SÉANCE DU 26 THERMIDOR AN II (13 AOÛT 1794) - N08 10-12 25 10 Les citoyens de la section des Lombards (1), admis à la barre, témoignent à la Convention leur attachement inviolable à ses sages décrets, et la félicitent du courage et de l’énergie qu’elle déploie sans cesse pour assurer le bonheur du peuple et le triomphe de la liberté. Mention honorable (2). La section des Lombards vient en masse féliciter la Convention sur ses travaux et sur la sagesse qu’elle a déployée dans toutes les circonstances périlleuses, et applaudir au châtiment de Robespierre et des complices de ce tyran. Elle annonce qu’il avoit introduit dans les autorités constituées des agens de ses crimes, et qu’il en existoit dans le sein de cette section, qui jettoient la désolation dans les familles, faisant incarcérer des patriotes dont l’innocence ne pouvoit être méconnue. Elle demande que l’on prenne des mesures pour que les maisons d’arrêt ne soient plus habitées que par le crime (3) [ Applaudissements ] [La section des Lombards ne nomme pas son comité révolutionnaire; mais elle invite la Convention à ôter, de toutes les autorités révolutionnaires de la République, tous les hommes qui se sont montrés, par leur conduite, indignes ou incapables d’en être membres. Cette pétition est renvoyée au comité de sûreté générale. BOURSAULT en demande l’insertion au bulletin; mais, sur l’observation, faite par un membre, que cela pourroit jetter une défaveur sur l’institution en elle-même, tandis qu’on n’en attaque que les membres indignes d’y siéger, l’Assemblée passe à l’ordre du jour sur la proposition de BOURSAULT] (4). 11 La section du Contrat-Social (5) se présente à la barre; elle dénonce différens membres du comité révolutionnaire de sa section. La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, renvoie la dénonciation et les pièces au comité de sûreté générale (6). La section du Contrat-social s’exprime ainsi : Le gouvernement est révolutionnaire jusqu’à la paix. Vous l’avez proclamé, et ce décret salutaire a consolidé la liberté, et préparé nos (1) Paris. (2) P.-V., XLIII, 208-209. (3) J. Sablier, n° 1497; F.S.P., n° 405; J.Fr. , n° 688; C.univ. , n° 957; Audit, nat. , n° 689; Débats, n° 692, 455; J. Per-let, n° 690; Rép. , n° 237; J. Mont. , n° 106; C.Eg. , n° 725; M.U. , XLII, 430; Ann.R.F., n° 255. Mentionné par J.S. -Culottes , n° 545; J. Jacquin, n° 745. (4) Ann.patr. , n° DLXC. (5) Paris. (6) P.-V., XLIII, 209. victoires. Malheur à qui voudroit entraver la marche de ce gouvernement vigoureux. Mais ne confondons point les hommes avec les choses. La section, dans son assemblée générale du 20 thermidor, a arrêté qu’elle vous dénonceroit plusieurs membres prévaricateurs de son comité révolutionnaire (1). [Elle en a désigné deux, Balestier et Robert, qui tenaient ci-devant des maisons de jeu et des banque de Biribi (2)]. L’orateur développe ici les raisons qui ont motivé l’arrêté dont il s’agit. Il termine en demandant le renouvellement des membres du comité révolutionnaire de la section (3). 12 La section de la rue de Montreuil (4) se présente à la barre, et fait part à la Convention des griefs qu’elle a contre le comité révolutionnaire de sa section. La Convention nationale renvoie la dénonciation au comité de sûreté générale (5). La section de la rue de Montreuil dit qu’elle vient témoigner sa juste indignation contre son comité révolutionnaire; elle chérit cette institution comme la sauvegarde de la liberté; mais elle déteste ces cannibales, dont la jouissance étoit de trouver, même de forger des coupables. Elle dépose les pièces à l’appui de cette dénonciation. L’orateur demande à citer un seul fait contre le comité révolutionnaire de la section de Montreuil (6). L’orateur: Des membres du comité révolutionnaire de la section de Montreuil vont pour arrêter un individu de la commune de saint-Maur; ils arrivent lorsqu’il vient d’être enterré. Ces monstres, privés de pouvoir saisir leur victime, s’emparent de son beau-frère, en disant que ce qui est bon à prendre est bon à rendre. Ils forcent la veuve à payer 10 livres aux gens qui sont venus pour prendre son mari. De là, ils vont faire mille orgies dans la commune; leur écot monte à 100 livres, et ils forcent la veuve à les leur rembourser. Ce fait est attesté par la commune de Saint-Maur et par des membres du comité révolutionnaire de notre section, où nous avons été prendre des renseignements. BAUDOT : Je demande que, lorsque des pétitionnaires auront à dénoncer des membres des comités révolutionnaires ou des comités eux-mêmes, ils portent directement les dénonciations au comité de sûreté générale. Il n’est pas inutile de dire que l’aristocratie s’agite en tout sens pour faire tourner à son profit nos efforts et notre victoire sur les derniers conspirateurs. Il faut, dans les circonstances actuelles, (1) J.Sablier, n° 1497; C. univ., n°957; M.U., XLII, 430; J. FY. , n° 688; Ann. R.F. , n° 255; C. Eg. , n° 725; Débats , n° 692, 455; F.S.P., n°405; Ann. patr., n° DLXC; J. Mont., n° 106; J. Perlet, n° 690; Audit, nat., n° 689. (2) J. Jacquin, n° 745. (3) J. Sablier, n° 1497. (4) Paris. (5) P.-V., XLIII, 209. (6) Ann. patr. , n° DLXC. 26 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE un gouvernement juste et sévère, un gouvernement limité, mais d’une manière ferme et inflexible; admettre souvent des plaintes contre les autorités révolutionnaires, c’est introduire dans le gouvernement une flexibilité qui porterait préjudice à son énergie. Je demande que toutes les dénonciations contre les autorités ou membres des autorités révolutionnaires soient portées directement au comité de sûreté générale. TAILLEFER : Je dirai, à l’appui de l’opinion de Baudot, qu’hier certaines sections de Paris éprouvèrent de l’agitation dans leurs assemblées. L’aristocratie s’y était glissée; il faut prendre garde qu’elle ne s’empare du mouvement que vous avez dirigé contre les conspirateurs. VADIER : Je dirai aussi quelques faits à ce sujet. Il est vrai que plusieurs sections de Paris ont été agitées; et j’observe qu’on a choisi pour fomenter ces agitations les sections mêmes composées d’un plus grand nombre de sans-culottes, celles dont le patriotisme s’est le mieux prononcé dans tous les temps. La raison de cette préférence a été que l’aristocratie s’est imaginé qu’elle se déguiserait mieux en empruntant l’organe de ces sections, et qu’elle viendrait plus aisément à bout d’y surprendre et d’y égarer la bonne foi des citoyens. Les comités révolutionnaires ont sauvé la chose publique; il peut s’être glissé dans leur sein des hommes inciviques, surtout depuis que le tyran avait usurpé la faculté de remplacer ceux qui donnaient leur démission ou qu’il venait à bout d’en faire sortir; mais ces abus n’avaient lieu que depuis peu de temps, et en général nous avons reconnu que les opérations des autorités révolutionnaires étaient marquées en même temps au coin de la sévérité et de la justice. Je vous citerai la section du Panthéon français; on ne peut la soupçonner d’aristocratie, car elle compte au nombre de ses membres une partie du faubourg Marceau; cette section délibérait, d’après les menées de certains détenus, que son comité révolutionnaire avait perdu sa confiance; celle du Contrat-social a pris un pareil arrêté, et, de plus, a nommé des commissaires pour surveiller les registres de son comité révolutionnaire. Ainsi l’aristocratie cherche à s’emparer de tous les mouvements patriotiques. Citoyens, il faut épurer les comités révolutionnaires; il ne faut pas croire que le pouvoir reste longtemps dans les mêmes mains sans inconvénient et sans danger, et d’ailleurs il faut même bannir jusqu’à la défiance, lorsqu’elle commence à entrer dans l’esprit des citoyens. Un membre du comité de sûreté générale travaille à un plan qui donnera une entière satisfaction à cet égard. Nous saurons également distinguer, dans les fautes commises par les membres des autorités révolutionnaires, les erreurs des crimes. Au surplus, le comité, êst sans cesse occupé de venir au secours des patriotes opprimés; mais il est retardé dans sa marche parce que les aristocrates l’assiègent; une multitude de femmes l’obstruent; plusieurs de nos collègues réclament aussi en faveur de citoyens détenus. Il est impossible que, dans cette foule d’opérations, il ne se glisse pas quelques erreurs. Telle a été celle commise en la personne du ci-devant duc d’Aumont, qui a été mis en liberté sous le nom de Gui, laboureur à Aumont. Il est encore échappé à notre vigilance quelques erreurs du même genre, comme celle du duc de Valentinois; mais elles sont en petit nombre, et on reprendra tous ceux qui ont été élargis de cette manière. [Applaudissements ] DUHEM : Je demande qu’on arrête aussi très promptement ceux qui ont sollicité de semblables mises en liberté. VADIER : Si quelques membres pouvaient croire que les erreurs dont je parle doivent être imputées à des membres de cette assemblée, je les désabuserais; il n’en est sans doute aucun qui mérite d’être soupçonné de prêter son appui à un aristocrate. Depuis que la Convention l’a ordonné, tous les députés qui forment des demandes présentent une note appuyée de leur signature. Certainement il n’est entré dans l’esprit d’aucun de nos collègues d’énerver le gouvernement révolutionnaire. (Non, non\ s’écrient de toutes parts les membres en se levant). J’ai dit ceci pour tranquilliser les sections, qui, sans le savoir, cèdent à des impulsions ennemies; et je demande qu’il ne soit pas permis de porter directement à la Convention les dénonciations contre les autorités révolutionnaires en masse. TURREAU : D’après les explications de Vadier, je demande que la Convention nationale, qui a toujours vu les citoyens des sections de Paris empressés d’écouter et de se rendre à sa voix, leur fasse une invitation pour les prévenir sur les pièges qui leur sont tendus. (On applaudit). Cette proposition est décrétée. GRANET : Vous avez rendu un décret salutaire, c’est celui qui ordonne l’impression des noms des personnes mises en liberté et de celles qui ont sollicité cette liberté; il est possible que les répondants ne paraissent pas : je demande qu’en ce cas les individus relâchés soient remis en état d’arrestation (murmures), à moins que le comité n’aît entre les mains des pièces qui attestent le patriotisme de la personne élargie. DUHEM : Si j’ai cité un fait particulier, ce n’est point pour divaguer sur la proposition de Granet, mais pour faire sentir la nécessité de prendre des mesures de sévérité à l’égard de certains individus relâchés. La proposition de Granet est indispensable; je l’appuie de toutes mes forces. CHASLES : J’appuie les observations de Duhem, en ce qui concerne Kellermann et Debruny. Il est certain qu’ils ont été la cause de la levée du camp de César. Je savais aussi qu’ils étaient relâchés; j’en ai été très étonné. Le fait déclaré par Carnot me semble si extraordinaire que je demande que Carnot soit invité à venir s’expliquer à la tribune. Cette proposition est adoptée. MONESTIER : L’observation faite par notre collègue Vadier nous donne à comprendre les manoeuvres dont les aristocrates se servent pour échapper : c’est le changement de noms. Je SÉANCE DU 26 THERMIDOR AN II (13 AOÛT 1794) - N° 12 27 demande que personne ne puisse présenter de réclamations pour obtenir sa liberté sans y mettre sa profession, ses noms actuels, et ceux qu’il a pu porter avant. Cette proposition est décrétée. BOURDON (de l’oise) : Je ne puis présumer que Granet ait fait sa proposition contre les individus mis en liberté pour avoir été incarcérés par des motifs autres que ceux de la loi du 17 septembre; c’est un crime de mettre la volonté des individus à la place de la volonté de la loi. LECOINTRE : Je demande l’ordre du jour sur la proposition de Granet. EHRMANN : Je ferai une observation générale que je crois devoir à ma conscience. J’ai remarqué que depuis quelques jours la Convention s’est trouvée au bord d’un double précipice; elle a senti la crainte de tomber d’un excès dans un autre, du joug dans le modérantisme. [cela n’est que trop vrai, s’écrie-t-on de la montagne]. Soyons justes, et soyons révolutionnaires. (On applaudit). Il ne suffit pas de le déclarer pour l’avenir, déclarons-le pour le passé. Si je suis un homme droit, un homme sincèrement ami de la liberté, je ne dois pas rougir de me nommer, de dire : c’est moi qui réclame la liberté de cet homme. Ceux qui ne veulent pas se nommer ne méritent aucune confiance. Je demande qu’il soit décrété que si, dans l’intervalle de la première décade qui suivra la loi, les personnes qui ont réclamé des individus ne se nomment pas, les individus réclamés seront regardés comme des contre-révolutionnaires. (Murmures). BENTABOLE : Charlier avait demandé, il y a 3 jours, que l’on mît à côté de la liste des noms de ceux qui ont réclamé des détenus les motifs des réclamations. J’insiste pour que cette proposition soit adoptée, parce qu’elle met au grand jour la conscience du citoyen qui réclame. CARNOT : Je viens d’apprendre que la Convention m’ordonnait de m’expliquer sur les motifs de la relaxation de Kellermann, Debruny et Lamarche. Lamarche n’a point été relâché; je ne me rappelle pas le membre qui a réclamé Debruny; quant à Kellermann, c’est Goupilleau (de Fontenay) qui a répondu qu’il était bon patriote. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Eh bien, j’étais à Cambrai; je déclare que Kellermann a trahi la France. Citoyens, ce n’est pas seulement l’aristocratie qui veut profiter de la circonstance où nous nous trouvons, ce sont aussi les chefs d’une bande de voleurs. On m’a dénoncé, dans le département des Ardennes, une dilapidation de 12 millions. J’ai fait arrêter les dilapidateurs de la fortune publique, qui sont encore des contre-révolutionnaires; car plusieurs sont prévenus d’avoir favorisé l’invasion des ennemis du dehors, d’autres sont convaincus d’avoir livré à des ennemis intérieurs des armes destinées aux défenseurs de la patrie. Il y a dans cette affaire un tissu d’horreurs. J’ai cru devoir mettre la justice et la probité à l’ordre du jour dans le département des Ardennes. Je n’ai point envoyé ces individus au tribunal révolutionnaire; je n’y ai envoyé personne; j’étais trop effrayé de la latitude des pouvoirs de ce tribunal créé par Robespierre; mais je les ai envoyés au comité de sûreté générale, que je voulais avoir pour juge de ma conduite. Eh bien, le chef de cette bande de voleurs a été mis en liberté : pourquoi ? parce qu’il est le frère d’un député, de Robert, du département des Ardennes; non que je prétende inculper mon collègue pour ce seul fait; la procédure est au comité de sûreté générale, elle est en règle; on jugera, sur les pièces qui la composent, tous ces dilapidateurs. J’ajoute un mot : c’est que, tant que je n’avais point parlé de ces voleurs publics, on m’a laissé tranquille dans ma mission; mais j’ai été dénoncé et calomnié du moment que je les ai poursuivis. GOUPILLEAU (de Fontenay) : En entrant dans l’assemblée, un de mes collègues m’a dit qu’on m’avait inculpé pour avoir demandé la liberté de Kellermann. J’ai servi pendant 4 ans, comme dragon, avec Kellermann, qui a fait son chemin en vrai sans-culotte. Il a sauvé 2 fois le régiment des hussards de Lauzun, lors de l’émigration des officiers; il servait alors dans la ci-devant Alsace. Personne n’ignore que Kellermann, tant qu’il a été à l’avant-garde de l’armée du Nord, n’a jamais été battu. Je savais encore que Robespierre lui en voulait beaucoup pour la levée du camp de César. J’ai reçu de Kellermann un mémoire qui peut-être est au comité de salut public, dans lequel il demandait à être jugé pour ce fait. On lui reproche d’être étranger; mais il est venu en France, avec son père à l’âge de 11 ans; il a 35 ans de service; je le connais depuis 25 ans. Je l’ai toujours regardé comme un bon citoyen, bon républicain, et même avant la République il me disait que la France ne serait heureuse que sous le gouvernement républicain. Voilà les motifs de ma réclamation; je l’ai signée. Si l’on a des reproches à faire à Kellermann, il est arrêté, il répondra. J’avais encore consulté mon collègue Cochon; je lui ai dit : « T’es-tu aperçu que Kellermann se soit mal conduit à l’armée du Nord ? - Au contraire, m’a-t-il répondu, il m’a toujours paru bon patriote. » PERRIN : J’étais à Cambrai le 6 août 1793; je dois dire ùue c’est Debruny qui a empêché Kellermann de prendre des mesures qui eussent assuré la victoire. COCHON : J’atteste que, tant que j’ai été à l’armée du Nord, j’ai toujours vu Kellermann se conduire comme un excellent citoyen et exécuter fidèlement les ordres qu’on lui donnait. PERRIN : J’ai cité un fait; je ne connais pas autrement sa conduite. DUHEM : Je la connais, moi. LESAGE-SENAULT : Je déclare que, dans le conseil de guerre tenu à Cambrai, nous étions entourés de traîtres qui faisaient savoir sur-le-champ à Valenciennes nos délibérations; Kellermann en était un. DUHEM : Il y a assez longtemps que nous nous occupons de détails. Kellermann est arrêté; il paraîtra au tribunal révolutionnaire. C’est là qu’il doit répondre. TURREAU : Je demande que les membres qui ont des observations à faire, soit pour, soit 28 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE contre Kellermann, les portent au comité de salut public, et passons à l’ordre du jour. GOUPILLEAU : J’appuie la proposition de Turreau. La Convention passe à l’ordre du jour. GRANET lit la rédaction de sa proposition. MERLIN (de Thionville) : Je m’oppose à la proposition de Granet; notre conduite est tracée dans la loi du 17 septembre. Si vous adoptez la mesure qu’on vous présente, vous allez consacrer la plus grande injustice. Nous avons mis en liberté des citoyens détenus depuis 6, 8 et 10 mois, sans motifs d’arrestation. Pouvez-vous sans injustice faire remettre ces citoyens en prison ? Il est temps, citoyens, il est plus que temps qu’aucune faction... (il s’élève de vifs applaudissements de toutes les parties de la salle) qu’aucune faction ne se serve des marches du trône de Robespierre. ( Nouveaux applaudissements). Sans doute il est des personnes dont l’affreuse nullité est reconnue. Il est des personnes qui n’ont fait de bien qu’à force de mal, sous les auspices et sous les ailes de Robespierre et de Couthon. Eh bien, puisque nous avons été placés dans le comité de sûreté générale pour être le parti de l’opposition contre les tyrans... (On applaudit à plusieurs reprises). Oui, nous le déclarons, non pas à la manière des Robespierre, nous porterons, nous, notre tête à l’échafaud... (non! non, s’écrient une foule de membres) ou nous prendrons tous les moyens nécessaires pour empêcher que les tyrans ne réussissent par la perfidie. (Les applaudissements recommencent). Il ne faut rien faire à demi, et, nous devons l’avouer, la Convention a fait plusieurs choses à demi. S’il existe encore parmi nous des tyrans, au moins ils devraient se taire. Le comité de sûreté générale a pu, dans la foule des affaires qui l’accablent, mettre machinalement, involontairement en liberté quelques aristocrates qu’il saura bien retrouver. Au surplus, pour éviter des surprises et des erreurs, hier il a été arrêté que quiconque serait assez riche pour attendre, fût-il innocemment détenu, ne serait mis en liberté que lorsqu’il n’y aura plus de sans-culottes, de vrais patriotes en état d’arrestation. (On applaudit.) Et voilà pourquoi, depuis hier, plus de 50 réclamations très simples, sur lesquelles on pouvait prononcer sur-le-champ, on été renvoyées à d’autres moments. Je demande donc l’ordre du jour sur la proposition de Granet; je demande en outre que nos collègues, au lieu de mettre de l’aigreur contre nous et de paraître vouloir détruire ce qu’a fait la Convention depuis la chute du dernier tyran, viennent franchement, loyalement nous dire : « vous avez mis en liberté tel et tel aristocrate »; alors nous prendrons des mesures pour les faire réincarcérer. Il ne faut pas donner lieu de craindre que les listes qu’on demande deviennent un jour des listes de proscription... (il s’élève quelques murmures). Oui, de proscription... Et si, dans la dernière fête, on a remarqué qu’une partie des citoyens n’y apportait pas la même gaîté qu’à toutes les autres, c’est que la motion du matin avait répandu la terreur dans tous les esprits. Je le répète, le comité sera toujours le parti de l’opposition pour quiconque voudra se mettre ou mettre ses partisans à la place de Robespierre. J’insiste pour l’ordre du jour. [ Applaudissements ] LEGENDRE : Voulez-vous savoir le motif qui a déterminé la motion qui vous a été faite ? Je vais vous le dire sans passion et sans aucune partialité. Cela vient de ce que quelquefois il se trouve, dans la députation d’un département, un membre qui s’oppose à la liberté de quelques personnes que demandent ses collègues; cet opposant vient alors vous proposer de faire imprimer les noms des personnes élargies et de ceux qui ont réclamé pour elles. Le comité de sûreté générale s’est bien aperçu qu’on lui avait surpris la liberté de quelques aristocrates; mais le nombre n’en est pas grand; je n’en connais que deux : ce sont les ci-devant duc d’Aumont et de Valentinois, et ils sont repris. Si quelqu’un de nos collègues vient nous prouver qu’il en est d’autres que nous ayons élargis involontairement, nous les ferons réincarcérer aussitôt; et si les gens suspects parvenaient à se soustraire à notre surveillance, notre projet est de venir vous demander de les mettre hors de la loi jusqu’à ce qu’ils aient été repris. Voulons-nous accélérer la révolution ? Ne nous laissons pas diriger par nos passions; qu’aucun de nous ne regarde son collègue comme un ennemi de la chose publique parce qu’il diffère d’opinion avec lui. N’avons-nous pas vu naguère Couthon dire à Bourdon (de l’Oise), parce qu’il combattait son opinion, qu’il raisonnait comme Pitt et Cobourg ? Cet exemple s’est renouvelé souvent depuis. Cependant nous voulons tous le bien. Je le répète, ne nous regardons pas comme ennemis quand la même cause nous réunit, quand nos intentions nous rapprochent. Ici je vais vous présenter quelques réflexions sur la proposition qui vous a été faite d’imprimer la liste des citoyens élargis depuis le 11 thermidor. Citoyens, si vous adoptiez cette proposition, il faudrait faire imprimer aussi les motifs de détention, et vous y verriez les causes les plus misérables, les motifs les plus faibles; vous y verriez des gens incarcérés pour avoir avili la représentation nationale dans la personne de Robespierre, et pour d’autres causes aussi ridicules. Je demande donc le rapport du décret du 23, de ce décret qui a jeté la terreur dans l’âme du peuple, dans un moment où il a besoin de tous ses moyens, de toute son énergie. TURREAU : Je déclare qu’en appuyant l’opinion de Granet, je n’ai entendu appuyer que l’impression de la liste de ceux qui avaient réclamé en faveur des personnes élargies. En conséquence, je demande l’ordre du jour sur la seconde partie de la motion. TALLIEN : Je regarde cette séance comme l’une des plus importantes que nous ayons eues depuis que le tyran n’est plus. Oui, oui, il faut enfin dire à la Convention toute la vérité. Il faut lui dire qu’on la mène au bord du précipice; il faut lui dire qu’on veut l’anéantir, et je vais le prouver. Depuis quelques jours vous avez dû remarquer avec étonnement, et tous les bons citoyens SÉANCE DU 26 THERMIDOR AN II (13 AOÛT 1794) - N° 12 29 avec douleur, qu’on cherche à opposer les individus aux individus, à faire naître des querelles particulières, à ranimer les haines, les passions qui devraient être toutes ensevelies dans la tombe de Robespierre. En entrant, on m’a fait remettre un billet dans lequel on m’annonce que plusieurs membres doivent être attaqués dans cette séance. C’est sans doute l’aristocratie qui fait courir ces bruits; ce n’est pas un homme que l’on veut percer; ce n’est pas quelques hommes que l’on veut abattre; c’est la Convention qui fait trembler les tyrans, que l’on veut détruire. Ne secondons pas nos ennemis par nos divisions : que l’Europe sache que nous nous défendons de toute prévention, que nous n’écoutons aucune passion. Montrons que nous sommes envoyés ici pour faire le bonheur du peuple, et non pas pour nous quereller et nous disputer. (On applaudit). Continuateurs de Robespierre, n’espérez aucun succès, la masse de la Convention est déterminée à périr ici... (oui! oui! s’écrient tous les membres en se levant simultanément) ou à anéantir tous les tyrans, de quelque masque qu’ils se couvrent. (Le même mouvement se répète). Oui, l’on a cherché à anéantir la Convention; on a cherché à répandre qu’elle ne voulait pas le gouvernement révolutionnaire, ou qu’elle le voulait juste à la manière des aristocrates. Non, la Convention ne veut pas un gouvernement juste à la manière des aristocrates ni à celle des Feuillants; mais elle veut un gouvernement juste à la manière du peuple. (Vifs applaudissements). Nous voulons anéantir l’aristocratie et donner au peuple l’assurance de la liberté; nous voulons que l’innocence ne soit plus opprimée; nous voulons que le glaive de la justice ne soit point un couteau à deux tranchants : voilà les sentiments qui animent la Convention. Il est possible que quelques patriotes aient été trompés sur le compte de quelques individus : nous ne croyons pas à l’infaillibilité des hommes. Si quelque membre a été trompé, qu’il monte à cette tribune : il est beau de reconnaître son erreur. (On applaudit). Si quelque autre a connaissance qu’un aristocrate ait été élargi, qu’il le dénonce; qu’on en donne la liste, et ils seront aussitôt tous arrêtés. Mais prenons garde aux manoeuvres de l’aristocratie; elle se glisse dans les groupes, elle sème la terreur; elle répand que la Convention est divisée, et que cette division nous amènera insensiblement à nous entr’égorger; elle ajoute, pour confirmer ces bruits, qu’on veut empêcher les patriotes de sortir des prisons en intimidant ceux qui solliciteraient leur élargissement. Eh bien, je fais un aveu sincère, j’aime mieux voir aujourd’hui en liberté vingt aristocrates, qu’on reprendra demain, que de voir un patriote rester dans les fers. Eh quoi! la République, avec ses 1 200 000 citoyens armés, aurait peur de quelques aristocrates! Non, elle est trop grande; elle saura toujours découvrir et frapper ses ennemis. Oui, il a été commis des erreurs. J’en indiquerai moi-même au comité de sûreté générale, et le tribunal révolutionnaire fera justice des ennemis du peuple. Mais ne semons pas le découragement parmi les citoyens et la division dans la Convention. Si l’état où nous sommes dure encore quelques jours, si les hommes ne savent pas s’estimer, si nous ne sommes pas unis entre nous, il ne nous reste plus qu’à nous engloutir ici; car sans notre union la liberté est anéantie. Mais non, je vois un avenir plus consolant : la liberté triomphera, la Convention déclarera, à tous ceux qui voudraient imiter le tyran que nous avonà abattu, qu’elle est ici pour les frapper; qu’elle veut un gouvernement révolutionnaire, juste, mais ferme; sévère, mais qui ne fasse pas trembler les citoyens; car la terreur est l’arme de la tyrannie; sévère seulement pour les ennemis de la liberté, rassurant pour le père de famille, pour l’honnête homme; qui n’accorde point l’impunité aux premiers, mais qui garantisse le second qu’on ne viendra plus l’enlever sans motif à tout ce qui lui est cher, qui lui garantisse qu’il ne sera pas incarcéré parce qu’il se trouvera chez un homme qu’on viendra arrêter. Car il faut que vous sachiez que beaucoup de mandats d’arrêt portaient ces mots : « Le citoyen un tel, et autres personnes qui se trouveront chez lui ». Il y a beaucoup d’autres infamies dont vous serez instruits. Voulez-vous que la liste des citoyens victimes de ces horreurs soit publiée avec celle des gens contre lesquels de légitimes motifs de suspicion s’étaient élevés ? Je le répète, il faut que l’union règne ici, que ceux qui ont des soupçons les expliquent, afin que l’aristocratie ne profite pas de nos divisions. Pour moi, je déclare que je le ferai, et tous les patriotes m’imiteront. Je demande que l’impartialité, que la justice régnent ici. Si c’est là une idée modérée, je déclare que je suis modéré, et toute la Convention l’est sans doute aussi. ( Oui, oui ! s’écrie-t-on). Je demande le rapport du précédent décret, et l’ordre du jour sur la nouvelle proposition. BERNARD (de Saintes) : Ce que je viens d’entendre a lieu de m’étonner. Merlin s’est élevé contre les intrigants, et il a eu raison; il sait mieux que personne que j’ai acquis le droit de parler contre les intrigants; car il sait que je n’ai jamais trempé dans aucune intrigue. On vient de dire 'que la Convention était sur le bord du précipice, qu’elle était comme divisée; et à propos de quoi ce discours ? Parce qu’on a fait une motion qui tend à punir les aristocrates. (Murmures). Il s’agissait d’une motion de comprimer les aristocrates. (Plusieurs membres font entendre de nouveaux murmures). Il n’y a pas longtemps que vous avez appris, presque à vos dépens, combien sont dangereux les discours dans lesquels on vous parle de factions; rappelez-vous que Robespierre et ses complices vous disaient sans cesse à cette tribune qu’on voulait avilir la Convention, qu’on voulait la diviser. Ce n’est pas par des discours et par des fleurs d’éloquence qu’on doit venir semer ici une fausse discorde. Si l’on connaît des hommes qui veulent marcher sur les traces de Robespierre, il faut avoir la force de les dénoncer. Vous devez craindre qu’on ne vous séduise par de grandes phrases; vous devez craindre la domination, et, pour l’éviter, il ne 30 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE faut pas permettre qu’aucun membre de la Convention ait le droit d’imposer silence à un autre; il ne faut pas qu’il trouve un crédit assez fort pour hasarder tout ce que la passion peut suggérer. Vous devez obliger chaque membre à se tenir ferme dans la discussion, et à ne pas faire de sortie étrangère au sujet. On a crié contre le décret du 23 thermidor; on a dit qu’il avait jeté la terreur parmi le peuple. Plusieurs voix : C’est vrai! BERNARD : La raison seule doit vous dire que cela ne peut pas être. Sondez votre propre coeur, et demandez-vous à vous-mêmes quel est l’honnête homme qui ne se ferait pas un devoir de déclarer ce qu’il a fait; moi, je déclare que je me ferais honneur d’avoir fait mettre en liberté un homme de bien. Ce n’est donc que pour les scélérats que votre loi peut être redoutable, et notre intention n’est pas de favoriser ceux-là. J’ajoute que, si vous rapportez le décret que vous avez rendu, vous allez entraver les opérations du comité; car on va venir en foule le solliciter, et plus on l’entoure, moins il accélère (1). [BERNARD (de Saintes) : Tallien fait sentir que cette liste [celle dont le décret du 23 thermidor demande l’impression] serait une suite à celle des vingt mille et des huit mille. Une voix : Il n’y a qu’une chose qui perd la République, c’est le vieux comité!] (2). BENTABOLE : Il est constant que la Convention nationale n’est pas dans un état de tranquillité absolue; il est constant qu’on veut jeter du doute sur les comités. Je sais que la proposition de faire dresser les listes est conforme à tous les principes. (Applaudissements). Mais il faut savoir si cette proposition n’a pas été dictée par d’autres raisons; il faut savoir quelles en seront les suites. Une liste pareille consacrera des proscriptions. Il en résultera une multitude d’accusations des députés contre les députés. Ces accusations pourront être dictées par la bonne foi contre des collègues trompés; mais comment jugerez-vous s’ils ont été trompés ? Les soupçons, les inquiétudes, planeront toujours au milieu de nous. Je vous adjure, au nom de la patrie, de prendre garde que la division ne se glisse au milieu de nous. C’est l’union qui nous a sauvés; pourquoi l’écarterions-nous ? Je soutiens que l’impression des listes formera des partis et aura les effets les plus funestes. Je vous propose un moyen de rassurer le peuple, qui vous observe, et qui examine si vous voulez vraiment le sauver. Il est certain que le comité de sûreté générale a commis des erreurs; il vous a dit lui-même qu’il avait été trompé; mais malgré cela il a encore votre confiance. (Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). Eh bien, (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 484-487; Débats, n° 692, 455-457, n° 693, 466-475; Ann. patr. , n° DLXC; J.Fr. , nos 688, 689; J. Sablier, n° 1498; C. Eg. , n° 725; F.S.P. , nos 405, 406; Ann. R.F., n°255; J. Perlet, n° 690; C. univ. n° 957; Audit, nat., n°689; J. Paris, n° 592; Rép., n° 237; J. Jacquin, n° 745; J. univ., n° 1725; M.U., XLII, 431-432; J. S. -Culottes , n°s545, 546. (2) Ann. R.F., n° 255; C. Eg., n° 725. pourquoi ne pas s’en rapporter à lui pour réparer ces erreurs, pour poursuivre l’aristocratie ? S’il n’a pas votre confiance, nommez-en un BOURDON (de l’Oise) : C’est dans cette circonstance que nous voyons le bien d’une discussion prolongée. Je rends hommage aux intentions de ceux qui ont proposé la liste. Cette idée, juste en elle-même, a saisi deux fois l’esprit de la Convention; mais voici des réflexions que je ne puis me dispenser de soumettre. Dans les heureux mouvements qui ont marqué la chute du tyran, il est possible que des patriotes égarés se soient intéressés pour des gens qu’ils croyaient purs, sur lesquels ils ont été trompés. Le remède qu’on vous propose ne guérirait pas le mal passé, et ce serait une troisième liste à la suite de celles des vingt mille et des huit mille. (Plusieurs voix) : c’est vrai!). Il faut que le comité soit ferme, qu’il prenne le temps d’examiner les demandes qui lui sont soumises; s’il s’est échappé quelques aristocrates, il faut s’en rapporter à son patriotisme pour les faire reprendre. Ainsi il faut rapporter la seconde partie du décret, mais maintenir la première; car si les bons citoyens ont des faits à la charge de quelques-uns de ceux qui ont été élargis, il faut qu’ils en aient la liste. MERLIN (de Thionville) : Les raisons que Bourdon vient de donner pour empêcher l’impression de la liste des réclamants sont les mêmes qui s’opposent à l’impression de la liste des personnes mises en liberté; car je soutiens que cette dernière liste pourra aussi bien que l’autre être accolée aux pétitions des vingt mille et des huit mille. Ce qui est déjà arrivé pourra arriver encore, et les détenus qui doivent leur liberté à la bienfaisance de la Convention seraient les premières victimes d’une nouvelle faction qui pourrait s’élever. (On murmure). Je sais que le comité doit compte à la Convention de ses opérations, et il ne s’y refuse pas; ses bureaux ne sont pas les siens, ce sont ceux de la Convention; que nos collègues viennent y prendre tous les renseignements qu’ils désireront. On ne leur refusera rien; ils pourront y prendre connaissance des noms de toutes les personnes mises en liberté; mais si l’on admettait la partie de la motion relative à l’impression des listes, motion que la morale réprouve et que la raison condamne, j’aimerais mieux la motion de Granet dans son intégrité. Je demande que la liste des personnes mises en liberté soit écrite dans les bureaux du comité, où tous les membres pourront la lire, et faire ensuite les observations qu’ils croiront convenables. CHARLIER : J’appuie l’impression de la liste, parce que, d’un côté elle présentera les actes d’oppression de la faction de Robespierre, et, de l’autre, les actes de justice de la Convention. THIRION : Nous avons donné notre confiance au comité de sûreté générale, et nous devons nous en rapporter à lui. J’appuie la proposition de Merlin. Le président met aux voix la priorité; elle est accordée à la proposition de Bourdon (de l’Oise), qui est de suite adoptée. SÉANCE DU 26 THERMIDOR AN II (13 AOÛT 1794) - N° 13 31 TALLIEN : Puisque l’on veut faire imprimer la liste de ceux qui ont été mis en liberté, je demande qu’on imprime aussi les noms de ceux qui les ont fait incarcérer; il faut que le peuple connaisse ses véritables ennemis, ceux qui ont dénoncé des patriotes et les ont fait incarcérer. La proposition de Tallien, appuyée par plusieurs membres, est à l’instant même mise aux voix et adoptée. Quelques membres réclament. - On entend plusieurs voix : « C’est la guerre civile! » (1). [Ici de grands débats s’élèvent; le haut de la montagne s’écrie que l’on veut la guerre civile. Cette exclamation d’Audouin excite de violens murmures (2)]. TALLIEN : Je déclare à la Convention que ma proposition n’a eu d’autre but que de lui faire voir combien est dangereux le décret qu’elle a précédemment rendu. Je n’ai pas voulu la faire adopter. Si l’on rapporte le premier décret, je demande aussi le rapport de celui que la Convention vient de rendre sur ma proposition. Plusieurs voix : Le rapport des deux décrets! AMAR : Nous sortons d’une convulsion politique qui devait anéantir l’égalité et la liberté, et la Convention avec elle; nous sortons des orages : prenons garde d’en exciter d’autres. Une conséquence nécessaire du décret qui ordonne l’impression de la liste des personnes sorties de prison était de faire imprimer celle de leurs dénonciateurs. Voyez comme une proposition en entraîne ou amène une autre; car la seconde mesure est la garantie de ceux qui sont inculpés par la première. Voyez comme, en déchirant le voile qui doit exister sur certaines opérations du gouvernement, on peut nuire à la chose publique. Si nous allons ainsi d’une proposition à l’autre, en suivant les extrêmes, nous arriverons à un déchirement effroyable. Le premier décret, qui mettrait pour ainsi dire à l’index tous les citoyens bons ou mauvais qui ont pu sortir, aurait encore d’autres inconvénients; il ferait croire que dans un moment d’effervescence on aurait indistinctement mis en prison toutes sortes de personnes, et il en pourrait résulter un choc dangereux. Si, d’un autre côté, vous publiez la liste de ceux qui ont dénoncé, vous ne trouverez plus, dans ce passage du gouvernement révolutionnaire, qui veut une marche rapide et ferme, un seul homme probe et courageux qui viendra vous découvrir des secrets important à la chose publique, et dont lui seul a connaissance. Vous donnez aux méchants les moyens de conspirer dans l’ombre pour égarer les bons. Je crois vous avoir démontré combien cette mesure précipitée compromettrait la liberté; je crois enfin qu’il est bon de rapporter les deux décrets. Que les représentants du peuple viennent au comité de sûreté générale; il écoutera toujours les observations qui lui seront faites sur ses opérations. MONESTIER : Je crois en général que le bien et le mal dans l’intérieur de la République peuvent venir de la Convention. Toutes les fois (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 487-488. (2) C. Eg., n° 725; Ann. R.F., n° 255. que la République ne court pas de troubles ni de dangers dans l’intérieur, il n’y en a point à craindre à l’extérieur. Je crois qu’il n’est pas un seul de nous qui puisse assurer que l’impression ou la non-impression des listes puisse sauver la chose publique au dedans ou au dehors; je crois encore qu’un homme qui aime sa patrie aime la paix; en conséquence, je demande le rapport des deux décrets (1). [Le président met aux voix le rapport de l’une et l’autre proposition. La moitié de la salle se lève pour; l’autre moitié ne se lève ni pour ni contre : en conséquence, les deux décrets sont rapportés (2)]. 13 Les commissaires de l’attelier patriotique de Montpellier (3), établi dans le local des ci-devant Augustins, font part à la Convention du total du salpêtre montant à 12 301 livrets]. Mention honorable, insertion au bulletin (4). Etat des diverses remises de salpettre qui ont été faittes par les commissaires de l’attelier patriotique de Montpellier, étably dans le local des cy-devant Augustins (5) : Total ...................................... 12301,18 marcs Je soussigné, agent du district pour l’exploitation révolutionnaire, certifie l’état ci-dessus conforme à mes regîtres. A Montpellier, le 1er thermidor de l’an 2 de la République française, une et indivisible. VlRENQUE. Je soussigné, administrateur du district de Montpellier, et commissaire pour la partie des (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 488. (2) Ann. R.F. , n° 255. La plupart des journaux donnent un compte-rendu détaillé de cette discussion; ils signalent plusieurs grands tumultes, des cris, des injures. Dans leur suppl1 au n° DXC, les Ann. patr. font dire au représentant Monestier : quand il ne seroitt pas bien prouvé que ce décret est la création d’une liste ; de proscription, il faudrait le rapporter, seulement parce qu’il est l’occasion de scènes scandaleuses dans cette enceinte. Le journal ajoute : Il a régné dans l’assemblée, pendant toute cette séance, une effervescence extraordinaire. Le haut de la montagne deman-doit les listes et traitait le bas de modérés. Voir le décret, ci-dessous, n° 20. (3) Hérault. (4) P. V., XLIII, 209. (5) C 316, pl. 1266, p. 48.