276 MM. Turnbuîl-Forbes et Gie, et David-Du veluz, négociants anglais, prix en capital et intérêts des subsistances qu’ils ont fournies à la ville de Dieppe dans l’année 1789, sur la demande des officiers municipaux alors en exercice, à ce autorisés par les délibérations des mois de juin et de juillet 1789. Art. 2. « Le commissaire du roi à la caisse de l’extraordinaire retiendra; 1° le bénéfice sur les ventes des biens nationaux qui ont été adjugés à la ville de Dieppe; 2° toutes les sommes qui peuvent être dues par la nation à ladite ville, soit à titre de prêt ou d’avance, soit pour le rachat des offices municipaux. Art. 8. « Les officiers municipaux en exercice en 1789 seront contraints de verser à la caisse de l’extraordinaire, pour servir en partie de remplacement aux avances ci-dessus ordonnées, la somme de 27,000 livres, qu’ils reconnaissent avoir entre leurs mains, provenant de la vente des grains dont ils ont été chargés. Art. 4. « Lesdits officiers municipaux seront tenus de rendre leurs comp'es, dans le plus court délai, devant le directoire du département de la Seine-Inférieure, de la gestion et administration dei subsistances qu’ils ont fait venir en vertu des délibérations ci-dessus citées, sauf à se pourvoir devant les tribunaux qui en doivent connaître, en cas de contestation, et de verser les recouvrements qu’ils pourraient avoir faits à la caisse de l’extraordinaire. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Dnpont (de Bigorre), rapporteur , expose ensuite à l’Assemblée que la province d’Artois avait un hôtel à Paris pour les députés de ses Etals et que le comité a pensé que le bail en devait être résilié. 11 propose, en conséquence, un projet de décret qui est mis aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « Le bail de l’hôtel des députés de la ci-devant province d’Artois, à Paris, demeure résilié à compter du 1er juillet dernier, et il sera alloué en indemnité, tant au propriétaire dudit hôtel qu’à celui des meubles, 6 mois du prix du loyer, à compter de ladite époque. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est un rapport du comité central de législation sur l’organisation de la comptabilité générale des finances de l’Etat (1). M. Cochard, rapporteur. Messieurs, votre comité central de liquidation, constamment occupé des fonctions importantes que vous lui avez confiées, vient vous présenter aujourd'hui le résultat du travail dont vous l’avez chargé relativement à l’organisation de l’ordre de comptabilité générale des finances de l’Etat. Déjà, par un premier décret, vous avez réservé au seul Corps législatif l’apurement définitif de (l)Voy. Archives parlementaires., tome XXVII, séance du 4 juillet 1791, page 714, le mémoire concernant la comptabilité des finances, rédigé par l’agent du Trésor public. [T septembre 1791.] tous les comptes; cette mesure était digne de votre sagesse. En efL t, Messieurs, puisque c’est sur la masse entière des citoyens que se lèvent les contributions publiques, puisque le corps social doit subvenir seul aux frais immenses que sa conservation exige, puisque toutes les dépenses sont exclusivement à sa charge, il est bien juste que ses représentants, qui seuls peuvent les ordonner, en connaissent la destination et l’emploi. La nation ne peut ni ne doit en déléguer la première surveillance, ni l’autorité d’en arrêter définitivement les comptes à d’autres qu’à ceux qui la représentent. En adoptant, comme vous l’avez fait, cette première base de la comptabilité générale, c’est un nouvel hommage que vous avez rendu à l’invio-labiiité des règles que vous avez posées, à la pureté des principes que vous avez admis. Mais il restait des voies secondaire� pour parvenir à la préparation de l’apurement des comptes; il était donc de la plus indispensable nécessité de former un plan capable de rassurer tout à la fois la nation et les comptables sur la légalité des formes à admettre pour la vérification qu’ils exigent, pour en aplanir toutes les difficultés étrangères à ce qu’ils peuvent avoir de contentieux; et, dans cette dernière hypothèse même, il a fallu prévoir la possibilité des contestations accessoires qui ne pourraient être terminées sans l’intervention des tribunaux et le ministère des juges. Ces premières idées ont conduit naturellement Votre comité à distinguer la partie positive des comptes, de la partie contentieuse qui pouvait d’une manière accidentelle, en être la suite. Il s’est donc arrêté d’abord à la forme dans laquelle seraient discutés et vérifiés les articles des comptes à rendre à la nation qui ne fourniraient pas matière à procès. Ce premier point a fait naître trois questions. Sur le bureau de comptabilité. Etablira-t-on un bureau particulier pour les entendre, les débattre et les vérifier? Quelles seront les fonctions de ce bureau? Gomment sera-t-il composé? Divers plans ont été proposés sur la première; on a prétendu d’abord qu'un comité de 60 membres à prendre dans chaque législature, qui se subdiviseraient ensuite en sections particulières pour accélérer les opérations des comptes, suffiraient à leur audition et leur vérification préliminaires, et que, sur les rapports successifs qu’ils eu feraient à l’Assemblée nationale, elle prononcerait les apurements définitifs, sauf à renvoyer par-devant les tribunaux de domicile des comptables la discussion juridique, et le jf gement des objets qui en sei aient susceptibles. Mais on a répondu que les discussions, les débats et les vérifications préparatoires des comptes de finances tenant essentiellement à l’ordre administratif, et l’Assemblée nationale exerçant des fonctions tout à fait étrangères à l’administration proprement dite, elle n’en pouvait retenir aucune des branches qui toutes devaient être déléguées à d’autres personnes. On a observé encore, qu’en investissant le Corps législatif par la voie de ses comités du pouvoir de vérifier les comptes de finances, c’était se priver de l’avantage de toute espèce de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 277 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 septembre 1791.] responsabilité attachée à la qualité de vérificateur ; d’oû l’on a conclu que ce défaut de responsabilité pouvait occasionner une foule d’inconvénients et d’abus dont la nation ne pourrait manquer de devenir infailliblement la victime, On a opposé enfin le danger de l’inexpérience de la presque totalité des membres des législatures dans les affaires de celte espèce ; inexpérience qui donnerait trop d’avantage à des comptables astucieux, qui se prévaudraient sans doute des connaissances qu’ils auraient acquises dans ce genre d'escrime, pour couvrir leurs déprédations, leurs infidélités et leurs erreurs. Ce premier plan écarté, un second a été mis en avant. Il consistait à organiser la comptabilité sur le modèle de la liquidation générale. On proposait de placer à la tête de cette grande machine un seul et unique vérificateur, responsable de tous les faits énoncés dans les différents rapports des comptes particuliers, qu’il serait tenu de présenter au comité de l’Assemblée nationale. Mais on a observé, avec raison, qu’une semblable lesnonsabilité serait une chimère. On a opposé d’ailleurs, avec le plus grand succès, le péril toujours imminent de la fortune publique à la merci d’agents en sous-ordres, qui deviendraient, en dernière analyse, les arbitres souverains de la distribution et de l’emploi des finances de l'Etat, et qui, par un accord frauduleusement concerté avec des comptables insidieux, pourraient faire supporter à la nation les pertes les plus sensibles. Votre comité, Messieurs, a donc généralement adopté le plan relatif à la formation d’un bureau de comptabilité, dont la responsabilité, reposant sur chacun des membres qui le composeront en particulier, soit capable u’affermir de plus en plus la confiance que le public attachera sans doute à leurs talents éprouvés, à leurs qualités personnelles et à leurs vertus. Toutes ces considérations, mûrement approfondies, ont donc ramené votre comité à l’opinion relative à la nécessité de l’établissement d’un bureau de comptabilité pour tranquilliser la nation sur la régularité des formes dans lesquelles les comptes seraient présentés, discutés et vérifiés pour les mettre en état de recevoir la sanction de leur aourement définitif. Cette première question une fois résolue, la seconde n’était susceptible ni de discussions ni de débats ; on ne pouvait se dispenser en effet de charger le bureau de comptabilité de recevoir, de vérifier les comptes, et d’en faire le rapport à un comité qui les présenterait ensuite à l’Assemblée nationale. Enfin, sur la troisième, quoique les opinions aient été d’abord assez divisées sur le nombre plus ou moins considérable des commissaires vérificateurs, votre comité, Messieurs, s’est fixé à celui de 15, ayant sous eux le nombre de travailleurs nécessaires, soit à la préparation, soit à l’exécution purement mécanique de semblables opérations nont la fastidieuse longueur est le moindre des ennuis qui les accompagnent. Aussi, pour en accélérer la consommation, autant que la nature des objets peut le comporter et le permettre, votre comité propose-t-il de les diviser en 5 sections différentes, composées chacune de 3 commissaires-vérificateurs, qui alterneront annuellement pour éviter lus dangers de la permanence dans la section que dans le principe de la formation chacun d’eux aurait choisie. Nous avons également estimé, Messieurs, que ces 15 commissaires devaient être à la nomination du pouvoir exécutif, sans néanmoins qu’il pût les destituer que sur la demande des législatures, et après avoir été préalablement entendus. Cette mesure a paru à votre comité rigoureusement conforme aux principes constitutionnels que vous avez consacrés, parce que le bureau de comptabilité formant une sorte d’intermédiaire entre les comptables et la nation à qui les comptes doivent être rendus, la nomination de ces places doit appartenir au roi, comme le surveillant le plus immédiat de l’administration générale. Deux motifs également pressants et décisifs nous ont aussi déterminés, Messieurs, à diviser en 5 sections différentes le bureau de comptabilité de l’organisation duquel il s’agit. Le premier résulte de l’importance et de l’immensité des objets qui forment la matière de la comptabilité arriérée, qui ne peuvent jamais être, sous aucun prétexte, confondus avec ceux de la comptabilité future. Ces objets, Messieurs, ne sont pas restreints à ceux qui étaient naturellement dévolus aux anciennes chambres des comptes, et singulièrement à celle de Paris. Ils enveloppent également ceux dont le conseil du roi se réservait pour lui-même la connaissance, et qu’il renvoyait ensuite à des commissions particulières. On ne croit pas rien hasarder de trop en assurant d’avance que ces comptes, en quelque sorte privilégiés, ne sont pas ceux qui présenteront, en dernière analyse, le moins de bénéfice en recouvrements à faire au profit de la nation à laquelle ils doivent être rendus. Le second dérive de ce que votre comité, ayant pensé que tous les receveurs des districts devant être assujettis à la reddition de leurs comptes par-devant ce bureau de comptabilité, sa division en sections devenait indispensable, pour que l’activité dans la vérification fût égale dans toutes les parties de l’Empire, et pour ménager en même temps à chaque législature la possibilité de présenter à la nation le tableau le plus, exact de la situation annutdle des finances de l’État. Quelque juste qu’ait paru cette mesure à votre comité, elle n’a pas laissé de trouver des contradicteurs. On a dit que les receveurs des districts étant sous la surveillance la plus immédiate des départements et dans une sorte de dépendance de la trésorerie nationale, il était plus naturel de les soumettre à la reddition de leurs comptes par-devant celle-ci, sauf à elle à les rapporter ensuite avec les siens par-devant les commissaires vériflcaieurs de la comptabilité générale. Mais ceux qui avaient opposé ce plan à celui du comité, n’avaieot peut-être pas assez profondément réfléchi sur tous les inconvénients majeurs à résulter de l’admission d’un semblable projet; ils n’avaient pas considéré qu’il était de nature à compromettre la fortune publique, puisque ce serait la livrer en quelque sorte aux commissaires de la trésorerie, qui n’auraient, par ce moyen, qu’un seul compte à rendre de toutes les finances de l’Etat. C'est à vous, Messieurs, à peser dans votre sagesse s’il est possible de simplifier les éléments de la comptabilité du plus bel Empire de l’univers (comptabilité qui embrasse, tant en recette qu’en dépense, une masse annuelle de 12 à 1,500 millions) de manière à pouvoir la réduire dans un seul compte général. 278 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 septembre 1791. Ne serait-ce pas rendre les commissaires de la trésorerie les arbitres exclusifs les plus absolus des finances de la nation? Si la recette d'une part, si les dépendes de l’autre, sont les seuls ressorts capables d’imprimer le mouvement à la grande machine, si compliquée, du corps politique, ne seraient-ils pas les maîtres de la diriger au gré des impressions qui les feraient agir? combien une semblable influence ne pourrait-elle pas devenir dangereuse entre les mains de 6 personnes qui jouiraient de toutes les facilités imaginables pour concerter, à l'abri de l’impunité, des projets ambitieux qui amèneraient infailliblement la ruine de l’Etat. L’Assemblée nationale n’aurait-elle donc porlé si courageusement une main réformatrice sur tous les abus de l’ancien régime, que pour leur substituerdesinstitutions nouvelles plus vicieuses encore que n’étaient celb s qu’elle vient de détruire? Quelque effrayantes que soient, pour le bouleversement de la fortune publique, les conséquences funestes qu’entraînerait le système vraiment alarmant de soumettre la comptabilité particulière des receveurs de districts à la trésorerie nationale, il en résulterait encore bien d’autres inconvénients non moins réels et non m ûris sensibles. Dans le nombre de ceux qui se présentent en foule à l’esprit, votre comité a cru devoir s’arrêter à deux, entre autres, que rien ne pourrait couvrir. Le premier, sort de la nature même de cet ordre de comptabilité, en ce que les commissaires de la trésorerie pourraient allouer certains articles qui seraient rayés, modifiés ou réduits par les commissaires de la vérification générale; ils en contesteraient d’autres qui seraient alloués par ceux-ci. Ges différences d’opinions, entre la trésorerie et le bureau de comptabilité, n’aboutiraient donc u’à répandre des nuages sur les comptes, au lieu e les éclaircir et de les réduire à cet état de netteté et de simplicité, sans lequel la comptabilité sera toujours irrégulière, vicieuse et imparfaite. Le second inconvénient a paru d’un intérêt plus majeur encore. Les receveurs des districts étant chargés, dans leurs arrondissements respectifs, de la recette de tous les impôts directs et de celle en masse de tous les impôts indirects; l’Assemblée nationale leur ayant en outre imposé l’obligation de procéder au recouvrement des ventes des biens nationaux, et de celui des baux de ces mêmes domaines non encore aliénés ni vendus, étant assujettis à des objets de dépenses locales à l’acquit du gouvernement; recevant d’ailleurs le produit des amendes prononcées dans les tribunaux de leur arrondissement et les sommes considérables qui leur sont envoyées par le trésorier de la caisse de l’extraordinaire, pour acquitter les pensions et traitements dus, soit aux pensionnaires de l’Etat, soit aux ci-devant bénéficiers : il a paru, Messieurs, à votre comité qu’en les assujettissant à ne présenter leurs comptes qu’aux seuls commissaires de la trésorerie nationale, ce serait favoriser au moins indirectement leurs négligences, leurs infidélités, leurs méprises et leurs erreurs, à cause de la très grande facilité qu’ils auraient à couvrir le déficit d’une recette par les deniers de l’autre, ou du moins à en confondre tellement les objets, qu’il serait bien difficile de les classer dans la vérification de leurs comptes, et de les rétablir chacun dans l’ordre qui lui est propre. Il ne serait, nous osons le dire, ni moins imprudent, ni moins impolitique, d’en accorder l’inspection aux départements, parce que, abstraction faite des mêmes risques qu’il y aurait à courir à leur égard qu’avec les commissaires de la trésorerie, c’est qu’il serait bien plus dangereux encore de leur confier cette branche d’administration qu’à toute autre corporation, ou qu’à toutes autres personnes. En effet, les motifs les plus relevants, les raisons les plus fortes et les plus légitimes, semblent concourir pour dissuader d’un semblable projet. 1° Ne doit-on pas considérer en premier lieu que ce serait les trop isoler, les trop détacher du centre et les accoutumer imperceptiblement à se regarder comme les dispensateurs uniques des actes les plus importants de grande administration de Jeurs arrondissements? 2° Ne serait-ce pas favoriser l’idée d’une sorte d’indépendance des autorités supérieures; indépendance qui les amènerait, par la succession des temps, à la rupture infaillible des liens qui les attachent à cette unité monarchique qui tient à l’essence du gouvernement? 3° Ne serait-il pas à craindre que ces administrateurs, qui exerceraient un pouvoir aussi actif et aussi direct sur les receveurs de districts, n’en abusassent au point de se rendre maîtres en quelque sorte des deniers publics, au moyen de la faculté légale qu’ils auraient d’inspecter leurs caisses, de régler et modifier leurs comptes au gré seul de leurintérêt particulier qu’ils sauraient bien substituer à l’intérêt général? 4° Enfin, quelles entraves une pareille mesure ne mettrait-elle pas à la marche de l’administration, par les difficultés en tout genre que lui susciteraient les départements, lorsqu’il s’agirait de leur part de lui rendre, en second ordre, les mêmes comptes qu’ils auraient reçus? Telles sont, Messieurs, les considérations frappantes qui nous ont déterminés, après l’examen le plus sérieux et le plus approfondi, à soumettre les comptes de tous les receveurs de districts par-devant le bureau dont l’inspection scrupuleuse et sévère doit s’étendre sur tous les comptables, quelles que soient la nature et l’espèce des comptes qu’ils puissent avoir à rendre, parce que lui seul aura le droit de tout examiner, de tout débattre, de tout vérifier et de remettre chaque objet à sa place : c’est le seul moyen d’éviter les surprises, de se précautionner contre lés erreurs, de se garantir contre les faux et les doubles emplois, et de contenir enfin tous ceux qui sont appelés au maniement des deniers publics dans les bornes que les lois ont tracées aux fonctions qu’elles leur ont commises. Sur le tribunal de comptabilité. Mais, quelque précieuse que puisse paraître une semblable institution, dont le but principal est d’inspirer une juste confiance dans la régularité de l’administration de toutes les finances nationales, en obligeant ses dépositaires à suivre le plan méthodique dont ils trouveront la marche tracée dans la sagesse de vos décrets, votre comité ne s’est pas dissimulé qu’elle était encore imparfaite, en ce qu'elle n’embrassait que la seule partie non litigieuse des comptes à rendre. Il a senti qu’il fallait également pourvoir à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 septembre 1791.] 219 celle qui était susceptible de difficultés et de procès. Le ministère des commissaires-vérificateurs ne s’étendant point à ce qu’il peut y avoir de contentieux dans les comptes, et les articles contestés ne pouvant être contradictoirement discutés que devant les tribunaux, et par eux jugés, toute la difficulté s’est réduite au point de savoir si les contestations seraient renvoyées par-devant les juges du domicile des comptables, ou si l’on créerait un tribunal près du bureau de comptabilité, auquel on donnerait l’attribution particulière de les juger définitivement. L’examen de cette question vraiment importante, intéressante sous tous les aspects, a longtemps divisé les esprits. Les partisans de la première opinion soutenaient que nul citoyen ne pouvait, sous aucun prétexte, être distrait du ressort de ses juges naturels; que l’Assemblée nationale avait reconnu cette vérité comme une base constitutionnelle ; qu’elle ne pouvait en conséquence y déroger sans tomber dans une contradiction manifeste avec ses propres principes. Ils ajoutaient que chacun devait trouver justice chez soi; que si l’on s'accoutumait à se soustraire par des exceptions, toujours odieuses à la loi constitutionnelle de l’État, il serait bien dangereux qu’on ne retombât bientôt dans l’arbitraire qui naît le plus ordinairement de la contrariété des lois. Si l’Assemblée nationale, disaient-ils encore, se détermine à l'érection de deux grands tribunaux à Paris, dont les membres seraient nommés par les départements, la liberté dès cet instant est compromise. En considérant, d'une part, le tribunal de cassation maître en quelque sorte de la législation, en voyant de l’autre celui des finances à la tête de la direction de la fortune publique, il serait à craindre que, du rapprochement de deux corps aussi imposants, par l’importance des fonctions qui leur seraient attribuées, il ne résultât une coalition redoutable pour le Corps législatif; et si la fatalité des circonstances, ou si des événements imprévus faisaient naître quelque difficulté sérieuse entre la nation et les représentants, alors ces deux tribunaux, ainsi réunis par l’intérêt de leur ambition commune, s’élèveraient au-dessus d’eux, et la représentation nationale serait anéantie. Tels étaient, Messieurs, en succincte analyse, les raisonnements de ceux qui inclinaient à penser que les débats contentieux des comptes à rendre doivent être renvoyés par-devant les tribunaux de districts. Ils se sont même réservés d’en faire un plus ample développement, lorsque la discussion sera ouverte sur cette question à l’Assemblée nationale. Ceux au contraire qui insistaient sur la création d’un seul tribunal, se retranchaient d’abord sur la connexité qu’ils croyaient apercevoir entre les articles des comptes sujets à contestations, et ceux qui n’en étaient pas susceptibles. Ils en inféraient qu’en les séparant, c’était s’exposer gratuitement aux risques de porter un préjudice très sensible, et quelquefois irréparable à la chose publique. Ils observaient encore que ce serait éterniser les comptes, que d’en disséminer les parties litigieuses dans tous les tribunaux du royaume; que les comptables insidieux et de mauvaise foi ne manqueraient jamais de demander l’apport de leurs comptes entiers par-devant les tribunaux qui devraient prononcer sur les contestations qu’ils se seraient ménagées d’avance, dans la vue de se soustraire ou de retarder au moins l’époque du payement de leur reliquat; qu’ils profiteraient de l’inexpérience de la plupart des procureurs-syndics chargés de les poursuivre, pour surprendre leur crédulité, et tirer avantage de leur ignorance de ces matières obscures dont ils connaîtraient à peine les premiers éléments; qu’il leur serait également facile de circonvenir l’im-péritie des juges aussi peu instruits que peu exercés dans les affaires de cette espèce. Ils ajoutaient enfin que c’était dans le lieu même où les comptes étaient discutés et vérifiés, qu’en cas de contestations ils devaient être débattus, parce que les comptables, en acceptant leurs commissions, contractaient par là même l’obligation de se soumettre à la juridiction du tribunal spécialement créé pour juger le contentieux accessoire aux comptes à présenter au bureau de la comptabilité générale. Tel est, Messieurs, le précis des motifs qui, après les discussions les plus approfondies que méritait sans doute l’importance de la question qui vous est soumise, ont enfin obtenu, dans votre comité, la majorité des suffrages sur la nécessité de la formation d’un tribunal uniquement destiné à prononcer sur la partie litigieuse des comptes de finance dont il s’agit. Mais il croirait, en même temps, n’avoir rempli qu’im-parfaitement son objet, s’il ne présentait ses réponses aux objections de ceux qui les ont contredits. Il n’est point exact, en premier lieu, de dire qu’en aucun cas la Constitution n’admet de distraction de ressort, parce que si, d’une part, elle en consacre le principe, elle force de l’autre les citoyens à reconnaître les évocations et attributions qui pourront être déterminées par les lois, d’où il suit que, si l’intérêt public exige que l’on ne sépare pas la partie contentieuse des comptes, de celle qui ne paraît susceptible d’aucune controverse, il est du devoir de chaque citoyen comptable de reconnaître la légalité d’un pareil établissement. Les craintes d’envahissement prétendu d’autorité de la part d'un tribunal de comptabilité, sont vraiment chimériques. Comment, en effet, concevoir l’idée que des ipembres d’un tribunal continuellement surveillé par le Corps législatif, seul représentant du souverain, osera jamais franchir les bornes du pouvoir qu’il ne tiendra que de la seule disposition de la loi? Gomment imaginep que le tribunal de cassation, uniquement préposé à faire maintenir, par les tribunaux inférieurs, les formes légales, méconnaîtra ses devoirs au point de s’élever au-dessus des lois auxquelles il doit commencer par se soumettre, pour forcer les autres à leur obéir. Et, s’il était possible que le Corps légistatif ne fût pas d’accord avec la nation dans certaines conjonctures que toute la prudence humaine ne saurait éviter ni prévoir, à qui persuadera-t-on que deux tribunaux isolés, dont les fonctions sont restreintes aux seuls objets dont la législation leur a donné l’attribution Spéciale, franchiraient tout à coup les limites circonscrites de l’espèce d’autorité qui leur est commise, pour usurper la plénitude du pouvoir? Ne tenant rien d’eux-mêmes, ni par eüx-mêmes, n’ayant d’autre existence politique que celle qui émane directement de la concession libre, volontaire, et toujours révocable du souverain, com- 280 [Assemblée natiouale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [T septembre 1791.] ment imaginer qu’ils s'élèveraient d’un plein saut au-dessus des législateurs? Pour concevoir une lueur d’espérance, bien éloignée sans doute de voir réaliser un iour ces vaines et chimériques frayeurs, il ne faudrait pas moins que le renversement total de cet édifice majestueux de la superbe Constitution, élevée par les mains de la liberté sur les ruines du despotisme abattu, Constitution qui résistera, quoi qu’on en dise, à toutes les attaques, et qui triomphera des efforts combinés de ses ennemis. Il n’est donc pas à craindre qu’aucun des pouvoirs par elle organisés se réunissent jamais pour conspirer contre elle, parce qu’en cherchant à la détruire et à se substituer à la place de ceux qu’elle a plus particulièrement chargés du soin de la maintenir, iis finiraient par se donner la mort, et s’ensevelir eux-mêmes dans le tombeau qu’ils auraient creusé pour elle. L’érection d’un tribunal destiné à juger tout le contentieux delà comptabilité, n’est pas moins conforme aux principes bien entendus de la Constitution, que celle du tribunal supérieur, également chargé de corriger les erreurs des premiers juges. En effet, elle admet une sorte de hiérarchie que l’on trouve dans la gradation successive des tribunaux, à commencer parles juges de paix, ceux de district, de première instance et d’appel, et enfin, dans le tribunal de cassation, au-dessus duquel est placé le Corps législatif, pour le surveiller et le contenir dans les bornes que la Constitution lui a prescrites. Il manquait un semblable couronnement à l’ordre administratif. Elle avait fort sagement institué des municipalités, des administrations de districts et de départements; mais il fallait un bureau de comptabilité pour l’examen des comptes publics; mais il faut y ajouter encore un tribunal destiné à juger le contentieux des comptes de l’administration des finances de l’Etat; et, par une suite nécessaire, la responsabilité civile des ministres, des ordonnateurs et de tous autres agents principaux du pouvoir exécutif, tribunal, qui, comme celui de cassation, sera sous la surveillance immédiate de l’Assemblée nationale. C’est ainsi que toutes les parties du corps politique seront liées pour former nu ensemble dont lu réunion servira de plus en plus à consolider les ressorts de la grande machine du gouvernement. Vous avez décrété, Messieurs, qu’il était monarchique, c’est-à-dire, que vous avez voulu conserver un centre d’unité, que vous avez voulu qu’il se trouvât partout, qu’il se reproduisît sous toutes les formes. CVst pourquoi vous n’avez organisé le Corps législatif que par la composition d’une seule Chambre; c’est par le même motif que vous n’avez établi qu’un seul tribunal de cassation, quoique les tribunaux inférieurs fussent épars au nombre de plus de 500 sur la surface de l’Empire; c’est aussi par la même considération que, n’ayant placé, comme vous venez de le faire, qu’un seul établissement à la tête de l’administration forestière, sous le titre de conservation générale, il est à croire que vous n’admettrez également qu’un seul bureau de vérification des comptes, et, par identité de raison, qu’un seul tribunal pour en juger les parties susceptibles de former l’objet d’un litige. Le grand principe de l’unité monarchique se reproduira donc partout, dans l’ordre législatif, dans l’ordre administratif et dans l’ordre judiciaire. Ce sont tous ces motifs combinés et réunis qui ont déterminé votre comité central à penser que l’érection du tribunal unique qu’il vous propose, était nécessaire, soit pour entretenir cet accord si désirable entre toutes les parties du corps politique, que vous avez si parfaitement organisé, soit pour accélérer davantage la liquidation des comptes arriérés et à venir, parce que, sans cette concordance et sans cette unité précieuse, il serait impossible de conserver l’harmonie qui doit régner dans toutes les parties qui constituent l'ensemble du gouvernement monarchique. En se restreignant donc à un seul tribunal, votre comité a encore pensé que, soit à raison de l’importam e des objets, soit dans la vue d’inspirer à la nation et aux comptables eux-mêmes plus de confiance dans les lumières et l’intégrité des juges, il convenait d’en porter le nombre à 41, divisés en 2 sections, qui seraient nommés par les départements qui n’ont pas été en tour pour le tribunal de cassation, sauf à alterner à la suite avec ceux-ci, lors des élections futures. Cette mesure lui a paru la plus propre à calmer les inquiétudes que pourrait concevoir le public en voyant les membres de ce tribunal réduits à un nombre inférieur, parce que, dans les affaires importantes et délicates de l'espèce, par exemple, de celles où il s’agirait de juger de la responsabilité des ministres, ordonnateurs, ou d’autres premiers agents du pouvoir exécutif, il y aurait moins de danger pour l’accès à la faveur dans un plus grand nombre de juges, que s’il était plus circonscrit. De faux calculs d’une économie mal entendue ne doivent point arrêter ni suspendre la formation d’un pareil établissement, parce que, s’il est utile, s’il est nécessaire pour la conservation des finances de l’Etat, comme nous croyons l’avoir démontré, s’il doit contribuer à maintenir l’éclat de l’opulence nationale, s’il tend à mettre un frein aux spéculations ambitieuses ou aux déprédations des manipulateurs de la fortune publique, c’est alors que les représentants de la nation ne doivent nullement fixer leurs regards sur un objet de dépense dont le but est moins de réprimer les désordres, que de les empêcher et de les prévenir. Pour me résumer en deux mots sur le plan que j’ai l’honneur de présenter à l’Assemblée nationale, je dis que, dans la nécessité d’établir un nouvel ordre de comptabilité, soit pour la reddition des comptes arriérés, soit pour celle des comptes à venir, elle ne peut rien faire de mieux que d’ériger un bureau de commissaires vérificateurs chargés d’en faire l’examen sous leur responsabilité, de les discuter, de les débattre, de les aoprofondir, et d’en faire ensuite le rapport à l’un des comités du Corps législatif, qui les lui présentera pour statuer enfin sur leur apurement définitif. Que l’Assemblée nationale ne peut retenir pour elle-même l’examen et la vérification de ces mêmes comptes, parce que, suivant les lois constitutionnelles qu’elle a posées, elle s’est interdit le droit et la faculté de cumuler les pouvoirs, et parce qu’il n’y aurait, en ce cas, aucune responsabilité, et conséquemment aucune garantie pour la nation, relativement aux infidélités des comptables, leurs omissions, erreurs ou faux emplois. Qu’il ne serait ni plus prudent, ni plus sage d’asseoir toute la comptabilité sur la tête d’un seul [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1 septembre 1791.] 281 homme, parce que sa responsabilité prétendue ne serait, dans le fait, qu’une illusion et une chimère, et parce que ce serait remettre, en quelque façon, le sort de la fortune publique à la discrétion d’un certain nombre d’agents subalternes, dont rien ne serait capable de garantir la probité, les lumières et l’exactitude. Que le titre de leur espèce d’existence politique ne pourrait leur concilier la confiance publique, qui doit être la première base sur laquelle doit reposer tout établissement. Que la matière des comptes d’un État aussi vaste que la France, tenant, par la nature même des choses, à des objets contentieux, il est indispensablement nécessaire de créer un tribunal pour les juger; que ce tribunal doit être unique, qu’il doit être établi près du bureau de comptabilité, en raison de l’intimité de ses relations et de ses rapports avec lui, soit pour la facilité de l’instruction des procès, fait pour l’avantage réciproque de Ja nation et des comptables. Que ce tribunal, à raison de l’immensité des objets contentieux, et à cause de l’importance de son attribution, doit être composé de 41 membres à choisir dans les départements qui n’ont pas été en tour pour nommer au tribunal de cassation. Qu’il doit être enfin divisé en 2 sections, pour la plus prompte expédition des affaires, et pour parvenir plutôt à leur apurement définitif. Voici le projet de décret que votre comité vous propose : « Art. 1er. La vérification des comptes publics sera faite par des vérificateurs responsables. « Art. 2. Toutes les contestations sur les comptes publics seront jugées par un tribunal unique. «Art. 3. Les résultats rie tous les comptes publics seront annuellement présentés aux législatures, et par elles discutés, définitivement apurés et publiés. TITRE Ier. Du bureau des vérificateurs . « Art. 1er. Le bureau de vérification des comptes publics sera composé de 15 vérificateurs qui seront nommés par le roi, sans néanmoins qu’ils puissent être débiteurs, si ce n’est sur la demande des législatures, et après avoir été préalablement entendus. Ils seront divisés en 5 sections, composées de 3 membres chacune, lesquels alterneront tous les ans, sauf à augmenter leur nombre si l’accélération des travaux et l’utilité publique l’exigent.