39 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 janvier 1791.] « Monsieur le Président, oserais-je vous prier de vouloir bien faire agréer à l’Assemblée nationale l’hommage de ma vive et respectueuse reconnaissance? Mon âge, mes infirmités, et surtout l’embarras de paraître devant une assemblée aussi imposante, toutes ces raisons m'empêchent d’aller moi-même faire mes remerciements aux augustes réprésentants de (anation. Je consignerai dans cette lettre, Monsieur le Président, les sentiments dont mon cœur est pénétré dans cette occasion. « J’ai assez vécu, Messieurs, pour voir la mémoire de mon époux vengée et honorée par la nation française. Victime moi-même de la calomnie, elle n’a cessé de me poursuivre, par la seule raison que mon sort avait été lié avec celui de Rousseau. Le décret que vous avez rendu, et la sanction que Sa Majesté lui a accordée, imposent aujourd’hui silence à nos ennemis. Je vois le peuple français, que mon mari aimait, heureux et triomphant de la révolution qui s’est opérée, sous mes yeux, dans son gouvernement. Quels vœux me reste-t-il à former? Celui, Messieurs, d’être encore quelques instants le témoin de la prospérité de cet empire, celui de vivre encore quelques années sur cette terre régénérée et libre, pour y jouir de vos bienfaits, sous la protection de vos lois, et pour y bénir, tous les jours de ma vie, la plus généreuse des nations et le plus grand des monarques. Un seul regret m’accompagnera jusqu’au tombeau, celui de penser que mon mari n’est plus, qu’il a terminé sa douloureuse carrière avant d’êire le témoin des honneurs que vous lui réserviez, et qu’il n’a pu applaudir aux travaux immortels de ceux qui ont assuré la liberté à la nation française. « Je suis avec le plus profond respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissante servante. « Signé : Marie-Thérèse Levasseur, veuve de Jean-Jacques Rousseau. « Au Plessis-Belleville, ce 3 janvier 1791. » M. Regnaud {de Saint-Jean-d' Angêly .) Je demande que cette lettre soit imprimée et insérée dans le procès-verbal. (Cette motion est adoptée.) M. cl’Estourmel. Il a été omis, dans la proclamation de la loi décrétée le 4 octobre 1790 et concernant les traitements des religieuses , un article portant : « que les chanoinesses qui se marieront seront déchues de leur traitement. » Cette erreur est d'autant plus importante à rectifier, que les nièces des chanoinesses doivent hériter de leurs pensions dès que celles-ci se marient. _ M. Bouche. Gela a été décrété et, à cette occasion, je fais observer que les amendements sont d’abord indiqués dans le procès-verbal par MM. les secrétaires qui se contentent ensuite de dire plus bas : cet amendement a été adopté. Dans ces conditions, les amendements, ainsi présentés dans le procès-verbal, échappent aux commis qui les transcrivent. Je demande, en conséquence, que le secrétaire, rédacteur du procès-verbal, soit tenu de transcrire le décret en entier avec ses amendements. L’Assemblée, consultée, ordonne le rétablissement de l’article en ces termes : « Les chanoinesses, qui se marieront, demeu-ront privées de leur traitement. » L’ordre du jour est un rapport du comité de la marine sur la fixation de l'époque à laquelle le traitement pour la table des officiers devra subir la réduction décrétée par l'Assemblée. M. Maloiict, rapporteur du comité de la marine (1). Messieurs, vous avez renvoyé au comité de la marine une lettre du ministre de ce département, qui expose que les capitaines de vaisseau, qui étaient à la mer à l’époque où vous avez rendu le décret sur la réduction des traitements, à compter du 1er août suivant, n’ont pu en avoir connaissance avant d’être arrivés, et que par conséquent il ne leur a pas été possible de régler leur dépense. 11 espère que l’Assemblée nationale voudra fixer un délai proportionné aux distances, après lequel le nouveau traitement pourra avoir lieu. Pour mettre en état de prononcer avec connaissance de cause, je dois faire connaître que quelques commandants de navire, qui se trouvent depuis longtemps dans les mers de l'Amérique et qui sont arrivés dans la Méditerranée, sont dan3 le même cas. Si l’Assemblée nationale se détermine à avoir égard à la demande dont il s’agit, elle se portera peut-être à ordonner qu’il sera payé, d’api ès l’ancien tarif, savoir : six mois aux capitaines au delà du cap de Bonne-Espérance; trois mois aux stationnaires aux Antilles; enfin un mois et demi à ceux qui sont de retour du Levant, sur le pied de dédommagement. La dépense qui en résultera, et pour laquelle les fonds ont été faits précédemment, formerait un objet de 15 à 16,000 francs. Sur cela, Messieurs, votre comité de marine trouvant justes les représentations de ceux qui étaient employés dans les mers d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, à l’époque de votre décret, vous propose de disposer des avances d’après l’ancien tarif. Il vous présente, en conséquence, le projet de décret explicatif que voici : « L’Assemblée nationale, sur l’exposé qui lui a été fait par son comité de marine, décrète que la réduction du traitement pour la table des officiers, fixée au 1er aeût 1790, par son décret du 25 juillet dernier, n’aura lieu, à cette époque, que pour les bâtiments qui étaient alors mouillés dans les rades de France; et quant à ceux qui se trouvaient à la mer, l’Assemblée décrète que la réduction ne sera effectuée, pour les bâtiments stationnés aux Antilles, qu’au 1er octobre 1790 ; au 1er septembre 1790 pour ceux stationnés dans les échelles du Levant; au 1er janvier 1791 pour ceux naviguant dans les mers au delà du cap de Bonne-Espérance; et à compter du jour de leur mouillage dans les rades de France, pour tous les bâtiments arrivés depuis le 1er août dernier, etavant l’expiration des termes qui viennent d’être assignés. » La proposition du ministre a été réduite; car nous avons calculé très strictement le temps qui était nécessaire pour que vos lois parvinssent aux différentes stations. Nous avons estimé qu’il fallait six mois pour les mers au delà du cap de Bonne-Espérance, deux mois seulement pour les Antilles au lieu de trois, et un mois seulement pour le Levant. (Le projet de décret est adopté.) M. Goupil de Préfcln . Quelques fautes d’impression se sont glissées dans les noms des (1) Nous empruntons ce document au Journal logo-graphique , t. XIX, p. 342. 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (6 janvier 1791. | vainqueurs de la Bastille et de leurs veuves, aux articles 1 , 2, 3 et 4 de la loi du 19 décembre 1790, sur les récompenses pécuniaires qui leur ont été accordées. Je demande à l’Assemblée de vouloir bien ordonner la correction de ces erreurs et de rétablir les noms comme suit : Art. 1er. « Les blessés au siège de la Bastille, dont les noms suivent, savoir : Etienne Georgel, Jean-Pierre-Augnstin Bellot, Jean-Frédéric Arnold, et Pierre-Claude Soissons, recevront chacun 400 livres de gratification. Art. 2. « Ceux qui ont été estropiés au siège de la Bastille, et dont les noms suivent, savoir : Nicolas Pdble, Bernard Delplanque, Thomas Gt lie, Michel Ambroise Servais, Charles-Claude Couture, Corne Devis, Jean-Baptiste Gagneux, Nicolas Egeley, Bernard Collet, Joseph Peigné , Henry Viilar's, Toussaint Grossaire, François Vezière, Michel Bezier, François Turpin, Jacques Berthelet, Antoine Duvigneau, Pierre-Jacques-Nicolas Poirion, Marin Goutard, Eloi-François Pallette, Jean-Baptiste Quarteron, Michel-Etienne G ueudin, François-Augustin Lavallée, Pierre-Louis Cabert et Joseph Thèvenin, recevront chaque année, pendant leur vie, à compter du 14 juillet 1789, 200 livres de pension. Art. 3. « Marie Charpentier, ïemme Haucerne, qui s’est distinguée au siège de la Bastille, y combattant avec les hommes, y signalant un grand courage, et laquelle a été estropiée en cette occasion, recevra chaque année, pendant sa vie, à compter du 14 juillet 1789, 200 livres. Art. 4. « Les veuves dont les maris ont été tués au siège de la Bastille, et desquelles les noms suivent, savoir : la veuve Poirier, la veuve Bertrand, la veuve Blanchard, la veuve Provost, la veuve Boutillon, la veuve Rousseau, la veuve Grivalet, la veuve Béquart, la veuve Renaud, la veuve Sagot, la veuve David, la veuve Essart, la veuve Cocher, la veuve Levasseur, la veuve Go u mi, la veuve Desnous, la veuve Foulon, la veuve Courança, recevront chaque année, pendant leur vie* à compter du 14 juillet 1789, 150 livres. » (Cette rectification est ordonnée.) L’ordre du jour est un rapport du comité de V emplacement des tribunaux concernant le lieu des séances de V administration du département de la Loire-Inférieure. M. Prngnon, rapporteur du comité de l'emplacement des tribunaux (1). Messieurs, votre comité de l’emplacement des tribunaux et corps administratifs m’a chargé de vous faire un rapport sur la fixation du lieu des séances du département de la Loire-Inlérieure. Dans les premiers jours du mois de novembre, ce département a représenté à votre comité que l’hôtel de ville de Nantes ne contenait que les logements nécessaires aux fonctions municipales; que le palais de justice ordinaire suffisait à (1) Nous empruntons ce document au Journal logo-graphique, t. XIX, p. 344. peine au tribunal qui y tenait ses séances; que dans cette ville il n’y avait que deux maisons religieuses dont l’administration serait forcée de faire l’acquisition, malgré les vues d’économie qui l’animent, puisque l’une ou l’aulre de ces maisons religieuses à laquelle elle donnerait la préférence l’exposerait à de grandes réparations et à un entretien fort dispendieux. Il se trouve dans la ville un palais, nommé la Chambre des comptes, construit depuis vingt-cinq ans au plus, dans un lieu écarté où les domaines ont peu de valeur. On ne pourrait tenter d’y faire, sans une perte presque totale, la demeure des infortunés dont la société doit se charger. Il serait triste de voir un tel édifice, qui décore cette belle cité, livré à des mains qui le dénatureraient. Ce palais renferme les archives de la ci-devant province de Rretagne. Il faudrait, dans tous les cas, mettre à l’abri des injures du temps ce dépôt précieux de toutes les propriétés du pays. Votre comité a pensé qu’il n’y avait aucun inconvénient, et que vos décrets ne s’opposaient pas à ce que le département allât occuper, dans le palais de la Chambre des comptes, les salles et logements qui ne sont pas réellement nécessaires à cette cour, conservée provisoirement, aux conditions de ne retarder en rien la vente de cet édifice national et de payer le loyer convenu. D’après cela, le comité a donné un avis conforme. Cet avis a été envoyé par le département à la Chambre des comptes, avec prière de convenir d’un mode d’arrangement. Voici, Messieurs, la lettre que cette compagnie a chargé son avocat général u’écrire au département : « Messieurs, la Chambre me charge de vous annoncer qu’elle ne peut partager l’enceinte du palais qu’elle occupe avec aucunes personnes étrangères à ses fonctions. Elle va écrire en conséquence au ministre de la justice, pour lui en déduire les motifs. » Après un nouvel examen , votre comité a pensé que l’intérêt de la chose publique appuie la demande du département, et que la Chambre des comptes est sans motifs comme sans intérêt pour y résister. Effectivement, vous avez décrété, dans des vues sages et économiques, que les tribunaux qui seraient placés dans des édifices assez vastes pour conlenir les directoires les y recevraient. Tout se ramène donc à une question de fait : le palais de la Chambre des comptes de Nantes offre-t-il ou n’offre-t-il pas un local convenable et suffisant pour recevoir le directoire du département, sans gêner en rien le service provisoirement laissé à ce tribunal ? Or, le département affirme qu’il y a des salles qui ne sont pas occupées, et en assez grand nombre pour loger le directoire, en y joignant l’appartement du buvetier. De ce que la Chambre des comptes ne daigne pas exposer au département, et pas plus à votre comité, ses prétendus motifs, il est juste d’en conclure qu’elle n’a aucunes bonnes raisons à opposer; et il est difficile de comprendre comment une compagnie, qui n’a qu’une existence éphémère, qu’une existence du jour ou du moment, se permet de prétendre qu’elle ne pourra pas recevoir, dans l’enceinte du bâtiment qu’elle occupe, l’administration du département, qui ne peut se loger ailleurs. Toutes les convenances se réunissent; et la plus grande, c’e»t que cet édifice, qui a coûté des sommes immenses, serait perdu à peu près, s’il ne servait de logement aux corps administratifs,