720 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 septembre 1790.] recevoir le payement des droits en assignats. Pour remédier à de pareils abus, le comité vous propose le décret suivant : « Les percepteurs et collecteurs de deniers publics, qui seront convaincus d’en avoir retardé la perception, 3oit par leur refus, soit par leur négligence, seront poursuivis par-devant les tribunaux; l’Assemblée nationale charge les procureur généraux syndics des départements, et les procureurs syndics des districts, invite tous les bons citoyens à rechercher et à dénoncer tous ceux desdits percepteurs et collecteurs coupables de ces délits. » M. d’Estonrmel. Je demande qu’on nomme précisément les aides dans le décret. Un curé de Picardie s’est élevé en chaire contre ces droits, au point que trois commis qui étaient dans l’église ont été obligés de se sauver. M. Gibert, curé de Noyon. J’ai écrit dans la ville dont je suis curé qu’il fallait forcer à payer ces droits, et pour cela on m’a menacé de la fatale lanterne. Je fais cette observation pour qu’on ne dise pas que tous les curés prêchent l'insurrection. M. Merlin. Ceux dont le devoir est de percevoir les impôts et qui ne le font pas sont bien coupables. Je demande qu’ils soient poursuivis eux et ceux qui refusent de payer, par-devant les juges ordinaires et que les procureurs syndics de département et de district soient chargés et tous les bons citoyens invités à les dénoncer. L’Assemblée termine cette discussion en adoptant le décret qui suit: « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de son comité des finances, persuadée de la nécessité d’établir le même ordre et la même surveillance pour la perception des droits et impositions indirectes qu’elle a prescrits pour le recouvrement des impôts directs par son décret du 13 juillet, sanctionné par le roi, a décrété ce qui suit : « 1° Les officiers municipaux mettront au rang de leurs devoirs les plus essentiels au maintien de l’ordre public, celui de veiller à ce que les droits, dont la perception a été ordonnée ou prorogée par l’Assemblée nationale, soient payés avec la plus grande exactitude, ou perçus avec la même sûreté; « 2° Ceux des contribuables qui seraient maintenant en retard d’acquitter quelques-uns desdits droits, seront tenus de les payer dans la quinzaine, à compter du jour de la publication du présent décret ; faute de quoi, les percepteurs desdits droits seront tenus, à peine d’en répondre en leur propre et privé nom, de former l’état des contribuables en retard, celui des sommes par eux dues, et de le remettre dans un pareil délai de quinzaine, certifié d’eux au directoire de leur district ,• « 3° Chaque directoire de district enverra copie de cet état au directoire de département, afin que celui-ci puisse prescrire sans délai les mesures nécessaires pour remédier à la négligence ou à la mauvaise volonté, soit des percepteurs, soit des redevables; « 4° Les directoires des districts constateront pareillement l’état de situation des différents percepteurs de leur district, Yis-à-vis de leurs commettants, et rendront compte aux directoires de département du résultat de leur vérification, pour que ceux-ci puissent en informer dans le cours du mois prochain, au plus tard, le sieur contrôleur général des finances, et celui-ci, en faire part à l'Assemblée nationale; « 5° Les directoires de district se feront remettre à l’avenir, à la fin de chaque mois, l’état certifié par les différents percepteurs du recouvrement par eux fait, des sommes à recouvrer des redevables en retard, et l’enverront, dans les premiers jours du mois suivant, au directoire de département, avec leurs observations sur les causes qui ont pu influer sur leur retard, le progrès ou l’amélioration de la perception des droits; « 6° Les directoires de département feront former un état général qui sera le résultat de ces états particuliers, et l’enverront, avant le 15 de chaque mois* ainsi que l’état général du recouvrement des impositions directes et de la contribution patriotique, conformément au susdit décret du 13 juillet, au sieur contrôleur général des finances, certifié d’eux, pour que celui-ci puisse faire connaître pareillement, avant le 30 de chaque mois, à l’Assemblée nationale et aux législatures suivantes, le montant des payements faits dans chaque département, tant sur les impositions indirectes, que sur les différents droits et impositions directes, celui des sommes dues dans chaque département, les causes qui ont pu influer sur le retard dans le recouvrement des impositions directes ou dans la perception des droits, et les mesures par lui proposées dans ce cas au roi, pour le prévenir dans la suite, ou le faire cesser. » M. Merlin. Je renouvelle mon amendement et je propose d’ajouter au décret que vous venez de rendre une disposition ainsi conçue : « Charge les procureurs généraux syndics des départements, les procureurs-syndics des districts, et invite les bons citoyens de dénoncer auxdits tribunaux les diverses manoeuvres qui ont été ou qui pourraient ci-après être employées pour arrêter ladite perception ». (Cet amendement est renvoyé au comité des finances.) M. le Président. Le comité des finances demande à vous présenter un rapport sur la circulation des assignats et sur leur acceptation par les receveurs des impositions directes et indirectes. M. de Montesquiou, rapporteur (1). Messieurs, le comité des finances a reçu hier les ordres de l’Assemblée pour lui présenter un projet de décret relatif à la circulation des assignats. Il est certain que, depuis leur émission, le gouvernement a témoigné, sur la rareté du numéraire, des craintes qui n’étaient propres qu’à l’augmenter et que les moyens qu’il a pris pour se procurer des espèces, au lieu d’assignats, devaient produire et ont produit un effet absolument contraire à ses vues. C’est cette crainte qui a sollicité à plusieurs reprises un décret que votre sagesse a constamment refusé. C'est en désespérant d’obtenir ce décret et pour y suppléer que, par voie d’administration, on a voulu qu’il fût reçu le moins d’assignats possible dans les recettes d’impôts directs et d’impôts indirects. La rigueur de votre décret du 17 avril, qui ordonne au débiteur de fournir l’appoint, a été exagérée dans l’exécution. On n’a voulu permettre nulle part la réunion de (1) Ce rapport n’a pas été inséré au Moniteur. 721 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 septembre 1790.] plusieurs contribuables pour former une somme égale à un assignat. On a fait des difficultés pour rendre les intérêts. Lorsqu’un homme devait 100 livres, ou refusait de recevoir un assignat de 300 livres et d’en rendre un de 200 livres. L’abus, dans quelques endroits, a même été plus loin. Alors le peuple a vu ayec effroi une monnaie, dont ne voulait pas le gouvernement de qui il la tenait. Il l’a bientôt regardée comme un piège qui lui était tendu; et lorsque les malveillants ont voulu lui persuader que cette monnaie était sans valeur, que l’on cherchait à lui enlever jusqu’à son dernier sou, et qu’il fallait garder son argent et refuser les assignats, il a été facile de l’induire en erreur; mais il est clair que c’est la faute du gouvernement qui, par sa conduite, fournissait le prétexte dont on s’est servi pour égarer le peuple. C’est ainsi, Messieurs, que nous avons vu se décréditer la principale et presque unique ressource de l’Etat et que, par l’effet de précautions indiscrètes et impolitiques, on a augmenté le resserrement des espèces et fait une cause d’engor-ement de ce qui devait favoriser la circulation. e moyen de réparer le mal est donc de-suivre une marche absolument opposée et de déclarer, avec la plus grande solennité, que l’Assemblée nationale ayant donné le caractère légal de monnaie à des assignats représentatifs d’un territoire national, qui est dévolu aux porteurs d’assignats, elle n’entend ni dans ses recettes, ni dans les dépenses du Trésor public, mettre aucune différence entre les assignats et le numéraire effectif. C’est en conséquence de ces principes que le comité des finances a l’honneur de vous proposer un projet de décret en quatre articles que voici : « L’Assemblée nationale, considérant que les assignats-monnaie qu’elle a décrétés les 16 et 17 avril, avec hypothèque et gage spécial sur les domaines nationaux, sont véritablement une monnaie de l’Etat, ainsi que toutes les autres monnaies ayant cours ; et que c’est par un -abus très répréhensible, et en opposition à ses décrets, que lesdits assignats et promesses d’assignats ont été refusés par différents receveurs et collecteurs des deniers publics, ou distingués d’avec les espèces sonnantes dans quelques jugements, décrète ce qui suit : € Art. 1er. Aucun receveur et collecteur de deniers publics ne pourra, sous aucun prétexte, refuser les assignats-monnaie, ni les promesses d’assignats dans le payement des impositions directes : ils seront reçus de même au pair, avec les intérêts échus et comme l’argent dans les débits et payements des droits des impôts indirects. « Art. 2. 11 sera libre aux contribuables de se réunir entre eux pour acquitter plusieurs cotes d’impositions avec un seul ou plusieurs assignats ou promesses d’assignats, montant à la valeur de leurs cotes réunies. « Art 3. Toutes les fois qu’un payement pourra être facilité par l’échange d’assignats ou promesses d’assignats de sommedifférente, les receveurs et contrôleurs seront tenus de se prêter à un échange, et de ne faire aucune différence entre les assignats ou promesses d’assignats et le numéraire effectif. « Art 4. En exécution du décret des 16 et 17 avril dernier, toutes sommes stipulées par acte payables en espèces pourront être payées en assignats ou promeses d’assignats, nonobstant toutes clauses et dispositions à ce contraires. » M. de Montesquieu. Je vais actuellement 1" SERIE. T. XVIII. vous proposer, en mon propre nom, les article-additionnels que je n’ai pas eu le temps de prés senter au comité. « Art. 5. 11 est expressément défendu à tout percepteur et collecteur de deniers publics de faire aucun échange à l’argent de leurs caisses autrement qu’au pair et sans aucun bénéfice ; et lesdits percepteurs, lorsqu’ils seront accusés de contravention au présent décret, seront poursuivis devant les juges ordinaires, et condamnés à une amende proportionnée au délit, et à la destitution de leur emploi. « L’article suivant me paraît indispensable et fondé sur les principes les plus vrais ; l’argent est une denrée de première nécessité, comme le blé. Le prix du blé ne diminue que par la concurrence des vendeurs. Quand le commerce du blé était dangereux, le blé était rare et cher : il en est de même de l’argent pour l’échange des assignats. Un préjugé a rendu le commerce de l’argent dangereux; il faut éclairer le peuple par un décret et ne pas attendre que le mal soit plus grand. C’est donc pour assurer la liberté du commerce de l’argent, y appeler ainsi les négociants honnêtes et ouvrir la concurrence, que je propose un article conçu en ces termes : « Art. 6. Le commerce de l’argent sera libre comme celui du blé, et de toutes les denrées, et dans toutes les places de commerce. Il se fera publiquement et ouvertement à la bourse, sous l’inspection des officiers publics chargés de prévenir la fraude. En conséquence, le prix de l’argent ne sera jamais taxé, mais coté chaque jour, ainsi que tous les autres prix de deniers ou effets dont le commerce n’est pas prohibé. » M. Charles de Laimdli. Si le ministère nous avait dénoncé toutes ces manœuvres, les affaires seraient actuellement en bon ordre. Le pouvoir exécutif n’est faible que parce qu’il ne peut pas prendre des forces. Il semble que la Providence ait seule pris soin de nous conduire. Il faut renvoyer au comité des recherches ces délits qui devraient être poursuivis par le pouvoir exécutif, mais qu’il faut bien que nous poursuivions, puisqu’il ne le veut pas; cela n’empêchera pas qu’on ne vienne nous dire que nous empiétons sur le pouvoir exécutif. (Les articles 1, 2 et 3, sont adoptés sans discussion.) M. l’abbé Maury monte à la tribune. On demande à aller aux voix. M. d’Harambure réclame l’ajournement de l’article 4. M. Charles de Cameth. Il est impossible qu’on mette l’ajournement en délibération. Cette observation est fortement appuyée. L’ajournement est vivement demandé. M. Duval, ci-devant d’Eprémesnil. Pourquoi envier au peuple le spectacle d’un petit nombre d’hommes courageux et vertueux, et je mets M. l’abbé Maury à leur tête, qui, à quelque prix que ce soit, sont résolus à disputer pied à pied le terrain de la vérité, de la liberté, de la fortune publique? Je parle au nom de M. l’abbé Maury et de tous ceux qui l’admirent; nous voulons disputer pied à pied le terrain dont on veut nous chasser, et nous serons heureux si nous parvenons à retarder d’un seul jour le désastre affreux que va éprouver la chose publique. On verra des gens perdus de dettes payer d’honnêtes citoyens 46