[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] de faire que les moyens de recettes soient plus honnêtes et moins oppresseurs, quand il s’agit de porter le dernier coup à ces compagnies de finances qui ne peuvent pas exister avec notre régénération, il faut en parler plus d’un jour; mais avant tout, il faut se souvenir que c’est pour le 1er de janvier qu’on vous demande des secours considérables et nécessaires. Je demande qu’on ajourne à demain cette première question préalable, mais essentielle, non de l’ordre proposé par le préopinant, mais des moyens de sortir de l’inextricable labyrinthe où la discussion se perd. C’est perdre un jour pour en gagner cent. Je demanderai aussi que le comité de constitution prépare votre détermination sur la question de savoir si une banque peut être mise sous la garantie suprême de la nation; si son établissement serait constitutionnel et se concilierait avec les principes fondamentaux de toute grande société. M. Pétlon de Villeneuve. Le dernier préopinant a perdu de vue ce qui a été décrété, en vous proposant de décider si une banque nationale est constitutionnelle. Il vous a dit qu’il fallait s’occuper des besoins du moment ; mais, pour trouver les moyens d’v subvenir, il faut obtenir la confiance, et la confiance ne naîtra que quand votre état de situation sera connu; pour accélérer votre opération, vous risqueriez de la manquer. La première chose est donc de présenter cet état, celui du comité des finances est insuffisant. On vous a proposé un plan de travail très-sage; si vous n’adoptez pas un ordre certain, les projets se croiseront et vous marcherez lentement et péniblement. M. le comte de Mirabeau. Le préopinant n’a pas parfaitement répondu à M. Rœderer, il n’a peut-être pas bien entendu sa conclusion. Il faut d’abord relever une erreur de fait ; il n’y a point de décret sur cet objet : M. Fréteau a seulement proposé un arrêté qui a un rapport fort indirect avec la question. Je maintiens que M. Rœderer a lancé parmi vous une grande vérité qui mérite toute votre attention. Il faut voir si une banque tout à la fois commerciale et politique est bonne; il ne serait plus temps d’examiner le principe, quand vous l’auriez violé. Je maintiens enfin que M. Rœderer a dit une chose infiniment raisonnable, et qu’il a fait ce qu’il faut toujours faire, commencer par le commencement. Quand au plan lumineux d’un préopinant, il conviendrait à un lycée; il pourra nous convenir quand nous nous occuperons de la régénération particulière et générale des finances; il ne convient pas au provisoire, et c'est du provisoire que nous sommes étouffés dans ce moment. Je demande que la motion de M. Rœderer soit décrétée. 11 s’élève plusieurs discussions sur l’ordre à donner à la délibération des différentes motions proposées. MM. d’Aïlly et Anson représentent que le comité peut offrira l’instant à l’Assemblée un état détaillé sur les besoins urgents d’ici au 1er de janvier ; il faut délibérer demain sur la manière de trouver les 91) millions qu’il est indispensable de se procurer. Si nous ne pouvons les avoir avant la fin de l’année, il est inutile de faire une constitution. M. le Chapelier. La question se réduit à ceci : 281 Voulez-vous demain vous occuper du plan général, ou du besoin urgent et de la manière d’y subvenir ? L’Assemblée délibère, et décrète qu’elle s’occupera demain des dépenses à acquitter jusqu’à la fin de l’année, et des moyens d’y pourvoir. M. le Président lève la séance à trois heures et demie après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin. lre ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 27 novembre 1789. Plan de libération générale des finances proposé par M. le baron de Cernon (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée.) Messieurs, il est si pressant de faire usage des ressources qui restent à la France; il est si important de ne pas se tromper dans le choix des moyens, les conséquences d’une erreur peuvent devenir si funestes, si irrémédiables, les résultats d’une opération mûrement réfléchie, sagement combinée et fidèlement exécutée, paraissent au contraire si avantageux, si nombreux, si prochains, si évidents, que j’ose espérer quelque indulgence et quelque attention pour le travail que je viens soumettre à vos lumières. Je ne perdrai pas le temps à vous démontrer la nécessité d’agir, et d’agir sur-le-champ. L’état actuel de la France, et surtout celui de la capitale, parle trop haut et trop clairement. J’entre en matière, sans vous offrir le tableau des biens immenses dont la France serait privée si nous adoptions une marche fausse, et que nous pouvons lui procurer très-promptement, en réalisant une idée fort simple et que je crois vraie. On a toujours dit qu’il fallait vendre les biens du domaine et du clergé pour payer les dettes de l’Etat. Je crois, au contraire, qu’il faut et que nous pouvons payer les dettes de l’Etat pour vendre les biens de la couronne et du clergé, ou plutôt pour n’étre pas même dans la nécessité de les vendre. L’erreur opposée à la vérité que je veux établir a sa source dans la vieille opinion de l’importance des métaux précieux monnayés; on croit ne pouvoir jamais se passer d’eux. On les regarde comme la réalité dont ils ne sont que le signe. On rabattrait beaucoup de l’importance qu’on leur attache, si l’on voulait bien observer qu’ils ne commencent jamais à être utiles qu’au moment où on ne les a plus. Mettez une pierre à la place , elle vous vaudra tout autant, disait le bon La Fontaine à l’homme au trésor. L’argent-monnaie n’est donc autre chose qu’un signe. Mais on peut le remplacer par d’autres signes, et par d’autres signes qui lui soient constamment préférables. Ces signes lui sont réellement préférables, lorsqu’à l’avantage d’un moindre volume, d’un moindre poids qui les rend plus propres au commerce, plus faciles à transporter, à mettre à l’abri des accidents, ils joignent celui de représenter des valeurs réelles plus solides (1) Le projet de M. Cernon n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée hationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] encore, impossibles à enlever, toujours croissantes lorsque les monnaies ne font que diminuer de prix par l’accroissement même de leur masse, et contte lesquelles on peut à volonté échanger ces signes, préférablement aux monnaies d’or et d’argent. Il est possible, il est quelquefois utile de substituer de ces signes à l’argent même. L’Angleterre en est un exemple : quoique le crédit de sa banque ne repose que sur un secret, et que ce secret ne soit en définitive, rien, ce crédit prouve seulement que l’ordre et la sagesse valent souvent autant et quelquefois plus qu’une richesse réelle. Ces signes peuvent être préférés à l’or et à l’argent quand ils sont impossibles à contrefaire, en même temps qu’ils ne font qu’indiquer une réalité quelconque contre laquelle on peut les échanger à chaque instant; aussi l’argent de banque d’Amsterdam vaut-il couramment plus que la monnaie. Mais l’argent de banque d’Amsterdam ne peut avoir cours que dans l’enceinte de la ville, parce que sa réalité est entassée tout entière dans les caves du seul hôtel de ville d’Amsterdam. Nous serait-il donc impossible d’établir en France des signes de valeurs réelles, préférables aux billets de banque d’Angleterre, et même à l’argent de banque d’Amsterdam, en ce que leur circulation n’éprouverait aucune difficulté dans le royaume? Non, sans doute, cela n’est pas impossible. Pour le démontrer avec la dernière évidence, il suffit de savoir si la nation possède des valeurs réelles bien sures, bien libres, bien franches, toujours croissantes, à peu près également réparties sur tout son territoire, et dont les porteurs de signes représentatifs puissent se mettre sur-le-champ en possession par de simples actes de volonté. Or, la nation possède bien évidemment pour plusieurs milliards de valeurs de cette espèce dans les biens jadis affectés ait domaine et à l’entretien fort surabondant de son clergé. Ces valeurs sont bien franches et libres de toute hypothèque, dès que la nation se charge de pourvoir elle-même à la splendeur du trône, aux appointements des ministres du culte, à la dette du clergé et auxdettes des ecclésiastiques contractées avant la destruction des ordres, à l’entretien des temples et des presbytères, aux frais de l’instruction publique et au soulagement des vrais pauvres. Donc la nation peut dès à présent, et sans l’entremise d’aucun agent étranger, mettre en circulation effective une masse de signes égale à ces valeurs ou à la portion de ces valeurs qu’elle croira devoir faire entrer dans le commerce. La nation le peut ; j’ai établi plus haut que cette opération est aussi indispensable que pressante, il ne s’agit donc que des moyens de l’effectuer. Ces moyens sont aussi simples que l’idée dont ils dérivent. Voici ceux que je propose , ils se réduisent à trois qui doivent se correspondre et s’employer en même temps : 1° Connaître la véritable valeur des biens dont la nation peut disposer ; 2° Liquider la dette nationale ; 3° Enfin créer une somme d’assignats SANS INTÉRÊTS, égale, sans plus, à la valeur des biens que l’Assemblée nationale jugera à propos de mettre dans le commerce; cesser de faire fonds pour une somme de rentes égale à celle que produit le capital de cette valeur, et rembourser ce capital en assignats, lesquels feront fonction de monnaie, en concurrence avec l’or et l’argent, et sans aucune différence que celles qui seront détaillées ci-après, et qui seront toutes à l’avantage des assignats. Si la somme des valeurs réelles ne suffit pas pour payer toute la dette, il paraît indispensable d’observer alors l’ordre qui suit : Payer d’abord toute la dette criarde et exigible; , . , , Ensuite le capital des renies viagères, parce que c’est au secours du moment actuel qu’il importe le plus de venir, et parce que la somme de ces rentes étant spécialement destinée à fonder les honoraires et retraites du clergé, se trouvera employée pour la majeure partie en dépehsës de même nature ; Puis les finances de toutes les charges, maîtrises, privilèges et autres aliénations de droits communs à tous les citoyens, les cautionnements, fonds de finances, etc.; Puis les capitaux de rentes foncières , suivant la nature des intérêts qu’elles produisent; puis, enfin, les capitaux des emprunts négociés directement avec l’étranger, s’il veut accepter nos assignats. Pour connaître la juste valeur des fonds sur lesquels doivent porter les assignats , et mettre l’acquisition de ces fonds à portée des fortunes les plus médiocres, il paraît nécessaire d’ordonner que dans tous les départements il soit procédé sans délai, aussitôt après la formation des districts, à l’état détaillé des biens nationaux renfermés dans leur arrondissement et à l’estimation contradictoire de ces biens. Ces états devraient être faits de manière que chaque héritage isolé, quelque peu étendu qu’il fût, formât un article à part. Les seuls héritages contigus, ou seulement séparés par des haies, chemins vicinaux et fossés creusés de main d’homme, seraient compris dans un même article. Mais il est indispensable d’ordonner que, quand les héritages contigus formeront des objets trop considérables, ils soient divisés en articles de 10,000 livres et au-dessous. Pour parvenir à l’estimation contradictoire de chaque article, la seule qui puisse jamais désigner la valeur réelle, il suffit d’opposer l’intérêt particulier de chaque municipalité à l’intérêt général du département ou du district. Les départements et districts auront intérêt à faire porter les estimations du plus haut prix, parce que la somme des contributions de toute la France diminuera en raison des rentes que l’on éteindra avec la valeur des biens nationaux. On donnera aux municipalités un intérêt local et opposé en décrétant que le quart, ou telle autre portion de ce que les ventes produiront par-delà le prix d’estimation, leur sera remis pour leurs besoins particuliers. Ainsi, tandis que les départements et districts chercheront à enfler l’estimation pour faire diminuer la masse des contributions publiques, les municipalités chercheront à la faire diminuer pour augmenter d’autant la part qui leur reviendra à la vente. Le juste milieu se trouvera nécessairement entre les deux extrêmes. De plus, les municipalités auront un intérêt direct à la bonne administration de ces biens en attendant la vente, parce que ce sera encore un moyen et d’attirer les acquéreurs, et de faire monter le prix. Ainsi, l’intérêt des municipalités sera que les biens soient estimés fort peu, et vendus fort cher. Pour constater parfaitement l’étendue des propriétés nationales et assurer à jamais le gage des assignats, il est absolument nécessaire de faire lever géométriquement le pian de la circon- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] 283 férence de chaque article, et d’en faire tirer quatre copies. L’une restera déposée au bureau de la municipalité ; la seconde aü directoire du district ; la troisième à celui du département et la quatrième à la caisse de l’extraordinaire. Sans doute ce travail occasionnera uüe certaine dépense, mais lui seul peut répondre de la conservation des biens nationaux ; et quand on travaille pour la durée, on ne doit jamais regretter une dépense d'un moment. L’avance en sera faite par chaque municipalité, et remboursée sur la première rentrée des impôts que la caisse de l’extraordinaire remplacera par des assignats. On pourra régler cette dépense à une somme üxe par arpent, les plus forts articles compensant les faibles, en y ajoutant vingt-quatre livres par municipalité pour le transport de l’arpenteur. Mais, quelque importante que soit cette opération, elle ne doit pas retarder la confection ni la remise des états estimatifs. Il suffira de décréter, que les communautés ne commenceront à jouir de la diminution des impôts, que du jour auquel elles auront fait remettre les copies des plans de tous les articles compris dans leur arrondissement, à la caisse de l’extraordinaire. Les départements feraient imprimer ensemble touts les états estimatifs de leurs districts. Cette opération ne devrait pas être plus longue pour toute la France que pour le plus étendu des districts. Et aussitôt qu’elle serait terminée, l’Assemblée nationale ferait imprimer et publier un extrait ou table des états estimatifs des quatre-vingt trois départements ; cet extrait ne contiendrait que chaque article, et son prix en renvoyant à la page de l’état détaillé du département. En ordonnant ce travail l’Assemblée aurait décrété en meme temps, que dans les deux mois, à compter du jour de la sanction, les créanciers publics rapporteraient leurs titres de créances à la caisse de i’extraordinaire, pour y être vériliés et liquidés sous l’inspection de commissaires, membres de l’Assemblée, et nommés par elles. Il est inutile de s’étendre sur les formes de cette liquidation ; il suffit d’observer que sa durée dépendra uniquement du nombre de commis qu’on y emploiera, et qu’elle peut être achevée en moins de temps qu’il n’en faudra pour faire l’état estimatif des biens, si l’on force les créanciers à s’approcher, en déclarant déchus tous ceux qui n’auront pas remis leurs titres dans les deux mois après les publications nécessaires, à moins qu’il ne justifient de leur absence hors du royaume. Gomme il faudra fabriquer un très-grand nombre d’assignats, car je propose, pour ôter tout attrait à la fraude, et faciliter la circulation, de les faire seulement de 25, 50 et 100 livres ; if est indispensable de commencer à les faire, en même temps qu’on travaillera à l’estimation des biens, et à la liquidation de la dette. Il n’est pas impossible de rendre la fraude presque physiquement impraticable, en offrant des prix considérables aux artistes, tant nationaux qu’étrangers, qui présenteraient les plus sûrs moyens d’y obvier, et en multipliant un peu les signatures de la caisse de l’extraordinaire. Il ne serait fabriqué d'assignats que pour la somme précise à laquelle s’élèverait l'estimation des biens, si elle n’égale pas celle de toutes les dettes publiques, et seulement pour la somme des dettes, si l’estimation des biens les égale ou les surpasse, en sorte qu’il riij eût pas un seul assignat dont la valeur correspondante en biens-fonds, n'existât bien connue dans un point quelconque du royaume. Je proposerai qu’avant de déterminer la masse des biens nationaux, destinée à servir de contre-valeur aux assignats, on commençât par distraire une portion destinée au soulagement des pauvres dans chaque département ou district ; et cette portion serait administrée à part, pour être employée, soit en revenu, soit en capital, suivant les règles qui seraient prescrites par l’Assemblée nationale. Ce serait donc à l’instant où la dernière de ces trois opérations serait terminée, que l’Assemblée décréterait qu’il ne serait plus fait de fonds pour les rentes correspondantes au capital qu’elle serait en état de faire rembourser, et que l’on commencerait à délivrer les assignats aux parties prenantes. Les fonds nécessaires aux honoraires et retraites de tout le clergé, seraient formés par la suppression de 100 et quelques millions de rentes viagères lesquels n’auraient coûté à la nation qu’un milliard en assignats : c’est à peu près la valeur des fonds qui ne produisent rien aujourd’hui, c’est-à-dire, des maisons d’habitation supprimées dans les ville's. La nation profiterait donc sur-le-champ, sans aucun remplacement, de tous les autres biens portant revenus, et elle jouirait, à son seul profit, des revenus de tous ces biens, jusqu’à ce que les porteurs d’assignats eussent jugé à propos de les acquérir : or, c’est ce qui n’aurait pas lieu de longtemps, au moins pour la majeure partie, comme il est aisé de s’en convaincre. Au point où sont desséchés tous les canaux de la circulation par le resserrement du numéraire, iL est clair que la totalité, ou la majeure partie des assignats faisant absolument fonction dé monnaie, serait absorbée par les besoins et autres emplois utiles, et ne reviendrait entre les mains de ceux qui voudraient les convertir en biens-fonds qu’après avoir parcouru et vivifié comme une sève bienfaisante toutes les différentes ramilications de l’agriculture, des manufactures et du commerce, et qu’elles n’en sortiraient pour devenir moyen d’achat de fonds, que quand les acquisitions foncières seraient évidemment le meilleur emploi qu’on en pût faire. Or, on peut croire que nous n’en serions pas de si tôt à ce nec plus ultra de la prospérité. Ainsi la nation aurait bien payé toutes ses dettes, en valeurs préférables à l’argent comptant ; et cependant elle jouirait encore longtemps du revenu des biens destinés à réaliser ces valeurs. G’est ici que se retrouve en entier le double avantage de ne point attacher d’intérêt aux assignats : premièrement, l’économie d’une dépense non moins considérable qu’inutile, ou plutôt nuisible ; secondement, la rapidité de la circulation, objet peut-être plus essentiel encore que le payement de la dette publique. En effet, comme nous l’avons établi en principe, plus haut, l’argent ne circule que parce que, dans le cours ordinaire des choses, il ne rapporte rien tant qu’on le garde, et qu’il faut ne l’avoir plus pour en jouir. Ce serait donc suivre une marche absolument contraire à son but, que d’attribuer des intérêts à des valeurs destinées spécialement, pour l’iutérêt direct du corps et des individus de la nation, à parcourir la circulation le plus rapidement et à l’animer le plus longtemps possible. Si l’argent reste aujourd’hui resserré par l’effet de la crainte, de l’espérance, de la cupidité oü de la méchanceté, parce qu’il porte avec lui sa 284 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] valeur intrinsèque quoiqu’il ne produise rien étant gardé, tous ces motifs détermineraient bien plus évidemment à resserrer des assignats, qui outre une valeur relative, égale et même supérieure à celle de l’argent, comme nous allons le démontrer, auraient encore l’avantage de rapporter un intérêt quelconque à leurs possesseurs. On ne doit pas craindre que cette masse énorme d’assignats occasionne un renchérissement extraordinaire dans les denrées; tout ce qui ne pourrait pas entrer utilement dans la circulation viendrait à chaque instant s’anéantir par les achats de biens nationaux. On ne doit pas craindre non plus que leur circulation fasse disparaître ou resserrer davantage le numéraire monnayé. En effet, quand deux valeurs sont en même temps dans la circulation, la plus précieuse des deux force l’autre à se montrer, parce qu’on se défait toujours par préférence de la valeur à laquelle on attache le moins de prix. Or, il est évident qu’on préférerait les assignats à l’argent, d’abord à cause des avantages ordinaires d’un papier solide sur la monnaie, et encore à cause des avantages particuliers que les assignats auraient sur tous les autres signes d’échange, avantages que nous allons établir et démontrer. L’opération n’aurait plus aucune base certaine, s’il pouvait arriver que les assignats ne fussent pas anéantis à mesure qu’ils seraient réalisés par l’acquisition des fonds affectés à leur sûreté : 1° La destruction des assignats serait le seul moyen d’empêcher que leur surabondance pût amais être nuisible au commerce, en élevant le prix des denrées au-dessus de son taux naturel, taux qui doit toujours être, pour ainsi dire, la moyenne proportionnelle entre le besoin de vendre et le besoin d’acheter. Quand les moyens d’acheter ne sont pas en équilibre avec ces deux besoins, comme il arrive lorsque le numéraire ou réel ou fictif est trop commun ou trop rare, la proportion naturelle des prix est dérangée, au grand désavantage de l’acheteur ou du vendeur. Il est donc extrêmement important qu’il existe toujours un moyen de destruction effective pour les signes d’échange, lorsqu’ils engorgent la circulation par leur surabondance, tant pour éviter le renchérissement subit des denrées, que pour empêcher l’avilissement des signes d’échange. Voilà ce qu’on ne peut pas faire avec la monnaie qui existe toujours, quelque emploi qu’on en fasse dans la circulation : voilà, au contraire, ce qui soutiendrait toujours les assignats puisqu’ils s’anéantiraient pas les achats de fonds, dès que leur inutilité se manifesterait dans le commerce par la moindre dépréciation de leur valeur comme moyen d’échange. 2° L’anéantissement des assignats, au moment même où ils seraient réalisés par des achats.de fonds, répondrait au public de l’exacte proportion qui existerait toujours entre leur masse et celle des biens qui leur serviraient de base, de gage, et de dernier terme d’échange. Ainsi, au lieu de s’avilir, ils croîtraient en valeur à mesure que la prospérité publique augmenterait celle des fonds sur lesquels ils reposeraient. Or, pour assurer l’anéantissement des assignats au moment des ventes de leur gages, il est indispensable que le prix de ces ventes se paye toujours en assignats; c’est le moyen le plus sûr et le plus simple, ou plutôt c’ëst le seul moyen d’arriver à ce but : car si l’on recevait le prix des domaines nationaux en monnaie, il arriverait souvent qu’on ne trouverait pas à acheter des assignats pour les détruire, et il serait injuste de forcer un individu plutôt qu’un autre à échanger ses assignats contre de l’argent comptant, si tous préféraient leur papier à l’argent, comme cela arriverait infailliblement, par l’accroissement de valeur des terres dont ils seraient la représentation. Je propose donc de décréter que les assignats seuls puissent, exclusivement àl’argent comptant, être reçus en payement des biens nationaux; Que les seuls porteurs d’assignats soient en droit de forcer la vente de ces biens dans la forme suivante (1) : Le porteur se présenterait au directoire d’un district, y déposerait en assignats la valeur d’estimation de l’article dont il voudrait forcer la vente, et recevrait un récépissé en vertu duquel il serait en droit de poursuivre la vente de l’article, après un mois révolu. Le district en donnerait avis au département et à la municipalité, et concurremment, comme ayant alors le même intérêt, ils feraient toutes les diligences nécessaires pour faire approcher les enchérisseurs. Après le mois révolu, il serait procédé aux trois enchères, à huit jours d’intervalle. Les fruits ou revenus de l’article adjugé courraient au profit du porteur de récépissé, à compter de sa date, si l’adjudication avait lieu à son prolit ; mais il serait le maître de retirer ses assignats, en tout état de cause, avant l’ouverture du procès-verbal d’adjudication définitive, et le bien ne serait pas vendu. Si le porteur de récépissé se rendait adjudicataire, les assignats seraient sur-le-champ bâton-nés en présence du public, et tout serait fini. Si un autre porteur d’assignats se rendait adjudicataire, le porteur de récépissé retirerait les (1) Il ne serait pas permis de faire vendre, par une même enchère, plusieurs articles séparés, mais on serait tenu de faire faire autant de ventes particulières que l’on voudrait acquérir d’article, afin de prévenir les grands accaparements qui tendraient en môme temps et à écarter les enchérisseurs et à empêcher les bien-fonds de se subdiviser entre les familles peu riches. Cette nécessité d’acheter par articles séparés, obligerait au contraire les porteurs de grandes sommes d’assignats, à les mettre dans la circulation qu’ils vivifieraient. La vente des biens serait retardée d’autant, au profit de la nation qui jouirait plus longtemps des fruits. Il en résulterait encore un très-grand bien : les porteurs de fortes sommes en assignats seraient contraints s’ils voulaient absolument les employer à acquérir de grandes masses de biens, d’acheter les terres des particuliers dont les affaires souffrent depuis longtemps, parce qu’ils ne trouvent pas à vendre. Les créanciers, souvent très-nombreux, seraient payés, et les assignats, après avoir fait les affaires de tout le monde, se trouveraient tellement subdivisés, qu’ils correspondraient naturellement à la subdivision des biens nationaux en un très-grand nombre d’articles d’une valeur relative aux plus petites fortunes. Par ce moyen, s’il arrivait que les biens nationaux ne se vendissent que peu au-dessus de leur valeur d’estimation, parce que les assignats excluraient l’argent comptant ou droit d’en forcer la vente, le bénéfice tournerait ordinairement au profit des citoyens les moins aisés ; la nation en aurait été indemnisée d’avance par une longue jouissance des revenus ; les terres des particuliers n’auraient pas souffert de la concurrence des biens nouvellement mis dans le commerce ; la masse des biens nationaux se trouverait naturellement répartie entre un plus grand nombre de familles, selon l’esprit de la constitution et presque tous les citoyens seraient propriétaires. [27 novembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. siens, et ceux de l'acquéreur seraient bâtonnés sur-le-champ, mais il n'entrerait en jouissance que du jour de l’adjudication. Si l’adjudication était faite argent comptant, le porteur de récépissé toucherait sur-le-champ le montant de ses assignats, ils seraient bâtonnés au même instant, et l’acquéreur entrerait en jouissance des fruits ou revenus dès le même jour. La portion qui reviendrait à la municipalité dans le prix de la vente, par -delà le prix d’estimation, lui serait payée sans intérêts, dans le cours d'une année, en argent ou en assignats. Mais ce qui reviendrait à la nation ne pourrait être payé qu’en assignats dans le même délai, aussi sans intérêts. Les assignats seraient pareillement bâtonnés sur-le-champ. Tous les autres assignats bâtonnés seraient déposés au directoire du département, et par lui envoyés à la caisse de l’extraordinaire pour y être brûlés publiquement à la ün de chaque année, et le procès-verbal de combustion ferait mention du numéro de chaque assignat brûlé et de la somme qui en resterait en circulation, et serait imprimé et affiché. Il est donc évident que les assignats auraient sur l’argent comptant des avantages assez réels pour lui être préférés dans tous les cas. Le plus considérable serait, sans contredit, celui de forcer la vente des biens nationaux. En effet, le possesseur d’argent, à quelque somme que montent ses capitaux, ne peut jamais les convertir en biens-fonds, s’il ne trouve en même temps, dans les propriétaires, la volonté de les lui vendre. Il faut souvent faire les plus grands sacrifices pour déterminer seulement cette volonté. Combien pius précieux que l’argent seront donc des assignats qui porteront avec eux la faculté de faire effectuer les ventes à la volonté du porteur ! cet avantage augmente encore, si l’on considère la nature des biens-fonds dont les assignats auraient le pouvoir de transmettre à volonté la propriété. Que l’on achète un bien de famille, on redoute les privilèges, les hypotheques, les douaires, les substitutions, les retraits, les rachats. Si l’on a fait un très-bon marché, on est quelquefois dix ans sans oser bâtir, planter, améliorer, en un mot, sans jouir avantageusement. Au contraire, si c’est un bien national qu’on acquiert, on possède dès le jour même de l’adjudication aussi pleinement, aussi sûrement qu’on pourrait le faire après 30 ans. L’avantage des assignats augmente encore par l’accroissement de valeurs dans l’objet dont seuls ils peuvent mettre en possession. 11 arrivera, dans mille circonstances, qu’un porteur d’assignats se fera adjuger une portion correspondante de biens nationaux, pour le prix ou pour un prix très-approchant de l’estimation primitive, tandis que cette portion de biens aura quelquefois doublé de valeur vénale. Cet avantage augmentera encore par la recherche des assignats, pour payer la portion du prix d’adjudication qui excédera le taux de l’estimation primitive. Et rappelons-nous que tous ces avantages se réaliseront toujours plus ordinairement pour les porteurs de petites sommes d’assignats que pour les riches qui voudraient en réunir de fortes sommes. Ces principes posés, jetons un coup d’œil sur les heureuses conséquences qui en résultent infailliblement. Nous aurons payé tout , ou la plus grande partie, ou la partie la plus lourde de nos dettes publiques, en valeurs préférables au numéraire effectif, puisqu’on pourra faire avec ces valeurs tout ce qu’on ferait avec l’or et l’argent, tandis qu’on ne pourra pas faire avec l’or et l’argent tout ce qu’on pourra faire avec ces valeurs. L’Assemblée nationale aura environ 200 millions de moins à imposer, pour 1791, qu’elle n aurait à imposer si elle ne suivait pas le plan proposé, ou tel autre semblable. En effet , si les biens nationaux s’élèvent, comme je n’en saurais douter, à la somme de 5 milliards, les honoraires du clergé se trouvant fondés par l’emploi d’un seul milliard affecté au remboursement des rentes viagères, il est clair que les 4 milliards restants éteindront pour à peu près 200 millions de rentes ou intérêts. Donc, la contribution publique, pour l’année prochaine, s’élèvera à 200 millions de moins, d’où resuite évidemment qu’on pourra supprimer, sans aucun remplacement, les impôts les plus désas - treux. Nous aurons anéanti pour jamais l’agiotage et tout autre genre d’influence des capitalistes sur la fortune publique. Et dans le fait, les papiers agiotables seront supprimés et remplacés par un numéraire aussi réel que l’or et l’argent, et qui, n’étant susceptible ni de hausse ni de baisse, ne saurait donner lieu à aucune spéculation. Cet heureux effet serait manqué, si l’on attribuait un intérêt quelconque aux assignats-monnaie. En effet, les papiers agiotables ne peuvent être mieux comparés qu’à un amas de roches inégales entre elles, de matière plus ou moins friable, de forme bizarre, anguleuse et variée, qu’on ne peut rouler les unes sur les autres sans des efforts immenses, sans obstruer à chaque instant tous les passages qui, par la multiplicité des mouvements forcés et des chocs irréguliers qu’elles éprouvent dans leur marche , se dissolvent plus ou moins rapidement en une poussière que les vents emportent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Je vous propose de leur substituer un fluide bienfaisant, propre par la ténuité, l’homogénéité et la rondeur de ses éléments, à s’insinuer partout, à pénétrer tout, et à chercher toujours son niveau. Si au lieu de ce fluide vous me donnez un sable immobile et visqueux, comme seraient des assignats non forcés ou portant intérêt, il ne pourra circuler qu’à l’aide d’un autre fluide ; et dans son cours, il s’amoncellera, il formera des bancs, des engorgements; le cours supérieur de vos canaux sera souvent inondé quand leurs parties basses seront à peine humectées par une filtration lente et insuffisante. Votre numéraire monnayé est maintenant une eau stagnante contenue dans des réservoirs élevés : leurs possesseurs profitent de la sécheresse pour vous en vendre fort cher quelques misérables pouces, qu’ils ont l’art de repomper avant qu’elle ait pu imbiber la terre. Qu’une pluie abondante vienne former des torrents, les digues des réservoirs seront emportées, ces eaux réunies iront enfler vos ruisseaux et vos fleuves, qui après avoir vivifié dans leurs cours vos plaines et vos coteaux, rouleront paisiblement vers l’Océan, et leur superflu, et le vôtre. Telle serait, Messieurs, l’influence du plan que je vous propose sur les coffres-forts des capitalistes. Ils cesseraient donc d’en avoir aucune sur la marche des affaires publiques. Cet or qu’ils resserrent aujourd’hui dans l’espoir d’être avantageusement dédommagés, en un seul instant, delà non-jouissance de plusieurs années, ils s’empresseront de vous l’offrir au plus modique intérêt, dès que vous n’en aurez plus besoin. 286 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] ils vous font aujourd’hui la loi la plus dure : le public leur fera la loi à son tour. Nous aurons sur-le-champ rétabli la circulation, rouvert les sources de toutes lesdépenses etpro-curé des travaux abondants à des millions de bras qui en manquent aujourd’hui. Cette proposition n’est que la conséquence nécessaire des précédentes; mais s’il fallait la prouver, je vous observerais que l’arpentage et l’estimation des biens, que la liquidation de la dette, que la fabrication même des assignats, offriront, dès les premiers moments, une occupation utile à un très-grand nombre de citoyens de toutes classes ; qu’il convient même aux intérêts publics et particuliers d’y employer le piusdepersonnesqu’il sera possible parce que, plus tôt nous aurons terminé, plus tôt nous serons délivrés du poids écrasant de notre dette publique, et enfin, parce que ce remboursement devant être infailliblement suivi d’un très-grand nombre de nouvelles acquisitions de fonds, et tout acqué ¬ reur étant toujours très-empressé de bâtir, de planter, en un mot, d’améliorer de toutes les manières, il arriverait plutôt que les ouvriers manqueraient aux travaux que les travaux aux ouvriers. Ajoutez à cela l’aisance générale dont la réaction sur les dernières classes de la société est et sera toujours incalculable. Vous pouvez venir dès à présent au secours de Paris , en faisant cesser les relations trop désavantageuses du Trésor public avec la Caisse d'escompte , si vous voulez ordonner pour le département, de Paris seulement, et y faire exécuter à l’instant même l’opération que je propose pour le reste de la France. Elle peut y être terminée en moins d’un mois, comme l’opération générale peut l’être en trois ou quatre, pourvu qu’on la suive avec quelque activité et que cette activité soit simultanée dans toutes les municipalités à la fois. Il est certain, au moins, que le département de Paris seul, offre, en fonds nationaux, de quoi asseoir le nombre d’assignats suffisant pour payer la Caisse d’escompte, et nous donner le temps de respirer. Je vous dois à cet égard, Messieurs, une observation importante; c’est que la vente effective et actuelle des biens nationaux n’étant point une partie essentielle de ce plan, on peut, on doit même, dès à présent, comprendre dans l’estimation, avec les fonds présentement libres, ceux qui ne le seront que plus tard, comme les maisons d’habitation réservées aux religieux des deux sexes. Car les assignats monnayés doivent trouver assez longtemps mille autres emplois plus utiles dans la circulation. Il leur restera d’ailleurs une masse assez considérable de biens nationaux à acquérir dès à présent, à volonté, pour répondre qu’ils ne viendront pas tous en même temps forcer la vente de la totalité de leurs gages. Il est d’ailleurs très-important, à tous égards, d’exécuter le plan entier, et en même temps sur tous les biens nationaux quelconques. Vous aurez assuré les honoraires de votre clergé, et le patrimoine des vrais pauvres. Sur la première partie, vous avez vu, Messieurs, que j’ai assuré cette dépense par l’emploi des fonds qui acquittent à présent vos rentes viagères. Je vous ai montré la facilité de libérer vos rentes viagères avec un milliard de fonds qui ne produisent rien aujourd’hui. Il en résulte donc que votre clergé ne vous coûtera réellement rien. J’ai encore assuré le patrimoine des vrais pauvres, en vous proposant de réserver dans chaque district des fonds spécialement affectés à ce respectable emploi. Cependant, Messieurs, il ne serait point avantageux à la nation de réserver ces fonds en nature, si la somme d’assignats, que produiraient les autres biens nationaux, était insuffisante pour acquitter toutes nos dettes publiques. Il vaudrait bien mieux alors affecter même la part des pauvres à la création d’une plus forte somme d’assignats, et fonder le revenu des hôpitaux sur la portion de rentes que vous auriez acquise à la nation par le payement d’un capital plus considérable. L’avantage serait évident, en ce que la nation ne payerait pas plus d’une manière que de l’autre, et que cependant elle continuerait à percevoir, au profit delà caisse de l’extraordinaire, les revenus de ces biens, jusqu’à l’extinction des assignats, c’est-à-dire jusqu’à la vente. Outre l'allégement de la contribution publique qui résulterait du payement de la dette nous conserverons à la nation pendant encore une longue suite d’années, tout ou partie du revenu des biens qui auraient servi à les acquitter. Cette proposition est encore démontrée par la certitude que les assignats ne se présenteront pour forcer la vente des biens nationaux, qu’autant qu’ils ne trouveront pas d’emploi plus utile dans la circulation ; et par l’évidence du besoin que la circulation aurait des assignats, jusqu’à ce que la prospérité de la France fût parvenue à son dernier période : ce qui demande encore près d’un siècle. Vous n effectueriez la vente des biens nationaux qu’à w,esure que l’opinion publique se serait formée sur ce point. Or l’opinion publique est toujoursle résultat des intérêts évidents de tous les individus qui composent la société. Cette proposition va donc être portée au plus haut degré d’évidence, par la seule exposition de la suivante : Enchaîner pour jamais à la Constitution, par les liens indissolubles de l’intérêt personnel, tant ses plus dangereux ennemis que ses plus zélés partisans. Si, dans le problème que je me suis donné à résoudre, il est une partie en apparence insoluble, c’est sans contredit cette proposition. Eh bien, Messieurs, j’ose croire que c’est aussicelle quivous paraîtra le plus évidemment résolue. Je vous demande des assignats sans intérêts, subdivisés à peu près comme nos pièces d’or, et faisant absolument fonction de monnaie, en concurrence avec l’or et l’argent. Si vous m’accordez ces trois points, il est évident que la masse des assignats se subdivisera à l’infini, et qu’il s'en trouvera bientôt dans toutes les poches. Or, vos assignats auront une valeur réelle égale au moins à celle des métaux précieux. Mais supposez la Constitution renversée, la distinction des ordres rétablie, le clergé fouinant un ordre propriétaire, les domaines de la couronne tenus encore une fois inaliénables, la souveraineté de la nation méconnue, le pouvoir arbitraire ressuscité bouleversant votre ouvrage, et substituant les abus, le gaspillage, le désordre, et la mauvaise foi au bon ordre, à la régularité, à l’exacte correspondance que vous aurez établie entre la dépense et la recette, il est évident que les assignats deviennent à l’instant des feuilles de chêne. Vos assignats seront donc le ciment indestructible qui liera ensemble toutes les. parties du superbe édifice que vous aurez construit et qui le transmettra à la postérité la plus reculée, comme l’ouvrage, à la fois le plus utile et le plus durable qui soit jamais sorti de la main des hommes. Comment, en effet, supposer que la Constitution puisse être renversée, lorsque plusieurs milliards en assignats, répartis sur la surface du royaume, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] donneront à tous les citoyens un égal intérêt à la maintenir et à la défendre? Sans doute le patriotisme et toutes les autres vertus des peuples heureux peuvent beaucoup pour le maintien d’une bonne Constitution ; mais le législateur ne doit fonder ses espérances que sur l’intérêt évident de chaque citoyen. 11 a tout fait, et tout fait pour jamais, quand il a trouvé le moyen de rattacher à l’intérêt public, tous les intérêts particuliers. Enfin, Messieurs , vous ferez participer à V acquisition des biens nationaux les familles les moins aisées, dans une proportion plus forte encore que les riches. Cette proportion se trouve solidement établie par la subdivision de ces biens en articles d’un prix très-modéré et en même temps très-varié , et par l’impossibilité de faire réunir plusieurs articles dans un même procès-verbal d’enchères. J’ai démontré que l'opération proposée, loin de nuire à la vente des biens-fonds patrimoniaux, aurait f’ effet nécessaire cT en accélérer et d’en améliorer le débit. Je dois à présent rassurer ceux qui, peu au courant des opérations du commerce extérieur, pourraient craindre que les assignats-monnaie ne nuisissent à nos relations avec les étrangers. Je pourrais abréger, en opposant simplement l’exemple des pays voisins qui tiennent en circulation pour plusieurs milliards de numéraire fictif, meme sans contre-valeur, qui ne prohibent point la sortie du numéraire effectif, et qui n’en ont pas moins eu jusqu’ici un avantage marqué dans leur commerce avec nous qui n’avions point de numéraire fictif, et qui poussons jusqu’à la rigueur les défenses d’exporter notre numéraire ; pourquoi ? Parce que l’intervention du numéraire fictif maintient, clans ces pays, les capitaux à un intérêt beaucoup plus bas qu’il n’a jamais pu être chez nous. Mais j’observerai à ces personnes timides, que je ne fais disparaître aucune partie de notre numéraire effectif, qu’il reste tout entier dans ie royaume, et que même je le force à reparaître dans la circulation, en faisant cesser les motifs de crainte ou d’espérance qui détermineraient à le resserrer ; qu’à moins d’émigrations très-considérables et nullement compensées, ce qui n’est pas du tout à présumer, le numéraire ne peut sortir de France sans y laisser un équivalent ; et que, comme les étrangers ne mangent pas plus For et l’argent que nous, il faudrait bien qu’ils nous rapportassent nos métaux pour avoir nos denrées ; que les pertes que nous éprouvons sur le change n’ont d’autre cause que l’erreur qui nous a fait jusqu’ici défendre la sortie du numéraire, comme celles dont nous nous plaignons dans le commerce en général, ont leur source dans l’élévation des intérêts de nos capitaux et dans la non-valeur de nos matières premières; que cette non-valeur a souvent été telle, que nous étions obligés délivrer deux mesures de nos denrées pour une mesure des denrées étrangères que la liberté d’exportation élevait au niveau du marché général de l’Europe, tandis que les nôtres restaient fort au-dessous ; qu’ainsi, en donnant plus de latitude à nos entreprises par le bon marché des capitaux, en laissant monter nos denrées à leur véritable prix, par la liberté des ventes à l’extérieur, et en bornant le cours des changes par le libre transport des monnaies, nous n’éprouverons jamais aucun désavantage dans nos relations avec l’étranger, que notre monnaie ne sortira jamais que pour rentrer aussitôt, ou plutôt 287 que notre commerce deviendra un vrai commerce d’échange, dans lequel l’argent n’interviendra que pour quelques instants et dans des circonstances très-rares. xNe cherchons pas, avec une précision aussi pénible qu’inutile, des objectifs qui ne se présenteront peut-être pas, ou qui sont réfutés d’avance par le plan lui-même. Je ne ferai qu’une observation : vous avez un thermomètre sûr pour juger ce plan. Si les capitalistes, les financiers et les agioteurs le trouvaient bon, à coup sûr il serait très-mauvais ; ayant pour principal objet de déjouer leurs menées, il sera d’autant meilleur qu’il leur déplaira davantage. Le plan que je vous propose est renfermé dans des bornes précises; il ne peut excéder celles de la valeur des biens nationaux, ou la somme des dettes publiques. Il n’exige point une administration particulière permanente, qui ferait dépendre son succès de l’exactitude de chefs ou de sous-ordres répandus par toute la France, par conséquent difficiles à surveiller, et dont les malversations, trop possibles , mettraient en défaut la prudence du législateur; par là, il économise une dépense perpétuelle fort considérable. Tout est absolument terminé par la simple émission des assignats, et le premier mouvement, une fois imprimé, se perpétue de lui-même par l’action journalière de l’intérêt général combiné avec tous les intérêts particuliers, comme l’eau sortie d’une source s’écoule vers la mer en dépit de tous les obstacles, par sa seule tendance vers le niveau commun. Les revenus de tout ou partie des biens nationaux assurent à la caisse de l’extraordinaire des fonds annuels fort considérables, qui ne peuvent décroître que par l’accroissement de la prospérité publique : car la vente de ces biens s’opérera plus ou moins rapidement en raison de ce que les assignats seront plus ou moins utiles dans la circulation. Or, l’inutilité du numéraire ne se fait jamais sentir que quand la prospérité d’un Etat est devenue stationnaire; tant qu’elle suit une marche ascendante, l’argent trouve toujours des emplois plus utiles que les acquisitions foncières. Il ne faut cependant adapter cette proposition qu'à un Etat d’ordre, et non pas à un gouvernement dans lequel les particuliers s’étudieraient à former des capitaux avec des revenus, à mesure que le Trésor public se formerait des revenus avec des capitaux, à quoi se réduit, en dernière analyse, l’art tant vanté du crédit, qui n’a jamais été moins nuisible aux Etats qu’aux enfants de famille. La caisse de P extraordinaire pourrait donc acquitter pendant très-longtemps, et sans surcharger la nation, les indemnités, retraites, pensions ou autres dédommagements que l’Assemblée nationale jugera nécessaire, équitable et prudent d’accorder au grand nombre d'employés de tout rang que le retour à l’ordre laissera sans travail et sans ressources. Elle pourra encore subvenir, s’il le faut, à l’in - suftisance des cent et quelques millions de rentes autrefois viagères, pour acquitter les pensions des religieux" et religieuses les plus âgés. Ces charges, toujours décroissantes par leur nature, s’accorderaient très-bien avec des revenus qu’on doit s’attendre à voir diminuer graduellement par les achats de quelques portions de biens nationaux, et te surplus des fonds de cette caisse s’appliquerait ordinairement aux grandes entreprises publiques, comme ports, canaux, ponts, fortifications et autres objets dont les travaux 288 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. peuvent sans inconvénient être suspendus pour un temps, lorsque des accidents imprévus exigeraient impérieusement l’emploi des sommes qui seraient destinées aux grandes améliorations publiques. Enfin il résulterait de l’exécution de ce plan, que l’Assemblée nationale aurait trouvé la France payant peut-être 1 milliard, tant en revenus qu’en frais connus ou cachés, et ne suffisant pas à ses dépenses avec cette énorme perception, et qu’elle la laisserait ne payant probablement pas plus de 300 à 350 millions, et jouissant, en outre, de revenus extraordinaires, dont la diminution graduelle serait le sur thermomètre de sa prospérité. Sans doute, aucune conception humaine n’est exempte d’erreur; mais les immenses avantages que l’opération proposée nous assurerait, valent au moins la peine d’être mis en balance avec les inconvénients qu’une recherche scrupuleuse parviendrait à y découvrir. PROJET DE DÉCRET. Estimation. Article 1er. Aussitôt après la formation des districts, il sera procédé en même temps, dans chaque municipalité, à l’état détaillé de tous les biens nationaux quelconques, situés dans son arrondissement. Art. 2. Chaque héritage isolé formera un article à part; et lorsque les héritages seront contigus, il sera formé, autant que les circonstances et les localités le permettront, des articles d’environ 10,000 livres, plutôt au-dessous qu’au-dessus. Art. 3. Le plan de la. circonscription de chaque article, sera levé géométriquement, et contradictoirement avec les propriétaires voisins, ou eux dûment appelés. Art. 4. Une copie de chaque plan, ainsi levé en gros, sera déposée au bureau de la municipalité, une au district, une au département, et une à la caisse de l’extraordinaire. Art. 5. Chaque article sera estimé à part et contradictoirement entre les districts et les municipalités. Art. 6. Chaque département fera imprimer l’état détaillé et estimatif des biens nationaux, compris dans son arrondissement. Art. 7, La caisse de l’extraordinaire fera imprimer l’extrait ou table des 83 états détaillés des départements. Art. 8. Les états et estimations seront faits sans frais par les municipalités. Art. 9. L’arpentage et les copies des plans seront payés par les municipalités, à raison de 1 livre par arpent et 24 livres pour le déplacement de l’arpenteur, lorsqu’il ne demeurera pas sur les lieux. Ces sommes seront prélevées sur les impositions de chaque municipalité. Art. 10. Les états estimatifs devront être remis au département avant le 1er de septembre. Et si quelques municipalités ne peuvent pas y joindre en même temps les copies des plans, celles qui ne les auront pas remises avant le 1er de janvier 1791, ne jouiront d’aucune diminution d’impôt, pour le temps qui s’écoulera depuis le 1er de janvier, jusqu’à la remise des plans. Art. 11. Tous lesbiens vacants seront affermés au plus offrant, par-devant chaque district; et les fermages, après les réparations prélevées, seront versés dans les caisses des districts à la disposition de celle de l’extraordinaire. [27 novembre 1789.] Art. 12. Lorsqu’un fermier prendra plusieurs articles par un même bail, il sera fait mention expresse du prix de ferme de chaque article en particulier. Liquidation. Art. 1er. Dans les deux mois, à compter de la publication du présent décret, tous les créanciers de l’Etat, ceux du clergé et des ecclésiastiques seront tenus de rapporter à la caisse de l’extraordinaire, les titres de tout ce qui peut leur être dû, excepté les arrérages courants depuis le mois de janvier dernier. Art. 2. Tous ceux qui n’auront pas remis leurs titres dans le délai prescrit seront déchus de leurs prétentions, à moins qu’ils ne justifient de leur absence hors du royaume. Art. 3. Ne seront compris dans la présente exception que ceux qui sont absents par congé en bonne forme. Art. 4. Les créanciers non régnicoles auront un mois de plus pour rapporter leurs titres de créances. Art. 5. Les créanciers non régnicoles , intéressés dans les emprunts négociés directement avec l’étranger, seront admis à faire liquider leurs titres de créances dans le délai prescrit, s’ils le jugent à propos; mais iis n’encourront aucune déchéance, s’ils ne se présentent pas. Art. 6. Il sera procédé, sans délai, à la liquidation de la dette publique, sous l’inspection de commissaires de l’Assemblée, nommés par elle. Remboursement. Art. 1er. Il sera procédé, aussi sans délai, à la fabrication d’une somme d’assignats égale à l’estimation des biens nationaux, ou seulement à la dette publique, si l’estimation l’égale ou l’excède. Art. 2. Ces assignats seront de 25, de 50 et de 100 livres seulement; iis ne porteront aucun intérêt et ils seront reçus, en toutes circonstances, comme les autres monnaies du royaume. Art. 3. Il est défendu à toute personne de stipuler, soit par acte public, soit par écriture privée, soit verbalement, qu’une somme quelconque sera payée soit en assignats, soit en monnaie d’or ou d’argent, et à tout juge d’ordonner l’exécution d’une pareille convention, à peine d’une amende égale à la somme offerte ou demandée en conséquence; laquelle amende sera payée par parties égales, par les juges et les notaires, et par chacune des parties lorsque la convention sera écrite; mais le défenseur ne pourra être condamné à l’amende, lorsqu’il s’agira d’une convention verbale. Art. 4. Toute personne qui refusera un payement en monnaie d’or ou d’argent ayant cours, ou en assignats, lorsque l’appoint, s’il y a lieu, lui sera offert en même temps en monnaie courante, sera punie selon la rigueur des lois portées et à porter contre ceux qui refusent les monnaies non décriées. Art. 5. Il sera payé une somme de 24,000 livres à l’artiste ou aux artistes qui, au jugement de l'Académie de peinture et de sculpture, à laquelle se réuniront douze écrivains jurés, indiqueront, dans un mois, la meilleure méthode de fabriquer les assignats pour en prévenir la contrefaçon à la charge par eux de mettre le procédé couronné à exécution. Si l’Académie juge devoir réunir les procédés indiqués séparément par plusieurs articles, le prix sera partagé entre eux, et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] augmenté, s’il y a lieu, de manière que chacun d’eux ait 12,000 livres. Art. 6. Aussitôt que la somme à rembourser sera connue et que les assignats seront fabriqués, et au plus tard dès le 1er octobre prochain, il ne sera plus fait de fonds pour une somme de rentes viagères et perpétuelles ou d’intérêts, égale à celle que produira le capital dont l’Assemblée ordonnera le remboursement. Art. 7. Dès le même jour, tous les créanciers, dont les créances auront été liquidées, pourront se présenter à la caisse de l’extraordinaire, où ils seront remboursés de tout ce qui leur sera dû, soit en assignats soit en espèces d’or et d’argent indifféremment, et sans qu’ils puissent être tenus, de parfaire les appoints s’il y a lieu. Art. 8. Dès le 1er janvier 1791, la masse générale des impositions du royaume sera diminuée de toute la somme de rentes constituées ou intérêts, qui sera anéantie par le remboursement des capitaux. Vente de biens. Art. 1er. Tous les assignats sont hypothéqués spécialement et par privilège sur tous les biens nationaux généralement quelconque qui seront compris dans les états estimatifs des 83 départements. Art. 2. Dès le jour où la caisse aura commencé à délivrer des assignats, la vente des biens nationaux sera ouverte. Art. 3. Toute personne, tant étrangère que re-gnicole, aura droit de forcer la vente des biens nationaux, en déposant à la caisse du district où sera situé l’article ou les articles qu’elle voudra faire vendre, le montant de l’estimation, en assignats, et jamais en aucune autre valeur. Art. 4. Pour éviter les accaparements et ménager aux citoyens les moins aisés, les moyens d’acquérir des biens nationaux, il ne sera jamais permis de réunir plusieurs articles des biens nationaux dans un même procès-verbal d’enchère, mais il sera fait toujours autant de ventes séparées qu’on voudra faire vendre d’articles. Art. 5. A l’instant où les assignats seront déposés dans la caisse du district, il (sera délivré au porteur autant de récépissés particuliers qu’il voudra faire vendre d’articles ; et en vertu de ces récépissés, il aura droit de faire procéder, après un mois révolu, aux trois adjudications à huit jours d’intervalle. Art. 6. Pendant ce temps, le département, le district et la municipalité feront les diligences nécessaires pour faire approcher les enchérisseurs. Art. 7. Avant l’ouverture du procès-verbal d’adjudication définitive ou plus tôt, le porteur de récépissé sera libre de retirer ses assignats, et la vente n’aura plus lieu, mais la vente sera forcée dès l’ouverture du procès-verbal d’adjudication définitive. Art. 8. Les adjudications se feront en public, par-devant le directoire du district. Art. 9. Il ne sera payé par l’adjudicataire aucune somme par-delà le prix de l’adjudication, ni pour frais de vente, ni pour droits de mutation, ni pour droits fiscaux; et le titre de propriété lui sera délivré gratis par le directoire de district. Art. 10. Si le porteur de récépissé se rend adjudicataire, les fruits ou revenus de l’article adjugé courront à son profit, à compter de la date du récépissé ; et les assignats déposés seront bâton-nés sur-le-champ en présence du public. 4re Série, T. X. 289 Art. 11. Si un autre porteur d’assignats se rend adjudicataire, ceux du porteur de récépissé lui seront remis, ceux de l’adjudicataire seront bâ-tonnés sur-le-champ, et il entrera en jouissance des revenus dès le jour de l’adjudication. Art. 12. Le prix de l’adjudication ne pourra jamais être payé partie en assignats et partie en monnaie d’or et d’argent, sans le consentement exprès du porteur de récépissé, et les enchérisseurs seront tenus de lui demander son consentement avant de faire admettre leur enchère. Art. 13. Si le porteur de récépissé consent à ne recevoir qu'une partie de ses assignats en monnaie d’or ou d’argent, l’enchère sera admise et payée de la manière convenue d’avance entre lui et l’enchérisseur, et le procès-verbal fera mention sur-le-champ de son consentement; et si l’adjudication a lieu au profit de celui qui offrira de payer partie en assignats, et partie en espèces, le porteur de récépissé retirera la portion d’assignats et la portion d’espèces convenue, lesquelles l’adjudicataire sera toujours tenu de payer sur-le-champ, jusqu’à concurrence du prix d'estimation. Art. 14. Si l’enchérisseur a intention de payer en espèces la totalité du prix d’estimation, il ne sera point tenu d’en convenir avec le porteur de récépissé. Mais au moment même de l’adjudication, quand elle aura lieu au profit du porteur d’espèces, le porteur de récépissé retirera les espèces, et les assignats déposés seront bâtonnés sur-le-champ. Art. 15. Dans tous les cas, le prix d’estimation sera toujours payé comptant, à peine de nullité de la vente, soit en assignats, soit en espèces, et l’adjudicataire, autre que le porteur de récépissé, n’entrera en jouissance que du jour de l’adjudication. Art. 16. Gomme il doit toujours être bâtonné sur-le-champ une somme d’assignats égale au prix d’estimation, le porteur de récépissé ne pourra jamais payer en espèces pour retirer ses assignats. Art. 17. Si l’article est vendu au-dessus du prix de l’estimation primitive, le quart de cet excédant sera payé à la municipalité en assignats ou espèces, dans l’espace d’un an, sans intérêts, et la somme, provenant de ce quart, sera, par elle, employée aux besoins de la communauté. Art. 18. Les trois autres quarts de cet excédant ne pourront jamais être payés qu’en assignats. L’acquéreur aura de même" le terme d’un an, sans intérêts , pour présenter ses assignats au directoire du district, qui les bâtonnera sur-le-champ et lui en donnera quittance. Art. 19. L’acquéreur ne pourra ôter au fermier la jouissance de son bail, qu’en s’arrangeant avec lui de gré à gré. Art. 20. Aussitôt après l’annce expirée, si l’acquéreur n’a pas payé l’excédant du prix de son acquisition, tant au district qu’à la municipalité, celle-ci percevra les revenus à son profit, depuis le jour de l’échéance jusqu’au jour du parfait payement. Art. 21. Le directoire de district remettra au département les assignats bâtonnés , dans la huitaine au plus tard , et en recevra la décharge . Art. 22. Tous les mois, le directoire du département fera tenir les assignats bâtonnés, avec la note des articles vendus, à la caisse de l’extraordinaire, qui lui enverra aussi sa. décharge. Art. 23. A la fin de chaque année, Le caissier de l’extraordinaire fera brûler publiquement tous 19 290 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] les assignats bâtonnês, et le procès-verbal de combustion contenant la note des articles vendus dans l’année, les numéros des assignats brûlés, et la somme de ceux qui resteront en circulation, sera imprimé et affiché. Honoraires et pensions du clergé . Art. 1er. Du jour où il ne sera plus fait de fonds pour payer les rentes viagères, tous les membres du clergé , tant séculier que régulier, de l’un et de l’autre sexe, cesseront de percevoir les revenus des biens dont ils jouissaient, et ils entreront sur-le-champ en jouissance des sommes annuelles qui leur auront été attribuées par les décrets de l’Assemblée, à quelque titre que ce soit. Art. 2. Il est décrété comme article constitutionnel, que chaque ecclésiastique touchera, quartier par quartier et d’avance, le revenu qui lui aura été accordé, à quelque titre que ce soit, des premiers deniers qui seront entre les mains du receveur des impositions de la municipalité, dans l’enceinte de laquelle il sera domicilié ; que jamais ce receveur ne pourra , pour quelque cause que ce puisse être, se dessaisir d’aucuns deniers avant que les ecclésiastiques domiciliés aient touché leur quartier ; et que leurs quittances seront envoyées pour comptant à la caisse du dis-trict. Art. 3. Tout ecclésiastique qui changera de domicile sera tenu d’en prévenir les département, district et municipalité qu’il voudra quitter, et le département, district et municipalité dans l’enceinte desquels il aura élu son nouveau domicile, afin d’être compris dans l’état de sa nouvelle municipalité avant le 1er de janvier ; sinon il ne pourra toucher ses revenus que des mains du receveur de la municipalité qu’il aura quittée. Art. 4. Au moment où ce nouvel ordre de choses commencera, tous les ecclésiastiques toucheront leurs revenus des mains du receveur de la municipalité de leur domicile actuel Jusqu’à ce qu’ils en aient élu un autre dans la forme prescrite par l’article 3. Art. 5. La même règle de payement sera suivie pour les revenus attribués aux hôpitaux , si leurs biens sont compris dans l’état estimatif des biens qui serviront de gage aux assignats. Art. 6. Quand les impositions d’une municipalité ne suffiront pas pour acquitter les revenus des ecclésiastiques ou hôpitaux compris dans son arrondissement, il y sera suppléé par le receveur de la municipalité la plus voisine , sur l’ordre du district, visé par le département. Caisse de l'extraordinaire. Art. 1er. Les revenus de tous les biens nationaux qui ne seront pas vendus , seront versés par les caisses de district dans celle de l’extraordinaire, ou distribués sur les mandats du caissier de l’extraordinaire. Art. 2. Aucune partie de ces revenus ne pourra j être employée aux dépenses comprises dans l’état | des dépenses ordinaires. j Art. 3. Il ne pourra être attribué, sur cette ; caisse, aucun revenu fixe, si ce n’est les traite-I ments viagers qui ne sont pas de nature à être renouvelés à la mort des titulaires. Art. 4. Tout le surplus sera employé aux dépenses imprévues, autres que celles qui ont été jusqu’ici comprises sous Je même titre, dans l’état des dépenses ordinaires, et pour lesquelles il I continuera à être fait fonds sur le produit des impositions, comme par le passé ; et aux dépenses extrordinaires et libres, après toutefois que ces dépenses auront été ordonnées par l’Assemblée nationale, sur l’aperçu des rentrées certaines, qui sera mis sous ses yeux par le caissier de l’extraordinaire. Art. 5. Cet aperçu sera présenté tous les trois mois, ainsi que l’état des dépenses soldées d’après les ordres de l’Assemblée, depuis le précédent quartier. Art. 6. Jamais il ne sera ordonné de dépense qui puisse absorber la totalité des rentrées comprises dans l’aperçu d’un quartier. Art. 7. L’article premier de chaque aperçu sera toujours formé du reste net du quartier précédent. Art. 8. Tous officiers municipaux seront personnellement responsables envers la caisse de l’extraordinaire, du revenu des biens nationaux , et envers les acquéreurs, de la quantité des fonds de môme nature, compris dans les procès-verbaux d’arpentage, lorsqu’ils auront été envahis par les propriétaires limitrophes ou autrement. Et si les officiers municipaux ne peuvent pas répondre des pertes en revenus ou capitaux, la communauté entière en répondra. Besoins du moment. Art. 1er. La même opération qui vient d’être ordonnée pour les biens nationaux de toute la France, sera exécutée en particulier pour ceux du département de Paris, dans un mois pour tout délai. Art. 2. La somme d’assignats qui pourra être assise sur la valeur de ces biens, sera employée à acquitter entièrement la nation envers la Caisse d’escompte, et le surplus à faire face aux besoins les plus urgents. Art. 3. Dès l’instant où la Caisse d’escompte sera remboursée de ce qui lui est dû par l’Etat, elle recommencera ses payements à bureau ouvert, soit en assignats, soit en espèces. 2e ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 27 novembre 1789. Opinion de M. de iLaborde de Méréville (1) sur le plan proposé par le comité chargé de V examen des plans de finances (2). Messieurs, s’il était question de défendre le plan que j’avais eu l’honneur de mettre sous vos yeux, je me flatterais de résoudre les objections qui lui ont été opposées. Je crois que je pourrais établir, d’une manière incontestable les avantages que la nation en aurait retiré dans l’avenir, et la réalité des ressources qu’il aurait offertes aux embarras du moment. Le rétablissement du crédit (1) L’opinion de M. de Laborde de Méréville n’a pas été insérée au Moniteur. (2) L’empressement de l’Assemblée à terminer la discussion sur le projet, présenté par le comité m’ayant empêché d’avoir la parole, j’ai cru que, d’après les circonstances qui ont accompagné le travail de l’Assemblée sur ce sujet, je lui devais compte de mon opinion. {Note de M. de Laborde de Méréville.)