en est spécialement chargée, de quelques crimes et délits qu’ils soient prévenus ou trouvés coupables, la Convention nationale lui donnant à cet effet tous les pouvoirs nécessaires et non attribués par les lois précédentes. (107)» 47 Un membre [POMME], au nom des comités de Marine et des colonies et des Finances, fait un rapport, et propose le décret suivant, qui est adopté : La Convention nationale considérant que la loi du 16 octobre 1791, qui supprime toutes les places de personnes attachées près du ministre de la Marine à Paris, et n’ayant point de fonctions actives et permanentes, n’a pu s’appliquer à un artiste dis-tingué, dont les fonctions joignent à une activité et une permanence reconnues un genre d’utilité peu commun, après avoir entendu le rapport de ses comités de Marine et colonies et des Finances décrète ce qui suit : Art. Premier. - Ferdinand Berthoud, horloger mécanicien de la marine, continuera d’être employé au service de la marine ; son traitement reste fixé à 6 000 liv. y compris les frais de logement de pendules et de l’atelier du travail. Les arrérages qui lui sont dus lui seront payés sur ce pied, sur les fonds du département de la Marine. (107) Moniteur, XXII, 616-618. Débats, n° 795, 956 ; J. Fr., n° 793; Gazette Fr., n° 1060; M.U., n° 1357 ; J. Univ., n° 1829; Mess. Soir, n° 832. Art. II. - La pension de 3 000 liv., dont 1 000 liv. réversibles sur la tête de son épouse, accordée à Berthoud, en exécution d’un traité passé entre l’ancien gouvernement et cet artiste, est confirmée; néanmoins Berthoud ne pourra jouir cumulativement de sa pension et de son traitement. À son décès, son épouse jouira de la pension de 1 000 liv. réversible sur sa tête. Art. III. - La Convention nationale décrète la mention honorable de l’hommage fait par Ferdinand Berthoud, d’un exemplaire de ses ouvrages, et en ordonne le dépôt à la Bibliothèque nationale (108). [Rapport et projet de décret présentés au nom des comités de Marine et colonies et des Finances, sur la pétition de Ferdinand Berthoud, par Pomme, député de Cayenne et Guyane française] (109) Citoyens, S’il est utile, indispensable même aux législateurs de la République française, d’honorer et de protéger, d’une manière digne d’elle, les sciences et les arts, ces sources pures de la gloire et de la prospérité des empires, nous pensons qu’ils est une tâche préliminaire, plus pressante encore, qui résulte pour eux de cette obligation sacrée : c’est celle de réparer d’abord à leur égard, et les torts nombreux de la tyrannie et les pertes que les premiers orages de la révolution ont pu leur faire éprouver. Pour remplir dans cette patrie toute l’étendue de vos devoirs, il ne vous suffit pas de décerner aux talens des couronnes civiques et des récompenses flatteuses, de fixer l’œil de l’émulation sur un avenir de gloire, d’environner enfin le temple auguste des arts de toute la pompe et de toute la majesté nationale ; il faut, avant tout, dans cette carrière, comme dans toutes celles que vous avez ouvertes au génie, que l’homme qui l’aura parcourue avec succès, puisse espérer au moins une prompte, une éclatante justice : avant de récompenser, vous devez vous acquitter. Ferdinand Berthoud, auteur des horloges marines, dont le comité vous présente les réclamations, quelques droits qu’il eût à des encoura-gemens, n’invoque toutefois que votre justice : cet artiste célèbre, privé par une suppression mal entendue, et que le despotisme avoit intérêt de mal entendre, d’une pension glorieusement acquise ; arraché par l’effet de la même suppression à un travail avantageux aux progrès des arts, profitable à la patrie, demande à être réintégré dans l’une et dans l’autre. La loi qui a donné lieu à l’injustice commise à son égard, est en date du 16 octobre 1791 ; elle s’exprime ainsi : « Les places de tous les officiers militaires et ingénieurs, d’officiers de santé, d’of-(108) P.-V., L, 148-149. Moniteur, XXII, 616 ; Bull., 10 Mm. (suppl.). C*II, 21 indique par erreur Boissieu comme rapporteur. (109) C 327 (1), pl. 1432, p. 10. Débats, n° 795, 963-964, n° 796, 965-968 ; F.de la Républ., n° 68. 270 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ficiers d’administration de la marine et des colonies, et généralement toutes les places attachées près du ministre à Paris, n’ayant pas de fonctions actives et permanentes, sous quelque dénomination que lesdites places aient été jusqu’à présent désignées, sont et demeurent supprimées». Or, pour sentir si Ferdinand Berthoud se trouve compris dans cette loi, s’il est vrai que cet artiste n’avoit point auprès du ministre des fonctions actives et permanentes, il ne s’agit que de vous présenter un court exposé des faits. La solution du problème des longitudes a toujours été, pour les peuples navigateurs, la découverte la plus importante. Les siècles précédents en avoient pressenti en vain les énormes avantages pour les progrès de l’astronomie, de la géographie et de la navigation: il étoit réservé au nôtre, déjà illustré par tant de prodiges, d’ajouter cette nouvelle conquête à toutes celles qui, depuis cinquante ans, ont reculé bien au-delà des bornes connues le domaines des sciences et des arts. Tandis que Harrison, en Angleterre, dotoit sa patrie de cette précieuse production du génie, Ferdinand Berthoud, en France, arrivoit, par une méthode différente, au même résultat. Nous ne suivrons pas l’auteur dans toutes les épreuves, dans tous les essais dispendieux par lesquels il a conduit sa découverte de l’état d’enfance, au point de maturité qui la distingue aujourd’hui ; nous nous bornerons à vous rappeler que sa première montre marine, la première en même temps qui eût paru en France, fut exécutée à la fin de 1763, et éprouvée à Brest en 1764, par ordre du gouvernement. Le succès fut assez flatteur pour que l’auteur osât s’engager à faire des horloges qui, après deux moins de navigation, ne donnoient plus que quatre minutes de variation : la promesse étoit brillante, c’étoit aller plus loin que Harrison n’avoit été lui-même. Elle eut assez d’effet pour réveiller Praslin, alors ministre de la Marine, de la léthargie ordinaire à ses confrères, pour tout ce qui pouvoir illustrer la nation et étendre la sphère des connoissances humaines. Ce ministre conclut avec Berthoud, au nom du ci-devant roi, un traité qui assura à l’artiste, dans le cas où le succès couronneroit ses espérances, une pension de 3 000 liv. réversible sur sa femme. La vérification faite de deux de ces horloges sur la frégate 17sis, commandée par Fleurieu, et sur laquelle se trouvait le célèbre académicien Pingré, fut soumis à l’examen de l’Académie, dont le rapport constate qu’elles donnèrent une précision encore plus grande que celle que l’auteur avoit osé promettre. Elles avoient marqué les longitudes à un demi-degré près, pour quarante-cinq jours ; elles avoient rempli toutes les conditions exigées par le prix de vingt mille liv. sterling proposé par le bureau des longitudes en Angleterre; somme dont Harisson lui-même n’avait obtenu que les trois quarts, comme n’ayant atteint qu’imparfaitement cette exactitude, cette précision mathématique que le bureau anglais avoit recommandé, et que des expériences réitérées, des procédés opiniâtres avoient obtenue au seul Ferdinand Berthoud. Les trois mille livres de pension lui furent accordées. Cette pension ne fut donc point, comme on voit, une faveur, mais une dette sacrée, mais le prix d’un travail utile et glorieux, prix dont on pouvoit d’autant moins priver l’artiste, que Praslin ayant, en vertu de sa toute puissance, supprimé des conditions du traité une gratification de trente mille livres, avoit encore, par cette injustice, consacré de nouveau la légitimité de la pension de 3 000 livres, conservée en exécution du traité. Quelque mécontentement que dût éprouver Ferdinand Berthoud de cette infidélité et de cette mauvaise foi du ministre, entraîné par cet ascendant irrésistible, par cet enthousiasme de l’art que l’on regarde avec raison comme le père des grandes choses et des grandes découvertes, il abandonna le commerce lucratif de l’horlogerie pour se livrer tout entier à la confection des horloges marines. Un grand nombre d’excellentes horloges sorties de ses mains depuis cette époque, ont été employées avec le plus grand succès, pour corriger ou perfectionner les cartes hydrographiques dans la Méditerranée, sur les côtes d’Afrique, aux Canaries, à l’île Saint-Domingue, à Terre-Neuve, dans diverses parties de l’Inde, dans les voyages de la Pérouse et d’Entrecasteaux. On peut dire que ces instruments précieux sont aujourd’hui d’un usage général dans la marine pour tous les voyages de découvertes, et qu’ils seront employés encore avec plus d’utilité pour les croisières d’escadres en temps de guerre. Le nombres des horloges nautiques appartenantes à la marine étant devenu assez considérable, et l’entretien de ces machines précieuses, et par leur utilité, et par leur valeur intrinsèque, étant un objet assez important pour n’être pas confié à des mains inexpertes, le ministre de la Marine crut, avec raison, ne pouvoir mieux faire que d’en charger Ferdinand Berthoud lui-même ; il lui fut, à cet effet, alloué, 1 500 liv. pour le logement et l’atelier dans lequel on devoit déposer les pendules, les réparer, et pourvoir à leur conservation. On ne lui accordoit rien, comme on voit, pour ses ouvrages qui, devenus cependant, par la publicité, une propriété nationale, méritoient des indemnités ; rien non plus pour quelques élèves formés sous ses yeux, et parmi lesquels Louis Berthoud, son neveu, tient le premier rang. Cet artiste honora cependant son oncle en construisant des montres de poche, qui, d’après le témoignage de Fleurieu et d’un astronome attaché à l’Observatoire atteignoient presque la précision des horloges marines, y joignant la commodité d’une montre ordinaire. Le traitement total de Berthoud est donc ; en y comprenant la pension de 3 000 liv., de 7 500 liv. ; savoir : - 3 000 liv. de pension résultant d’un traité passé avec le gouvernement, et qui ne peuvent en aucune manière lui être disputées, ainsi que la réversibilité de 1 000 liv. sur la tête de son épouse. - 1 500 liv. d’appointemens ou de traitemens comme horloger-mécanicien de la marine, en indemnité de la cessation de ses affaires, pour se livrer uniquement à la recherche des moyens de perfection pour les horloges marines. SÉANCE DU 7 FRIMAIRE AN III (27 NOVEMBRE 1794) - N° 47 271 - 1 500 liv. de salaire pour entretenir les horloges ; c’est-à-dire les nettoyer, les régler, les disposer, les tenir en état de prendre la mer. Ces 3 000 livres, qui forment en effet le traitement de Berthoud, ne sont pas entièrement à lui, car il faut qu’il fournisse les matières et paye quelquefois les ouvriers. - 1 500 liv. en sus pour le logement des pendules et l’atelier de travail. Ce ne peut être regardé que comme un remboursement de dépenses indispensables. 7 500 liv. Il s’agit de déterminer maintenant, citoyens, si ce traitement n’étoit point le prix des fonctions actives et permanentes exigées par la loi du 16 octobre 1791, ou si cette loi prescrivoit réellement au ministre Bertrand, chargé de la faire exécuter, l’autorisoit même à ordonner la suppression d’un traitement, utilement employé, d’une pension acquise à si juste titre. Il nous suffiroit, pour vous prouver la négative, de vous faire observer que cette application rigoureuse d’une loi sage en elle-même, fut l’ouvrage d’un ministre du despotisme, qui, ne pouvant en éluder l’effet en faveur des parasites nombreux, des aristocrates prononcés qui absorboient à cette époque les fonds attachés aux dépenses des départe-mens ministériels, chercha du moins à s’en venger, en l’étendant aux hommes utiles, aux hommes de génie. Cette extension perfide ne fait qu’ajouter une nouvelle page à l’histoire de ce fameux système de destruction et de découragement dans les arts, dont la cour avoit la première conçu l’idée, et qui a été saisi depuis, et perfectionné même par les nombreux agens de l’Angleterre, par les conspirateurs de toutes les sectes, par les factieux de toutes les couleurs ; système atroce, qui tendoit à faire d’une révolution qui elle-même est le triomphe de toutes les lumières, l’époque d’une nouveau siècle d’ignorance, d’anarchie, d’avilissement et de servitude. Revenons à Berthoud. Le rapport sur la légitimité de ses réclamations n’ayant pu être fait à l’Assemblée Législative par Forfait, qui en étoit chargé, le comité de Marine en ordonna du moins l’impression. Le jugement de cette affaire passa à la Convention nationale. Notre collègue Jean-Bon-Saint-André, membre de votre comité de Marine, vous fit un rapport qui fut imprimé vers la fin de 1792 ; vous en ordonnâtes l’ajournement ; et depuis, des affaires multipliées étant survenues, l’intérêt général a étouffé jusqu’à ce moment-ci toutes les réclamations de l’intérêt particulier. Nous ne changeons rien aux principes qui ont dirigé votre comité dans son précédent rapport : la justice, qui en fait la base, ne doit rien souffrir des délais, encore moins varier avec les circonstances. Je ne ferai donc que transcrire les conclusions du rapporteur Jean-Bon-Saint-André. Votre comité pense que la loi du 16 octobre 1791 ne doit point être appliquée à Ferdinand Berthoud, d’abord parce que le traitement fait à ce citoyen est le prix d’un travail soutenu, d’une avance de fonds qu’il a faite à l’utilité publique, et du sacrifice d’une grande fortune qu’il auroit sûrement acquise, si, moins avide de gloire, il s’étoit borné à des travaux plus communs et plus lucratifs ; en second lieu, parce que Ferdinand Berthoud est de fait attaché à la Marine, puisque, comme je l’ai déjà remarqué, une partie de ses appointemens se compose de ceux qu’il a obtenus comme horloger mécanicien, d’un salaire pour l’entretien des horloges, et du logement des pendules et de l’atelier de travail. Ces appointemens, comme on voit, ne sont pas ceux qu’on accorde à des hommes sans fonctions actives et permanentes, les seuls que la salutaire rigueur de la loi pût atteindre ; les fonctions dont il sont le prix exigent au contraire une permanence et une activité peu communes ; ajoutez qu’il n’est point d’artiste qui pût s’en acquitter plus habilement que celui à qui l’invention est due. En troisième lieu enfin, nous pensons que la loi n’a point à s’appliquer à Ferdinand Berthoud, parce que la République française ne doit pas être moins généreuse que le despotisme envers ces hommes distingués, faits pour honorer leurs pays et rehausser, par la gloire des arts, le prix de la liberté. Nous ajouterons à toutes ces considérations qui vous prescrivent impérieusement une mesure grande et digne de la loyauté nationale, que Ferdinand Berthoud, quoique âgé de 68 ans, dont quarante passés à la recherche et à la confection des horloges et des montres marines, s’offre à former lui-même, et gratuitement, tout artiste qui, étant citoyen français, aura les dispositions nécessaires et voudra recevoir ses conseils ; il joint à cette offre, que vous vous empresserez sans doute d’accueillir comme elle le mérite, l’hommage à la Convention des nombreux ouvrages qu’il a composés pour perpétuer la découverte : il vous prie d’ordonner le dépôt de l’exemplaire que voici, à la Bibliothèque nationale. Le comité vous propose, par mon organe, le décret suivant : La Convention nationale considérant que la loi du 16 octobre 1791, qui supprime toutes les places de personnes attachées près du ministre de la Marine à Paris, et n’ayant point de fonctions actives et permanentes, n’a pu s’appliquer à un artiste distingué, dont les fonctions joignent à une activité et une permanence reconnues un genre d’utilité peu commun, après avoir entendu le rapport de ses comités de Marine et colonies et des Finances décrète ce qui suit : Art. Premier. - Ferdinand Berthoud, horloger mécanicien de la marine, continuera d’être employé au service de la marine ; son traitement reste fixé à 6 000 liv. y compris les frais de logement de pendules et de l’atelier du travail. Les arrérages qui lui sont dus lui seront payés sur ce pied, sur les fonds du département de la marine. Art. IL - La pension de 3 000 liv., dont 1 000 liv. réversibles sur la tête de son épouse, accordée à Berthoud, en exécution d’un traité passé entre l’ancien gouvernement et cet artiste, est confirmée; néanmoins Berthoud ne pourra