(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAtkÈS. [24 septembre 1789.] peut produire. Malgré tous ces inconvénients, le colon ne peut cependant pas quitter son domaine sans abandonner ses droits; ni le seigneur ne peut trouver personne qui puisse ou qui veuille prendre un bail ainsi surchargé de commission ou pot-de-vin. , Nonobstant encore toutes ces charges ci-dessus détaillées il faut maintenant parler de la corvée exigible par le seigneur, que les colons sont obligés de payer à raison de 9 livres 12 sous pour chaque année. S’il plaît au seigneur après avoir reçu ladite somme, il obtient derechef de son colon de lui donner la corvée en nature : voilà donc encore une surcharge qui sert à ruiner le colon. Si tous les seigneurs étaient raisonnables, le colon ferait encore cette corvée parce qu’il n’ose pas refuser son seigneur • mais c’est qu’il plaît souvent à un seigneur de demander à son colon de lui faire les corvées qu’il lui doit, dans le plus fort de la moisson, sans faire attention qu’il faut qu’il profite du beau temps pour la serrer ; car toute la Basse-Bretagne est un pays où il pleut très-souvent ; il y a des années où il leur est très-difficile de la ramasser ; il faut pourtant que le colon quitte et abandonne toute sa récolte pour faire la corvée de son seigneur, quoiqu’il lui ait payé 9 livres 12 sous. Suivant les Etats de Bretagne, depuis plus de deux siècles, jamais agriculteur n’a eu de représentants aux Etats : il n’y avait donc que le haut clergé, la noblesse et quelques bourgeois des villes qui .y étaient admis, qui conjointement avec le parlement ont commis de nouveaux abus ; puisque depuis environ vingt ans, ils ont décidé par arrêts, que des seigneurs ont droit de. congédier et faire congédier leurs colons en toutes saisons de l’année. Mais les congédiants préfèrent toujours le mois de janvier, temps auquel la terre est couverte de neige ; pour lors ils appellent des experts, ce sont des juges du bailliage, voisins du seigneur pour en faire l’estimation. Est-il possible qu’un homme qui ne connaît que les dossiers de ses clients puisse servir d’expert pour faire l’estimation des terres ensemencées et rendre la justice à qui elle est due, surtout dans une saison où le plus fin y est trompé, parce que les terres sont comme j’ai dit plus haut couvertes de neige ? On peut juger quelle perte c’est pour le colon sortant, qui avec sa femme, ses enfants, bestiaux, meubles, graines, fourrages, enfin tous les attributs du labourage, etc., se trouve sans avoir aucun asile pour pouvoir se retirer ni loger tout cet attirail, pour les mettre à l’abri des injures du temps ; s’il y parvient ce n’est qu’en gênant beaucoup son voisin qui lui donne un coin de sa maison. Voilà donc une famille qui a blanchi sous cette malheureuse chaîne et qui finit sa carrière bien misérablement. Voici encore une réflexion que je ne puis taire parce qu’elle est plus criante. Pour faire l’estimation des terres, comme j’ai dit ci-devant, c’est le juge voisin qui y est appelé, mais comme ceci sc pratique réciproquement c’est un barbier qui rase l’autre et par conséquent le colon ne peut qu’être la victime de son seigneur. Si la Bretagne est à moitié inculte, ce n’est pas sans raison, puisqu’il est vrai que les colons ne sont pas assurés de leurs terres. Cette province est la meilleure pour la production du bois et cependant elle est près d’en manquer. Mais pourquoi ? Après que le colon a nourri ou pris soin de laisser croître des arbres sur ses terres, il n’a pas le droit d’en jouir. Cet abus n’est que depuis environ 30 ou 35 ans. Auparavant le domanier avait tous les arbres excepté les chênes. Projet d’arrêté. Messieurs, je vous supplie de daigner m’écouter et me laisser faire la lecture d’un projet d’arrêté que j’ai préparé pour être déposé sur le bureau, si l’auguste Assemblée veut bien me le permettre. Mes commettants m’ont chargé de demander la suppression des domaines congéables et leur conversion en titres de cens final, c’est-à-dire de payer la rente annuelle et perpétuelle, sans pouvoir augmenter ni diminuer pour l’avenir ; que tous plans, arbres et baliveaux que chaque colon laissera croître sur ses terres, lui appartiendront directement, sauf une indemnité pour les arbres qui y sont actuellement; que les corvées seront abolies, en les payant au taux qui a été perçu jusqu’à ce jour en argent et non en nature ; que les facultés qui ont été données avant le dernier jour du mois d’août 1789, pour congédier les colons ou ddmàniers qui ne sont pas à demi-terme de leurs assurances, seront déclarées nulles ; mais celles qui seront aux deux tiers du terme de leurs assurances, auront lieu pour cette seule fois, et tomberont de droit en cens final comme il est dit ci-dessus ; et àiissi qu’aucuns nobles ni gens de justice ne pourront être appelés pour experts ni tiers d’office dans aucune prisée quelconque de biens immobiliers, à la campagne seulement. Et si Messieurs de l’Assemblée nationale ne jugent pas à propos d’accorder leur demandé à mes commettants, j’espêre qu’ils ne pourront au moins refuser d’arrêter le cours des congés d’une saint Michel à l’autre, en ordonnant que le sortant soit prévenu avant la Madeleine au mois de juillet comme c’était l’ancien usage ; qu’ils arrêteront que tous les bois que le colon élèvera sur son domaine lui appartiendront à l’avenir. Alors les cultivateurs ne seront pas obligés de perdre la majeure partie de leurs biens, et auront le temps de se pourvoir d’un autre asile. Pour donner un bon exemple à tous les seigneurs et propriétaires à ce titre, je déclare consentir à convertir mes domaines en cens final pour délivrer nos concitoyens de l’esclavage où ils sont réduits* afin qu’ils puissent profiter et jouir de leurs travaux comme il est ci-devant expliqué à l’article des domaines congéables, et pour engager Messieurs de l’Assemblée nationale à ordonner que tous propriétaires à titre semblable fassent le même abandon pour le bien public. Et le droit de quéùaise aboli et affranchissable comme aussi le droit pareil de l’ordre de Malte dans la comrnanderie de la Feuillée. M. Millon dé Montherlan (1) a fait ensuite la motion suivante sur le rachat des dîmes ; Messieurs, la suppression des dîmes décrétée, et décrétée après la discussion la plus ample, l’on croirait la matière épuisée ; l’on croirait qu’il ne reste plus de questions sur leur origine, sur leur nature, sur leundestination, ou l’on croirait que ces questions ne peuvent être que des questions oiseuses,, des réchauffés fastidieux. Cependant il en est encore qui n’ont été ni pré-(1) Le discours de M. Millon de Monlherlan n’a paè été inséré au Moniteur. {Assemblée nationale.] AÜClftVES MRLÊMENTAîhfes. [24 Septembre 1789.) 171 vues ni résolues, et qui sont de la plus haute importance , elles méritent toute l’attention de l’Assemblée nationale ; elles là méritent d’autant plus qu’elles ont pour objet de prévenir une injustice qu’on lui propose, de commettre et qu’elle ne commettait sans doute qu’à regret. Je m’ex-ue. u membre distingué par des qualités auxquelles je rends hommage, M. Dupont, dans son discours sur l’état et les ressources des finances, a dit : « Le remplacement convenable des dîmes jusqu’auquel vous� avez ordonné, Messieurs , qu’elles seraient pe'rçues, c'est, leur rachat sur lé pied du capital dont la vente habituelle des terres dans les provinces indique la proportion qui est de notoriété publique en chaque lieu, » , C’est leur rachat, sur le pied du capital dont la vente habituelle des terres indique la proportion..... 11 n’y a point à en douter, lé rachat des dîmes sera sur le pied du denier 25, 30, 35, 40, si dans les provinces la vente habituelle des terres a ce prix. Je vous avouerai, Messieurs, que l’idée que me présente cette première assertion est une idée absolument neuve pour moi, et jé pense qu’elle sera telle pour bien d’autres, car je n’ai jamais cru que l’intention de l’Assemblée nationale , en supprimant les dîmes> fût d'en faire payer le prix aux cultivateurs. J’ai encore moins pensé que son intention fût, non-séülement de reprendre d’une main le bienfait qu’elle répandait de l’autre, mais encore de rendre ce bienfait onéreux , en imposant à la suppression des dîmes une charge du tiers plus pesante que les dîiiiës mêmes, là charge de les rembourser sur le pied du prix que se vendent habituellement les biens dans les provinces , c’est-à-dire sur le pied du denier 30 au moins. Eh! comment l’aurais-je pensé? comment était-il même possible qüe je le pensasse, lorsque j’étais intimement persuadé que toutes les vues de l’Assemblée se tournaient, aü soulagement des campagnes? Elles étaient déjà réduites à l’impuissance de supporter leurs charges, ce n’était pas poUr en prendre de nouvelles. M. Dupont ajoute : « C’est sur ce pied, Messieurs, et d’après ces principes qüe je pense que vous déclarerez les dîmes ecclésiastiques rache-tables comme vous avez déclaré que l’étaient les dîmes inféodées qui en dérivent. » Les dîmes inféodées dérivent des dîmes ecclésiastiques ? cela est bientôt dit, mais cela n’est point si facile à prouver; aussi M. Dupont n’en-treprend-il point de faire cette preuve, il se contente de l’assertion qu’il transforme en principe. Me serait-il permis de lui demander, comment, si la dîme inféodée dérive de la dîme ecclésiastique, comment cette première dîme, en passant dans la main laïque, a pu changer de nature ? Comment elle a pu devenir fief? Comment, eü qualité de fief, elle est sujette ap report ? Gomment elle est sujette au dénombrement? Comment enfin elle est le droit seigneurial , et exclusive de tous les autres droits seigneuriaux quelconques ? L’honorable membre ajoute encore « qü’il n’y a aucune raison pour que les unes (les dîmes inféodées) soient rachetées et que les autres (les dîmes ecclésiastiques) ne le soient pas. » Cela est vrai dans son hypothèse. Si les dîmes inféodées sont de même nature que les ecclésiastiques , le rachat des premières entraîne nécessairement le rachat des secondes; où il y a parité de raisons, il doit y avoir parité de conséquences ; mais si l’hypothèse est fausse, comme oh se propose de le démontrer , les conséquences que l’honorâble membre en tire sofit des conséquences ruineuses qui tomberont avec l’hypothèse. Enfin, M. Dupont termine en disant : « Vous devez seulement, Messieurs, pour les Unes et pour les autres réserver aux cultivateurs leurs pailles en faisant régler par les municipalités et par les assemblées de département d’après le produit ordinaire de chaque caütbn, combien de boisseaux de blé devront être donnés polir ië cent de gerbes. » Ici se manifeste sans doute la pureté des intentions de l’honorable inembre. 11 sait que la terre n’ëst point inépuisable, il veut que l’on répare ses pertes, en lui rendant par les engrais l’équivalént de ce que l’on a tiré de son sein. Mais ce n’est point assez qüe des intentions soient pures, il faut qu’eliës soient justes. Serait-il juste que ce prix des pailles provenant de la dîme inféodée fût ravi au seigneür, si la dîme inféodée est son patrimoine, si c’est son bien, si c’est sa chose ? Serait-il juste que ce même prix des pailles fût enlevé à l’ecclésiastique jjossossëiii* de la dîme, si ce prix ne lui appartient pas moins que le grain ? , . . Sériait-il juste enfin qüe l'e cultivateur fût obligé de payer à l’Ëtat üüe quotité de gfaiü quelconque pour raison de la dîme, si le grain n’appartient pas plus à l’Ëtat que les pailles, si la dîme n’est point légitimement dfie ? Aussitôt sé présentent les questions qui suivent • . , 1° La dîme inféodée ëst-ellë dë niëme nature que la dîme ecclésiastique? Piine dérive-t-elle de l’autre? ont-elles toutes deüx là môme origine? 2° La dîmë ecclésiastique est -elle de droit divin comme l’ont dédale les anciens conciles ; comme on l’a cru pendant nombre de siècles ? 3° Est-elle de droit positif , êortirtië on lë croit depuis 200 àüs, et comffie l a déclaré là jurisprudence française ? 4° Si elle est de droit divin, comment a-t-ellé pu se transformer eü droit positif ? 5° Si elle est de droit pdsnî<? nüment le8 anciens cOhciles ont-ils pu la Ufcc.arër de droit diviii ? L’on sent cOinbîeü il importe à l’Ëtat devoir une solution nette de Ces questions, soit püUf rèpuüsser les cris qlië là inàiüfiiorte fait retentir dans le püblic, soit pour donner uüë application juste à la loi que S’est faite l’Assemblée nationale de pourvoir à la subsistance des ministres des autels et à l’entretien du Culte. Il est sans contredit qüe si la dîme est de droit divin, il fi’étâit pas âu pouvoir dë l’Assétnblêe nationale d’ëfi décréter là suppression parce dû’il n’est point au pouvoir de l’ASSemblêe nationale de substituer sà volonté et sa loi à là volonté et à la loi dë l’Etre süprêrfie. Si la dîme n’est pas de droit divin, si elle est àû contraire de droit positif, comme personne n’en doute aujourd’hui, Cothine le clergé lüi-même en convient, comment concilier cë dernier aveu , cétte dernière reconnaissance avec le respect dû aüx décisions des Conciles? Cette idée familière q de l’Esprit Saint préside, aux conciles, qu’il en dicté les Oracles, que les pères de l’Eglise ne sont que ses orgàneS ; Cette idée pefait-elle donc fausse? nOtte sprîo'18-ridüs trompés ?oü dous aurait-on trompés ? 172 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] Je ne serai pas assez téméraire pour hasarder une assertion dont les conséquences m’épouvantent; elles m’épouvantent d’autant plus, qu’il n’y a que deux jours que les ministres des autels disaient au milieu de ce Sénat auguste, ce qu’ils ont écrit depuis, qu’en attaquant les dîmes c’était attaquer la religion même ; que c’était en provoquer la subversion , la saper par ses fondements. Vous sentez, Messieurs, la liaison de ces plaintes avec les décisions des conciles. Il est de toute vérité qu’attaquer les décisions des conciles c’est attaquer la religion. Si donc les conciles ont décidé, comme il n’est ue trop vrai qu’ils l’on fait, que la dîme est de roit divin, la conséquence est inévitable ; la suppression de la dîme tend au renversement de la religion. Mais dans ce cas, comment concilier le clergé avec lui-même? Si la dîme est de droit divin, comme l’ont déclaré les conciles , pourquoi le clergé convient-il qu’elle est de droit positif ? Par cet aveu, par cette reconnaissance, c’est lui - même qui attaque les conciles, qui attaque la religion, qui lui porte les coups les plus dangereux. Si la dîme est de droit positif, comme en convient le clergé , la suppression de cette dîme n’attaque pas la religion, parce que la religion est étrangère à un droit positif. Mais que deviendront les conciles ? que deviendront leurs décisions? Ce n’est point tout et nous ne sommes point hors d’embarras. Si les dîmes ne sont pas de droit divin, quoique les anciens conciles les aient déclarées telles, il est évident qu’elles ne peuvent être de droit positif ; car si elles avaient été de droit positif lors des premiers conciles, ces premiers conciles n’en auraient point tenté l’établissement, sous prétexte qu’elles étaient de droit divin. Un concile ne se compromet pas gratuitement par un mensonge qu’il aurait été si facile de relever. Les premiers conciles ont tenté l’établissement des dîmes sous prétexte qu’elles étaient de droit divin. Elles n’existaient donc point avant la tentative, ni au temps même de la tentative. Si cette tentative eût réussi d’abord, des lois positives auraient été inutiles subséquemment. Il existe des lois positives subséquentes à la tentative; ce sont ces fameuses lois de Charlemagne dont le clergé nous a rappelé si souvent les dispositions et dont il a argumenté avec tant de complaisance et tant d’emphase. Mais le clergé n’a point fait attention que ces lois positives subséquentes ne sont relatives qu’aux décisions des conciles précédents ; qu’elles n’ont pour objet que d’en ordonner l’exécution, en ce qui concerne le payement de la dîme, supposée de droit divin. Une loi qui ordonne l’exécution d’une autre loi n’est point une loi originale, c’est une loi conséquente. Si la première loi n’existe pas, la seconde qui en ordonne l’exécution, ordonne l’exécution d’un être de raison : cela est clair. Il est donc vrai de dire que si les dîmes ne sont pas de droit divin, comme l’ont déclaré les conciles, elles ne sont pas et ne peuvent être de droit positif, puisque Charlemagne qui en a ordonné le payement ne l’a ordonné que conséquemment à la décision des conciles précédents et sur la foi qu’elles étaient de droit divin. Mais si les dîmes ne sont pas de droit divin, si elles ne sont pas également de droit positif, que sont-elles donc? d’où viennent-elles? quelle en est l’origine ? Hélas ! nous hésitons à le dire-Que sont-elles? le fruit de la fraude. D’où viennent-elles ? de la fraude. Quelle en est l’origine ? la fraude. Voilà ce que vous n’avez point encore entendu, Messieurs, quoique la matière ait été bien discutée. Vous ne l’avez point encore entendu, pourquoi ? parce que le clergé, qui connaît sans doute le vice d’origine, n’a point cru devoir remonter au delà des lois de Charlemagne et que ses antagonistes, se bornant aux usages reçus, ne se sont point donné la peine d’aller jusqu’à la source. Nous n’imiterons l’exemple ni des uns, ni des autres. Le flambeau de la raison à la main, nous pénétrerons dans ce dédale obscur, qui recèle cette fraude ; nous l’en ferons sortir pour la mettre au grand jour. La foi due aux conciles y perdra quelque chose, mais la vérité trop longtemps captive y gagnera beaucoup. PREMIÈRE QUESTION. Les dîmes inféodées sont-elles de même nature que les dîmes ecclésiastiques ? les unes dérivent-elles des autres ? ont-elles la même origine ? Pour que les dîmes inféodées pussent être de même nature que les dîmes ecclésiastiques, il faudrait qu’elles eussent une même origine; il faudrait qu’elles eussent été connues, qu’elles eussent existé en même temps. Il faudrait qu’elles eussent eu la même destination dans le principe Rien de tout cela n’est vrai. Les dîmes que nous appelons inféodées étaient connues dès le commencement de notre monarchie sous le titre de decimœ dominicœ, dîmes domaniales, dîmes seigneuriales. Elles tiraient leur origine des Romains, qui les percevaient dans les Gaules sur les provinces conquises. Les Francs ont continué de les percevoir après l’expulsion de ces premiers usurpateurs. Elles étaient communément le prix des concessions que les seigneurs faisaient de leurs domaines. Elles consistaient dans le droit de prendre sur ces domaines une certaine quantité de fruits qui allait communément au dixième; c’est de là qu’elles ont emprunté leur nom. Lorsque les concessions étaient faites à d’autres charges plus ou moins onéreuses, les redevances prenaient une autre dénomination, telle que celles de champart, tâche, terrage, agrier, noues, cens, etc. Ges concessions n’étaient point de véritables ventes, mais des baux qui transportaient aux concessionnaires une propriété conditionnelle, et les attachaient au seigneur pour tout le temps qu’ils acquitteraient la redevance. Nos censitaires jusqu’à ce jour n’ont point été et ne sont point encore autre chose. Voilà d’où viennent ces dîmes inféodées, si connues dans le royaume, et toujours si enviées par la mainmorte ecclésiastique. La preuve que l’on n’avance rien ici qui ne soit exact, se tire des lois romaines. Elles mettent ces dîmes au nombre des revenus de l’Etat ; elles en ordonnent la perception dans les provinces ; elles en déterminent les quotités; et nulle part il n’est 173 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRE S, [24 septembre 1789.] fait mention qu’elles appartinssent à l’Eglise où qu’il lui en fût dû de pareilles. 11 est vrai que quelques auteurs mal instruits, ou dont la plume était vendue au clergé, ont prétendu que les dîmes inféodées étaient d’anciennes dîmes ecclésiastiques usurpées par les seigneurs ou acquises de la mainmorte. Mais l’erreur est évidente; la dîme inféodée ne change point de nature dans telles mains qu’elle puisse passer; elle conserve toujours sa qualité de dîme seigneuriale; toujours elle est représentative du cens; toujours elle est exclusive de tout autre cens et de la dîme ecclésiastique même ; toujours elle reste soumise à la loi féodale. De même la dîme ecclésiastique conserve sa nature en passant dans la main laïque par l’effet d’une aliénation quelconque. Jamais elle ne peut devenir seigneuriale; jamais elle n’est représentative du cens; jamais elle n’est exclusive de ce même cens; jamais elle ne peut concourir avec la dîme inféodée; jamais elle ne reste soumise à la loi féodale. Ges deux dîmes conservent leur nature, parce que l’on ne peut jamais changer la nature des choses. L’une considérée comme fief, se reporte au seigneur suzerain. L’autre ne se reporte à personne. Tous ces caractères distinctifs ne sont-ils point seuls plus que suffisants pour faire connaître que la dîme inféodée n'a et ne peut avoir aucune analogie, aucun rapport avec la dîme ecclésiastique? La seconde question que nous allons traiter portera encore cette démonstration à un nouveau degré d’évidence. Seconde question. La dîme ecclésiastique est-elle de droit divin , comme l’ont déclaré les anciens conciles , comme on l'a cru pendant nombre de siècles'! Cette question, qui n’enfait plus une aujourd’hui, n’en mérite pas moins que nous l’approfondissions scrupuleusement. Elle le mérite d’autant plus qu’en découvrant les sources de la fraude, nous en ferons sortir les principes d’équité qui doivent servir de hase au jugement de l’Assemblée nationale. La dîme que les anciens conciles ont déclarée de droit divin, n’a point été connue dans les premiers siècles de l’Eglise; Jésus-Christ n’en avait point parlé ; il n’avait prêché que la pauvreté et l’abnégation des richesses ; il était né pauvre, il avait vécu pauvre, et était mort pauvre. Les apôtres ont suivi son exemple; ils vivaient du travail de leurs mains et des aumônes des fidèles. Le surplus de ces aumônes se répandait dans le sein de l’indigence. Les pasteurs qui leur ont succédé ont vécu comme eux; jamais il n’a été question de dîmes. II n’en n’avait pas même encore été question au temps de Saint-Gyprien, qui vivait dans le troisième siècle. C’est ce que nous atteste ce père de l’Eglise dans une épître (1) où il présente les mœurs de son temps. Après avoir dit que « les ministres alors ne vivaient que du travail de leurs mains et des au-(1) Epist. lib. ad «1er. et pleb. furnit. mônes des fidèles suivant le précepte de Jésus-Christ et l’exemple des apôtres » il compare les aumônes de son siècle aux dîmes qui faisaient subsister les lévites dans l'ancienne loi. Saint Gyprien ne sera point sans doute récusé par le clergé. Il compare les aumônes aux dîmes qui faisaient subsister les lévites dans l’ancienne loi. L’usage de payer la dîme aux ministres des autels n’était donc point encore introduit; car si cet usage eût été introduit, la comparaison aurait été sans objet. Une seconde conséquence se tire du même témoignage, c’est que l’Eglise naissante n’avait point cru qu’il lui fût permis d’emprunter de l’ancienne loi l’usage de la dîme pour faire subsister les ministres, puisque ces ministres vivaient du travail de leurs mains et des aumônes des fidèles, qu’ils partageaient avec les pauvres. Saint Augustin, qui vivait dans le quatrième siècle et qui est mort dans le cinquième, confirme par son épître 85 ce qu’avait attesté saint Gyprien : « Les ecclésiastiques, dit-il, ne vivent que des aumônes et des offrandes des fidèles. L’Eglise CHRÉTIENNE NE CONNAIT POINT LES DIMES ; LE COMMANDEMENT DE LES PAVER NE REGARDAIT QUE LES JUIFS. » Aussi ne trouve-t-on point un mot qui ait trait aux dîmes dans le détail des privilèges et des exemptions que Constantin accorda à l’Eglise. Cependant il la combla de biens et les dîmes domaniales subsistaient. Autre preuve que ces dîmes sont bien plus anciennes que les dîmes ecclésiastiques dont on a voulu depuis qu’elles tirassent leur origine. Les grands biens que Constantin donna à l’Eglise commencèrent sa perte. Ses ministres amollis par l’aisance négligèrent le soin des pauvres et les aumônes se refroidirent. Ce refroidissement fit naître l’idée d’introduire à leur place la dîme telle qu’elle se payait aux lévites dans l’ancienne loi. De l’idée à l’exécution il ne pouvait y avoir loin dans des siècles barbares, dans des siècles d’ignorance et d’erreur. Le clergé savait seul lire et écrire. Les fraudes étaient en sa disposition. Bientôt l’on suppose un sermon du même saint Augustin dont nous venons de parler (le sermon 219), on lui faisait dire : « decimæ ex debito requi-runtur : qui eas dare noluerit res aliénas invasil . « Les dîmes sont une dette légitime ; celui qui refuse de les payer retient le bien d'autrui. » Les termes étaient équivoques, on pouvait aussi bien les appliquer à la dîme domaniale qui subsistait qu’à la dîme nouvelle que l’on voulait introduire ; c’était un moyen de ménager l’honneur du saint en cas de résistance. Cette fraude que l’on appelait pieuse dans le temps et que l’on nommerait autrement aujourd’hui, cette fraude fut ensuite appuyée du précepte de l’Evangile. Le Sauveur avait conseillé l’auinône. La cupidité fit une loi du conseil. Les ministres prétendirent que la dîme leur était due. Les peuples, comme on peut le penser, se soulevèrent contre cette prétention nouvelle ; mais pour vaincre leur résistance l'on joignit à la première supposition celle d’une lettre de saint Jérôme au pape Damase, dans laquelle on faisait enseigner par cet autre père du quatrième siècle la même doctrine que l’on disait avoir été enseignée par saint Augustin ; c’est ce que prouve le canon 68 de Gratien dont on parlera dans un instant. Ainsi, un sermon supposé de saint Augustin, une lettre également supposée de saint Jérôme, voilà les premières bases sur lesquelles pose la dîme ecclésiastique. 174 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] Il n'en fallait pas tant pour déterminer la décision du concile de tours, tenu en 567, et la lettre circulaire écrite en conséquence par les évêques qui y avaient assisté. On y parlé de la dîme que payait Abraham au Seigneur; on y parle du précepte de Jésus-Christ qui commande l’aumône; on y parle des effets de cette aumône et du rachat des péchés ; on finit par dire « que ceux qui veulent étré placés dans le sein d’Abraham ne peuvent se dispenser de payer la dîme* » Remarquons que la décision de ce concile ne présenté encore qu’un copseil. Remarquons que ce conseil n’est appuyé que sur l’exemple d’Abraham et non sur la loi du Lévitique. Remarquons que ce même conseil n’est encore appuyé que sur le précepte de Jésus-Christ qui commande l’aumône. Remarquons ehtîn que le conseil de payer la dîme n’aurait point été donné ; qu’il n’aprqit point été donné à ceux qui voulaient être placés dans le sein d’Abraham; qu’il n’aurait point été' appuyé de l’exemple de Jésus-Christ, si l’usage de payer la dîme eut été constant alors. Lé Conseil n’est donc donné en 567 que parce qu’à cette époque l’ûsâge de payer la dîme n’était point encore établi. Mais pourquoi les saints évêques qui ont assisté à ce concile, au lieu de parler de l’exemple d’Abraham et du précepte de Jésus-Christ» n’ont-ils point parlé de la loi du Lévitique qui ordonnait expressément de payer la dîme? Ignoraient-ils cette loi qui se trouve répétée en deux endroits différents ? Non 1 c’est au contraire parce qu’ils ne l’ignoraient pas qu’ils n’en ont point parlé, et la raison en est simple. Malheureusement cette loi qui ordonne le payement de la dîme aux lévites, défend aux lévites de 'posséder aucuns autres biens quelconques . Nihil atiud possidebitis ; et les saints pères du concile ont mieux aimé renoncer à cette loi que de renoncer aux biens immenses qu’ils possédaient déjà. Le concile de Tours est le premier pas fait vers la dîme ; il se réduit au conseil; mais celui tenu à Mâcon en 585, dix-huit ans après, fut plus entreprenant. Il parle du précepte de payer la dîme comme d’un précepte fort ancien; il en ordonne le payement sous peine d’excommunication, et M. Fleury ( Histoire écclésiastique , livre 34, n° 50), observe judicieusement que cette excommunication est la première loi pénale relative aux dîmes. Quel était ce précepte fort ancien de payer la dîme? Les pères du concile ne le disent pas ; et nous n’avons point le droit d’interroger le Saint-Esprit. Mais si nous avons le çfroit déraisonner d’après les faits , ce précepte fort ancien disparaîtra , pour ne laisser à sa place qu’une nouvelle supposition, car ce n’était point de la loi judaïque que les pères entendaient parler, puisque cette loi condamnait leprs possessions. D’ailléurs cette loi ancienne était abrogée par la nouvelle, et le? pères du concile auraient rougi 4e se modeler Sur les Juifs. D’un autre côté la loi nouvelle ne renfermait aucun précepte relatif aux dîmes ; elle n’en ordonnait poipt la prestation ; on ne l’avait point payée dans les premiers siècles, on ne la payait point encore. . Il ne restait que le sermon attribué à saint Augustin et la lettre attribuée à saint Jérôme Indépendamment de ce que ces actes étaient faux comme on le démontrera par la suite, le sermon et la lettre ne formaient point des préceptes, ce n’était que des avertissements , des conseils. 11 est donc impossible de se refuser à cette évidence que le précepte fort ancien, dont parle le concile de Mâcon, n’a de réalité que celle qu’on lui prête. Quoique ce concile ait employé les armes spirituelles, quoiqu’il eût lancé les foudres de l’ex communication contre les réfractaires au payement de la dîme, il ne paraît pas que ni les seigneurs, ni les peuples, se soient fort empressés de se soumettre. C’est ce que prouve un capitulaire du roi Clotaire que nous a conservé Baluze, en son recueil tome 1, page 336. Il porte : « Agrqria pascuaria , vel décimas porcorum , ecclesiœ, pro fidei nôstrœ devotione concedimus , ita ut acior vel decimator , in rebus ecclesiœ , nullus accédât. » « Nous remettons à l’Eglise les dîmes qu’elle nous devait pour ses domaines, pour ses pâturages et pour ses porcs, et nous défendons a nos fermiers et à nos dîmeurs de les exiger sur tout ce qui leur appartient. » Cette loi à laquelle on n’a peut-être point donné toute l’attention qu’elle mérite , cette loi prouve évidemment : 1° Que du temps de Clotaire, il existait des dîmes autres que celles que l’Eglise prétendait lui être dues. Or, quelles pouvaient être ces dîmes auxquelles l’Eglise elle-même était assujettie, si ce n’étaient des dîmes domaniales , des dîmes seigneuriales , des dîmes inféodées. 2° La même loi prouve que l’Eglise payait ces dîmes. Dans quel temps? dans le temps” même qu’elle faisait déclarer par le concile de Mâcon qu’elle avait droit de les exiger , suivant un précepte fort ancien; dans le temps qu’elle en faisait ordonner le payement à son profit sous peine d’excommunication. L'on ne peut qu’être indigné d’une pareille manœuvre, car il ne tombe pas sous le sens qu’un roi, par un monument public, eût remisa 1 Eglise des prestations qu’il n’aurait point eu droit d’exiger. Il remettait à l’Eglise les dîmes pour satisfaire sa dévotion ; il en affranchissait les domaines, les pâturages de L’Eglise. Les dîmes appartenaient donc à ce prince ? Elles lui appartenaient donc encore dans le sixième siècle? L’Eglise les payait donc encore dans ce même siècle, sur ses domaines, sur ses pâturages ? Cela est d’une évidence qui saute aux yeux, et cette évidence est en même temps la démonstration de la fraude dont nous avons été les victimes pendant près de douze siècles. Les domaines de l’Eglise affranchis par Clotaire du payement de la dîme, l’on peut présumer que plusieurs seigneurs ont suivi son exemple. Dès lors il ne restait plus qu’un pas à faire pour convertir le passif en actif. Si la dîme était de droit divin comme l’on supposait que l’avait déclaré saint Augustin, comme l’on supposait que l’avait déclaré saint Jérôme, comme l’avait déclaré le concile de Tours , comme l’avait déclaré le concile de Mâcon, comme paraissaient le reconnaître le souverain et les seigneurs, ce n’était point assez que les domaines që’i’EgUse fussent affranchis, il fallait encore que lés domaines du souverain, des seigneurs et des particuliers la dussent, parce que ni les uns ni les autres, ne pouvaient se soustraire à ce qui était de droit divin. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 475 Cependant l’on ne voit pas que ce changement du passif en actif se soit opéré bien volontairement; et certes cela n’était guère possible ; car il devait paraître dur aux seigneurs, à qui l’on avait payé la dîme jusqu’alors, d’être obligés de la payer à leur tour. 11 ne devait pas paraître moins dur aux particuliers qui n’avaient jamais payé qu’un cens, qu’un champart, d’être obligés d’y joindre le payement de la dîme. Aussi la résistance des seigneurs et des peuples à cette innovation semble-t-elle prouvée par un capitulaire de Charlemagne de l’an 779. Ce capitulaire ordonne le payement de la dîme à l’Eglise. Donc la dîme ne se payait point à l'Eglise ou du moins ne se payait pas communément, car il n’est point dans l’ordre des choses que l’on fasse une loi pour commander ce qui s’exécute volontairement. Charlemagne était de son temps ce que fut depuis Louis XIV. Avec une âme grande, beaucoup d’élévation dans l’esprit, une passion démesurée pour la gloire, un caractère impérieux, il avait des faiblesses. Louis XIV fut dévêt; Charlemagne voulut être saint. Le clergé sut tirer parti de cette dernière dis - position non-seulement pour achever sa conquête des dîmes qui lui avait déjà coûté tant de peines ; mais encore pour l’étendre. Il avait déjà persuadé à ce prince que la dîme était de droit divin et qu’elle devait frapper sur toutes les productions de la terre, il lui persuada également qu’elle devait frapper sur tout ce qui faisait partie du commerce des hommes et même sur leur substance et leur travail. L’on aurait peine à croire ce fait, s’il n’était prouvé. Heureusement il l’est. Il l’est par un second capitulaire du même prince de l’an 779. Il porte : « similiter, secundurri dei mandatum , prœcipimus ut omnes decimam partem substantiœet laboris sut ecclesiis et sacerdotibus douent tam nobiles et in - genui, similiter et liti. » « Semblablement nous ordonnons d'après le commandement de Dieu que tous nos sujets nobles, non nobles et autres payent la dîme à l’Eglise et aux prêtres, de leur substance et de leur travail. » Charlemagne croyait donc bien sincèrement que Dieu avait donné le précepte de payer la dîme à l’Eglise et à ses ministres ; qu’il avait donné le précepte de leur paver la dîme non-seulement des fruits que la terre produisait mais encore des biens d’un chacun de sa substance et de son travail. Il le croyait. Sur quel fondement? Rappelons toujours les principes. Il le croyait sur le fondement que saint Augustin l’avait enseigné, que saint Jérôme l’avait écrit, que les conciles de Tours et de Mâcon l’avaient décidé et que les prêtres de son temps le publiaient. L’on regardait donc alors comme article de foi que la dîme était d’institution divine. Quand nous disons que l’on regardait comme article de foi que la dîme était d’institution divine, nous entendons parler de Charlemagne et de ceux qui obéissaient à sa loi, car tous n'y obéissaient point encore. Mais ce qui accrédita le plus ces erreurs, ce fut un événement désastreux, une famine qui arriva en 794. Les ministres de FEvangile avaient prédit des maux à ceux qui ne payeraient point la dîme ; la famine vint à propos. Ils ne manquèrent point de l’attribuer à la colère céleste et on lès crut. Comment aurait-on pu en douter raisonnablement? Eux et leurs émissaires publiaient qu’on avait vu les campagnes parsemées d’esprits malins, qui voltigeaient comme des papillons sur les épis de blé et en dévoraient la substance (1). Le cas était pressant. Charlemagne, pour apaiser le courroux du ciel, donna ce troisième capitulaire de la même année où l’on trouve ces termes si conséquents à ce que Ton vient d’annoncer :« Qui post creberrimas admonitiones et predicationes sa-cerdotum décimas dare neglexerint excommuni-centur. » « Que ceux qui après des avertissements et des prédications si souvent répétées par les prêtres négligeraient encore de payer la dîme soient excommuniés. » Les conciles d’Arles, de Mayence, de Reims, de Châlons, assemblés par ordre de ce souverain, confirmèrent le précepte de payer la dîme comme précepte divin et prononcèrent la même peine d’excommunication contre les réfractaires. Voilà comment deux actes faux firent faire à la fraude la fortune la plus éclatante. Toutes ces décisions étaient bien capables d’alarmer les consciences et les alarmèrent en effet. L’excommunication était redoutable et alors plus redoutée qu’elle ne Test aujourd’hui . Les seigneurs faibles, ceux qui étaient dans le cas de recourir à la protection de l’Eglise, Tachetèrent par leur obéissance. L’Eglise conquérante usa de sa victoire avec la modération qui sied si bien au vainqueur: elle traita avec les vaincus. Ceux qui se rendirent les premiers furent les mieux traités, ceux qui tardèrent davantage eurent un sort moins favorable. ‘ Les seigneurs puissants qui ne voulurent point se rendre conservèrent leurs possessions. Voilà pourquoi la prestation delà dîme n’est point uniforme. Voilà pourquoi lès quotités sont différentes d’un canton à l’autre, d’une province à l’autre. Voilà pourquoi la plupart des domaines des seigneurs payent moins que ceux des particuliers. Voilà pourquoi enfin la dîme ne frappe point partout sur les mêmes productions, pourquoi les prés et les bois en sont communément affranchis. 11 restait une difficulté bien capable de ternir la victoire du clergé. Charlemagne, par un capitulaire de 802, avait ordonné que conséquemment au précepte divin et aux anciens canons de l’Eglise les dîmes seraient partagées par tiers en présence de témoins : coram testibus , secundum aucioritatem canonum; Que le premier tiers serait donné à l’église du lieu pour son entretien et sa décoration ad orna-rnentum ecclesiæ ; Que le second tiers serait distribué aux pauvres et aux pèlerins, ad usum pauperum et petegnno - rum ; Et que le dernier tiers appartiendrait aux prêtres chargés du soin des âmes et de l’administration des sacrements. Sibimetipsis soli sacerdotes reservent. Cette loi a déplu au clergé. Le concile de Tours fut assemblé en 813. Charlemagne tirait à sa fin. Que décida le concile? Qu’il avait bien été au pouvoir du prince d’ordonner le payement des dîmes, mais qu’il n’avait point été également en (1) Canon 15 du concile de Francfort. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1189. J 176 son pouvoir d’en ordonner le partage. Que c’était;à 1 évêque seulqu’il appartenait de faire ce partage; et Charlemagne ne résista point à la décision. Ainsi du même coup le clergé renversa la loi du prince de son vivant et l’autorité des canons qui lui avaient servi de guides. Un autre concile tenu à Paris en 829, perfectionna ce que celui de Tours n’avait fait qu’ébaucher. La disposition des dîmes fut entièrement laissée aux évêques. Ils se chargèrent de l’entretien des églises qui tombèrent bientôt en ruine; et les pauvres, objet des préceptes de Jésus-Christ , les pauvres, objet des libéralités des fidèles , les pauvres furent oubliés. Alors le clergé ne balança plus à regarder comme des usurpateurs les laïques qui avaient eu le courage de se défendre de l’oppression, qui avaient conservé leurs dîmes patrimoniales. La raison d’intérêt actuel n’était point celle qui tourmentait puissamment le clergé. L’avenir le tourmentait davantage. 11 craignait qu’en laissant subsister des dîmes dans la main laïque, elles ne donnassent lieu à des recherches ultérieures; qu’elles ne servissent en quelque façon de flambeau pour éclairer le vice d’origine ; et cette crainte n’était pas mai fondée : car si les dîmes étaient de droit divin, si elles étaient le patrimoine de l’Eglise, pourquoi s’en trouvait-il dans des mains étrangères ? Si les dîmes n’étaient point de droit divin, pourquoi les conciles les avaient-ils déclarées telles? Quel était le titre de leur établissement? Quel était le titre qui les avait fait passer presque toutes dans la main ecclésiastique? Cela était embarrassant. Après bien des tentatives, la plupart inutiles et qu’il serait ennuyeux de rapporter, le clergé fit part de ses craintes au pape Alexandre 111 qui vivait dans le douzième siècle. Ce pape, fidèle à l’esprit du corps, envoya son rescrit parrochianos extra de decimis 14 à l’archevêque de Reims. C’est un préservatif contre les recherches aux-uelles on aurait pu se livrer sur la matière des îmes. On y lit : « Cùm decimœ , non ab hominibus, sed cib ipso domino sint instituai, quasi dcbitum exigi possunt. » c Les dîmes étant instituées par Dieu même et non par les hommes, le payement peut en être exigé comme d'une dette légitime. » En conséquence ce pape déclare que non-seulement toutes les productions de la terre doivent la dîme, mais qu’elle est encore due « de la marchandise, de la solde militaire, de la chasse, du produit de l’industrie, des fruits, du bétail, de la laine, des étangs, des moulins, etc., etc. » Quoique le siècle dans lequel parut ce rescrit fût le siècle de l’ignorance la plus profonde, puisque c’est de ce siècle que date ce fameux échange que fit saint Bernard de la terre de Signy contre une autre terre de même contenance et de même valeur, dont il s’obligea de faire jouir le seigneur de Châtillon dans le ciel (1) ; cependant la décision d’Alexandre III parut si extraordinaire, qu’elle révolta tous les esprits. En effet c’était le vrai moyen de s’emparer de tout sous prétexte de la dîme. Le clergé alors était plongé dans la dissolution. Ce n’était que crimes, que brigandages, suites (1) Voyez 1 e Réformateur, tome I, page 7. funestes de la corruption des mœurs. La piété avait engendré les richesses; et les richesses étouffaient leur mère. Les cris du peuple assemblèrent le concile de Latran, tenu en 1179 sous le même pontificat. La question des dîmes ôtait trop intéressante pour qu’elle y fût oubliée. La difficulté fut posée, discutée, approfondie! Le concile pesa dans sa sagesse la décision d’Alexandre III, elle fut jugée conforme aux principes du droit divin. L’on examina ensuite par quels moyens l’on pourrait parvenir à dépouiller les seigneurs de ces dîmes domaniales qu’ils s’opiniâtraient à conserver. Ces seigneurs pour la plupart étaient puissants : ils n'avaient point redouté l’excommunication. Les abus en tout genre avaient soulevé un coin du voile. Une rigueur mal placée pouvait le soulever tout entier. Le remède serait devenu pire que le mal. Les pères du concile adoptèrent un tempérament : ce fut de supposer que les dîmes possédées par les seigneurs étaient originairement des dîmes ecclésiastiques qu’ils avaient acquises ou dont ils s’étaient emparés dans des temps très-éloignés. En conséquence, les pères du concile, pour ne point s’écarter de leurs principes d’une part, et de l’autre pour ne point effaroucher les seigneurs, décidèrent « que ces derniers ne pourraient posséder lesdites dîmes à titre héréditaire ni se les vendre les uns aux autres sous peine d’excommunication et d’être privés de la sépulture chrétienne, si après les avoir reçues ils ne les rendaient point à l’Eglise. » Le clergé s’est toujours gouverné par le même esprit; il a toujours marché sur la même ligne. Faible, il a respecté le fort ; fort, il a écrasé le faible. Nous touchons au temps des croisades, à ce temps de délire et d’extravagance universelle. Ce fut le temps de la moisson pour l’Eglise et de la moisson la plus abondante. Si ces fureurs épidémiques avaient duré, l’Eglise obtenait l’empire de l’Europe. Combien de domaines, combien de dépôts lui sont restés entre les mains ! Cet empire faisait alors l’objet de ses vœux les plus ardents. Les princes armés contre les princes; les pères contre leurs enfants ; les enfants contre leurs pères; les sujets contre leurs souverains; l’Europe en feu ne présentait qu’un vaste champ de sang et de carnage : telle était la route que s’étaient tracée les souverains pontifes, ces ministres d’un Dieu de paix, pour parvenir à leur but. Déjà ils s’arrogeaient le droit de distribuer les sceptres et les couronnes, lorsque Philippe le Bel parvint à celle de France. Boniface VIII qui siégeait alors voulut faire essai de son pouvoir sur le monarque français : les dissensions et les troubles furent semés dans le royaume par les émissaires du saint pontife. C’est toujours par où commencent les querelles avec la cour de Rome ; mais le caractère impérieux de ce pape ne servit qu’à rendre son humiliation plus éclatante. C’est dans ce temps que Philippe rendit cette ordonnance sage et vigoureuse qui porte son nom « la Philippine » pour défendre son peuple opprimé des vexations ecclésiastiques. Voici quelle en fut l’occasion. D’après le concile de Francfort qui avait attribué la famine de 794 au refus de payer la dîme, d'après le capitulaire de Charlemagne, delà même année, qui prononçait l’excommunication contre 177 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] les réfractaires, d’après les conciles d’Arles, de Mayence, de Reims et de Ghâlons, qui prononçaient les mêmes peines, une partie des seigneurs et des particuliers étaient entrés en composition comme on l’a dit, soit relativement aux quotités de la dîme, soit relativement aux productions sur lesquelles elles devaient frapper. Depuis était survenu le rescrit d’Alexandre 111 qui étendait la dîme non-seulement à toutes les productions de la terre, mais encore à la substance et au travail. Et enfin le concile de Latran qui condamnait la possession des dîmes domaniales ou inféodées. Le clergé qui jusqu’alors avait été juge dans sa propre cause, tourmentait, harcelait les seigneurs et les particuliers sur le fondement des lois qu’il s’était faites à lui-même. C’était tous les jours de nouvelles contestations, de nouvelles entreprises. Ce fut pour mettre fin à ces vexations que Philippe rendit cette ordonnance de 1303. Elle renfermait en peu de mots la preuve de tout ce que nous venons d’annoncer : « Senechallus ad requi-sitionem consulum locorum quorumcumque, dc-fendat ipsos consules et universitates et singulos a nova impositione servitutis faciendâ per prœlatos, et alias personas ecclesiasticas a nova exactione decimarum et primatiarum et prœstationis passâtes, pro ut de jure fuerit, et hactenus est con-suetum fieri ...... » « Que le sénéchal empêche que le public et les particuliers soient vexés par les nouvelles servitudes que s’efforcent de leur imposer les prélats et autres personnes ecclésiastiques, sous prétexte de nouvelles dîmes et d'exactions de prémices ou de prestations anciennes ; « Qu'il ne souffre pas que l’on exige d’autres dîmes que celles que l’on a payées jusqu’à présent. » L’on voit que Philippe le Bel ne pensait pas comme Charlemagne que la dîme fût de droit divin. Il ne pensait pas comme Charlemagne que le mercenaire fût obligé de payer à l’Eglise le tribut de sa substance et de son travail. Qu’il fût obligé de lui porter en offrande le dixième de ses peines et de ses sueurs. Il savait que le prêtre devait vivre de l’autel ; mais il savait aussi que le droit de vivre de l’autel ne s’étendait pas jusqu’à asservir le mercenaire à sacrifier le dixième de son pain, le dixième de son sang. A la vue d’une ordonnance aussi sage, d’une ordonnance qui arrêtait le cours des abus, qui mettait un frein aux exactions ecclésiastiques, le clergé a poussé les hauts cris. Il a regardé comme le comble de l’impiété, de l’irréligion qu’un souverain osât réprimer ses excès. C’était un scandale affreux. C’était porter la main à l’encensoir. Les chaires retentirent de toutes parts. Le pape s’en est mêlé, de nouvelles dissensions, de nouveaux troubles ont agité le royaume. Mais Philippe, constant dans ses décrets, a fait face à l’orage qui s’est bientôt dissipé ; son ordonnance a reçu son exécution provisoire et les campagnes ont commencé à respirer. Ce repos ne fut pas long. Le clergé, toujours inquiet, toujours plein de ses intérêts, toujours jaloux de maintenir ses propres décisions et d’étendre ses conquêtes, n’attendit pas la fin du règne de Philippe pour renouveler ses troubles. Les campagnes furent molestées de nouveau pour raison de dîmes. Elles furent molestées sur le fondement que les dîmes étaient de droit divin comme en était convenu Charlemagne, comme lre Série, T. IX. l’avaient déclaré les conciles ; il n’avait point été au pouvoir de Philippe de les modifier, de les restreindre. Après la mort de ce prince, les choses restèrent dans le même état. Elles y restèrent jusqu’au concile de Langres tenu en 1404. Lors de ce concile, la matière des dîmes fut remise sur le tapis. Etaient-elles de droit divin ? Etaient-elles de droit positif? La question fut bientôt résolue : le concile décréta qu’elles étaient de droit divin ; et Jean Hus et Jérôme de Prague, pour avoir osé soutenir le contraire au concile de Constance, tenu vingt ans après, expirèrent dans les flammes. Le concile de Trente, commencé en 1545, confirma encore la même décision, et l’on devait coire que la fraude ancienne, ensevelie sous les autorités saintes qui la consacraient, ne serait jamais découverte, lorsque parut M® Charles Dumoulin, cette lumière du droit français à qui nous avons tant d’obligation. Gratien, moine du douzième siècle, avait fait son livre intitulé Concordantia discordantiumcanonum, que l’on appelle de son nom le décret de Gratien. Dans cette concordance des canons discordants se trouve le canon decimœ 66, cons. 16, quest. I. Ce canon est appuyé sur le prétendu sermon de saint Augustin dont nous avons parlé ci-dessus. Il exprime nettement que les dîmes sont de droit divin et le sermon en est la preuve. Erasme avait attaqué ce sermon. Dumoulin l’attaqua à son tour et l’attaqua très-vivement par la note sur le canon. Après des observations analogues à son sujet il dit : « Ex quo luculentius apparet eos sermones (de saint Augustin) etiam ineptos, esse suppositos, ut ibi recte censuit Erasmus. » - « D’où il résulte encore plus évidemment que ces sermons, qui en eux-mêmes n’ont point le sens commun, sont supposés , comme l’a pensé avec raison Erasme. » Cette double attaque n’a point échappé aux savants bénédictins réviseurs des œuvres de ce père de l’Eglise. Après l’examen le plus scrupuleux ils ont été forcés de convenir que la critique de Dumoulin était juste et le motif de leur détermination, motif qui n’admet point de réplique « c’est que l’Eglise ne jouissait encore d’aucune dîme dans le siècle où vivait saint Augustin. » « Ob id maxime , quod decimœ nundum erant Augustini œtate clericis et sacerdotibus datœ vel assignatœ. » Ainsi, en joignant cette autorité qui ne sera point supposée à celle de saint Cyprien, qui ne peut l’être davantage, nous obtenons une première preuve de la fraude pratiquée pour intro-. duire la dîme. Gratien rapporte encore le canon 68 qui, comme le précédent, établit que la dîme est de droit divin. Ce canon est appuyé sur la prétendue lettre de saint Jérôme au pape Damase. Mais soit que ce canon ait été interposé par ce moine, soit que Gratien se soit’trompé de bonne foi, comme on lui a plus d’une fois reproché de l’avoir fait, tous les savants sont convenus que la lettre et le canon étaient également faux; qu’ils étaient faux par les raisons appliquées au canon 66 ou si l’on veut au prétendu sermon de saint Augustin qui lui sert de base ; et les correcteurs romains, dont il n’est point encore permis de se défier, ont été forcés d’en convenir comme les autres. 12 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 178 [Assemblée nationale.] Voilà donc l’origine de la fraude entièrement découverte. Cette fraude en paraissant fait disparaître les conciles, les capitulaires de Gharlemagne, les rescrits des pontifes. Ce sont autant de conséquences ruineuses d’un principe abominable. Que nous reste-t-il ? La raison, et la raison dégagée du prestige. Elle nous dicte qu’il serait absurde de croire que l’abus des choses les plus saintes ait jamais pu devenir la source d’un droit légitime. La dîme n’est donc pas un droit divin comme on l’a cru si longtemps sur la foi des conciles. TROISIEME QUESTION. La dîme est-elle de droit positif , comme on le croit depuis deux cents ans, et comme l’a déclaré la jurisprudence française ? La solution de cette grande question nous force encore de recourir aux autorités qui ont servi de fondement à notre jurisprudence française. Nous avons vu les dispositions de la Philippine. Mais nous avons vu aussi les troubles qu’elles avaient occasionnés dans le royaume. Nous avons vu le décret du concile de Langres contredire ces dispositions. Nous avons vu le concile de Trente confirmer celui de Langres. Enfin nous avons vu Dumoulin remonter à la source de la fraude, en découvrir une partie et laisser aux savants bénédictins le soin de découvrir l’autre. Le même Dumoulin, par suite du combat qu’il avait livré à Gratien, et qu’il lui avait livré avec tant de chaleur et d’avantage, ne put se dispenser d’attaquer la décision du concile de Trente relative aux dîmes. Il l’attaque comme erronée; il attaqua également toutes les autres décisions des conciles qui avaient précédé ; il attaqua les rescrits, les décrétales des pontifes. Mais il n’osa attaquer les dîmes en elles-mêmes. Il n’osa soutenir que l’on dût cesser de les payer entièrement. Au contraire : soit qu’il fût intimidé par le supplice effrayant de Jean Hus et de Jérôme de Prague, que les pères du concile de Constance avaient sacrifié à leur ressentiment contre la foi d’une parole donnée, soit que la fin tragique et plus récente d’Erasme imprimât sur son esprit , il convint d’après la Philippine que les dîmes ordinaires étaient dues et qu’on ne pouvait refuser que le payement des insolites. C’est ce qu’on lit dans ses observations sur le chapitre Extra de decimis. « Non servantur, dit-il en parlant des dîmes insolites, non servantur, nisi forte in lotis, ubi papa est dominas temporalis. Hœc enim ( decimæ ) et personales sunt de inventione papœ, et in Gal-liam non debentur nisi consuetæ tantum. Unde de stagnis, lignis cœduis et aliis de quibus non est solitum, nequeunt exigi. » « On n’observe ces décisions que dans les lieux où le pape est seigneur temporel. Car les dîmes des nouveaux fruits et les personnelles sont de l’invention des pontifes, et en France l’on ne peut exiger la dîme que des fruits, dont on est dans l’usage de la payer. « D’où il suit qu’on ne la doit point des étangs, des bois et autres fruits pour lesquels il n’est pas d’usage de la payer. » Il est bien aisé de s’apercevoir que la crainte d’effaroucher les esprits dans un temps où la lumière était encore sous le boisseau, a retenu Dumoulin. Il n’a levé qu’un coin du voile, la cour de Rome se contenta de le mettre à l’index. S’il avait levé le voile tout à fait, on l’aurait excommunié, on l’aurait damné, faute de pouvoir mieux. Quand un auteur aussi éclairéjaussi profond que l’était Dumoulin, fléchit sur unevéritéapparente,il est bien rare que ceux qui viennent après lui ne suivent point son exemple. Dans tous les temps, le fiel des dévôts s’est rendu redoutable. 11 était réservé au siècle de Louis XVI, au siècle des miracles, d’opérer le changement des idées et des mœurs. 4 M. de la Faye, avocat général, qui écrivait apres Dumoulin, fut aussi timide que lui dans son mémoire contre la réception du'concile de Trente. Il mit au nombre des erreurs consacrées par ce concile celles que les dîmes sont de droit divin, mais il n’osa soutenir que ces dîmes mêmes étaient les enfants de la fraude. Voici ses termes « inveterata consuetudo ecclesiœ et varias constitutiones de ea promulgatæ meram libera-litatem fortassis, in necessitatem converterunt. » « Un ancien usage de l’Eglise et différentes décisions relatives ont converti une libéralité volontaire peut-être dans le principe, en une nécessité. » Ces termes libéralité volontaire peut-être, annoncent bien que M. de la Faye ne voulait point rendre entièrement à la vérité l’hommage qu’il lui devait en manifestant la fraude originelle ou qu’il n’en n’avait point approfondi le principe. Rigaut, qui parut depuis et qui publia les œuvres de saint Cyprien, n’eût point les mêmes ménagements dans sa note sur la lettre de ce père ad cler. et pleb. furnit., où il compare les aumônes de son temps â la dîme des Juifs. Il dit en latin ce que nous rendons textuellement en français : « Les dîmes étaient dues suivant la loi de Moïse, mais elles ne sont point dues suivant la loi chrétienne. « C’est pourquoi depuis le temps des apôtres jusqu’à celui de saint Cyprien, il n’est fait aucune mention des dîmes parmi les secours que fournissaient les chrétiens aux ministres des autels, lesquels secours consistaient en aumônes. « Ces aumônes commençant à se refroidir, l’on introduisit les dîmes dans l'Eglise comme un acte de piété et de religion. (Il tait la fraude.) « D’abord ce n’était qu’une oblation volontaire, t un supplément aux aumônes ; mais bientôt cette oblation dégénéra en une exaction cruelle. » Tous les auteurs contemporains (l’on entend ceux dont la plume n’était point entièrement vendue à l’ordre ecclésiastique), tous ces auteurs n’ont eu qu’une voix pour réclamer contre l’exaction rigoureuse de la dîme ; et M.Dupuis lui-même, sur l’article 74 des libertés de l’Eglise gallicane, 4 n’a pu s’empêcher de reconnaître que c’était à tahus des choses les plus saintes que l’ordre ecclésiastique était redevable, non-seulement des dîmes , mais encore de la meilleure partie des biens dont il regorgeait. Les juges n’ont point été plus loin que n’avaient été ces auteurs, l’on a communément perdu l’idée que les dîmes fussent de droit divin, mais l’on s’est familiarisé avec celle qu’elles étaient � de droit positif. De temps à autre et surtout dans les temps malheureux, le clergé a cherché à se relever de ce qu’il appelait ses pertes. Nous en avons un (Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (i4 septembre 1789.] >[79 exemple frappant dans l'ordonnance qu’il a achetée fort cher en 1667 et qui ne lui servit en rien, par la raison qu’aucune cour ne voulut l’enregistrer tant elle était contradictoire en elle-même, tant elle était opposée aux principes généralement reçus. Depuis, la matière des dîmes est devenue si compliquée, si incertaine, que les cours ne sachant plus à quoi s’en tenir ont été obligées de demander au Roi une déclaration qui fixât leur jurisprudence» Pourquoi cet embarras ? Pourquoi cette incertitude ? Parce que dans la Vérité, il n’existe aucun principe, si ce n’est le principe de la fraude, et qu’il est impossible de tirer de la fraude les conséquences d’un droit légitime. Il n’existe point de principes en matière de dîme ecclésiastique» elle 11e peut donc être de droit positif; car un droit positif suppose un principe quelconque sur lequel il est fondé» et l’on défie qui que ce soit de rappeler un principe qui fonde le droit positif de la dîme ecclésiastique. On nous citera bien les capitulaires de Charlemagne» on nous citera bien la Philippine, mais ces lois ne sont point des lois expropria motu des princes qui les ont données; elles ne sont point l’effet d’une volonté pure et simple; elles ne sont que l’effet de la fraude, de l’erreur et de la surprise. Charlemagne a ordonné le payement de la dîme sous peine d’excommunication. Pourquoi? Parce qu’il la croyait de droit divin, comme l’avaient faussement déclaré les conciles. Philippe a également ordonné le payement de la dîme réduite à l’usage» Pourquoi ? Parce que l’usage étant de la payer d’une manière quelconque, il a cru ne pouvoir s’en écarter. Si le premier ae ces princes avait su que la dîme qu’on lui présentait comme étant dé droit divin n’était qu’une fraude, en aurait-il ordonné le payement ex mandato Dei ? Si le second prince avait su la même chose, aurait-il ordonné le payement de la même dîme d’usage qui n’avait pour principe que la fraude? En un mot la fraude peut-elle être le principe d’un droit légitime? L’on ne croit pas que qui que ce soit ose soutenir l’affirmative. Dès lors la découverte de la fraude reporte les choses à leur premier état. Avant le concile de Tours, avant le concile de Mâcon, les dîmes ecclésiastiques ne subsistaient pas ; ce sont ces deux conciles qui les ont introduites sur Un prétexte faux. C’est donc au temps du premier de ces conciles qü’il faut nous reporter pour juger du mérite des dîmes. Or aü temps dü premier de Ces conciles, il ne subsistait ni droit positif, ni droit divin qui en ordonnât le payement; il ne subsiste donc aujourd’hui ni droit positif ni droit divin, qui en ordonne ce même payement. QUATRIÈME QUESTION. Si la dîme était de droit divin dam lé principe , comment a-t-elle pu se transformer en droit positif ? Cette question, quoique bien simple, n’en est pas moins embarrassante. Le clêrgé nous a parlé de prescription . 11 nous l’a proposée comme la patronne dü genre humain, comme le repos des familles, comme un des principaux liens de la société. Il a raison pour ce qui concerne les matières temporelles. Mais a-t-il également raison qiour ce qui Concerne les matières spirituelles ? Prescrit-on contre la loi de l’Etre suprême? La réponse est dü ressort du clergé. Si l’on ne prescrit pas contre la loi de l’Etre suprême, la dîme supposée de droit divin n’a jamais pu se transformer en droit positif. Cependant le clergé après avoir soutenu pendant dix siècles, après avoir fait prononcer par vingt conciles que la dîme était de droit divin, se trouve forcé aujourd’hui d’avouer qu’elle est de droit positif. Le clergé avoue donc que les conciles nous ont trompés, et en avouant que és conciles nous ont trompés, il avoue que la dîme n’est ni de droit divin ni de droit positif, s’il est vrai que ce qui est de droit divin né peut jamais cesser de l’être, pour se transformer en droit positif. Voilà Comme le clergé, en voulant éviter un éCüeil, s’est brisé contre Un autre. CINQUIÈME QUESTION. Si la dîme est de droit positif » comment les anciens conciles ont-ils pu la déclarer de droit divin ? Cette question n’est pas moins insoluble que la précédente dont elle est l'inverse. Il est certain que si Une loi divine ne peut dégénérer en une loi simple et positive, de même une loi simple et positive ne peut s’élever à là quali té de loi divine. Noüs l’avons déjà dit : on 11e peut changer la nature des choses. Ainsi la déclaration des anciens conciles que la dîme est de droit divin et la reconnaissance actuelle du clergé, qu’elle n’est que de droit positif, prouvent qu’elle n’est ni de l’un ni de l’autre droit. La reconnaissance du clergé prouve que les conciles se sont trompés ou nous ont trompés. La déclaration des anciens conciles prouve que le clergé actuel se trompe ou veut nous tromper. C’est parmi ces deux extrêmes qu’il faut choisir, et si l’on veut éviter l’embarras du choix l’on admettra l’un et l’autre» Ceci posé, combien ne doivent-ils pas paraître indécents ces cris» ces clameurs dont le clergé ne cesse d’importuner le public: qu’il est sous le joug de la vexation, qu’on le dépouille, qu'on ne respecte ni le sacré ni le profane, que l'on veut subvertir la religion ; que l'on veut anéantir le culte ! Est-ce vexer le clergé que d’arrêter le cours de la fraude? Est-ce le dépouiller injustement que d’affranchir les peuples des effets ultérieurs de cette fraude ? Est-ce ne respecter ni le sacré ni le profane que de mettre les abus à découvert? Est-ce que c'est subvertir la religion que de l’épurer? Est-ce anéantir le culte que le_ rendre plus respectable? Hélas ! si le culte avait pu être anéanti, si la religion avait été posée sur des fondements moins inébranlables sübsisterait-elle encore aujourd’hui ? L'Assemblée nationale a. décrété dans Sa sagesse la suppression des dîmes, de cette servitude odieuse, de cet ancien fléau qui ne désolait les provinces que depuis trop longtemps. En cela l’Assemblée nationale a rendu à la culture le service le plus essentiel qu’il fût en sa puissance de lui rendre. Mais en décrétant que la perception de la dîme cesserait, l’Assemblée nationale s’est réservé de j«0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] pourvoir à la subsistance des ministres des autels et à l’entretien du culte. Pourquoi ? Parce que la subsistance des ministres de l’autel et l’entretien du culte sont à la charge de l’Etat. Sous ce point de vue peu importe aux ministres et à l’entretien du culte que les dîmes destinées à remplir ce double objet aient ou non la fraude pour principe : la subsistance des ministres du culte étant de droit public, l’Etat doit y fournir, cela n’est point susceptible de difficulté". Mais l’Etat ne doit fournir qu’à la subsistance des ministres et à l’entretien du culte. Qui sont les ministres? les archevêques et les évêques, les curés, les vicaires et autres desservants. En quoi consiste l’entretien du culte? Il consiste dans ce qui lui est relatif, tel que les vases sacrés, les linges, les livres, etc. L’Etat doit donc assigner aux archevêques et évêques, aux curés, vicaires et autres desservants des revenus qui puissent les faire subsister avec décence. L’Etat doit également assigner d’autres revenus pour l’entretien des vases sacrés, des linges, des livres et autres objets nécessaires au culte. En remplissant cette double tâche, l’Etat est quitte de sa dette et personne d’ailleurs n’est recevable à se plaindre ; car ni l’abbé ni le religieux, et autres qui ne sont point nommément chargés du culte public n’entrent dans la classe des ministres à qui l’Etat doit la subsistance; ils n’ont donc aucune indemnité à prétendre pour raison de la suppression des dîmes. Si cette suppression donnait ouverture à une indemnité quelconque en leur faveur, cette indemnité serait la récompense de la fraude, et la proposition est trop immorale pour que l’on doive craindre de la voir hasarder. La découverte de cette fraude opérera donc un effet bien conséquent pour l’Etat, l’effet de l’affranchir de toute espèce d’indemnité envers les bouchesinutiles, et ces bouches inutiles composent au moins la moitié pour ne pas dire les deux tiers des décimateurs. Ce n’est point que nous prétendions que ces bouches quoique inutiles doivent être traitées comme les abeilles traitent les frelons, qu’elles doivent être chassées de la ruche et exposées à mourir de faim. Non, ces bouches inutiles sont des citoyens et comme citoyens l’Etat leur doit les mêmes soins, les mêmes attentions, les mêmes secours, la même tendresse qu’un père doit à ses enfants. Mais si ces enfants ont d’ailleurs de quoi vivre, il ne leur est dû aucune indemnité pour raison de la suppression des dîmes. Voilà ce que nous prétendons. Dans le cas où ils n’auraient point d’ailleurs de quoi vivre, il faut que l’Etat y supplée; cela est juste et nous conduit à l’application également juste de la loi que s’est faite l’Assemblée nationale par son décret de suppression. Reste à examiner si le système que propose M. Dupont est admissible. Les sentiments de l’Assemblée nationale se sont trop bien manifestés dans le cours de cette séance pour que je ne regarde point comme un crime de supposer qu’elle veuille commettre une injustice en connaissance de cause. Cependant nous pensons que c’en serait une qu’elle commettrait si, d’après les discussions auxquelles nousvenons de nous livrer, elleadoptait le conseil de l’honorable membre et condamnait le cultivateur à rembourser à l’Etat le prix des dîmes sur le pied de la valeur habituelle des biens. Les campagnes ont assez gémi et ne gémissent que depuis trop longtemps sous le joug impérieux et despotique de la mainmorte. Si ce joug était légitime, la raison du bien public exigerait qu’on les en affranchît d’une manière quelconque. Comment ne les en affranchirait-on pas lorsqu’il est démontré qu’il n’a pour base que la fraude la plus révoltante ? Est-ce que les campagnes doivent le prix de la dîme si la dîme elle-même n’est point due? doivent-elles le prix de leur affranchissement si la servitude était injuste? Le piège, qui enlaçait le cultivateur et que couvrait de son ombre une religion sainte, est rompu; le cultivateur recouvre sa liberté, il rentre dans la plénitude de ses droits. Que doit-il à l’Assemblée nationale qui lui a procuré ce bienfait ? Il lui doit l’hommage d’un cœur pénétré de reconnaissance. C’est aussi le tribut qu’il se plaît à rendre à son libérateur. Mais devrait-il ce tribut si sous prétexte de briser des chaînes évidemment injustes, l’Assemblée nationale en aggravait le poids ? Cela n’est certainement point dans l’intention de l’Assemblée nationale, et cependant c’est ce qui arriverait si l’on suivait le conseil cle M. Dupont. En effet, si le cultivateur paye la dîme au denier 20 et qu’on le force à la rembourser au denier 30, 35 ou 40, selon que la valeur des biens s’élèvera plus ou moins haut dans les cantons, n’est-il pas sensible que ce remboursement lui sera du tiers ou de moitié plus à charge que n’était la charge même. Dans l’hypothèse de ce remboursement il en résulterait une autre injustice bien palpable. A qui ce remboursement serait-il fait? à l’Etat. Pourquoi ? Pour aider l’Etat à subvenir à la dépense du culte et à l’entretien des ministres de l’autel. Mais si le remboursement ne suffisait point à cet objet le cultivateur supporterait encore sa part de l’impôt général, il payerait donc deux fois pour raison du même objet. Si l’on suppose que le remboursement ne sera point forcé, l’un remboursera, l’autre ne remboursera pas. Comment réglera-t-on les impositions? Exigera-t-on de celui qui n’aura point remboursé le supplément d’impôt? L’exigera-t-on sur le pied du denier 30 ou 40, prix habituel des biens? n’exigera-t-on ce supplément que de celui qui aura remboursé. Si on l’exige du premier on augmente sa charge, il valait mieux qu'il restât victime de la fraude. Si on l’exige du second on le punit d’avoir remboursé, on le punit de s’être sacrifié pour l’Etat. La quotité de la dîme n’est point égale partout dans le même territoire, les uns la payent au dixième, d'autres, au douzième d’autres au quinzième, au vingtième, au trentième et jusqu’au cinquantième. Comment se réglera le remboursement ? Ceux qui payent au dixième rembourseront-ils sur ce pied, tandis que leurs voisins ne rembourseront que sur le pied du cinquantième? Dans l’impôt qui succédera prendra-t-on le plus ou le moins en considération? La dîme ne frappe point sur tous les fruits. Les bois, les prés ne la doivent pas communément. Les sainfoins les trèfles, les luzernes, les colzas, le chanvre, le sarrasin la doivent dans des cantons, et en sont affranchis dans d’autres. L'un, 181 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.) dont la terre rapporte du blé, remboursera-t-il la dîme sur le pied du dixième, tandis que son voisin dont la terre sera en bois, en prés, en sainfoin, trèfle ou luzerne, n’aura rien à rembourser ? Et si celui dont la terre rapporte des fruits juge à propos de la charger en fruits non décimâmes, sera-t-il affranchi du remboursement ou sera-t-il affranchi pour le quart d’heure seulement ou pour toujours? Quelle sera la proportion ri l’on veut conserver la justice? et si l’on ne garde point de proportion y aura-t-il de la justice? If y a apparence que l’honorable membre qui a erré sur les principes de la dîme n’a point suffisamment réfléchi sur les conséquences de son système. Mille inconvénients, mille difficultés, plus inextricables les uns que les autres, l’attendaient à l’exécution, et le fruit que l’on retirerait d’une tentative injuste serait de porter le feu et la flamme où l’Assemblée nationale n’a voulu porter que le soulagement et la douceur. � A ces considérations si puissantes par elles-mêmes, j’en joins une autre bien plus puissante encore. L’entretien des ministres est une charge de l’Etat. Tous les citoyens de l’Etat ont renoncé aux privilèges; tous ont reconnu que les impôts devaient être supportés également. >. Pourquoi donc l’entretien des ministres et du culte serait-il à la charge des campagnes seules et des cultivateurs? Pourquoi parmi ces cultivateurs les uns seraient-ils écrasés sous le poids de la dette commune, tandis que d’autres n’en porteraient rien ? Le cultivateur écrasé prend-il plus que sa part du service divin? Prend-il plus que sa part dans l’administration des sacrements ? S’il ne prend que sa part du bénéfice, il ne ■ doit que sa part de la charge ; cela est évident. Dans tout ce que nous avons vu sur cette matière, nous n’avons trouvé que deux objections qui sont si faibles , qu’à peine méritent-elles qu’on les réfute. La première consiste à dire que les riches propriétaires seuls profiteront de la suppression des dîmes et que cela n’est point juste. Gela n’est point juste... c’est bientôt dit. Mais pourquoi cela n’est-il point juste ? t Si les riches propriétaires ou ceux qu’ils représentent ont été trompés, pourquoi ne profiteraient-ils point seuls de la découverte de la fraude dont ils sont depuis si longtemps les victimes? Fera-t-on participer au bénéfice ceux qui n’ont point souffert de cette fraude ? Ce n’est point que tous les propriétaires qui profiteront de la suppression des dîmes soient riches comme on le suppose. Il s’en faut même k de beaucoup, car il y en a plus de malheureux que de riches. Mais l’on veut qu’ils soient riches ! Ne supportent-ils point les charges en proportion de leurs richesses ? S’ils supportent les charges en proportion des richesses qu’ils ont, comment peut-on raisonnablement vouloir qu’ils ne profitent pas des bénéfices en proportion de leurs charges ? „ S’ils n’en profitaient pas, qui en profiterait donc ? Les pauvres qu’ils nourrissent, qui n’ont rien, qui ne supportent aucune charge, qui ne souffrent point de la fraude. Mais la proposition n’est-elle point absurde? N’est-il point absurde de penser que la suppression de la dîme doive venir au profit de ceux qui n’en payent point, lorsqu’il est démontré que ceux qui la payaient la payaient injustement? r L’on donnerait le bénéfice de” la suppression aux pauvres , et les riches payeraient les impôis comme s’ils en avaient profité. Voilà ce qu’on appelle de la justice, et nous, nous ne craignons pas de dire que ce serait le comble de l’injustice. La seconde objection consiste à prétendre que ceux qui ont acheté des biens soumis à la dîme les ont achetés conséquemment à cette charge, et qu’ils ne doivent point profiter de l’exemption. Ici l’on suppose la dîme soit de droit divin, soit de droit positif et elle n’est ni l’un ni l’autre, la supposition est donc fausse. Quand la dîme serait de droit positif, l’objection ne se trouverait pas mieux réfléchie. Pourquoi ? Parce que dans ce cas, ce ne serait point la terre qui devrait la dîme, mais le fruit. Or, par la même raison qu’un propriétaire peut faire de sa chose ce que bon lui semble, qu’il peut substituer des fruits non décimables à ceux qui sont décimables et par ce moyen s’affranchir de la dîme, par la même raison aussi, il ne doit aucune récompense d’une suppression de cette même dîme, qu’il était en son pouvoir de se procurer. A qui voudrait-on d’ailleurs que cette récompense fût due ? Au vendeur sans doute. Mais lui-même la devrait au vendeur plus ancien et de vendeur en vendeur, l’on irait se perdre dans la nuit des temps sans être plus avancé. Ma motion est que la suppression de la dîme soit déclarée pure et simple ; que la charge de pourvoir à la subsistance des ministres seuls et à l’entretien du culte soit déclarée, comme elle l’est, charge de l’Etat, et que l’imposition à faire en conséquence frappe sur tous les biens de l’Etat indistinctement, aütres néanmoins que ceux que l’on pourrait accorder auxdits ministres pour les remplir de leurs pensions , si l’Assemblée nationale jugeait à propos de prendre ce parti, sauf à régler le sort des fabriques, hôpitaux et autres établissements de cette nature que la suppression des dîmes priverait d’un revenu nécessaire à l’acquit de leurs charges. (Cette motion n’a pas de suite.) L’ordre du jour a été repris par la discussion du projet d'arrêté relatif aux impositions, qui a été soumis par M. Anson au nom du comité des finances. Dans le cours de cette discussion, M. le président ayant annoncé qu’il avait été averti de se rendre chez le Roi, à neuf heures, pour présenter à la sanction de Sa Majesté l’arrêté relatif aux gabelles, M. l’évêque de Langres, ancien président, l’a remplacé* Plusieurs membres de l’Assemblée ont été entendus ; et à raison de l’impossibilité reconnue de prononcer, dans cette séance, sur tous les amendements proposés, M. Anson a été chargé de proposer, pour la séance de demain au soir, un nouveau projet de décret dans lequel seront refondus tous ies amendements sur lesquels l’Assemblée a particulièrement fixé son attention. Le comité des recherches a fait le rapport de la réclamation du sieur Vaurillon de la Bernar-die, détenu prisonnier à Montignac en Périgord, sous prétexte d’indiscrétion et vivacités contre les habitants de cette ville. Le rapport entendu, l’Assemblée confirmant l’avis du comité, a autorisé son président à écrire au comité de police de Montignac, pour le charger de rendre au sieur Vaurillon sa liberté, à moins qu’il ne soit survenu contre lui de nouvelles charges ; auquel cas il serait renvoyé aux tribunaux ordinaires.