[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 270 L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des comités de Constitution , de marine , d’ agriculture et de commerce et des colonies sur les colonies (1). M. Rewbell. Messieurs, l’Assemblée nationale n’aura pas oublié qu’un de ses membres qui a eu Je plus d’aversion contre le décret du 15 mai, a invoqué sur ceux qui en étaient les partisans, la plus terrible des responsabilités. Je pense que nous ne devons pas la détourner de dessus nous, mais qu’il doit y avoir une réciprocité parfaite. Cette responsabilité, qu’il invoquait sur nous, tenait aux craintes que l’on concevait sur l’exécution du décret, qu’il ne s’agissait pas moins que de perdre les colonies, et avec les colonies de perdre la France ; mais ce sont précisément les mêmes raisons qui me déterminent à la motion que je vais faire. En voyant la coalition monstrueuse qui existe entre les personnes qui ont bien mérité de la patrie avec d’autres personnes qui se sont toujours montrées les adversaires de la Révolution, et qui se sont déclarées récemment les ennemis de la Constitution, qui ont toujours tenté tous les moyens d’avilir l’Assemblée nationale; en voyant dis-je, cette coalition, dans ma conscience intime, il m’est impossible de penser que ces derniers êtres proposent un décret qui puisse être conforme à l’intérêt national. ( Applaudissements .) M. Boutteville-Dumet*. Je demande la parole sur ce que dit à présent M. Rewbell. Je demande que M. Rewbell... ( Murmures . — A l’ordre ! A l’ordre!) Je demande la permission d’interrompre l’opinant. M. Rewbell. Très certainement, je rendrai toujours justice à ceux qui, dans la Révolution, se sont toujours montres bons patiiotes, qui peuvent avoir une opinion contraire à la mienne; mais c’est précisément pour que l’événement décide qui a tort ou raison ; pour que la responsabilité ne repose que sur ceux qui peuvent avoir tort, soit qu’ils aient été égaré", soit qu’ils aient voulu s’égarer; pour que nous-mêmes, nous soyons exempts de cette responsabilité, pour que la France entière ne l’attache qu’à c< ux qui doivent la subir; c’est précisément pour cela que Fo i imprime le discours ou le rapport du comité des colonies, puisque c’est lui qui doit faire la base de la décision que nous devons prendre. M. Barnave. Le rapport n’a pas été écrit, mais il est relevé en entier dans le Logographe; si l’Assemblée veut en ordonner i’impr< ssion, il pourra être imprimé ce soir, car je l’ai vu ce matin dans le Logographe. M. Rewbell. Il faut qu’il soit avoué par le comité, et si le comité avoue le Logographe , je n’eu demande pas davantage. M. Barnave. Je ne garantis pas l’exactitude du Logographe , mais si l’Assemblée en ordonne l’impression, je reverrai le journal, et je corrigerai les fautes qui pourraient s’y être glissées. M. Rewbell. Je crois qu’il est essentiel deprocéder avec le plus grand ordre et avec la pRs grande méthode. Avant de sentir si la loi qu’on -- (1) Voir, ci-dessus, séance du 23 septembre 1791. propose est bonne ou mauvaise en soi, il faut nécessairement discuter des questions préliminaires; car, enfin, si vous n’avez pas le pouvoir de rendre cet e loi, de la rendre constitutionnellement, il faut commencer par le décider ou par décider le contraire. Je soutiens que la question que nous devons décida la première comme le pensait hier un honorable membre, est celle de savoir si nous sommes ou ne sommes pas Assemblée constituante. (Murmures.) Nous ne pouvons plus être Assemblée constituante pour ce qui peut regarder la Constitution française. Mais, dira-t-on : nous pouvons être Assemblée constituante pour tout ce qui peut regardi r la question des colonies. On pourrait peut-être répondre que nous ne pouvons pas faire d’articles constitutionnels relatifs aux colonies, qui ne soient en même temps constitutionnels < t relatifs au royaume. Car, on nous prop >se des décrets qui doivent régler les droits constitutionnels de la métropole sur les colonies. On a bien décrété que les colonies ne faisaient pas partie de notre Constitution, mais on a ajouté cependant le principe qu’elles devaient être partie du royaume. Or, je demande d’abord, comment, après avoir décrété constitutionnellement qu’aucune section du peuple ne pourra pas avoir la souveraineté, pouvez-vous décréter aussi constitutionnellement que les colonies pourront exercer la souveraineté, elles qui font partie de l’Empire, et c'est cependant ce qui résulte de l’article 3 qu’on vous propose. Messieurs, si vous décidiez que vous n’êtes pas Assemblée constituante, je ne crois pas que le comité voulût persister à vous proposer "on décret, parce qu’il sentirait bien que, d’ici à 15 jours, la même question pourrait bien s’agiter de nouveau. Prenez bien garde, Messieurs, au décret qu'on nou" propose. Ce décret a deux parties bien distinctes. Dans une de ce? parties on ne fait que répéter ce que vous avez déjà décrété. Dans l’autre de ces parties, on vous propose de décréter constitutionnellement l’inverse de ce que vous avez déjà décrété. Si l’inverse qu’on vous propose de décréter doit l’être constitutionnellement, la disposition contraire avait déà été décrétée aussi constitutionnellement. S’il ne s’ag t mededécréter législativement, vous êtes arrêtés par un décret de notre Constitution qui porte que toutes questions qui ont été agitées dans une session de l’Assemblée nationale ne peuvent y êt; e agitées de nouveau. Le règlement est expresse, et la première chose que vous serez obligés de faire, ce sera de révoquer ce règlement qui vous a servi de base dans vos décisions jusqu’à présent. Je me résume. J’ai fait une première motion tendant à l’impression et la distribution du rapport sur les colonies avant notre séparation. Jecrois que celle-ci ne peut pas être disputée. Là seconde motion que je fais, c’est que l’on commence par discuter cette première question; l’Assemblée nationale est-elle encore constituante? Quand on aura décidé cette question, on aura décidé si l’Assemblée actuelle peut où ne peut pas révoquer le décret du 15 mars. Ce n’esi qu’alors que vous pourrez discuter à fond sur l’utilité ou l’inutilité, le bon ou le mauvais de la nouvelle loi qu’on vous propose; mais, auparavant, il faut encore le constater, parce que, si vous ne le constatez pas, vous ne pouvez pas rendre de lois. (Applaudissements.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791. J M. Blin. Je n’ai point d’objection absolue à faire contre la motion de M. Bewbe�l qui tend à demander l’impression du rapport fait hier, quoiqu’il me semble qu’il l’établit sur une raison qui ne sera pas déterminante; car, d’après lui, il semblerait que l’Assemblée devrait se déterminer sur le rapport qui lui a été fait hier, tandis que la discussion peut présenter à l’Assemblée des raisons peut-être plus déterminantes que celles qui se sont trouvées dans le rapport. Je passe à ses deux autres propositions. Il ne s’agit point ici de savoir si l’Assemblée actuelle est constituante ou ne l’est pas : il ne s’agit pas de savoir si, jusqu’à présent, l’Assemblée a üxé la question d’une manière exacte. L’Assemblée a-t-elle le pouvoir de statuer définitivement quels doivent être les rapports entre les colonies et la métropole ? Voilà la question qu’il s’agit de décider maintenant dans cette Assemblée. Eh! cette question ne peut pas être laissée indécise, parce que, comme vous l’a fort bien dit M. Le Chapelier, hier, l’Assemblée suivante n’aurait pas fixé les bornes de ses rapports avec les assemblées coloniales. Or, puisque vous avez été chargés de faire toutes les distributions des pouvoirs, de les renfermer chacun dans leur cercle, il est évident que c’est à l’Assemblée actuelle à déterminer, d’une manière invariable, quels sont enfin les rapports des colonies avec la métropole, et sur quelle règle on statuera par rapport aux colonies. J’ajouterai une considération à cette raison-là, Messieurs, c’est que cet intérêt-là est un des plus intéressants que vous ayez à traiter. On vous a toujours présenté ici des questions qui ne sont pas celles qu’il faut voir. On vous a tenu un voile continuel sur le véritable intérêt de la question, qui est celui de tous les journaliers de France, de tous les hommes qui n’ont d’autres moyens d’exister que par le travail de leurs mains et à qui il faut un salaire. {Applaudissements.) On vous a toujours dérobé cet oojet-là, et c’est principalement celui qui doit vous occuper, j’espère que j’aurai l’honneur de vous prouver cette assertion, quand mon rang sera venu, pour parler sur la question. Je demande donc que l’Assemblée, ayant décrété hier, par appel nominal, que la question ne serait pas ajournée, mais qu’elle serait décidée, rejette les propositions de M. Rewbell, qui ne sont que des crochets donnés à l’Assemblée pour arrêter sa délibération, et que l’on passe tout de suite à la discussion. MM. Mougins de Roquefort et Lavie. Nous demandons que la discussion soit fermée sur cet incident. Voix diverses : La discussion fermée ! — L’ordre du jourl M. Salles. L’ordre du jour est de savoir ce que l’Assemblée doit faire. La question d’ordre de M. Rewbell est évidemment la première à éclaircir et à décider : l’Assemblée actuelle est-elle encore constituante? {Murmures.) M. Le Chapelier. Je demande que monsieur soit rappelé à l’ordre comme parlant contre le décret rendu hier qui a écarté cette question en rejetant l’ajournement’. {Murmures et applaudissements.) M. La vie. C'est la mauvaise foi la plus insigne. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! La discussion fermée ! M. Bontteville-Bumetz. Je demande qu’on laisse parler M. Salles; je me charge de le réfuter. {Bruyantes interruptions.) Voix nombreuses : L’ordre du jour! l’ordre du jour ! M. Salles. Je parle contre M. Rewbell; monsieur le Président, rappelez l’état de la délibération. M. le Président. Tant que les deux partis se choqueront tumultueusement, il n y aura pas de délibération. L’Assemblée veut-elle que la cjis-cussion soit fermée sur la motion d’ordre? A l'extrême gauche : Non ! non I M. Goupillean. J’observe, monsieur le Président, que plusieurs membres de cette Assemblée ne peuvent pas votèr sur Ce décret parce que la question de savoir si nous sommes encore Assemblée constituante ou non, n’a pas été discutée avec l’étendue qu’elle devait avoir. (Murmures.) La, décision du décret que rAêsëmbfëe doit rendre dans cette affairé dépend absolument de la question de savoir si nous avons ou si nous n’avons pas le droit de rendre des décrets constitutionnels. Or, pour savoir si nous en avons le droit, il faut donc nécessairement discuter cette question. M. Briois-Beaumetz. Vous venez de perdre plus d’une heure et demie sur une question déjà jugée ; car la motion de M. Rewbell ne tend qu’à reproduire, sous d’autres forur s, l’ajournement que nous avons déjà rejeté. (Applaudissements). Je crois qu'il est impossible de répondre à cela. Messieurs, ou l’Assemblée nationale agira comme Assemblée constituant*, ou comme simple législature; si c’est comme Assemblée constituante, à nulle autre qu’à elle n’appartient le droit de décider la question qui est agitée aujourd’hui. Si c’est comme législature, elle aurait encore autant de droit qu’aucune législature, et il faudrait décider cette question , car elle a rejeté l’ajournement. Il me paraît donc, dans les deux suppositions, que l’A-semblée doit s’occuper de la question présente. (Murmures à l’extrême gauche ) M. Goupilleau. Je suis d’accord avec M. Briois-Beaumetz, et je ne demande pas l’ajournement. M. Briois-Beaumetz vous dit que vous avez lé droit de prononcer, ou comme Assemblée constituante, ou comme Corps législatif; je dis qu’il est intéressant de discuter cette question de savoir; si le décret présenté sera un décret du Corps constituant ou du Corps législatif. M. d’André. Il est bien évident que les préopinants ne veulent pas entrer dans la discussion du fond ; car dans la question d’ordre qu’a fait M. Rewbell, il est certain que ce serait un véritable ajournement. Si nous décidions, en effet, que nous ne sommes pas Corps constituant, on nous dirait alors que nous ne pouvons pas revenir sur un décret d’un tel jour, et que par conséquent il faut renvoyer à la prochaine législature. Ainsi dans ce sens-là c’est un véritable ajournement. De quoi donc peut-il être question à présent ? Il ne s’agit pas de savoir si nous sommes encore 272 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1191. Corps constituant pour la France ; la chose est décidée, et personne ne le révoque en doute. I! faut seulement examine! la question pour savoir si nous rendons un démet sur les colonies, oui ou non. Je demande, Monsieur le Président, qu>', afin d’éviter cette entrave qui n’avancerait point du tout notre travail, qui nous ferait perdre plusieurs séances du matin, l’on traite dans ce moment-ci le fond, et que si le proj t du comité a la priorité, alors on examine si le mot constitutionnellement doit être conservé ou non. Si les personnes qui font la motion d’ordre ont la priorité, alors nous allons examiner l’amendement du mot constitutionnellement, car cela ne devient plus qu’un amendement. (L’Assemblée ferme la discussion sur la motion incidente de M. Rewbell ; elle ordonne l’im-pressiun du rapport de M. Barnave et décrète la continuation de la discussion du projet de décret des comités.) M. Dupont (de Nemours). Je demande à proposer un amendement... (Murmures.) Plusieurs membres : La question préalable ! M. Dupont (de Nemours). Je propose une manière d’abréger la discussion : M. d’André a dit une chose très raisonnable... (Murmures.) M. Dewbel. Le parti de l’Assemblée est pris : je demande que l’on adopte le projet de décret sans discussion. M. le Président. Plusieurs membres proposent de faire paraître en parallèle du projet des comités d’autres projets,; l’Assemblée veut-elle les entendre ? Voix nombreuses : Non ! non 1 M. Pétion. Je demande la parole pour un fait extrêmement important, et que l’Assemblée doit connaître avant la discussion. Ce que l’Assemblée ignore peut-être, c’est que trois des quatre articles qu’on lui propose de décréter se trouvent dans le projet de décret que vous avez envoyé, à titre d’instruction, aux colonies, et sur lesquels vous avez consulté les colonies pour avoir leur vœu ; et dans le moment actuel, sans avoir consulté les colonies, sans connaître leur vœu, on vous propose de décréter constitutionnellement ces mêmes articles. Ainsi, lorsque vous dites aux colonies : Proposez-nous vos mémoires, vos instructions, vos vues, vous décrétez irrévocablement et consiitutionnellementles objets mêmes sur lesquels vous les consultez. C’est ainsi que ceux qui nous accusent de manquer aux engagements contractés par l’Assemblée nationale envers les colonies, donnent l’exemple d’un manque de foi bien autrement condamnable, et sur des objets bien autrement importants. Lorsque l’Assemblée décréta ces projets d'instruction; elle r-avait bien que, lorsque le vœu des colonies parviendrait, elle ne tiendrait plus ses séances; elle voulut donc que ce fût à la prochaine législature à prononcer définitivement ; mais l’on veut vous faire prononcer aujourd’hui, parce l’on croit avoir une majorité dans l’Assemblée. Si l’on me laissait parler sur le fond, je pourrais prouver jusqu’à l’évidence que le projet de décret qu’on propose est une absurdité. (Les tribunes applaudissent), qu’il perdra les colonies et qu’il est la preuve de la complète ignorance de ceux qui l’ont fait. Je demande que l’Assemblée ait à s’expliquer formellement sur ce point; savoir, si elle entend revenir sur les trois articles sur lesquels elle a consulté les colonies, afin qu’elle déclare nettement que, dans l’affaire des colonies, elle ne tiendra à aucune espèce de décrets, et qu’elle vacillera tant qu’on lui présentera de nouveaux projets. (Applaudissements.) M. I�avle. La journée va se perdre en incidents. Si l’instruction n’est pas envoyée dans les colonies, tout ce qu’a dit M. Pétion tombe. M. Roussillon. Messieurs, quelque grande que soit la défaveur qu’on a cherché à jeter sur les commerçants, je n’en aurai pas moins le courage de dire mon opinion sur la question importante qui vous occupe dans ce moment; l’intérêt de la patrie l’exige, et mon serment de la servir avec fidelité m’en fait un devoir. Vos décrets des 8, 28 mars et 12 octobre 1790 avaient rétabli l’ordre et le calme dans vos colonies; on y attendait avec impatience vos instructions, pour y former les assemblées provinciales en exécution de vos décrets, lorsque la connaissance de celui du 15 mai dernier, quoique non officielle, y a répandu l’alarme et porté la désolation dans toutes ses parties. Ce seul cri s’v est fait entendre : Nos vies et nos propriétés sont compromises par ce décret, et ce cri a été celui du ralliement de tous les partis ; les lettres officielles de M. de Blanchelande, l’adresse de l’assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue, et plusieurs lettres particulières écrites des colonies, ne vous annoncent malheureusement que trop, que cette réunion des partis n’a pour but qu'une grande réunion de forces, pour veiller à la conservation des personnes et des propriétés, et pour repousser l’exécution de votre décret, comme contraire à votre promesse solennelle de laisser jouir les assemblées coloniales de l’initiative accordée par votre décret du 12 octobre dernier. Ces dispositions ont porté la terreur et le découragement dans ioutes les villes de commerce, principalement à Bordeaux, la Rochelle, le Havre, Rouen et Marseille. Les négociants de ces villes, justement alarmés, vousontadressé leurs doléances, et leurs pétitions ont été considérées et présentées par quelques honorables membres, comme dictées par l’orgueil, dirigées par l’avarice, et soutenues par la violence ; entre autres, M. Grégoire vous a dit, que les représentations du commerce ne doiventpasêtre prises en considération, parce qu’il serait juge et partie dans cette cause. J’aurai l’honneur de lui répondre que la question étant soumise à la décision de l’Assemblée national1, le commerce ne peutêtre considéré comme juge; et c’est une bien nouvelle manière de voir les choses, que de trouver des juges dans dessuppliants qui craignent pour leur existence. 11 est vrai que les armateurs, les fabricants, les négociants qui ont signé ces pétitions ont un intérêt direct et particulier à ce que le décret du 15 mai soit rétracté ou modifié; mais ce n’est pas une raison pour faire rejeter leurs pétitions : je rappellerai que les évêques constitutionnels et les autres ecclésiastiques intéressés ont seuls réclamé contre l’omission, faite par MM. les commissaires réviseurs, depailer dans la Constitution du traitement des ecclésiastiques ;... (Murmures.) M. Gombert. C’est moi qui ai fait cette motion, et ce ne sont pas les ecclésiastiques. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 273 M. Roussillon ..... que cette réclamation, quoique dirigée par l’intérêt purement personnel, n’a été ni improuvée ni repoussée par l’Assemblée nationale. J’aurai l’honneur de lui représenter que, s’il est libre à l’homme qui souffre de se plaindre, il est du devoir de l’homme juste de l’écouter, à moins que M. Grégoire ne trouve que le sort de plusieurs millions d’hommes résidant en France ne doit point entrer en balance avec celui d’une poignée d’hommes qui résident en Amérique; et qu’il est bien plus beau, bien plus sublime, d’aller chercher les objets de sa pitié dans un autre hémisphère, que de s’affecter des malheurs qui sont sous nos yeux, surtout quand cela peut se faire sans aucun risque pour soi, et qu'au contraire les applaudissements de la multitude, qui est toujours au niveau de cette philosophie, sont le prix de ces grands efforts pour l’humanité. ( A pp laudissem ents . ) Oui, Messieurs, les pétitions des négociants ont été dictées par l’intérêt, et par l’intérêt le plus pressant, le plus grand, puisqu’il tient à celui de toute la France. Quant à ce qui les regarde personnellement, ils tremblent pour leurs propriétés, pour les sommes immenses qui leur sont dues; ils redoutent l’entier anéantissement de leur commerce, déjà ébranlé par les funestes variations du change; mais vos lumières, Messieurs, ne vous permettent pas d’ignorer les rapports qui lient la fortune publique à la leur, parcomtden de catastrophes serait marquée la destruction subite du commerce des principales villes maritimes de la France ; le contre-coup irait s’en propager dans toutes les autres villes et jusques au sein de nos campagnes, où l’industrie et l’agriculture, soudainement privées de leurs principes d’activité, tomberaient à l’instant dans la langueur. Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de jeter les yeux sur le relevé exact que j’ai fait de notre commerce avec les colonies, et que je vais avoir l’honneur de vous suumettre, pour mieux fixer votre attention et votre opinion sur une question de la décision de laquelle dépendent la prospérité ou la ruine du commerce national. Les exportations faites de France pour les îles d’Amérique ou la partie d’Afrique qui est une dépendance de ce commerce, montent, année moyenne prise de 1785 à 1789 inclusivement, à 88 millions. Cette somme de 88 millions se partage entre les citoyens français de la manière suivante ; !44 millions aux manufacturiers qui, sur cette valeur, font la part indirecte des cultivateurs vendeurs des matières brutes ; 22 millions aux agriculteurs directement ; 22 millions aux étrangers qui fournissent les produits agricoles et les marchandises fabriquées. Les retours de nos colonies en denrées de leur sol s’élèvent, année moyenne prise sur quatre, à 200 millions. Cette somme de 200 millions rembourse d’abord les avances de nos agriculteurs et de nos manufacturiers, elle paye les étrangers qui fournissent certains articles des marchandises, et elle donne aux propriétaires domiciliés en France, la rente de leurs propriétés territoriales en Amérique. Enfin, cette somme salarie la seule marine marchande que nous ayons bien florissante, et dans la proportion que nous verrons ci-après. Nos ventes directes aux nations étrangères sur 1™ Série. T. XXXI. la masse en denrées reçues annuellement de nos îles, se sont élevées, pour les 4 années de 1786 à 1789 inclusivement, à 592 millions : ce qui donne tour l’année moyenne un débouché habituel de 148 millions. Observons combien cette masse d’échanges avec l’étranger est précieuse dans un moment où tant de circonstances concourent à notre pénurie en matières d’or et d’argent. Si nous n’avions pas une semblable masse à livrer aux Européens, qui, abstraction faite de nos besoins extraordinaires en grains et autres subsistances, nous fournissent annuellement pour environ 300 millions de marchandises, il arriverait que la valeur de nos exportations en articles du soi et de l’industrie de la France, ne s’élevant pas à plus de 200 millions, l'ordre actuel des échanges, subitement anéanti, nous appauvrirait de plus en plus, taDt par un écoulement continuel de notre numéraire, que par la suppression des branches de travail qu’alimente le commerce des colonies. Le commerce de la France avec ses colonies occupe annuellement plus de 600 bâtiments, jaugeant au moins 200,000 tonneaux, qui sont employés à transporter les marchandises expédiées de France, et à rapporter les denrées d’Amérique. Voici comment j’évalue les bénéfices du fret : le prix du fret au départ de France est évalué au plus bas, et en temps de paix à 600 livres argent des îles, ou 40 livres argent de France par tonneau ; or, 200,000 tonneaux à 50 livres font un premier bénéfices de ...... 8,000,000 Le fret d’arrivée des îles en France, est au plus bas prix de 60 livres argent de France par tonneau, d’où il suit que 200,000 tonneaux de mer à 60 livres, forment un second bénéfice de ........ 12,000,000 Ce n’est pas tout ; le cabotage de port en port du royaume occupe environ un million de toaneaux français : le commerce d’Amérique emploie au moins la moitié de ce tonnage, ce qui fait 500,000 tonneaux qui au plus bas prix de 10 livres de fret par tonneau du poids de 2 , 000 livres donnent encore un bénéfice de .......... 5 , 000 , 000 Total: 25,000.000 Non seulement la scission de nos colonies anéantirait ce profit, mais ce malheur laisserait encore sans moyens de subsistance plus de 20,000 matelots, agents principaux de la force publique maritime. Nous serions aussi privés de tout espoir de fonder jamais un commerce direct dans le Nord, objet de nos vœux depuis des siècles. Nous pourrions de même renoncer à toute promulgation raisonnable d’un acte de navigation; car nous aurions perdu, dans la vente exclusive aux étrangers des denrées des îles, le moyen le plus fécond d’entretenir l’activité des transports maritimes, par le voiturage d’articles de commerce d’un très grand encombrement, genre d’industrie qui excite l’ambition des Hollandais, des Hambourgeois et de quelques autres 18 274 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791. peuples du Nord. Enfin, une dernière considération, c’est l’impossibilité dans laquelle se trouverait la France de payer une somme de contribution suffisante pour les frais de gouvernement et l’intérêt de la dette publique, après qu’on aura soustrait de la fortune de l’Etat 500 millions de valeurs qui circulent par le travail qu’occasionnent nos colonies ; et après qu’on aura dépouillé toutes les classes qui se meuvent dans cet immense laboratoire, des moyens de fournir annuellement leur tribut pour l’entretien du corps politique. Par le tableau que je viens de mettre sous vos yeux, et dont l’exactitude est justifiée par l’excellent ouvrage de M. Arnould, sur les relations commerciales extérieures de la France avec toutes les parties du globe, et par la balance de notre commerce avec l’étranger en 1789, qui vous a été présentée par M. Goudard, d’une manière si nette et si claire, qu’elle lui a mérité vos justes applaudissements; par ce tableau, je. crois avoir démontré que l’intérêt du négociant est si iniimement lié à celui de l’Etat, que ces intérêts sont indivisibles. Cette vérité incontestable doit vous faire encore mieux sentir, Messieurs, que plus on vous peint les commerçants avides de bénéfices, dirigés par le seul intérêt, plus vous devez être frappés de leurs pressantes réclamations. Tout le monde sait, et l’expérience nous l’a appris, que pour prospérer, il faut, au commerce, paix, liberté, sûreté et protection; que le trouble et la guerre le découragent et finissent par l’anéantir. En laissant aux assemblées coloniales la faculté de faire les lois concernant l’état des personnes non libres, et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, vous préviendrez les plus grands malheurs ; vous donnerez aux colons, déjà éclairés par les lumières que la Révolution a répandues, les moyens de se rapprocher des gens de couleur ; et en attendant que l’opinion amène, insensiblement et sans secousse, l’exécution de vos principes, vous maintiendrez l’harmonie et la paix si nécessaires dans tous les temps, et surtout dans notre position actuelle. Il ne suffit pas, Messieurs, d’être juste, il faut encore l’être avec prudence. La véritable justice ne dédaigne point les tempéraments ; elle sait attendre, si pour opérer avec fruit, elle a besoin du secours du temps; et elle croirait avoir manqué son but, si en faisant le bien, elle n’avait pas évité tout le mal qu’il était en son pouvoir Q’éearter. D’après ces considérations, je conclus à l’admission du projet de décret présenté par les comités réunis ; et vu son importance, et comme on vient de parler de responsabilité, et que les hommes de bonne foi ne la redoutent pas, je demande qu’on n’aille aux voix que par appel nominal, afin que la nation connaisse ceux qui sont attachés à la prospérité publique. (Applaudissements.) M. Robespierre. Lorsqu’on se présente à votre tribunal pour défendre celui de vos décrets qui, au jugement de la nation, a le plus honoré cette Assemblée, pour empêcher que dans un moment, et presque sans discussion, d’après des faits recueillis par des parties qui ne sont pas entièrement désintéressées dans cette affaire, d’après des déclarations plusieurs fors répétées et toujours repoussées par vous dans cette affaire, on élève contre ce système, conforme aux droits de la justice, de la raison, de l’intérêt national, un système nouveau, fondé sur des principes absolument différent ; alors le premier sentiment qu’on éprouve, c’est l’étonnement de discuter devant vous une pareille question; on est bien éloigné surtout de penser que cette question soit déjà préjugée avant d’avoir été discutée avec la profondeur qu’elle exige. Eh! fût-il vrai qu’on dût faire encore des efforts impuissants pour réclamer les droits de l’humanité, ce serait encore un devoir de les réclamer; c’est ce qui m’encouragera à vous parler encore, et de l’intérêt national qui paraît si méconnu par les sentiments de ceux que je combats, et même de justice et de philosophie. La première question que l’on doit se faire, ce me semble dans ce moment, c’est de demander, si pour attaquer les décrets que vous avez rendus, l’on vous présente des raisons qui n’aient été ni prévues ni discutées lorsque vous les avez portés. Or, je vois ici les mêmes moyens employés : d’une part, des maux infinis qu’on vous pronostique pour vous faire peur; de l’autre, des raisonnements qui ne pourraient souffrir le plus léger examen : raisonnements démentis à la fois et par les raisons et par les faits. Je commence par examiner en très peu de mots les raisonnements moraux et politiques, allégués par le rapporteur du comité colonial. Il vous a exposé sa théorie sur l’unique moyen, suivant lui, de conserver la tranquillité et la subordination des esclaves dans les colonies. Or, il nous a dit que cet ordre de choses tenait essentiellement et exclusivement à l’extrême distance que ces esclaves apercevaient entre les blancs et eux; que cette distance disparaîtrait à leurs yeux, si les hommes de couleur jouissaient des mêmes droits que les blancs. Voilà un raisonnement qui est absolument démenti par les faits et par les raisons d’analogie. Il ne faut pas perdre de vue qu’avant votre décret les hommes libres de couleur jouissaient des droits de citoyen, qu’ils ne jouissaient pas des droits politiques, parce qu’alors nul citoyen n’avait des droits politiques ; mais ils étaient dans la classe des b i an es sous le rapport des droits civils dont les citoyens jouissaient seuls alors; ainsi, alors, les esclaves voyaient des hommes de couleur à une distance infinie d’eux, et cette distance était celle de l’esclavage à la liberté, du néant à l’existence civile : or, je demande si ces nouveaux droits que vous avez accordés aux hommes libres de couleur mettraient entre eux et les autres une distance plus grande que ne mettait, entre eux et les esclaves, l’acquisition de la liberté et de l’existence civile? Or, si cette distance n’a rien diminué de la subordination des esclaves, s’il est faux que ces idées parviennent jusqu’à leur esprit, n’est-il pas évident que le raisonnement qu’on vous fait pour égarer votre justice est une pure illusion, et le résultat de l’imagination des partisans du projet que je combats ? On n’a pas manqué d’appuyer ce système extravagant d’un fait très extraordinaire : on vous a dit que la déclaration des droits que vous avez reconnus dans les hommes libres de couleur, avait excité une insurrection parmi les esclaves; on vous a cité la Groix des Bouqueis; j’affirme que ce fait est faux ( Murmures .), et j’atteste tout homme raisonnable qui voudra réfléchir et sur les faits et sur la nature même de la chose, que quelques lettres que l’on peut se faire écrire à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] son gré, n’auront jamais autant de poids sur les personnes raisonnables, que ce fait, connu de tout le monde, que dans les colonies nulle lettre, depuis l’origine des contestations que la Révolution a fait naître entre les blancs et les hommes libres de couleur, ne peut parvenir aux hommes de couleur sans avoir été décachetée; c’est un fait notoire, connu de tout le monde, et qui est beaucoup plus certain que les fables que l'on nous débite pour appuyer le système du comité. (. Applaudissements à l'extrême gauche. — Au centre : Ce n’est pas vrai!) On ne persuadera jamais à personne, je ne dis pas seulement que les décrets de l’Assemblée nationale, mais même les relations de ces décrets, avec les droits de citoyens, puissent donner dus idées assez nettes à des hommes abrutis par l’esclavage, qui ont très peu d’idées, ou qui n’ont que des idées absolument étrangères à celles d mt il s’agit en ce moment, pour les engager à rompre, tout à la fois, et leurs anciennes habitudes et leurs chaînes. Je dis qu’on ne persuadera à personne que des esclaves qui ne savent pas lire, qui sont entourés de toutes les précautions, de toutes les entraves dont leurs maîtres veulent les environner, puissent prendre, de vos décrets, la connaissance nécessaire à des hommes capables de réflexions, pour en tirer de pareilles conséquences et pour y conformer leur conduite. Je conclus de toutes ces raisons, que le fait est absolument faux. ( Murmures au centre ; applaudissements à l’extrême gauche.) M. Barnave, rapporteur. Je demande à répondre. M. Robespierre. On vous a donné deux raisons de théorie pour prouver que votre décret irait absolument bouleverser les colonies. On vous a dit que jamais les blancs ne pourraient s’y soumettre, pour deux raisons : la première, c’est que vous avez violé la promesse solennelle faite aux colons par un décret précédent. La seconde, que cette promesse une fois violée, les blancs ne pourraient jamais croire que vos principes ne vous entraîneraient pas à décréter un jour la liberté des esclaves. Eh bien I Messieurs, voici encore une assertion dont chaque membre de l’Assemblée peut apercevoir la fausseté. Les colons sont indignés, dit-on, de ce que vous avez violé la foi que vous leur avez donnée!... Mais quel homme de bonne foi peut soutenir ici que, par aucun de vos décrets, vous ayez pris avec les colons blancs l’engagement de dépouiller les hommes libres de couleur de la qualité de citoyen actif, que vous ayez promis de ne rien décréter à cet égard sans le consentement et l’initiative des colons blancs ? Qu’on me le cite ce décret : est-ce celui du 28 mars? Ehl c’est celui que j’invoque pour réclamer la foi qui avait été donnée à tous les membres de cette Assemblée. Oui, Messieurs; c’est ce jour que l’on manqua deux fois, et particulièrement à cette Assemblée et à ceux qui avaient voté conformément aux principes sur lesquels ce décret a été fondé. J’atteste la mémoire et la conscience de ceux qui m’écoutent, que, lorsqu’il fut question de ce décret qui accordait la proposition initiative aux habitants des colonies, sur l’état des personnes, jamais on n’expliqua, jamais on ne prétendit que par ces mots « personnes », la proposition n’était point donnée aux hommes libres de couleur, comme aux colons blancs, sans aucune distinction de couleur; en second 275 lieu, que ce mot « personnes »» renfermait les hommes libres de couleur. Je rappelle à l’Assemblée qu’alors, en effet, quelques personnes eurent des inquiétudes, non pas sur le fond de la chose, qui ne pouvait présenter aucune difficulté, mais sur les intentions de ceux qui auraient pu désirer favoriser les colons blancs aux dépens des hommes libres de couleur. Ils manifestèrent ces inquiétudes, et demandèrent que l’Assemblée déclarât que ces mots ne renfermaient point les esclaves; on répondit: Gela n’est point nécessaire ; il est bien entendu que les hommes libres de couleur n’y sont point compris. Et c’est sur la foi de cette explication, qui n’était pas même nécessaire, que tous les membres acquiescèrent au décret qui vous fut présenté par le même rapporteur qui vous présente celui-ci. M. Barnave, rapporteur. Ce fait est absolument faux. Plusieurs membres : G’est vrai ! c’est vrai I M. l’abbé Grégoire. Je demande la parole. Je ne conçois pas comment M. Barnave ose nier ce fait. Le 28 mars, ce fut moi qui demandai que nominativement les gens de couleur fussent dénommés dans ce décret. Il est de fait que M. Barnave me dit lui-même qu’il ne les en avait pas exclus ; et il est de fait qu’au mois de mai dernier, après bien des interpellations, M. Barnave a été obligé d’en faire l’aveu lui-même. M. Barnave, rapporteur. Quoique le fait dont il s’agit n’intéresse pas la délibération actuelle, attendu que c’est un fait purement particulier, et qui n’intéresse pas l’Assemblée, je dois dire ce qui est véritable, et ce pourquoi j’ai interrompu l’opinant. Il est deux circonstances qu’il tant absolument distinguer. Il est vrai que le 28 mars, sur l’interpellation de M. Grégoi e, qui me demanda si l’article excluait les hommes de couleur, je lui dis en particulier, comme je le dirais encore, que l’article n’entendait établir aucune espèce de préjugé pour ou contre... (Murmures.) Plusieurs membres : Non ! non ! aucune espèce d’exclusion ! M. Barnave, rapporteur. J’ai répondu, ainsi que M. l’abbé Grégoire vient lui même de le dire, et cela a été expliqué plusieurs fois dans l’Assemblée, que nous n’avions voulu rien préjuger. Eh! en effet, nous avions pris le mode de convocation de la Martinique ; nous avons laissé subsister les assemblées coloniales existantes; et il y en avait de formées dans toutes les colonies. En effet, nous n’avions envoyé ce mode de convocation, déclaré provisoire par notre décret, que dans le cas où les assemblées coloniales actuellement existantes, ne seraient pas maintenues. Par le même décret, nous avons dit que le mode de convocation, pris de celui de la Martinique, n’était que provisoire, et pour cette première fois, dans le cas où Rassemblée ne serait pas maintenue; et que, pour le définitif et pour l’avenir, ces mêmes assemblées feraient leurs propositions sur la totalité de la Constitution, et notamment sur les droits de citoyen actif et d’éligibilité. Il n’est donc pas possible de tirer aucune espèce d’argument de cet article. I Quant à l’interruption que j’ai faite à l’opinant, 276 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. c’est parce qu’il s’était mépris, et qu’à l’époque du 12 octobre qu’il a citée, où il a été dit dans un considérant, que l’Assemblée ne pouvait rien statuer sur l’état des personnes si ce n’est sur la demande formelle des colonies ; et là, il ne m’a été fait aucune interpellation, et par conséquent aucune réponse de ma part. M. Eucas. Je conclus au moins de là qu’on ne viole pas, comme on le prétend, le décret du 8 mars. M. Robespierre. Ce qui vient d’être dit prouve la vérité de ce que j’ai avancé ; car dès qu’une fois ces mots toute personne ne préjugent rien contre les hommes libres de couleur, il s’ensuit que vous n’avez fait aucune promesse aux colons blancs, relativement aux gens de couleur. G’est à tort, par con-équent, qu’on vous objecte la prétendue foi donnée aux co ons blancs, comme une raison de leur sacrilier les droits des hommes de couleur libres, et comme un motif qui peut les exciter à la révolte contre vos décrets; et si j’avais besoin de restituer dans toute son intégrité le fait que j’avais posé, je vous rappellerais un autre fait certain qui vous a été rappelé par M. Tracy, savoir : qu’à l’époque de ces décrets, toutes les prétentions que les colons blancs annonçaient n’étaient que celle de garantir leurs propriétés de la ciainte de voir toujours les esclaves parvenir à la liberté; c’est que ces mots toute personne , c’est que les clauses qu’ils renferment ne leur furent données que pour calmer leurs inquiétudes. Elles leur furent même alors vivement disputées, parce que nous avions une extrême répugnance à consacrer formellement l’esclavage. Ces temps devaient-ils changer ? Quoi qu’il en soit, M. le rapporteur donne encore pour un des motifs des troubles que vos justes et sages décrets doivent exciter parmi les colons blancs, la crainte que les principes de 1 Assemblée nationale ne la portent un jour à décréter la liberté des esclaves. G’est prévoir des ma heurs de bien loin, il faut en convenir, car nous ne sommes pas encore réduits au résultat de voir les principes de la justice et de l’humanité l'aire des progrès assez rapides et pour occasionner des alarmes telles que les amis de la liberté eussent lieu de s’en repntir. {Applaudissements.) Mais puisque cette crainte des principes de l’Assemblée nationale est fondée, suivant M. le rapporteur, sur l’exemple d’inlidélité que nous lui avons donné; comme cet exemple n’est qu’une chimère, il est évident que la crainte qu’il fait concevoir aux colons blancs est également chimérique. Je passe maintenant à l’examen des faits préparés, présentés avec beaucoup de chaleur et de véhémence pour exciter dans vos âmes des alarmes capables de l’emporter sur votre justice et sur votre sagesse. Quels sont donc ces faits ? Par quels moyens l’expérience nous a-t-elle démontré que votre décret ne pouvait pas être exécuté ? Mais qui oserait donc ici invoquer l’expérience? A-t-on fait quelque tentative pour exécuter vos décrets? A-t-on employé un seul moyen pour aplanir les difficultés qui pouvaient se rencontrer dans leur exécution ? A-t-un exigé l’obeissance comme on devait le faire ? A-t-on manifesté que l’on voulait absolument que ce décret fût exécuté? Ge décret n’a pas même été envoyé ! mais a sa place des libelles séditieux ont été envoyés, des manœuvres coupables ont été employées pour exciter la révolte. De tous les faits que l’on vous [24 septembre 1791.] présente, ou que l’on aurait dû vous présenter, celui-là seul est vrai. Que nos adversaires démentent cet écrit incendiaire, envoyé du sein du comité colonial dans les colonies, pour empêcher l’exécution de votre décret. M. Bégouen. Quel est-il? Je défie M. l’opinant de le citer. M. Robespierre. La lettre de M. de Gouy est-elle aussi une chimère? Un membre : M. de Gouy n’est pas du comité. M. Bégouen. Je demande que l’opinant cite l’écrit dont il parle, sans quoi j’atteste qu’il est calomniateur. (Murmures.) M. de Gouy d’Arsy. Messieurs. . . ( Murmures et interruptions.) Messieurs, je déclare que M. Robespierre, en m’attribuant la lettre à laque le il fait allusion, commet un faux; et je défie qu’on me prouve qu’elle est signée de moi. Or, s’il vous a trompés sur ce premier point, il vous trompe également sur le reste. (Interruptions.) La let reque l’on a citée et à laquelle un faussaire amis mon nom, n’est pas de moi; je la désavoue comme une atrocité de mes ennemis, et je les défie de prouver que j’en suis fauteur; m us, comme il ne me convient pas de couvrir d’uu voile ce que j’ai fait, je viens de faire imprimer et cette lettre fameuse et celle que l’on m’a reprochée il y a un an avec tout autant de justice. (Murmures.) En voici un exemplaire complet, je le dépose sur le bureau; je vais le signer, et demain tous lesmembresde l’Assemblée enrecevront un exemplaire (1). G’est ainsi que je répondrai aux calomniateurs. Qu’on les juge par leurs mensonges, et qu’on me juge par mes écrits. (M. de Gouy signe la lettre et la dépose aussitôt entre les mains de MM. les secrétaires.) M. Salle. Je demande que la lettre dénoncée par M. de Gurt, suit jointe à celle que M. de Gouy dépose sur le bureau. M. Robespierre. Peut-on dire qu’une loi est inexécuiable lorsque ceux qui étaient chargés d’en faciliter l’exécution ne l’ont pas voulu ; lorsque ceux, au contraire, qui étaient intéressés à en empêcher l’exécution ont fait ce qui était en leur pouvoir pour la traverser? Des intrigues sont-elles des raisons péremptoires contre une loi sage, et faut-il que vous vous hâtiez d’anéantir la vôtre pour conserver des intrigues? Après tout, qu’y a-t-il donc dans tous ces événements que vous n’ayez prévu, lorsque vous rendiez votre décret? alors aussi on voulut vous épouvanter par des menaces ; alors on osa vous faire entendre qu’on provoquerait l’insurrection des blancs contre votre autorité ; vous sentîtes que vous ne deviez point céder à ces lâches terreurs, vous eûtes la sagesse de ne point encourager l’audace, et de dédaigner le piège de l’intrigue; vous ne pensiez pas que la volonté et les passions d’une classe quelconque osassent lutter sérieusement contre la fermeté de l’Assemblée nationale, armée de la justice, et contre la puissance de la nation française. Abjurerez - vous aujourd’hui ces grands principes, pour ne montrer que légèreté, faiblesse et inconséquence? Oublierez-vous (1) Voir ce document ci-après, aux Annexes de la séance, page 301. 277 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] ue c’est la faiblesse et la lâcheté qui perdent les tats et les gouvernements, et que c’est le cou-râpe et la confiance qui les conservent? Eh ! quels sont donc ces faits effrayants qui doivent vous ôter votre présence d’esprit ? Anaiysez-les avec attention. Mais d’abord, jusqu’à quel point faut-il y croire? n’est-ce pas une chose étonnante que lorsqu’on délibère sur un objet aussi important, aussi intimement lié à la prospérité nationale et à la gloire des représentants de la nation, on ne se donne pas seulement la peine d’examiner les faits dont on parle souvent sans en prouver aucun, et dont personne ne s’est donné la peine d’apprécier ni la nature, ni les circonstances, ni les auteurs? Qui sont ceux qui les ont produits ? qui sont ceux qui les attestent? ne sont-ce pas les parties intéressées? ne sont-ce pas ceux qui , après avoir extraordinairement redouté le décret avant qu’il fût porté, n’ont cessé de le calomnier et de l’enfreindre? ne sont-ce pas ceux qui après avoir prédit de sinistres événements se seraient appliqués à les faire naître, et qui voudraient ensuite les supposer ou les exagérer? ( Une partie de l’Assemblée et les tribunes applaudissent.) Ah ! Messieurs, donnez-vous au moins le temps d’examiner : on a bien pris le temps nécessaire pour préparer, pour recueillir ces adresses présentées dans le moment qui a paru le plus convenable. Qu’il nous soit au moins permis aussi de recueillir tous les faits qui les démentent, et de nous munir de toutes les preuves que le hasard et l’amour de l'humanité peuvent avoir jetées au milieu de nous. Défions-nous au moins du tumulte et des cabales qui ont trop souvent présidé à nos délibérations sur cet important objet. (Applaudissements dans les tribunes.) Opposez aux adresses de plusieurs chambres de commerce les pétitions des citoyens moins intéressés des mêmes vill s, qui en prouvent toute l’exagération et même quelque chose de plus, telles que celles des citoyens de Rennes, de Brest, de Bordeaux. L’ar-rêié du département de cette dernière ville, vous instruit de ce que l’intrigue peut faire pour opprimer la liberté et la justice. Faiies-vous représenter toutes ces lettres qui prouvent que la situation des colonies ne présente rien qui puisse faire craindre une résistance décidée à l’exécution du décret, quand l’autorité de la nation a parlé; ou plutôt réduisez à leur juste Valeur les faits mêmes que nos adversaires nous attestent. Alors, loin d’être effrayés, vous verrez que tout se réduit à des signes de mécontentement plus ou moins prononcés par une partie des citoyens de quelques parties de nos colonies. Certes, il n’était pas difficile de prévoir qu’une loi qui blessait l’égoïsme d’une classe de colo is, occasionnerait des mécontentements ; et vous l’aviez prévu au mois de mai dernier. Il n’est pas difficile de concevoir que les chefs d’une insurrection apparente aientaffecté même de les tenir, pour fournir aux chefs de leur section en Europe un prétexte de faire craindre la chimérique scission des colonies; mais, en vérité, aux yeux des hommes raisonnables, n’y a-t-il pas une distance infinie entre le mécontentement, entre les menaces de quelques malintentionnés, et le dessein formé de lever l’étendard de la révolte contre la nation, de briser violemment les liens de l’habitude, de l’honneur, du devoir, et surtout de l’intérêt, seul lien durable qui les attache à nous? Aussi, Messieurs, fixez votre attention sur toutes les pièces relatives aux colonies, qui ne paraissent point avoir été fabriquées par l’esprit de parti; vous y verrez qu’au milieu de quelques insurrections partielles, la disposition générale des esprits est d’obéir à la loi, si la soumission est exigée avec fermeté; vous y verrez que les colons blancs eux-mêmes vous avei tissent des pièges que l’on vous tend en Europe, et qu’ils vous conjurent de déployer la fermeté qui vous convient, en vous donnant la garantie que jes résistances de l’orgueil et de l’intérêt particulier céderont à l’intérêt général et à la justice. Je sais que l’on peut étayer le système contraire de plusieurs adresses imposantes au premier coup d’œil, parce qu’elles sont souscrites par des commerçants de plusieurs classes, et que l’on préiend vous présenter, par là, le vœu du commerce, pour la loi que vous devez rendre. Mais on a voulu vous déterminer à consulter ce que l’on appelle le corps du commerce pour rendre votre décret. Avant de vous dire quelles sont ces adresses en elles-mêmes qu’il me soit permis de rappeler quelques principes simples et l’on verra que non seulement le vœu des commerçants n’est pas toujours le vœu du commerce; mais qu’il est ab-urde de vouloir donner à une profession, une influence spéciale sur des lois d’un intérêt général; que les lois qui doivent fixer le sort des habitants de nos colonies offraient aux représentants de la nation réunis en Assemblée nationale constituante, d’autres rapports que ceux des intérêts mercantiles ; que le vœu général, que l’opinion publique, que les principes régénérateurs du gouvernement fort, sont des règles plus sûres que les préjugés ou l’intérêt particulier qui peuvent coaliser un certain nombre de négociants avec un certain nombre de colons; que les moyens par lesquels une partie peut obtenir un nombre de signatures plus ou moins nombreuses. Et que sont-elles donc ces adresses, si ce n’est le fruit de l’intrigue? Voyez comment la plupart sont dictées par le même esprit, formées en quelque sorte sur le même modèle qu’elles présentent avec des diatribes violenies contre votre décret des déclamations rebattues, contre la philosophie et les philosophes, contre la justice, contre l’hu < anit j et des éloges pompeux à tous ceux qui mettent en avant le bien public avec les principes de la liberté; la justice à être injuste, l’humanité à n’avoir ni humanité ni philosophie. Daignez peser les considérations dignes de toute votre attention à laquelle elles n’ont pourtant pas encoreété portées. Daignez encore jeter un regard en arrière sur l’objet de toutes les délibérations, sur l’objet important qui nous occupe. Qu’il me soit permis de vous dire, quelque haine qu’il puisse exister contre moi, que le courage gratuit que j’ai montré à défendre la justice, l’humanité et les intérêts sacrés d’une partie des citoyens que nous devons protéger en Amérique, puisque nous nous occupons de leur sort, ne m’abandonnera pas; qu’il me soit permis de remettre sous vos yeux quel spectacle nous a présenté l’affaire des colonies depuis qu’il en a été question parmi nous. Rappelez-vous les dispositions particulières toujours présentées à l’improviste. Jamais aucun pla i général qui vous permit d’e nbra�ser d’un coup d’œil et le but où l’on voulait vous conduire, et les chemins par lesquels on voulait vou' faire parvenir. Rappelez-vous toutes ces délibérations, où après avoir remporté l’avantage auquel on semblait d’abord borner tous les vœux, on s’en faisait un titre, pour en obtenir de nouveaux ; où en vous conduisant toujours de récits 278 (Assemblée nationale.] en récits, d’épisodes en épisodes, de terreurs en terreurs, on gagnait toujours quelque chose sur vos principes et sur l’intérêt national, jusqu’à ce qu’enfin échouant contre un écueil, on s’est bien promis de réparer son naufrage. Depuis ce moment, après avoir pris toutes les mesures analogues à ce grand événement, après que l’on a cru pouvoir compter sur la majorité de l’Assemblée nationale, on vous demande tout d’un coup ce dont on n’a pas même annoncé la prétention dans ces temps où vous avez commencé à délibérer sur vos colonies. Daignez, et je le répète, daignez considérer sans partialité, sans prévemion et sans esprit de parti toutes ces considérations majeures qui doivent nécessairement influer sur notre gloire, sur votre intérêt, sur l’intérêt de la nation; qu’il me soit permis de vous dire encore que vous ne vous trouvez pas dans des circonstances favorables pour prononcer avec le plus profond examen un décret sur cette matière. Qu’il me soit permis de vous le dire : ne vous défiant point avec raison des principes et du caractère des membres de votre comité colonial, mais vous défiant en général de la force avec laquelle d’anciens préjugés et des intérêts puissants attachent ces hommes à une opinion adoptée, vous avez douté quelque temps si le comité colonial remplissait avec assez d’ardeur la mission que votre confiance lui avait accordée, s’il faisaittouteequ’il était en lui pour faciliter l’exécution de votre décret; que vous avez craint l’influence de toutes ces causes sur toutes les mesures qu’il pouvait proposer; que vous l’avez craint tellement que vous lui avez adjoint des membres qui étaieut étrangers aux mêmes préjugés, aux mêmes habitudes et aux mêmes intérêts. Rappelez-vous que ces membres sont d’un avis absolument opposé à celui des anciens membres; que ceux-ci n’ont jamais pu convertir les autres, ni parla terreur, ni par la raison. Ehl cependant Messieurs, quels sont ceux qui persistent à vos yeux dans cette affaire si grande et si compliquée ? quels sont ceux sur la foi desquels vous croyez à l’authenticité des pièces qui annoncent des faits arrivés à 2000 lieues? quels sont ceux dont vous semblez disposés à adopter le projet dans ce même moment? Ce sont précisément ces mêmes hommes très estimables, que des préjugés impérieux attachent à une opinion rejetee solennellement après le plus mûr examen, opinion qu’on vous propose derechef. Je le répète ; il y a de quoi fixer votre attention sur une affaire aussi importante. Je réclame ici l’intérêt national. J’espère que les membres de cette Assemblée, versés particulièrement dans la science du commerce, n’auront pas de peine à démentir la théorie légère et hasardée qui vous a été présentée par le comité colonial; mais je réclame l’intérêt national qui n’est point étranger aux principes de justice et de liberté sur lesquels vous avez fondé votre Constitution ; je réclame cet intérêt sacré de la justice et de l’humanité, que jamais on ne parviendra .à ridiculiser, ni dans cette Assemblée, ni ailleurs, dont la destinée est de triompher toujours du machiavélisme et de l’intrigue; je le réclame, et ne le réclamerai pas sans succès. Mais, Messieurs, je ne puis me dispenser, en défendant une pareille cause, de répondre à une certaine observation que l’on a vous a présentée, pour affaiblir l’intérêt des hommes libres de couleur. Remarquez qu’il n’est pas question de leur accorder leurs droits ; remarquez qu’il n’est pas question de les leur reconnaître ; remarquez [24 septembre 1791.] qu’il est question de les leur arracher, après que vous les leur avez reconnus. Et quel est l’homme qui, avec quelque sentiment de justice, puisse se porter légèrement à dire à plusieurs milliers d’hommes : nous avions reconnu que vous aviez des droits, nous vous avons regardé comme citoyens actifs; mais nous allons vous replonger dans la misère et dans l’avilissement ; nous allons vous remettre aux pieds de ces maîtres impérieux dont nous vous avions aidés à secouer le joug ? ( Applaudissements à l'extrême gauche.) Mais, vous a-t-on dit, il n’est question ici que de très peu de chose, que d’une mince importance pour ces homnms de couleur : il n’est question que des droits politiques; nous leur laissons les droits civils. Mais qu’est-ce donc, surtout dans les colonies, que les droits civils qu’on leur laisse, sans les droits politiques ? Qu’est-ce qu’un homme privé des droits de citoyen actif dans les colonies, sous la domination des blancs? C’est un homme qui ne peut délibérer en aucune manière, qui ne peut influer ni directement, ni indirectement sur les intérêts les nlus sacrés de la société, dont il fait pariie ; c’est un homme qui est gouverné par des m gis-trats au choix desquels il ne peut concourir en aucune manière, par dns lois, par des règlements, par des actes d’administration pesant sans ce-se sur lui, sans avoir usé du dioit qui appartient à tout citoyen d’influer, pour sa part, dans les conventions sociales, en ce qui concerne son intérêt particulier. C’est un homme avili, dont la destinée est abandonnée aux caprices, aux p issions, aux intérêts d’une caste supérieure. Voilà les biens auxquels on attache une médiocre importance! Que l’on pense ainsi, lorsqu’on regarde la liberté, le bien le pins sacré de l’honneur, le souverain bien de tout homme qui n’est point abruti ; que l’on pense ainsi, dis-je, lorsqu’on regarde la liberté comme le superflu dont le peuple français peut se passer, pourvu qu’on lui laisse la tranquillité et du pain; que l’on raisonne ainsi avec de tels principes je ne m’en étonne pas. Mais moi, dont la liberté sera l’idole, moi qui ne connais ni bonheur, ni prospérité, ni moralité pour les hommes, ni pour les nations sans liberté, je déclare que j’abhorre de pareils systèmes, et que je réclame votre justice, l’humanité, la justice et l’intérêt national en faveur des hommes libres de couleur. (Une partie de l'Assemblée applaudit.) Plusieurs membres : La discussion fermée ! M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angêly). Quelles que soient les opinions, il faut terminer. Comme nous sommes pressés par le temps, quand bien même nous devrions extrêmement prolonger la séance, je demande que la séance ne se lève pas sans que la question soit jugée et décidée. (Applaudissements.) M. l’abbé Grégoire. Comment peut-on vous proposer de détruire en un seul jour un décret tel que celui du 15 mai, qui a été rendu après la discussion la plus solennelle. Je demande qu’au moins on ne le rétracte pas sans le plus mûr examen, et que la discussion continue pendant trois jours, s’il est nécessaire. M. Salle. D’après ce que vous a dit hier M. Barnave, les colons blancs sont encore aujourd’hui dans leur premier système d’indépendance. La véritable question est donc de savoir ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 279 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] si, dans un tel état de choses, étant donné que les colons blancs sont nos pins cruels ennemis ..... (Murmures et interruptions; — A l'ordre! à l’ordre!).., nous devons révoquer un décret qui nous donne quelques amis !à où nous avons de si nombreux ennemis. (Applaudissements à l’extrême gauche.) Plusieurs membres demandent la question préalable sur la motion de M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Àngély) de décider l’affaire des colonies sans désemparer. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il y a lieu à délibérer sur la motion et décide ensuite que l’affaire sera jugée sans désemparer.) Plusieurs membres : La discussion fermée I M. Lucas. Je demande à lire un projet de décret qui pourra concilier tous les esprits. (Murmures et interruptions.) M. Dupont (de Nemours). Il y a plusieurs membres de l’Assemblée qui ont des projets de décret à proposer: je demande qu’ils puissent le faire et exposer leurs motifs. Voix nombreuses : La discussion fermée ! (L’Assemblée, consultée, décrète que la discussion est fermée et qu’elle entendra la lecture des différents projets de décret proposés.) M. Lucas. Le motif du comité, en poursuivant l’annihilation du décret du 15 mai, ne peut être que les troubles que ce décret a excités dans les colonies et le danger de voir un établissement important se séparer de la métropole ; car le comité se jouerait de l’Assemblée et tendrait à la déshonorer, s’il prétendait reproduire une question jugée et voulait faire admettre un système proscrit. Hé bien ! sachons si ces troubles existent réellement, et à quel degré, et préparons avec maturité une décision sage. Sur cela il est un moyen simple : suspendez provisoirement l’exécution du décret du 15 mai ; faites partir des commissaires et attendez à prononcer d’après leur rapport. (Murmures et applaudissements.) U n’y a aucun homme qui puisse se refuser à cette mesure de sagesse. Si on a cherché à vous intimider par des menaces effrayantes et à vous arracher un décret de circonstance, concluez avec moi hardiment, Messieurs, que l’on veut induire l’Assemblée en erreur, et que c’est une affaire d’intrigue. Je propose le décret suivant : L’Assemblée nationale, ouï le rapport, etc., décrète : « Art. 1er. L’exécution de son décret relatif aux gens libres de couleur, dans les colonies, est provisoirement suspendu. « Art. 2. Le roi sera prié de faire partir sur-le-champ, pour Saint-Domingue, 6 commissaires munis d’instructions suffisantes, à l’effet de connaître la vraie situation de cette colonie, les causes des troubles qui peuvent y régner et les moyens de conciliation qu’il faut employer. « Art. 3. Ces commissaires seront autorisés à prendre tous les moyens qu’ils croiront convenables pour faire respecter et maintenir la tranquillité. » M. Blin. Messieurs, le décret que vient de vous proposer le préopinant ne pourvoit qu’à une très petite portion des objets sur lesquels vous avez à statuer. Si la discussion avait été continuée, je crois que j’aurais prouvé que le comité n’a pas embrassé tout ce qu’il devait faire ; comme elle est finie, je vais tâcher de remplir ce but dans une suite d’articles qui font l’objet de mou projet de décret et dont je vais me borner seulement à vous donner lecture : L’Assemblée nationale ayant déclaré, dans l’acte constitutionnel, que les colonies et possessions françaises d’Asie, d’Afrique et d’Amérique n’étaient point comprises dans la Constitution du royaume, décrète : . Art. 1er. Tous les objets qui auront uniquement rapport au régime imérieur et à l’administration domestiques des colonies (Rires), seront soumis à la la législation intérieure et spéciale de chaque colonie. « Art. 2. Les assemblées représentatives des colonies ne pourront faire aucune loi relative à leur régime et à leur administration intérieure, qu’avec la sanction du gouverneur, qui ne sera que provisoire, et la sanction définitive du roi. « Art. 3. Le Corps législatif de France réglera exclusivement tout ce qui concerne les rapports extérieurs et commerciaux des colonies. « Art. 4. Chaque colonie pourra avoir, auprès du Corps législatif de France, des députés ou agents, dont les réclamations seront admises, comme pétitions, sur tous les rapports coloniaux, soumis à la décision du Corps législatif de France. »... Vous voyez bien que je ne veux pas d’indépendance. (Rires.) « Art. 5. Ces députés ou agents n’auront ni voix délibérative, ni séance dans l’Assemblée nationale de France, comme représentants des colonies. « Art. 6. Toutes les procédures, soit entre colons et colons, soit entre un habitant de France et un colon, pourront être portées par appel au tribunal de cassation siégeant à Paris, lorsqu’une des parties le demandera. (Murmures.) « Art. 7. Dans aucun cas, ni sous quelque prétexte que ce soit, les forces militaires et navales de France ne pourront être commandées, ni déplacées de leurs garnisons ou de leurs stations par les corps représentatifs ou administratifs des colonies ; mais les mêmes forces navales et militaires resteront toujours soumises au commandement des gouverneurs. « Art. 8. Le roi sera prié de faire dresser incessamment des insi ruciions aux gouverneurs des colonies, d’après les nouveaux principes du gouvernement français, et d’envoyer dans chaque colonie des commissaires conciliateurs, revêtus de tout pouvoir nécessaire pour terminer les différents, apaiser les dissensions, et rétablir dans ces contrées l’ordre et la tranquillité indispensables à leurs travaux et à leur prospérité. « Art. 9. Toutes les pièces existant au comité colonial seront remises, suivant leur nature particulière, aux comités de marine, de commerce et d’agriculture, qui en feront l’usage nécessaire pour leurs opérations, ou le dépôt convenable dans les divers départements du ministère. » M. Defermon. Le comité colonial vous a proposé, dans son projet de décret, d’assurer la tranquillité des colonies, d’assurer n >s intérêts commerciaux avec nos colonies, d’assurer le régime intérieur de nos colonies ; je crois que l’on peut parvenir à ce but sans adopter dans son entier, le projet de décret du comité colonial. Je crois qu’avec un amendement à l’article 3 de ce projet, on peut parvenir à faire, pour les colonies, tout ce qu’elles peuvent raisonnablement exiger, sans que le sacrifice porte 280 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Je sacrifice des droits de la justice plus loio qu’elle ne le doit. Voici à quoi tient mon amendement. Je vois, dans l’article 3 du projet du comité colonial, tout ce qu’il faut pour tranquilliser les colonies, lorsqu’elles seront sûres que leur initiative ne donnera droit à personne d’aller au delà de leur initiative. Or, si vous leur accordez, l’initiative vis-à-vis du roi, ou plutôt si vous leur donnez la législation sur les hommes non libres, avec la seule sanction du roi, elles n’ont jamais à craindre que, par l’effet de leur initiative, on aille plus loin qu’elles ne l’auront voulu, et trouvé raisonnable pour l’intérêt colonial. Le roi n’a que la faculté d’accepter ou de refuser; il n'y a donc point d’inconvénient pour les colonies, respectivement à leurs propriétés, quand, une fois, elles n’auront à présenter leur législation qu’au chef suprême du pouvoir exécutif; mais lorsque vous faites une loi constitutionnelle, il faut, Messieurs, et il me paraît indispensable que vous considériez les colonies dans leur ensemble. Sans doute, il peut se faire qu’il y ait utilité de classer, dans les colonies, les hommes de couleur ; peut-être faut-il vous écarter, sous ce point de vue, de l’intérêt politique, de ce que vous avez décrété : peut-être ne croirez-vous pas vous écarter des principes d’équité, en suivant un principe d’intérêt politique, puisque vous avez bien en France restreint les droits de citoyen actif à une condition quelconque; mais je crois que cette restriction doit être renfermée dans les bornes les plus étroites. Je crois donc qu’en adoptant pour amendement à l’article 3 une disposition qui porterait que les hommes nés libres dans les colonies ne pourront être privés de l’exercice de citoyen actif, s’ils ont d’ailleurs les qualités requises; il n’y aurait pas les mêmes inconvénients à opposer au projet de décret du comité. Les règles de l’éligibilité resteraient entre les mains des assemblées coloniales; et c’est par ces règles d’éligibilité qu’elles parviendraient à faire cette classe intermédiaire qu’elles croient nécessaire pour maintenir le régime colonial. La qualité de citoyen actif est la première propriété d’un homme libre. Il ne jouit véritablement des droits civils qu’autant qu’il peut avoir l’espoir de parvenir à être citoyen actif. Je suis loin de dire qu’on n’a pas les droits civils parce qu’on n’a pas la qualité de citoyen actif; mais je dis et je soutiens qu’un homme ne peut pas se regarder comme jouissant, comme ayant la plénitude des droits civils, lorsqu’il est à la merci d’un autre homme pour parvenir à la qualité de citoyen actif. Il faut que la règle, pour parvenir au droit de citoyen actif, soit indépendante de la volonté arbitraire d’un autre homme libre, parce qu’un homme libre ne doit jamais être mis à la merci d’un autre homme libre. Ainsi je voudrais que la qualité de citoyen actif pût être acquise indépendamment de la” volonté arbitraire de quelque homme libre que ce fût, dans la colonie, et qu’il suffît d’avoir la qualité commune pour tout autre homme libre, pour avoir l’exercice des droits de citoyen actif. Avec cet amendement, je laisse aux colonies à former leur classe intermédiaire par les conditions d’éligibilité; et je crois que les colons, en réfléchissant sur leurs intérêts qui doivent les porter à ménager des hommes qui, comme eux, ont des esclaves à conserver; en réfléchissant sur le sacrifice que vous faites d’une partie de vos principes pour la tranquillité des colonies, [24 septembre 1791.] s’empresseront tous de faire exécuter vos décrets. Je demande donc que l’on adopte d’abord l’amendement que je propose sur l’article 3; et je me persuade qu’iine fois adopté il v aura beaucoup moins de diversité dans les opiuions. ( Applaudissements .) M. Barnave, rapporteur. Je crois qu’avant de répondre à cet amendement qui, à mes yeux, présente les mêmes inconvénients que le décret du comité, relativement au retour de l’Assemblée sur une décision précédente, et qui, loin d'en produire les doux effets, laisserait les choses absolument dans l’état où les a mises le décret du 15 mai; je crois qu’avant d’y répondre, il serait bon d’entendre la totalité des projets que l’on peut présenter à l’Assemblée; car c’est après cela qu’il sera possible de rappeler chacun d’eux pour déterminer l’opinion de l’Assemblée sur la priorité. ( Marques d'assentiment.) M. Dupont (de Nemours). Je dis même que le projet du comité ne tarit pas la source des querelles entre la métropole et les colonies; je dis qu’il assure la séparation des colonies et de la métropole, et qu’il vous fait marcher sur des feux couverts de cendres. C’est parce que le comité n’a jamais voulu prendre en considération les véritables prétentions et les véritables griefs des colonies, leurs véritables intérêts et ceux du commerce de France; c’est parce qu’il a voulu garder une sorte de popularité entre les colons et les négociants, qu’il ne s’est jamais nettement expliqué sur les relaûons qui doivent exister entre la métropole et les colonies, et uu’actuelle-ment le comité renvoyant à la prochaine législature ce point véritablement important de l’intérêt des colonies, il laisse la querelle tout entière. Car, quand vous aurez cédé sur le point actuel dans le suel vous aviez accordé aux colonies, comme je l’ai démontré facilement, plus que ne demandaient leurs députés, croyez-vous donc qu’on ne vous fera pas céder sur d’autres points commerciaux? Que faut-il, Messieurs, pour unir à jamais les colonies à la métropole? Il faut que les colonies puissent faire prospérer leur culture; car les colons sont des cultivateurs. Que faut-il pour que les colonies soient véritablement une possession utile à la métropole? 11 faut que le commerce des colonies présente de grands avantages au commerce et aux négociants, et que ces avantages leur soient réservés. Il faut donc dans cette question embrasser les intérêts de la culture des colonies et les intérêts du commerce de France; il faut, en réservant aux colonies l’influence qu’elles doivent avoir sur leur législation intérieure, influence que le comité s’appliquait totalement dans le décret qu’il vous a présenté; car, c’est votre comité qui a proposé de manquer de parole à vos colonies ; c’est votre comité qui vous a proposé de faire leur législation intérieure, en leur laissant sur cette législation intérieure, l’influence que tout citoyen doit avoir sur la législation intérieure du pays qu’i I habite à 2,000 lieues du vôtre; il faui, dis-je, régler définitivement aujourd’hui, et les moyens d’assurer la subsistance des colonies et les moyens de faire prospérer leur culture, et les moyens de favoriser votr