748 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1791.] corps, si la même puissance qui fait une loi ou qui vote un impôt, fait exéculer la loi et ensuite examine tous les actes relatifs à cette exécution, il est évident qu’il y a confusion de pouvoirs, et qu’il n’y a plus de Constitution. D’après cela je crois qu’il est parfaitement inutile d’entrer dans les détails énoncés au rapport fait au nom du comité d’imposition. Mais, dit-on, il y a un grand inconvénient pour la liberté à laisser l’administration des fonds publics entre les mains des agents du pouvoir exécutif, car on s’en servira pour corrompre. Or, je dis que si vous n’établissez une Constitution et une responsabilité telles qu’il soit impossible, non seulement à l’agent du Corps législatif, mais à l’agent du pouvoir exécutif, de faire une distraction de deniers, vous ne pouvez être sûrs de rien, pas plus lorsque vous auriez donné la disposition à des gens que vous auriez nommés, que lorsque vous l’auriez donnée à des gens nommés par le pouvoir exécutif, car enfin vous n’aurez pas la présomption de croire que les gens que vous nommerez, d’une façon ou de l’autre, fussent incorruptibles : il faut donc organiser tellement cette administration, qu’à chaque minute l’administrateur puisse rendre compte; alors on ne pourra plus se servir de ces agents pour corrompre qui que ce soit. Maintenant je réponds à un principe énoncé par M. Rœderer ; il prétend qu’en laissant au roi la nomination d’un ou plusieurs administrateurs vous détruisez le déci et qui ordonne que les corps administratifs dirigeraient tout ce qui a rapport à l'imposition, sous la surveillance du pouvoir législatif. Point du tout, car il est vrai que tout ce qui a rapport à l’impôt, sera toujours sous la surveillance du Corps législatif. Ce sera le Corps législatif qui décidera en dernière analyse de tout ce qui a rapport à la levée de l’impôt. Ainsi ce que l’on vous propose ne détruit pas le principe déjà établi. Sans entrer dans une plus grande discussion, je ne veux qu’une seule raison pour déterminer les principes du comité; c’est l’impossibilité de l’élection. Je suppose que dans ce moment-ci il fallût faire la nomination de trois ou de six administrateurs; je crois qu’à l’exception des membres de Paris et de ceux qui ont beaucoup vu Paris, il n’y aura pas quatre personnes dans l’Assemblée qui fussent en état de décider quelles sont les personnes capables d’être administrateurs. ( Applaudissements .) Ainsi donc l’élection par le Corps législatif est absolument impossible. De plus, Messieurs, la proposition que l’on vous fait est extrêmement dangereuse : les administrateurs élus pour deux ans, comme on le propose, ne pourront donc pas être destitués; car il serait presque impossible de leur faire leur procès, puisqu’ils seraient soutenus par ceux-là mêmes qui les auraient élus. Je conclus à ce que l’administrateur ou les administrateurs du Trésor public soient uommés par le roi. Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix! (La discussion est fermée.) Plusieurs membres demandent la priorité pour la motion de M. d’André. (Cette priorité est décrétée.) M. le Président. Je mets aux voix la motion de M. d’André : « L’Assemblée nationale décrète que le ou les administrateurs du Trésor public sera ou seront nommés par le roi. » (Cette motion est décrétée.) (La suite de la discussion est renvoyée à une séance suivante.) Un de MM. les secrétaires donne lecture de deux lettres du Président de l'Assemblée élec~ torale du département du Gard , qui annonce que le choix des électeurs s’est fixé : 1° Sur M. Dumoncliel, recteur de l’Université de Paris, membre de l’Assemblée nationale, pour l’évêché du département du Gard; 2° Sur M. Voullard, pour le poste de membre du tribunal de cassation. M. l’abbé Maury. J’ai demandé la parole à M. le Président, non pas pour une question d’ordre relative à cette séance, mais pour une question que je supplie l’Assemblée de vouloir bien placer à i’ordre du jour, dans le cours de la semaine prochaine. En voici l’objet : Messieurs, vous avez décrété hier que les dettes de l’Etat pourraient être liquidées par votre comité central de liquidation, indépendamment des opérations de votre comité de liquidation. Le 11 du mois de janvier, on vous fit une demande de 4,158,000 livres, que réclame M. d’Orléans pour la dot de la reine d’Espagne, sa grand’tante. Je demande ce rapport, qui aurait dû être fait, puisque deux mois se sont écoulés depuis que vous l’avez ordonné, afin que cette question ne soit pas renfermée dans la délibération intérieure du comité. ( Murmures .) M. I�e Bols des Ciuays. On veut nous faire perdre du temps; je demande l’ordre du jour. M. l’abbé llaury. J’ai lieu de croire que la discussion de cette cause sera très importante ; que des membres de cette Assemblée, pourront opposer, à l’opinion qui a été déjà mariisfestée, des raisonnements qu’il importe de faire connaître aux membres qui y sont intéressés, afin que M. d’Orléans puisse répondre, s’il le juge à propos, car je vous préviens qu’immédiatement après le rapport, vous ne pourrez même juger : il y aura un délai inévitable entre la discussion et la décision. M. lavie. Je m’y oppose, Monsieur le Président ; nous avons l’affaire de Clermontois, qui est bien plus pressée. M. Camus. Voici l’état de l’affaire: Lorsque la première fois j’ai fait le rapport, on a ordonné deux choses: 1° que les pièces seraient remises au liquidateur général ; 2° que mon rapport serait imprimé, et que le rapport serait fait ensuite par le comité de liquidation, et non pas par le comité central. J’ai satisfait, pour ma part, à ce que j’étais chargé de faire, j’ai fait imprimer mon rapport avec toutes les pièces; il y a un mois ou six semaines qu’ila été distribué. M. de Saint-Léon a les pièces entre les mains, il en fera le rapport, lorsqu’il sera prêt. M. de Menou. Messieurs, voici une lettre du ministre de la guerre à l'armée; je demande la permission d’en donner lecture à l’Assemblée. Plusieurs membres: Oui! oui! Lisez! [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1791.] 749 M. clé Menou, lisant : « Messieurs, lorsque l’armée reçoit une nouvelle formation, lorsqu’elle va se régénérer avec toutes les autres classes de l’Empire, son chef suprême daigne approuver que je développe à vos yeux les principes qui doivent désormais la régir, que je vous présente le tableau des avantages importants qui viennent de vous être assurés par la Constitution, et en même temps celui des devoirs sacrés qu’elle vous impose. « C’est surtout ■. n ce moment qu’avant, d’offrir à la patrie la continuité de ses services, chacun doit réfléchir mûrement aux obligations qu’il contracte avec elle, se représenter tout ce qu’elle exigera de lui désormais, peser enfin les mots de ce serment solennel qu’il doit renouveler toutes les années: qu’il sonde ensuite les dispositions de son âme et qu’il s’assure d'y trouver les sentiments qui lui feront remplir avec joie les engagements qu’il aura formés; car je ne supposerai jamais qu’un militaire, en faisant un serment,’ médite le projet de lui être parjure; ce serait commettre la plus indiune lâcheté et se rendre le plus méprisable des hommes. « Toutefois, Messieurs, je conçois difficilement comment aucun de vous pourrait hésiter à engager sa foi à la nation, ainsi qu’elle le prescrit à tous les citoyens. Que faut-il donc promettre? l’exécution de� lois laites par les représentants de l i nation, acceptées ou sanctionnées par son chef héréditaire. Certes si une telle autorité peut être méconnue, il n’en est point de légitime sur la terre, il n’y a plus de gouvernement, plus d’Em-pire, plus de société. « J’adresse ceci à l’esprit juste, capable de saisir la vérité : mais qu’il faut plaindre l’homme qui ne verrai!, dans la nouvelle Constitution, que des luis auxquelles il ne peut refuser d’obéir, et dont l’âme indifférente et froide n’est point saisie du caractère de grandeur et de dignité qu’elle imprime à l’espèce humaine! « Malheur surtout au militaire qui ne sent pas combien les fonctiuns de son état en sont ennoblies! Sans dou e, il avait l’honorable emploi de défendre le pays où il se trouvait exister; mais aussi il contribuait à y maintenir un ordre de choses peu avantageux à une grande partie de ses concitoyens. Désormais c’est vraiment une patrie, une mère commune qu’il aura à défendre, des lois à la confection desquelles il aura eu part, un gouvernement combiné pour opérer le bonheur ne tous, digne en un mot que celui que sa naissance n’y a point attaché, l’adopte par choix et par prédilection. « Tels sont les motifs de patriotisme qu’auront dorénavant les militaires français; mais quelle satisfaction ne doivent pas éprouver ceux qui composent aujourd’hui l’armée, en se voyant appelés par d’heureuses circonstances, à fonder, dans un grand Etat, et préparer ainsi partout, le règne de la liberté, de la justice et de (a raison ! « Je dois aussi, Messieurs, vous faire remarquer combien les lois données au militaire par l’Assemblée nationale, sont sagement adaptées à l’esprit de cette profession. Vous n’y trouvez point ces distinctions mortifiantes, ces avilissantes exceptions qui flétrissent le cœur et glacent l’émulation; ces abus ont disparu. Tous Tes honneurs de la carrière sont offerts à qui veut les mériter : avec des vertus et des talents, un soldat peut monter au rang de général. « Avec quel discernement nos législateurs n’ont-ils pas concilié, dans les règles de l'avancement, ce qui est dù à la longueur et la confiance des services, avec ce que le bien public exige qu’on accorde au talent, qui peut rendre des moments donnés par certains hommes an service de l’Etat, plus utiles que la vie entière d’un grand nombre d’autres! Car, Messieurs, je dois vous le déclarer au nom du roi, vous n’avez plus à craindre que dans les choix qui lui seront attribués, une aveugle faveur ou des avantages de naissance, évanouis devant la raison, aient désormais une influence dont vous vous plaindriez avec justice. Le roi sent trop combien est beau le privilège qu’il a de récompenser le mérite, de distinguer les hommes que la nature a voulu distinguer elle-même, et faire ainsi servir à futilité publique les qualités dont il lui a plu de les orner. ( Applaudissements .) « Vous reconnaîtrez encore avec gratitude, Messieurs, ce que l’Assemblée nationale a fait pour améliorer votre situation. « Forcée par les besoins urgents de l’Etat de commander à des classes nombreuses des sacrifices pénibles, il semble qu’elle se soulageait de tant de rigueurs, en ordonnant de votre sort; la paye des soldats, les appointements des officiers ont été augmentés, et des retraites honorables ont été assuréesà tous. Mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet; je serais fâché, je vous l’avoue, de vous trouver "trop sensibles aux avantages que je viens de mettre sous vos yeux. La profession des armes n’est celle de l’homme fort, que parce qu’elle exige non seulement le sacrifice de la vie, mais encore parce qu’elle condamne à de longs travaux, à des privations de toute espèce. Eh! sans cela, qui ne voudrait donc inscrire son nom parmi les défenseurs de la patrie, et jouir de ia considération que l’opinion publique attache partout à ce titre? « Au reste, il est encore d’autres vertus nécessaires au militaire, et sans lesquelles on n’en mérite point le nom. « L’expérience de tous les pays et de tous les temps a prouvé que la discipline et la subordination peuvent seules rendre les armées capables d’agir et de remplir le véritable objet de leur destination. Des troupes indisciplinées sont au dehors l’objet du mépris de l’ennemi, au dedans elles sont l’effroi du citoyen; leur valeur, leur audace, dirigées par le vrai patriotisme, sont la sûreté, la gloire des Empires; égarées par la licence, elles en causent bientôt la désolation et la ruine. « Assurément, Messieurs, votre choix ne sera pas douteux, vous ne souffrirez pas que l’époque de la liberté de la France soit celle nu déclin de ses armes: vous voudrez au contraire qu’on les voie briller désormais d’un nouvel éclat; vous voudrez continuer d’être craints de nos ennemis, et chéris de vos concitoyens; mus permettez-moi une observation importante. La France a des voisins jaloux depuis longtemps de sa prospérité : ces puissances rivales ont des troupes belliqueuses, bien disciplinées, parfaitement instruites dans toutes les parties de l’art militaire. Songez que, pour les combattre, il faut nous donner les mêmes avantages : c’est à tort que l’on croirait que la valeur peut suppléer à tout; l’nistoire dépose contre ce système; et sans consulter ses fastes, suivons les événements de la présente guerre entre fis Ruses et les Turcs : n’y voit-ou pas la science militaire des premiers triompher constamment de la valeur des autres, à qui cette même valeur semble ne servir qu’à les précipiter comme des victimes sans défense sous le glaive de leurs ennemis? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1791.] 750 « Or, Messieurs, vous n’ignorez pas que les événements qui ont eu lieu depuis 2 ans, ont suspendu dans l’armée les exercices, les instructions de tout genre; hâtons-nuus donc de les reprend! e, bâtons-nous de nous remettre au niveau de nos belliqueux voisins : l'activité et l’intelligence dont la nature a doué les Français, vous feront acquérir en peu de temps ce qu’un travail long et pénible apprend lentement aüx peuples qui nous environnent. « Cependant je veux vous découvrir un piège dans lequel vous pourriez vous laisser entraîner. Des hommes peu sensés ou mal intentionnés vous diront peut-être que cette subordination exacte, cette discipline sévère, que je recommande, ne s’accordent point avec la liberté, qui est désormais l’apanage de tous les Français; mais prenez garde, Messieurs, de vous laisser égarer par de coupables suggestions, et considérez les choses sous dur véritable point de vue. « La liberté consiste à n’obéir qu’aux lois : il en est de générales qui prescrivent indistinctement à tous les citoyens les mêmes devoirs: il en est de particulières à chaque profession. Or, la loi fondamentale de l’état militaire est que dans les fonctions qui lui sont propres, chacun renonce à sa volonté. La seule raison vous découvre que pour qu’une armée soit capable de la plus simple opération, il faut qu’un seul homme la dirige, qu’un seul commande et que le reste obéisse. Aussi regardez autour de vous, vous verrez que le militaire le plus judicieux, le plus vertueux, est toujours le plus subordonné. «Bien loindoneque votre profession admette une sorte d’esprit d’indépendance, rien ne lui est plus essentiellement opposé. S’il est un spectacle qui fasse vraiment honneur à la raison humaine, qui montre les progrès de la société, c’est de voir le guerrier intrépide dans les combats, devenu docile, obéissant à la loi de son pays, et n’agissant plus que par elle. «Au reste, Messieurs, vous n’avez pas lieu d’être incertains sur vos droits non plus que sur vos devoirs; les uns elles autres sont tracés dans les décrets de FAssembléenationale, etvous pouvez, sans crainte, y chercher, dans tous les cas, la règle immuable de votre conduite. Cette Assemblée qui a créé la liberté pour la France, ne se sera pas saris doute écartée de ses principes dans la combinaison des lois qu’elle a données au militaire : soyez donc persuadés que si ces lois vous imposent quelque gêne, c’est qu’elle est nécessaire, indispensable, et qu’elle tient à l’essence rie votre profession. Vous ne devez pas avuir moins de confiance dans la manière dont l’exécution de ces mêmes lois sera ordonnée et dirigée par le chef suprême de l’armée. Rappelez-vous, Messieurs, les inclinations que notre roi a toujours montrées ; rappelez-vous qu’il a débuté s.m la grande scène du monde par mériter dans un autre hémisphère le nom de restaurateur des droits des hommes , et que bientôt après il l’a obtenu parmi nous ( Applaudisssments .) ; eût-il acquis ce titre glorieux, si son cœur n’eût aimé vraiment la liberté? Soyez donc bien sûrs qu’il n’exigera rien de vous, qui ne soit conforme à la loi ; mais attendez-vous aussi qu’il déploiera toute l’énergie du pouvoir qui lui est confié pour assurer l’exécution de ce qu’elle prescrit véritablement : ainsi l’exige le bien public, le maintien de cette même liberté, votre gloire, et celle de la nation entière. « Quant à moi, Messieurs, si j’ai l’honneur d’être, près de l’armée, l’interprète des volontés de son chef suprême, c’est que j’ai cru être sur que les ordres que j’aurais à en recevoir et à vous transmettre ne seraient, dans aucun cas, en opposition avec mon attachement aux vrais principes de la Constitution. C’est vous dire, et j’ose en prendre l’engagement solennel devant la nation, que je ne contribuerai jamais à l’exécution de lien qui puisse leur porter atteinte.» ( Applaudissements réitérés.) M. de Montlosicr. Je demande l’impression de ce sermon. M. d’André. Nous demandons l'impression de cette lettre par ordre de l’Assemblée nationale. (L’Assemblée décrète l’impression de la lettre et son insertion au procès-verbal.) M. le Président lève la séance à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE N0A1LLES-Séance du mercredi 9 mars 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance de lundi au soir, qui est adopté. Un de MM. les secrétaires donne lecture des adresses suivantes : Adresse des employés aux entrées de Paris , qui s’empressent, après leur suppression, de prêter le serment civique entre les mains de 1 Assemblée nationale. Adresse des officiers municipaux de Marquise, district de Boulogne, qui annoncent que leur curé a prêté le serment, à la grande satisfaction de tous ses paroissiens. Lettre du directoire du département de la Haute-Garonne, qui annonce que le corps électoral de ce département s’étant assemblé pour procéder au remplacement du siège métropolitain, vacant par la démission de M. Fontange, M. le cardinal de Brienne a été nommé, à la pluralité absolue des voix, évêque metropolitaiu du Sud. Lettre du procureur général syndic du département de la Vendée, qui fait savoir que les électeurs de ce département ont élevé à la dignité d’evêque M. Jean Servant, prêtre de l'Oratoire, de la maison deSaumur. Adresse du directoire du département de l'Aude , portant que l’Assemblée électorale a nommé, puur évêque du département, M. Besaucelte, doyen du ci-devant chapitre de la cité de Carcassonne, distingué par les mœurs les plus pures et par son patriotisme. Procès-verbal du conseil général de la commune de Vannes, qui constate que l’arrivée des commissaires du roi dans cette ville pour rétablir la tranquillité que le fanatisme avait malheureusement troublée, a été un signe de joie et de con-(1) Cette scance est incomplète au Moniteur.