[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai 1790.] 431 de ceux qui doivent juger. Je fuirais le lieu où le premier individu aurait le droit de m’accuser au nom du peuple : ce serait le moyen le plus sûr d’attenter à la liberté individuelle. Le peuple doit donc déléguer ses actions ; il ne peut les déléguer qu’au roi. En effet, s’il les déléguait à un individu choisi par le peuple, cet individu ne serait réellement, pour cet objet, que l’homme du district qui l’aurait choisi; il n’y aurait nulle unité, nulle cohérence entre plusieurs hommes qui agiraient séparément, ayant cependant tous l’intérêt général pour objet. Le magistrat du peuple n’aurait que son propre courage pour se défendre; s’il ne trahissait pas son devoir, son ministère serait seul, et dès lors nul. Je ne sais si les vues de M. l’abbé Sieyès ont séduit quelques esprits ; mais je crois qu elles ne soutiendraient pas l’examen : un grand système de police est un grand désordre. Les corps administratifs, les municipalités, les tribunaux doivent être surveillés par le ministère public, institué pour maintenir l’ordre de leurs fonctions et de la police générale. U ne police détachée ne convient que dans un pays où le despotisme règne à la place des lois.Je passe à l’institution qui serait la plus convenable. Le peuple ne peut exercer lui-même ses actions; il doit en déléguer l’exercice au roi : alors la nation aura un véritable mandataire, qui ne sera pas le mandataire d’un district, mais de l’universalité du peuple : ce mandataire aura un caractère digne d’elle et de lui-même. Alors les préposés seront soutenus par une grande autorité ; ils seront forts, même contre les juges, et n’auront à se défendre que de la prévarication. Enfin, le roi doit entrer comme partie intégrante dans la Constitution ; il participera à la législation, par le veto suspensif; à l’administration, par les ordres qu’il donnera aux administrateurs; au pouvoir militaire, par le commandement de l’armée; à la justice, en faisant exécuter les jugements. Une place doit être donnée au roi entre la loi et les violateurs de la loi; rassuré contre la crainte de l’avoir pour juge, je demande qu’il soit mon protecteur. (On demande à aller aux voix.) (La discusion est fermée.) M. d’André. Je propose, en amendement, que le roi ne puisse choisir aucun membre de l’Assemblée nationale, que quatre ans après la clôture de la session, et aucun membre des législatures suivantes, que deux ans après la clôture de chaque session. (Cet amendement est universellement applaudi.) M. Douttevllle-Dumet* . Je demande que le peuple puisse présenter trois sujets au roi. M. Muguet de IVantbou. J’adopte l’amen dement de M. d’André; je demande laquestionpréalabiesur celui deM. Boutevilie-Dumetz. Les raisons qui vous ont déterminé hier à refuser la présentation de trois sujets au roi doivent vous déterminer à faire aujourd’hui le même refus ; mais je demande que les officiers du ministère public soient institués à vie, et ne puissent être destitués que pour cause de forfaiture jugée ; c’est le moyen de les rendre capables de remplir leurs fonctions. Pour éviter, dans les tribunaux, l’esprit d’intrigue que vous avez voulu prévenir, je propose d’arrêter que le roi ne puisse choisir les officiers publics parmi les officiers du tribunal ; s’il y avait accord, il y aurait complicité, et, dès lors, il ne pourrait y avoir surveillance. M. Defermon. Il est nécessaire que tout of-cier chargé de fonctions publiques soit renfermé dans les bornes de son ministère par la censure puissante de l’opinion publique; il faut pour cela qu’il soit connu des justiciables. Je propose que les officiers du ministère public ne puissent être choisis que parmi les citoyens actifs de chaque département. Un membre. Je demande que les officiers du ministère public soient exclus de toute assemblée administrative et de département. M. Sancy propose d’excepter de l’amendement de M. d’André les avocats et procureurs du roi des anciens tribunaux, et actuellement membres de la législature. (Il s’élève de très grands murmures.) M. Dupont (de Nemours). Je demande la question préalable sur l’amendement deM. d’André. Je ne suis ni orfèvre, ni attaché à la magistrature; mais je dois représenter qu’il n’est presque pas de carrière où l’on puisse se montrer d’une manière plus avantageuse à ses concitoyens que celle à laquelle nous avons été appelés. Je ne sais pas pourquoi nous aurions le mépris de nous -mêmes que suppose l’amendement de M. d’André. M. d’André. C’est précisément parce que je suis orfèvre que j’ai présenté mon amendement; il est conforme aux principes que vous avez adoptés quand vous avez déclaré qu’aucun membre de cette Assemblée ne pourrait accepter des places du pouvoir exécutif. Je n’ai pas voulu dire que quelqu’un dans cette Assemblée fût capable de se laisser séduire ; mais vous avez voulu ôter au pouvoir exécutif l’espoir de séduire. On me dit pourquoi je fixe quatre ans pour cette Assemblée, et deux ans pour les législatures suivantes ; c’est que vous êtes une Convention, et que les autres seront des législatures. On dit encore que les procureurs du roi perdent leur état, et je perds bien le mien ! En empêchant les procureurs du roi, je m’empêche aussi moi-même, et je crois, pour moi et pour les autres, faire une chose très utile. (On demande la question préalable sur les amendements.) La division de cette question préalable est proposée et accueillie. L’amendement de M. d’André et celui de M. Muguet de Nanthou sont adoptés à l’unanimitô. M. Dubois de Ctrancé propose d’ajouter à l’amendement, qui exclut les membres des assemblées administratives, l’exclusion des membres des municipalités. Cet ameudement et ce sou s -amendement sont également adoptés unanimement. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas à délibérer sur tous les autres amendements. La motion principale, telle qu’elle a été demandée, est unanimement décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : « 1° Que les officiers chargés du ministère public seront nommés parle roi; « 2° Qu’ils seront institués à vie, et nepourront être destitués que pour forfaiture; « 3° Que les membres de l’Assemblée actuelle nepourront être nommés par le roi, pour remplir lesdites fonctions, que quatre ans après la clôture de la présente session ; et, ceux des législatures suivantes, que deux ans après la clôture des sessions respectives ; 452 (Assemblée tiationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai 1Î90. 4° Ilsne pourront être membres des assemblées administratives, de district ou de département, non plus que des municipalités. » M. Dubois de Crancé fait une motion pour qu’il soit nommé sept adjoints au comité de liquidation qui est très surchargé d’affaires et ne peut suftire à son travail. (Cette motion est mise aux voix et adoptée.) M. le Présidentmet à la discussion la question suivante : « Y aura-t-il un tribunal de cassation ou de grands juges ? « Sera-t-il composé de juges sédentaires ou ambulants ? M. d’André. Avant d’entrer dans la discussion, il faut examiner une objection. On dit qu’on ne peutdécréter des juges d’assises pour la cour de révision, parce que l’Assemblée a décidé que les juges seront permanents ; mais il y a une très grande différence entre les juges ordinaires et les juges de cassation. Le tribunal de cassation ne s’occupera jamais du fond; il jugera uniquement la forme: cette différence est essentielle ; il suffit de l’énoncer pour qu’on en sente toutes les conséquences. Avec un tribunal permanent, il faudrait donc que les justiciables arrivassent des extrémités du royaume pour faire juger une demande en nullité : ce serait laisser le pauvre à la merci du riche; cela est si évident que je ne crois pas qu’il puisse y avoir aucun doute dans une Assemblée occupée du bonheur de tous. Je demande donc qu’il y aituntribunal de cassation et que ce tribunal soit composé de grands-juges d’assises, d’après les formes qui seront déterminées. (Ici a parlé un opinant dont la voix était si faible qu’il a été impossible de l'entendre.) M. Barrère de Aïeuzac. Un tribunal de révision est un malheur, mais un malheur nécessaire. La loi peut être violée, et il faut empêcher la violation de la loi ; il faut donc établir un tribunal chargé de réprimer cette violation ; ce tribunal doit être composé d’éléments pris dans tous les départements. S’il était entièrement sédentaire, il présenterait de grands inconvénients ; les justiciables seraient obligés de se transporter au loin; les riches seuls auraient cette faculté. S’ils étaient ambulants, il y aurait diversité de jurisprudence et de législation ; il faut donc un tribunal établi. En combinant ces deux formes, en le composant de membres pris dans chaque département, on lierait toutes les parties de l’empire. Jeproposeque le tribunal de cassation soit divisé en deux parties : l’une sédentaire, l’autre ambulante ; l’une chargée d’instruire les demandes en cassation, l’autrede les juger ; ainsi, on réunitles avantages des tribunaux sédentaires et des tribunaux ambulants. M. Barnave. Il y a deux motifs principaux pour l’établissement d’une cour de cassation. Premièrement, conserver l’unité monarchique, employer les moyens les plus propres à lier entre elles toutes les parties politiques de l’empire, et prévenir une division qui conduirait au gouvernement fédératif. Secondement, maintenir l’unité de législation, et prévenir la diversité de jurisprudence. Quant au piemier motif, il est inutile d’entrer dans de grands développements : vous avez senti la nécessité de donner à chaque département des établissements judiciaires et administratifs particuliers; de là résulte que, pour la stabilité de la monarchie, il faut former un établissement qui soit un, qui s’étende sur toutes les parties, les lie et les réunisse. Ceux qui ont critiqué la Constitution ont représenté, qu’en ôtant au roi ce qu’il y avait d’abusif dans l’ancien pouvoir, pour rendre au peuple les droits qu’il doit conserver, l’unité du gouvernement était rompue. Nous proposons un moyen qui conserve scrupuleusement cette unité. Si les juges d’appel n’avaient un tribunal supérieur, il n’y aurait plus d’obstacle à ce que la loi fût transgressée ; il n’y aurait plus d’obstacle à ce que ces juges fussent maîtres de la justice, et d’appliquer la loi d’une manière différente dans le même cas. On dira peut-être que ce moyen est insuffisant ; mais la cour nationale ne pourra que casser les arrêts, sans pouvoir toucher au fond; elle n’aura nulle puissance pour le mal, car si la loi avait été justement appliquée, le tribunal auquel l’affaire serait renvoyée appliquerait encore justement la loi, et on ne pourrait s’empêcher de respecter enfin un jugement équitable. La cour nationale ne pourrait exercer aucune tyrannie, car elle n’aurait pas le pouvoir de mettre un autre jugement à la place de celui qui aurait été rendu: ainsi, la nécessité de ce tribunal suprême est démontrée politiquement et judiciairement. Il se présente deux inconvénients principaux : le premier, la tyrannie qui résulte du pouvoir des grands corps; le second, les frais considérables que supporteraient les justiciables pour leur transport. Le projet de rendre cette cour ambulante prévient ces deux inconvénients. Il est évident que l’ambulance empêchera les dépenses considérables pour les justiciables: ainsi l’ambulance des cours est un devoir des législateurs. La permanence donnerait aux riches la faculté de se pourvoir en cassation, en refusant celte faculté aux pauvres. Ainsi, quant aux frais, c’est non seulement une grande économie pour les justiciables, mais encore une grande nécessité. Avec l'ambulance, on n’aura pas à craindre la tyrannie de la cour supérieure. Sans doute, des magistrats réunis dans le même lieu, institués pour un temps considérable, et remplis du même esprit, seraient une puissance formidable : cette puissance sera désarmée par l’ambulance. Les juges, circulant d’un lieu à un autre, empêcheront un concert dangereux pour la liberté. Il faut examiner maintenant si l’ambulance est possible. J’observe d’abord que le parti intermédiaire qui vous a été proposé est inadmissible. Le principal inconvénient d’une cour sédentaire existerait toujours; ce parti aurait encore les inconvénients de l’ambulance. Si la partie ambulante peut faire l’instruction, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne juge pas. Ou la cour se transporterait en entier, ce qui exigerait plusieurs années pour parcourir tout le royaume, ou elle se diviserait par sections, et vous détruiriez l’unité de jurisprudence et de législation. J’abandonne la première partie; quanta la seconde, il est facile d’en prévenir les inconvénients. Je conçois que l’unité pourrait être détruite, si chaque section était toujours composée des mêmes juges et parcourait les mêmes lieux. Mais si, une fois par an, toutes les sections se réunissaient et compensaient les jugements rendus; si, ensuite, les juges tiraient au sort pour composer de nouvelles sections, il n’y aurait pas de raison pour qu’il y eût moins d’unité que si les juges du tribunal de cassation étaient toujours restés unis. En un mot, dans tous les cas, il serait impossible de parvenir