521 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin I790.[ lui; ils ont fait recevoir Lubin, qui est bon sujet; il était fourrier. Autre députation : un sergent et un caporal sont venus me demander un sergent-major dans Garnpan; je leur ai répondu que n’ayant pas rentré dans l’ordre, le jeudi au soir, comme ils me l’avaient promis, je ne redonnerais plus d’ordres; ils sont revenus avec un sergent: j’ai tenu bon. J’ai été à midi faire défiler la garde, j’ai trouvé cette compagnie armée, baïonnette au fusil. Après la parade, ils sont venus m’entourer avec leurs armes, pour me demander toujours un sergent-major; ils m’ont dit qu’ils le voulaient; je leur ai répondu, M. Patel y étant pour la parade et moi : Messieurs, je ne le veux pas; et quelque chose que vous fassiez je vous donne ma parole que je n’y consentirai pas, j’y suis décidé, c’est mon dernier mot ; dites-le à vos camarades; il faut que le régiment rentre tout dans l’ordre ce soir, sans cela vous n’obtiendrez jamais rien de moi. Ils ont changé de ton et m’ont laissé sortir, et il n’a point été reçu. Les grenadiers, le vendredi, ne voulaient point sortir : les soldats les y ont forcés, disant que c’étaient eux qui étaient cause de tout cela et qu’ils voulaient qu’ils sortissent, voulant se divertir encore aujourd'hui. Les grenadiers y ont consenti à condition qu’on ne ferait aucun bruit dans la ville, plus de farandole, de laisser les caisses et de rentrer tous exactement à l’appel, ce qu’ils ont fait; que celui qui ferait quelque chose contre l’ordre ils se chargeraient de le bien punir. J’ai été à l'appel, Monsieur le vicomte, tout le monde y était et, quoique ivres, ils tenaient de bons propos et tout a été très tranquille. Ge matin, j’ai été encore au quartier : ils m’ont entouré pour me dire qu’ils étaient très fâchés de m’avoir donné tant de chagrin, que je ne méritais pas, mais qu’ils répareraient leurs torts par leur bonne conduite, qu’ils m’en donnaient leur parole. Je leur ai répondu que j’y comptais si fort, que tout était oublié pour tout le monde, que je ne demanderais de punition pour aucun, mais que ceux qui, dans la suite, se mettraient dans le cas, seraient punis sévèrement; ils ont été contents, car il y en avait beaucoup qui, pour éviter d’être punis, voulaient déserter, entre autres vingt-deux grenadiers; ils ont mené hier dîner avec eux MM. Patel, Serre, Martin et Château-Gaillard. J’espère, dans quelques jours, lorsque les esprits seront plus tranquilles, tâcher de les engager à me demander le rappel de ces trois officiers. Morel, fourrier, est sergent-major dans Garnpan ; La Raque, qui déplaît, a demandé son congé comme gentilhomme. J’ai fait partir Montpellier, musicien, qu’on voulait assommer, parcequ’il a prouvé que le sieur Mailhat, frère de celui qui a une compagnie ici, lui a offert une poignée (Vécus: il a été mandé à la municipalité. Le bruit court, et c’est très vraisemblable, que la monnaie ou associés avait ordre de donner de l’argent au régiment de Touraine, et la majeure partie ne tient pas à cet appas séducteur. Quelle position, Monsieur le vicomte ! je suis au désespoir et dans les transes de voir renouveler ces scènes qui m’affligent on ne peut davantage. Ges enragés ont dit qu’ils voulaient avoir la masse noire des morts, ils m’assassineront plutôt que de laisser enfoncer la caisse, on doit s’attendre à tout des gens gagnés et séduits pour le mal. On est persuadé qu’on a envoyé des gens et de l’argent, pour faire cette insurrection, à votre régiment, et Yermandois n’a pas bougé, mais il perd dans ce mois-ci plus de trente hommes de désertion : plût au ciel que les vôtres eussent préféré ce parti avant ce malheureux événement ! De Larché et Lestrade ont été faits sergent. M. de la Porte est sorti pour un mois ; j’ai reçu des congés pour MM. deVaubercey, de Montlezun et du Ghambon. Que je suis malheureux de me trouver au régiment dans une circonstance aussi désagréable 1 que faire, que devenir ? Il faut attendre du temps. MM. Patel et Garrot ont reçu de M. Bouzols l’avis que leur croix de Saint-Louis leur était accordée : du moins qu’il y ait quelques individus de contents si je ne le suis pas. J’ai l’honneur d’être, etc. Signé : le chevalier d’iversay. P. S. On m’a dit qu’ils écrivaient à l’Assemblée nationale. Lettre de M. le chevalier d'iversay, lieutenant-colonel du régiment de Touraine , à M. le vicomte de Mirabeau , écrite de Perpignan, en date du 26 mai. Monsieur, J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’hier matin les deux adjudants et trois sergents-majors sont venus me dire que les grenadiers, chasseurs et soldats avaient signifié aux bas-officiers de signer une lettre qu’ils écrivaient à l’Assemblée nationale pour se justifier de leur insurrection, où il y a en tête : Nous, bas-officiers, grenadiers, chasseurs et soldats demandons que M. de Montalembert, de la Peyrouse et d’Urre, et le sieur Maréchal, adjudant, ne viennent plus au régiment. Je leur répondis qu’ils devaient voir le contenu de la lettre; qu’ils n’étaient point compris dans l’insurrection, ayant rendu compte à notre inspecteur et colonel que les bas-officiers, au contraire, s’étaient très bien conduits, ayant cherché à apaiser le désordre et que je mandais encore qu’ils n’y étaient pour rien. Ils me firent entendre que s'ils ne signaient, il arriverait encore une forte insurrection. Je leur dis : Le corps des bas-officiers du régiment étant bien composé, prudent et sage, ils doivent voir ce qu’ils ont à faire. J’en rendis compte à M. de Chollet, qui me dit que pour éviter un plus grand mal, s’ils étaient forcés à signer, on pourrait protester contre, c’est ce que ce général m’a dit qu’il ferait aujourd’hui en rendant compte au ministre. A deux heures après midi, Gheneaux et deux sergents-majors viennent à notre auberge, MM. de Chariot, Baudreille, de Bonne, de Gourcy, de Prechâteau y étaient avec moi ; ils nous dirent qu’ils voulaient absolument les forcer à signer une chose à laquelle ils n’avaient point participé et qu’ils n’y voulaient pas consentir. Notre avis fut que s’ils n’étaient contraints de céder à la force, on pouvait protester contre, et ce qui prouve qu’en effet, Monsieur le vicomte, les soldats en étaient prévenus, c’est qu’en sortant de l’auberge, je trouvai chez moi six Soldats (nos messieurs étaient avec moi) qui me demandèrent des permissions pour s’absenter, ne voulant point passer dans cette bagarre. Je les engageai à rester, ayant besoin de bons sujets pour donner le bon exemple et contenir les autres. Quelque temps après, Gheneaux vient chez moi, y trouve MM. de Chariot et de Bonne et nous dit que les bas-officiers avaient signé cette affreuse lettre; mais qu’il n’avait pas voulu la signer, qu’il ne la signerait jamais, qu’il avait entendu dire et qu’il était bien sûr qu’il serait assassiné, qu’il aimait o22 {Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juin 1790.1 mieux mourir.. Nous avons eu toutes les peines du monde à déterminer ce brave homme, pour l’intérêt du corps, à signer, restant seul, pour éviter un malheur, lui assurant que nous certifierions que ce n’est qu’à notre considération qu’il a signé ; il mérite nos bontés et je le recommande aux vôtres, Monsieur le vicomte. M. de Chollet, à qui j’ai eu l’honneur de rendre compte, à dix heures du soir, en a été enchanté, et m’a promis que dans le compte qu’il rendra aujourd’hui au ministre de la protestation des bas-officiers de votre régiment, qu’il lui faisait pour eux, il y mettrait une note particulière pour Cheneaux. Trois grenadiers, dont deux des environs de Marseille, m’ont demandé un congé : je le leur ai accordé. J’espère que cette absence mettra la tranquillité. Le nommé Blois, grenadier, vint dimanche se jeter à mes genoux pour avoir une permission de s’absenter, que je lui ai accordée, disant que les grenadiers voulaient le pendre, parce qu’il avait reçu une bouteille pleine de tabac de M. d’Espe-nan, son capitaine. Cet officier, ayant aussi appris qu’il était menacé, a envoyé demander à M. de Chollet un passe-port qu’il lui a envoyé, et il est parti. MM. de Montalembert, de la Pèyrouse et d’Urre sont au Mont-Louis : ces officiers qui ont toujours servi avec distinction méritent les bontés de Sa Majesté et les vôtres, Monsieur le vicomte, je vous les recommande et vous demande en grâce de ne pas vous en rapporter à cette lettre que les bas-officiers de votre régiment ont été forcés de signer, car ils désirent beaucoup, ainsi que nous, leur rappel au corps ; ce sont des camarades que nous aimons. J’ai l’honneur de vous rendre compte que le sergent-major de Gourcv m’a rendu compte, ce matin, au rapport, qu’un soldat de sa compagnie, rentrant hier après midi à la chambre, dit : Ou assure que les bas-officiers ne veulent pas signer notre lettre, s’ils ne la signent pas : il faut les assassiner et nous les assassinerons. Ce misérable, en sortant, fut dans un cabaret, il y prit un crucifix, le mit à ses pieds, marcha dessus et y pissa ; si on le trouve, j’ai ordonné qu’on le mît au cachot : j’espère qu’il aura déserté, il n’a rien dans son sac. Il vient aussi de déserter trois mauvais sujets et séditieux des chasseurs : Joubert, Morel et d’Artois ; je viens de chasser avec des cartouchesjaunes, cinq mauvais sujets : Fontaine et Mardochée, des chasseurs ; Pilet, de Bonne, Batz et Boudart, de Chariot ; ce dernier voulait tuer, assassiner son capitaine ; il a dit devant témoin, qu’il voulait avoir la gloire de tuer ce vieux b ...... -là On m'a mandé du 16, de Paris, qu’on était fort inquietde votre régiment, qu’on savait qu’il avait été envoyé une grosse somme d’argent pour corrompre les soldats et demandé l’issue d’une insurrection qu’on craint qui arrivera. J’ai l’honneur d’être avec un respectueux attachement, Monsieur le vicomte, Votre, etc. Signé : le chevalier d’Iversay. Nota. — Toutes ces pièces sont déposées en original au comité des rapports ; quant aux faits relatés dans le compte rendu, ils sont tous constatés par le procès-verbal déjà imprimé et sigoé de la municipalité, des officiers de la garde nationale et de plusieurs citoyens. 2e annexe. Réponse du régiment de Touraine à la relation et au compte rendu par M. Riquetti le jeune ( ci devant vicomte de Mirabeau), à l'Assemblée nationale (1). Nous nous sommes fait un devoir, dans notre adresse à l’Assemblée nationale, de ne rien alléguer que de vrai et dont les preuves fussent irrécusables; c’est dans cet esprit que nous allons répondre aux assertions de xM. Riquetti le jeune. Il convient qu’à son arrivée à Perpignan, il n’eut qu’à se louer de l’accueil du régiment. Un colonel, dont le désir eût été de ramener l’ordre, si l’on s’en fût écarté, aurait profité de ces heureuses dispositions; mais examinons par sa conduite si c’était bien là son but. Nous avons dit dans la même adresse, et nous avons offert de prouver que trois officiers s’étaient armés contre nous, pour nous être unis à des citoyens dont nous recevions tous les jours des témoignages d’amitié et de patriotisme; mais quelque injuste que fut ce procédé, nous n’avons point exigé leur retraite, nous avons tout fait pour les conserver ; la preuve la plus légère de repentir nous eût fait oublier cet acte, tout violent qu’il était; c’est donc abuser des termes, que de qualifier leur départ d’insurrection de notre part. Mais, nous dit M. Riquetti le jeune, vous avez arraché les épaulettes d’adjudant au nommé Maréchal: voilà donc à quoi se borne toute notre insubordination prétendue; mais ce Maréchal, déjà abhorré par une suite d’actions outrageantes pour le régiment, venait en ce moment exécuter avec fureur des commissions qui étaient elles-mêmes une insurrection contre les décrets de l’Assemblée nationale ; il venait servir la rage aristocratique de trois individus qui faisaient un crime aux soldats d’avoir resserré les liens d’une fraternité qui fait la sûreté de l’empire ; niais de son aveu, ce Maréchal était le plus mauvais sujet du corps; nous avions fait le serment de n’en souffrir aucun; dansun mois, nous en avions rejeté cent. Son but était donc de rétablir un homme qu’il connaissait dangereux : qu’il ne nous dise pas que ce n’était point à nous à nous rendre justice(nous l’avions en vain demandée) que c’était un homme versé dans l’art militaire (pour être bon soldat, il faut être bon citoyen). M. Riquetti le jeune a reconnu depuis le danger de réintégrer cet homme, il y a renoncé, en sorte que sa présence à Perpignan devenait inutile, et que ses inconséquences et ses projets désastreux ont failli la rendre funeste. Mais comparons ce qu’il a fait à ce qu’il aurait dû faire; les ordres du ministre à la manière dont il les a présentés, ses procédés aux nôtres, et qu’on décide si ses vues étaient de rétablir l’ordre, ou de semer la sédition dans la ville de Perpignan. Voici les termes du ministre : « Il est sans « doute inutile de vous recommander, Monsieur, « d’apporter la plus grande prudence pour con-« naître, avant tout, les causes d’une insurrection « aussi extraordinaire, dans un corps distingué « autant par sa conduite que par sa valeur contre « les ennemis de la patrie, etc. » Il était inutile, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.