[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [II janvier 179 l.J bande aux étrangers en les invitant à fondre votre billon pour en extraire le métal fin que vous y auriez employé, je ne demande pas que la nation frappe de nouveau billon; je demande seulement que le billon qui existe actuellement ne soit pas décrédité. Relativement à la monnaie de cuivre, puisque vous en éprouvez le besoin, vous devez la multiplier. Mais ici, Messieurs, il me semble que l’on confond l’effet avec la cause. L’extraction du numéraire, qui paraît dans ce moment la plus grande calamité, devrait nous conduire à d’autres résultats qu’à ceux que l’on vous présente. Ce n’est pas la monnaie de billon, ce n’est pas la monnaie de cuivre qui sort du royaume, qui est sortie du royaume : savez-vous pourquoi la monnaie de cuivre est si rare? c’est parce que les espèces d’or et d’argent ne sont pas communes. Il y a, Messieurs, une observation qui a toujours frappé les yeux des observateurs du système monétaire, c’est que l’extrême abondance comme l’extrême rareté du numéraire produisent le même effet apparent. Lorsque l’or et l’argent sont très communs, il est très difficile de se procurer de la petite monnaie, parce que cette petite monnaie ne se trouve plus en proportion avec le numéraire qui circule. Lorsque l’or et l’argent disparaissent, comme cette petite monnaie qui n’était destinée qu’àdesappoints qu’au payement des petits achats est mise à la placede l’autremon-naie, comme elle sort alors de la ligne que le législateur lui avait tracée puisqu’on est obligé de donner 60 pièces au lieu d’un écu qu’on n’a pas, il en résulte évidemment, Messieurs, que la rareté du numéraire, comme son extrême abondance font également disparaître la petite monnaie. On peut donc frapper de cette monnaie de cuivre ; je ne m’y oppose pas. On dit qu’elle est la richesse du pauvre. Gela n’est pas vrai, Messieurs ; c'est le signe dont le pauvre a besoin pour vivre dans sa pauvreté, car jamais la petite monnaie ne pourra l’enrichir. Il faut que cette petite monnaie soit commune autant qu’il sera possible, et sen abondance vous obligera d’augmenter la monnaie de mine, mais à une condition, c’est qu’il ne sera rien changé ni au poids ni au titre, et que le système monétaire sera respecté tel qu’il était. Relativement aux inscriptions monétaires dont on vous a occupé, il semble très indiscret, dans une assemblée ae législateurs français, de combattre le projet de se servir de la langue française ; mais, Messieurs, ce n’est pas par respect pour la langue latine que tous les peuples du monde ont renoncé à leur idiome particulier pour cette langue. Les pronoms, les articles, les verbes de vos langues modernes sont tellement multipliés qu’on ne pourrait pas écrire deux mots sur une petite pièce, au lieu qu’en se servant de la langue latine, on écrit plusieurs mots, et on ajoute, Messieurs, par la multiplicité des mots, à la difficulté delà contrefaçon. Au reste, cette question est oiseuse ; et je voterai pour donner la préférence à la langue française, mais à une condition, c’est que votre comité des monnaies vous présentera une inscription pour les pièces de 6 sols qu’on pourra y graver; et je vous préviens qu’il sera impossible de vous en donner une qui ait lesens commun, parce que votre langue est trop prolixe. Votre langue qui est la première de toutes par sa clarté, parce que la clarté est non seulement son premier caractère mais surtout son premier besoin, votre langue ne peut, sans beaucoup de mots, ourdir une 141 phrase qui ait un sens. Cette question a été discuté tant de fois dans la nation pour les inscriptions lapidaires, que je ne crois pas qu’elle doive vous occuper plus longtemps. Je conclus, relativement aux pièces de monnaies d’argent, à ce qu’on donne aux nouvelles le titre et la valeur de celles actuellement existantes ; relativement aux pièces de billon, à ce qu’on conserve la valeur commerciale de celles qui sont dans la circulation, sans en faire de nouvelles; relativement aux pièces de monnaie de cuivre, à ce qu’on en frappe le plus qu’il sera possible, mais toujours en se conformant au titre ancien ; relativement aux inscriptions nouvelles, à ce que cette question soit ajournée jusqu'à ce que le Corps législatif du royaume, adoptant un système monétaire qui embrasse l’universalité des monnaies, ait plus de temps à perdre que nous. (La droite applaudit.) M. Rœderer. J’appuie les principes du préopinant. Il faut une réforme totale du système monétaire, ou il n’en faut point. 11 n’y à en ce moment qu’une chose constante pour l’Assemblée, c’est le besoin d’une petite monnaie. La discussion des questions de savoir quel est le titre le plus avantageux des monnaies, et quelle est la division la plus commode, serait trop étendue, trop difficile pour ne pas consumer un temps précieux. Je demande donc qu’il ne soit rien innové dans la forme actuelle des monnaies. Les articles 1 et 2 du projet de décret sont adoptés en ces termes : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités des monnaies et des finances réunis, et sans rien préjuger sur les principes du système monétaire, qu’elle se réserve de prendre en grande considération, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Il sera incessamment fabriqué une menue monnaie d’argent jusqu’à concurrence de quinze millions de livres. Art. 2. « Celte fabrication sera faite au titre actuel des écus et avec les mêmes remèdes. » M. de Virien. Messieurs, je demande la permission de rétablir une opinion que M. l’évêque d’Autun a eue avant moi, qu’il a proposée à cette Assemblée avec l’applaudissement universel. Puisque vous n’adoptez aucun changement de svstème ou droit de seigneuriage et au titre, c’est de ne pas changer la division numéraire et de faire des pièces" de 12 et de 6 sous (Murmures.) Messieurs, il n’y a pas de côté droit, ni de côté gauche dans cette discussion; je ne vois pas pourquoi vous voulez altérer un système ancien pour une faible portion d’un système nouveau et cela pour vous exposer à des inconvénients réels. Par exemple, lorsqu’une pièce de 15 sous sera un peu effacée, comment la distinguer d’une pièce de 12 sous? Messieurs, je vous prie de considérer qu’il vous est aussi facile de faire des pièces de 12 et de 24 sous, avec une légende française, que d’en faire de 15 et de 30 sous. Je ne m’oppose pas à la légende française; je suis le premier à la solliciter, pour que les coins soient de la plus grande perfection, parce que la perfection des empreintes est le seul moyen qui existe d’empêcher le faux monnayage. Mais pre-nez garde, Messieurs, que pour une faible émis- 142 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 1791. | sion de 15 millions, la multiplication de la division des signes devienne un véritable embrouillamini. Il y aura des pièces de 24, de 30, de 15, de 12, de 6 sous et ainsi de suite. (Murmures.) Messieurs, si votre parti est pris de ne pas m’entendre, je me retire; mais je dénonce votre opération; elle est mauvaise, vous vous en repentirez. M. Bclzais-Courménil. Vous adopterez sans doute une nouvelle inscription et une empreinte plus nationales; vous reconnaîtrez qu’il est utile de multiplier à l’infini les signes de la liberté. (On applaudit.) Mais si vous changez la légende et l’empreinte, il est presque indispensable d’adopter une nouvelle division; en fabriquant des pièces de 15 et 30 sous, vous ferez un grand pas vers la division décimale tant désirée. M. Martineau. Je m’oppose de toutes mes forces à ce qu’on décrète des pièces de 30 et de 15 sols et j’en donne deux raisons. La première vient de vous être énoncée par M. de Virieu; la seconde estqu’ayant le pauvre en vue vous trouverez dans vos 15 millions un pins grand nombre de pièces de 12 et de 24 sois que de 15 et de 30 sols. Un membre : Je demande la question préalable sur l’amendement de M. de Virieu. (La question préalable est adoptée.) Les articles 3, 4, 5, 6 et 7 sont successivement mis aux voix et décrétés dans la forme suivante : Art. 3. « Cette monnaie sera divisée en pièces de 30 sols et de 15 sols, et il en sera fait pour 7,500,000 livres de chaque espèce. Art. 4. « La valeur de chaque pièce sera exprimée sur l’empreinte. Art. 5. « L’Assemblée nationale invite le3 artistes à proposer le modèle d’une nouvelle empreinte, et elle charge son comité des monnaies de lui rendre compte de leur travail dans la quinzaine. Art. 6. « Il lui présentera, dans le même délai, ses vues sur la légende qu’il convient de substituer aux anciennes, et sur les moyens d’éviter les abus qui pourraient s’introduire* dans cette fabrication. Art. 7. (. Les divisions actuelles de l’écu en menue monnaie d’argent, et la monnaie de billon qui existent dans la circulation, continueront d’avoir cours, comme par le passé, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné; mais il n’en pourra être fabriqué d’autres. » Un membre : Dans l’article 8 du projet de décret actuellement en discussion, il est dit qu’il sera fabriqué de la monnaie de trois deniers; je crois que celte monnaie est inutile, même pour l’aumône, car on donnera à un pauvre deux liards au lieu d’un. Un membre : Le piéopinant ne connaît point les besoins des pays pauvres. Dans ma province les liards sont aussi nécessaires que les sous le sont à Paris. M. de Virieu. De Démission d’une petite monnaie dépend, dans les pays pauvres, la diminution du prix des denrées. M. |Le Coutenlx de Cantcleu. Le besoin de la petite monnaie est proportionné au nombre des pauvres, des ouvriers, des manufactures. A itouen, il se fabriquait annuellement une quantité considérable de monnaie, et elle ne suffisait pas au be-oin des manufactures, Je demande en outre, par amendement, qu’il ne puisse être frappé de monnaie de cuivre avec du métal laminé et taillé en pays étranger. (L’amendement de M. Le Couteulx est adopté.) L’article 8 est décrété comme suit : Art. 8. « Il sera fabriqué de la monnaie de cuivre de 12, 6 et 3 deniers ; elle ne pourra être frappée sur des dans démêlai laminés et taillés dans les pays étrangers. » Un membre : Je demande, par amendement à l’article 9, que la fabrication de la monnaie de cuivre soit limitée à un million. (La question préalable est demandée sur cet amendement et adoptée.) L’article 9 est décrété en ces termes : Art. 9. « Il en sera incessamment fabriqué pour un million, ensuite pour 100,000 livres par mois; et la fabrication sera continuée ou suspendue par décret de l’Assemblée nationale, suivant les besoins de chaque département. » M. l’abbé Saurine. Quand on vous dit, dans l’article 10, que la fabrication sera faite à la taille actuelle, on entend que sur une livre pesant de cuivre on fera 42 gros sous, ou, ce qui revient au même, 21 au marc. La loi cepeudant fixe la taille à 20 au marc, uu 40 à la livre; mais il est d’usage de permettre aux directeurs des monnaies de la porter à 42; et cette permission, on l’appelle remède, appellation bizarre, qui n’est pas la seule dont le langage monétaire soit embrouillé. En général, ces pi étendus remèdes ne sont que des appâts de plus pour exciter à la fraude. Quel que soit le bénéfice ordinaire, la cupidité une fois réveillée tend toujours à l’agrandir. Celui des directeurs est pourtant assez considérable pour qu’ils dussent s’eu contenter. Un calcul fort simple, à la portée de tout le monde, va vous mettre en état d’en juger. Observons, en passant, qu’il y a des directeurs qui ont taillé et taillent encore clandestinement jusqu’à 24 au marc ou 48 à la livre. Le plus beau cuivre se vend 10 à 12 sous le marc, selon le cours du commerce. Les directeurs des mon nuies achètent, pour le roi, le cuivre purifié, travaillé, réduit en flaons, c’est-à-dire en ronds, prêts à recevoir l’empreinte du monnayage, de 13 à 14 sous le marc, et ils ont, à leur profit, une remise assez considérable, quand ils en prennent une certaine quantité. L' s frais de cette dernière opération leur reviennent à moins de 15 deniers par marc. Le droit de sei-gneuriage, qu’ils payaient au roi, est 8 deniers par marc, ce qui fait, pour ces deux objets, moins de 23 deniers, total du prix d’achat et des