54 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] Messieurs, je vous engage tous, tant que vous êtes, à ne pas trop compter sur cette inviolabilité, qui heureusement n'a pas été froissée dans ma personne. Je n’ai au contraire qu’à me louer de 28 gardes nationaux sur 29 qu’ils étaient; mais pour ne pas donner prise à la calomnie, j’ai cru devoir rendre compte de ce fait, et j’engage l’Assemblée à accélérer de plus en plus ses travaux ; car en vérité, cette inviolabilité-là ne tient qu’à un cheveu. M. Barnave. Je demande la permission d'observer, sur ce que vient de dire M. Foucault... (Murmures.) M. Charles de Lameth. On vous demande la parole pour rétablir les faits. M. Morel. Le fait est que M. Foucault a effectivement forcé la consigne, et a traité les sentinelles de blancs-becs. M. Fowcault-Cardimalie. J’ai aussi des amis dans le peuple ; car une personne que je ne connaissais pas m’a demandé si je voulais lui confier ma canne; la lui ayant donnée, elle me l’a fidèlement remise après. C’est donc sans canne que je suis alors rentré dans les Tuileries; mais le garde-suisse, qui était de bonne humeur (et je m’y connais. . .) m’a arrêté. (L’Assemblée décrète l’ordre du jour.) L’ordre du jour est la discussion de l'affaire du Clermontois (i). M. d’Estourmel. Messieurs, les comités diplomatique et des domaines, à qui vous avez renvoyé l’examen du rapport sur la donation et l’échange ou Clermontois, vous annoncent qu’ils persistent dans le premier projet de décret; ils conviennent à la vérité que cet avis n’a obtenu la majorité, que parce que les membres du comité diplomatique se sont trouvés divisés d’opinion; mais quel que soit le motif de cette uivtsion, il s’agit, pour déterminer le voeu de l’Assemblée nationale, de réduire la question dans les points de vue les plus clairs. Or, il se présente ici deux questions à examiner : celle de la donation du Clermontois; celle de l’échange. Louis XIV avait -il le droit de disposer du Clermontois? Oui, assurément; et je n’en veux d’autre preuve que les propres termes des lettres patentes portant don au Grand Condé, du mois de décembre 1648. Je n’argumenterai point du préambule desdites lettres; les services du Grand Condé sont assez connus; son nom seul dit tout. Ou lit, page 3 : « Ces terres, seigneuries et places (Stenay, Dun, Jametz et Clermont) n’étant pas de l’ancien domaine de notre couronne, et n’ayant point été jusqu’à présent comptées des revenus d’icelles en notre chambre des comptes de Paris, nous pouvons, sans apporter aucune diminution dans notre domaine et à nos revenus et finances, effectuer la résolution que nous avons prise d’en gratifier notre dit cousin. » N'étant point de l'ancien domaine de notre couronne : quelle lumière ces expressions jettent sur la question ! (lj Voir ci-dessus, séance du 10 mars 1791 au soir, page 22, le rapport de M. Geoffroy sur cet objet. Si ces terres n’étaient point de l’ancien domaine, elles ne pouvaient appartenir à Louis XIV qu’à titre île la conquête faite par Lou's XIII, et de la cession que 1 i en avait faite ensuite le duc de Lorraine, par le traité de 1641 ; et c’est parce qu’il ne les possédait qu’à ce titre, sur la validité duquel il s’est élevé des difficultés qui ont été terminées par le traité des Pyrénées eu 1659, que l’enregistrement des lettres paten tes de 1648 n’a été fait au parlement de Paris que le 4 septembre 1660, à la chambre des comptes de Paris que le 18 novembre 1660, et à la cour des aides de Paris que le 15 janvier 1661. On ne cent attribuer la cause de ce retard qu’aux obstacles qu’ont éprouvés les différents traités de paix de mis 1641, jusqu’au traité des Pyrénées du 7 novembre 1659. On objectera peut-être que, si le Clermontois n’était pas de l’ancien domaine d“ la couronne en 1648, il est devenu domanial par le laps de temps qui s’est écoulé depuis 1648 jusqu’en 1661. Mais, s’il était devenu domanial, les revenus en auraient été comptés; et certes cette Chambre n’eût pas laissé passer la clause (et n'ayant point été jusqu'à présent compté des revenus d'icelles en notre chambre des comptes de Paris). Que conclure de l’enregistrement des lettres patentes avec ces deux clauses? Que Louis XIV a pu disposer du Clermontois en faveur du vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nortlingen et, de Lens ; du conquérant de Thiou ville, de Philisbourg, de Dunkerque et d’ Y près. Non, Messieurs, le don du Clermontois n’était point au-dessus des services éclatants de ce héros ; il ne le dédommageait point des dettes immenses qu’il avait contractées pour subvenir à la subsistance et à l'habillement du soldat, qui, trop souvent à cette époque, manquait du nécessaire. Que l’on compare les exploits du Grand Condé avec ceux des génétaux qui ont commandé les armées depuis cinquante ans : avec des armées de 20,000 hommes soudoyés par lui, attendu l’épuisement du Trésor public sous le ministère du cardinal Mazarin, il a attaché à la France des provinces qui lui rapportent plus de 400 millions de revenus. Les généraux de nos jours, avec des armées de 100,000 hommes, ont souvent été battus; les victoires que quelques-uns d’eux (les maréchaux de Saxe, de Lowendal et de Broglie, M. le prince de Coudé) ont remportées, ne nous ont valu aucunes provinces. Les conquêtes qui ont été faites ont été rendues au moment de la paix ; et les dépenses qu’il a fallu faire pour les guerres de 1745 et de 1757, ont causé une augmentation de dette dont les intérêts écrasent dans ce moment le Trésor public. Mois je vais plus loin, Messieurs, le Grand Condé n’aurait pas mérité de la France comme il l'a fait, je maintiens la donation du Clermontois revêtue des formes légales qui en constatent la validité : je défie de me prouver que les dons que le cardinal de Richelieu s’est fait faire par Louis XIII, en récompense du soin qu’il prenait de le soulager du fardeau de régner, soient constatés sous une forme plus légale. Telle était constamment la forme reçue alors pour valnCr les dons faits par les rots; et si Louis XIII a pu engager en faveur de son ministre des portions de ses domaines ; si Louis XIV a pu conférer au cardinal Mazarin des fiefs d’Al- 55 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lâ mars 1791.] sace, sous la condition de la transmission à ses héritiers, même femelles, il a pu récompenser les signalés services de son cousin par le don d'une porüon de province conquise par Louis XIII. Je crois avoir prouvé que les lettres patentes de 1648 sont inattaquables; si elles le sont, i’ar-rière-petit-fils du Grand Coudé a pu échanger avec le roi les propriétés que ces lettres patentes lui avaient transmises. Il reste à examiner si l’échange est revêtu des formalités qui le rendaient valable. J’avoue que, sur ce point, le comité ne nous présente aucune lumière. Il est parti du principe que la donation exprimée dans les lettres patentes de 1648, enregistrées en 1661, était contraire aux lois de l’inaliénabilité du domaine. Je crois avoir prouvé, par la teneur des lettres patentes mêmes, et par leur enregistrement sans oppositions, que le principe ne peut s’appliquer à la question du Clermontois. Je me résume; d’après les principes de sagesse et de justice qui vous ont déterminés à maintenir M. d’Orléans dans la possession du Pa-lais-Royul, parce que la donation que Louis XIV en avait faite à Philippe, duc d’Orléans, est 1e-vêtue des formes qui en constataient la légalité. Je propose de décréter : 1° que la donation faite par le roi Louis XIV, de l'avis de la reine régente et du conseil où était M. le duc d’Orléans , et autres grands et notables personnages , en décembre 1648, des comtés, terres et seigneuries de Stenay, Dun, Jametz, Clermont enArgonne, et des domaines et prévôté de Varennes et de Monti-gnons, leurs appartenances et dépendances, composant ce qu’on appelle aujourd'hui le Clermontois, lesdites terres appartenant au roi, au moyen de la cession, démission et transport faits par le duc Charles de Lorraine, est et demeure confirmée; 2° Que le contrat d’échange passé au nom du roi entre ses commissaires et Louis-Joseph de Bourbon, prince de Coudé, le 15 février 1784, est renvoyé à l’examen du comité des domaines, à l’effet de constater si cet échange est ou non revêtu des formes légales, pour ensuite en être fait rapport. M. de Hoaïlles, président, quitte le fauteuil. M. de Menou, ex-président , le remplace. M. Bengy de Puy vallée. Messieurs, quelque intérêt qu’inspire une question qui repose tout à la fois sur les monuments les plus curieux de l’histoire du dernier siècle, et sur les opérations les plus compliquées de la politique, je ne puis me dissimuler la défaveur qui m’environne, au moment où je me présente pour effacer l’impression qu’à dû produire sur vous le rapport aussi instructif qu’intéressant qui vient de vous être fait; mais assuré que c’est du développement des principes et du choc des opinions que doivent sortir la vérité que vous voulez connaître et la justice que vous voulez rendre, •malgré la difficulté des circonstances, j’entreprends de combattre l’opinion de vos comités réunis, de contester les assertions articulées par M. le rapporteur, et de vous présenter un nouvel ordre ne preuves qui ramène la question à son véritable point de vue. Je ne rappellerai point, Messieurs, à l’appui des hases sur lesquelles je fonde mon op.nion : les services importants rendus à l’Etat par le Grand Condé, et les actions mémorables qui ont immortalisé son nom. Ce n’est point sa personne, mais la propriété qu’il a transmise à ses enfants que vous avez à juger, et, pour écarter toute espèce d’illudon, j’appuierai mes moyens précisément sur l’époque de sa vie qui a été le scandale de son siècle et qui a mérité à juste titre la censure de la postérité. M. le rapporteur a distingué deux époques, et a divisé son rapport en deux parties : dans la première, il a discuté les bases sur lesquelles repose la propriété du Clermontois ; dans la seconde, il a examiné la nature du contrat d’échange passé en 1784 entre le roi et M. le prince de Condé. Je me bornerai, pour le moment, à combattre la première partie du rapport, parce que la discussion et la décision de la seconde partie dépendent absolument du jugement que vous allez porter sur fa validité ou l’insuffisance des titres qui établissent la propriété du Gler-montois. Vous vous rappelez, Messieurs, que la première fois que cette question importante a été mise sous vos yeux, votre comité des domaines exprima le vœu formel d’annuler la concession faite à la maison de Condé. Mais frappés des objections qu’on éleva contre celte opinion, et surtout des moyens qui vous furent présentés avec autant d’intérêt que d’énergie, vous fûtes entraînés par un mouvement involontaire qui fut pour ainsi dire le premier cri de la justice ; séduits par la force des raisonnements, vous désirâtes être convaincus par l’authenticité des preuves et par la certitude des faits. Vous ordonnâtes un nouvel examen. Vos comités des domaines et diplomatique se sont efforcés de déchirer le voile qui enveloppait cette question. Ils l’ont embrassée sous tous ses rapports ; ils vous ont dit que, suivant les lois fondamentales du royaume, le domaine de la couronne est inaliénable; que les rois n’en ont été, jusqu’ici, que de simples administrateurs; que, par aucun litre et sous aucun préiexte, ils n’ont jamais pu disposer de la plus petite portion du domaine en faveur de leurs sujets, d’où il résulte que toute donation ou concession faite à perpétuité, à temps ou à vie, sont frappées d’un vice radical, et sujettes à révocation ; après avoir établi des principes dont je reconnais toute l’authenticité, vos comités en ont fait l’application à l’espèce présente. Louis XIII, vous ont-ils dit, s’est emparé du Clermontois par la force des armes; ainsi, le premier de tous les droits, celui de la conquête, a imprimé à cette contrée le premier caractère de domanialité. Si, par ce traité passé à Li verdun en 1632, Louis XIII a consenti à garder Stenay et Jametz, pendant quatre arts seulement, et de ne conserver Clermont que sous la condition d’en payer la valeur au denier 50, par un autre traité postérieur, passé à Paris en 1641, le Clermontois et ses dépendances ont été cédés à la France. La réunion à la couronne s’est irrévocablement opérée, et par la disposition précise du traité de 1641, et par la mort de Louis XIII qui a transmis cette possession à son fils comme une propriété vraiment domaniale. Le traité passé à Guémine en 1644, dont se sont prévalus les adversaires du système des comités, ce traité qui semble, par ses disp1 siiions, avoir formellement dérogé à la cession pure et simple faite par le traité de 1641, n’est, suivant vos comités, qu’un simple projet, un acte illégal, irrégulier dans la forme, vicieux quant au fond, parce qu’il n’a point été