[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 306 cune action mauvaise, qu’aucune complaisance funeste, qu’aucune intrigue sourde ne pourront être dérobées au jugement de la nation, il bravera les inventions obscures de la haine et de l’envie, et portera dans son cœur l’heureuse confiance que la vérité est toujours plus forte et plus convaincante que la calomnie, quand l’une et l’autre ne peuvent élever la voix que devant une nation généreuse et éclairée. C’est en vous soumettant aujourd’hui, Monsieur, à cette honorable épreuve, c’est en reprenant la place que vous avez consenti d'accepter, que 1 exercice de vos talents, que votre fidélité inviolable aux intérêts de la nation et du Roi, désormais indissolublement liés, sauront prouver à l’Europe, sans l’étonner, combien étaient justes et les regrets publics, et l’allégresse universelle dont il appartenait à vous seul d’être l’objet. Si, dans cette circonstance, il pouvait m’être permis de laisser échapper l’expression d’un sentiment qui ne m’est que personnel, jedirais combien il m’est doux de lier l’époque glorieuse pour moi, d’une fonction honorable que je ne dois qu’à l’extrême indulgence de cette auguste Assemblée, et que je ne puis justifier que par mon zèle, à l’époque tant désirée de votre retour à un ministère que vous signalerez par votre attachement pour une constitution qui va bientôt assurer le bonheur de l’Empire. L’Assemblée applaudit vivement le discours de M. le président; elle y trouve ses sentiments et ses principes exprimés avec tant de noblesse, de justesse, d’éloquence et d’énergie, qu’elle ordonne l’impression de ce discours, et son insertion dans le procès-verbal. Une députation de la ville de la Flèche est admise à présenter à l’Assemblée nationale son hommage et son adhésion à tous ses arrêtés. M. le Président répond : L’Assemblée nationale reçoit les témoiguages du respectueux dévouement de la ville de la Flèche, et elle me charge de vous en témoigner sa satisfaction. H est Jait lecture du procès-verbal de la séance du 28. M. Martin, suppléant de M. Leblanc, député de Besauçon, décédé ces jours derniers, est admis. M. le Président termine la séance en annonçant que l’Assemblée se réunira en bureaux, ce soir et demain matin, à neuf heures. ASSEMBLEE NATIONALE. Réunion dans les bureaux du 30 juillet 1789. Les bureaux s’assemblent à neuf heures du matin. Dans plusieurs bureaux, la discussion sur la déclaration des droits, ne donne lieu qu’à peu de réflexions. Dans d’autres, les divers projets sont rejetés. M. Duport agite dans son bureau la question de savoir s’il ne faudrait pas établir, pendant la session de l’Assemblée, les états provinciaux, pour que ces nouveaux établissements, à l’ombre de l’Assemblée nationale, pussent se consolider et résister aux révolutions qui affaiblissent et lut-[30 juillet 1789-1 tent souvent contre des corps dont l’organisation est à peine perfectionnée. M. Pothée, premier député du Vendômois, appuie l’opinion de M. Duport, il se récrie contre la crainte que quelques membres témoignent sur la trop longue session de l’Assemblée. Pour suppléer à l’insuffisance des curés à portion congrue, et à la modicité de la fortune de quelques députés, on proposera incessamment de faire un payement. M. Pothêe émet encore cette idée dans son bureau. Voici une nouvelle déclaration des droits, quia été discutée dans les bureaux : Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen , par M. de Servan, avocat au parlement de Grenoble. 1° Toute société civile est le produit d’une convention entre tous ses membres, et jamais celui de la force ; 2° Le contrat social, qui constitue la société civile, n’est et ne peut être que l’union de tous pour l’avantage de chacun ; 3° Ce qui convient au bien commun ne peut être déterminé que par la volonté générale, qui est la seule loi. 4° Nul membre de la société civile n’est obligé d’obéir à d’autre autorité qu’à celle de la loi ; 5° La loi, par rapport à la société civile, n’étant que la volonté générale, la puissance législative appartient originairement à tous; 6° Lors même que cette puissance ne peut être convenablement exercée par tous, elle ne peut être irrévocablement exercée par un ; 7° La puissance législative ne peut être confiée par la nation à des représentants que sous des conditions exactement relatives à l’objet de l’établissement de toute société civile; 8° L’objet de la société civile peut se réduire à la liberté civile, laquelle est le pouvoir que le citoyen a d’exercer ses facultés dans toute l’étendue qui n’est pas interdite par la loi; 9° Les facultés du citoyen se réduisent à disposer de ses pensées, de sa personne et de ses propriétés; 10° Toute vraie législation n’est qu’un système de lois qui doivent se rapporter et tendre à la liberté civile, comme à leur centre commun; 11° Les lois politiques ou constitut.ves conduisent à la liberté civile, lorsque la puissance législative est instituée de manière à connaître et vouloir le bien public, et lorsque la puissance exécutive, ne manquant jamais de pouvoir pour faitre obéir aux lois, en est toujours privée pour les violer. Les lois civiles conduisent à la liberté civile, lorsqu’après avoir borné l’usage indéfini de la propriété, sous tous les points seulement qui touchent au bien public, elles abandonnent le reste à la raison dechaaue-homme. Les lois criminelles se rapportent à la liberté civile, lorsque tout homme peut agir sans craindre un châtiment injuste, et lorsque tout homme coupable peut être jugé sans craindre un châtiment excessif. Les lois religieuses sont conformes à la liberté civile, lorsque, prescrivant dans la morale des actions utiles à tous, elles ne gênent la liberté des hommes, par le dogme et par le culte, qu’au-tant que ce dogme et ce culte sont nécessaires pour affermir les principes do la morale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1789.] [Assemblée nationale.) 307 Enfin les lois, surtout de l’opinion, maintien-nentlaliberté ci vile, lorsque, dans les actions où les lois positives n’ont rien voulu prescrire, chacun se dirige vers le bien public par la loi seule de l’opinion, qui châtie pur la honte et récompense par l’estime. 12° D’après ces principes, dans toute société civile légitimement gouvernée, tout citoyen doit être libre de communiquer et publier ses pensées sur les objets qui ne sont point interdits par les lois. Tout citoyen doit être libre de disposer de sa personne, de ses actions, de tontes les manières que les lois n’ont pas défendues. Tout citoyen sera libre de jouir de sa propriété dans toute l’étendue que les lois lui auront laissée. 13° Les droits de l’homme et du citoyen deviendraient illusoires dans la société civile, si tous les membres ne veillaient en commun à leur maintien; et tous, par conséquent, doivent être libres de former des Assemblées nationales, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants, pour veiller à la conservation de leurs droits. La liberté de former des Assemblées nationales doit être regardée comme un seul garant de la liberté civile. ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du jeudi 30 juillet 1789. La séance publique est ouverte à sept heures du scir. MM. le duc de Praslin, président. L’évè jue de Saint-Flour, vice-président. Regnaud de Saintonge, secrétaire. Salomon, secrétaire. Comité d' information. MM. MM. Duport. Rewbell. L’évêque de Chartres. Dandré. Le duc de la Rochefoucauld. Le comte de Virieu. Gleizcn. Camus. Freteau. Bouche. Tronchet. Petion de Villeneuve. M. Camus, déjà nommé pour le premier comité, a observé que le règlement ne permettait pas d’être simultanément de deux comités, et il a été remplacé dans le premier par M. Y ver-nault. Un membre du comité des rapports a rendu compte de plusieurs lettres, mémoires, plaintes et demandes adressés à l’Assemblée nationale. Ces diverses pièces, d’après l’indication du rapporteur, ont été renvoyées devers les comités respectifs. On fait lecture d’un procès-verbal envoyé par lesofficiers municipaux de Dun, avec une adresse. La municipalité de Dun voyant passer dans ses murs des voitures chargées d’effets, qu’on disait appartenir à M. le prince de Lambesc, a cru voir quelque chose de suspect dans cet envoi; elle a jugé qu’il convenait d’arrêter ces voitures, et en effet elle les a arrêtées. Elle a dressé son procès-verbal qu’elle a envoyé à l’Assemblée nationale avec une adresse. Après quelques débats, l’Assemblée juge que cette affaire regarde le ministre, et le renvoi en est ordonné. M. le Président annonce que' M. l’abbé de Damas, député de Saint-Pierre-le-Moutier, obligé de se retirer pour cause de santé, prie l’Assemblée générale d’agréer son suppléant. M. le Président dit que M. de Maissemy, maître des requêtes, chargé de la librairie, lui annonce qu’un paquet considérable, sous l’adresse de l’Assemblée nationale, est arrivé à Calais, et qu’il le fera passer incessamment. On lit le résultat du recensement des voix pour la formation du comité des rapports, et celui dès informations. Suivent les listes des membres qui les composent. Comité des rapports . MM. Le comte de Tessé. Grangier. Salomon. Alquier. Le baron de Marguerites. Le marquis de Fumel. Le comte de Grillon. L’évêque de Saint-Flour. Le chevalier de Boufflers. Regnier. Prugnon. L’abbé d’Eymar. Le comte d’Antraigues. Le duc de Villequier, Lavie. MM. Gros. De Beaumetz. Le duc de Praslin. Le prince de Broglie. Yvcrnault. Bévière. Chaillon. Babey. Regnaud de Saintonge. Ducellier. Dinoch&J ( Lenoir de Laroche. De Tracy. ArnouU. L’abbé de Montesquiou, M. ISouche propose d’arrêter qu’il y aura chaque jour, le dimanche excepté, une séance générale, sans préjudice de la tenue des bureaux qui se formeront toutes les fois qu’il sera nécessaire. — Celte motion est très-débattue. Ou observe que le règlement, adopté hier, a fixé deux séances générales par semaine, et arreté que les bureaux s’assèmbleront tous les jours, pour discuter les objets qui devraient être traités dans les Assemblées générales. On ajoute que les Assemblées par bureaux sont plus utiles, parce que h s discussions y sont plus paisibles, et que les lumières s’y communiquent plus facilement. M. ISouche voit au contraire dans les Assemblées par bureaux plus d’inconvénients que d’avantages. Dans les Assemblées peu nombreuses, dit-il, les différences réciproques alfaiblissentjes opinions ; au contraire, dans les grandes Assemblées, les âmes se fortifient, s’électrisent; les noms, les rangset les distinctions n’y sont comptés pour rien; chacun dans les Assemblées générales se regardera comme une portion du souverain dont il est le représentant. Ces deux opinions partagent longtemps les esprits. M. le président observe que, d’après le règlement, une motion ne peut pas être décidée dans la séance môme où elle a été faite; en conséquence, il la renvoie à demain. La séance est levée.