468 {Assemblée nationale.] ARCHIVES,, PARLEMENTAIRES. {5 octobre 1790.] Produit de la taxe sur les terres et sur le malt, ainsi que de tous les droits de la douane et de l’accise ................... 16,300,000 liv. st. Frais de recette payés par le peuple ( tous les receveurs comptent du produit net environ) .................... Taxe pour les pauvres.. . . Barrières sur les routes, péages sur les canaux et rivières, droits cédés aux villes Frais de justice inconnus, mais très considérables ..... 800,000 2,000,000 1,000,000 Mémoire Total... 20,100,000 liv. st. Cette somme, au change de vingt-huit et demi, cours moyen entre la France et l’Angleterre avant l'émission des assignats, produit environ 508 millions tournois (1). L’Angleterre et l’Ecosse contiennent à peu près huit millions d’habitants, chaqueindividupayedonc à l’Etat 63 livres lOsols. On remarquera que les charges des Anglais seront bientôt de nouveau augmentées pour le payement des intérêts de la dette flottante non constituée qui, avec les dépenses de l’armement actuel, ne sera pas de moins de 400 millions tournois. Ces intérêts, à 3 0/0 seulement, formeront une charge additionnelle de 12 millions pour l’Etat, et de 30 sols pour chaque individu. Si les contributions de la France, dont la population est de vingt-cinq millions d’hommes, sont de 660 millions, la charge de chacun de ses habitants sera d’environ 26 livres 8 sols ; mais la justice leur sera rendue gratuitement. Par ce tableau comparatif, on peut juger de la situation des deux nations. Les taxes sont si multipliées et si onéreuses en Angleterre, qu’on ne conçoit pas bien quels seraient les impôts productifs que les ministres pourraient établir en cas de guerre. Il est difficile de croire que, dans la situation embarrassée de leurs finances, les Anglais songent sérieusement à faire la guerre. Cependant, malgré leur position gênée, ils sont encore les seuls ennemis vraiment redoutables pour la France, à cause de la force de leur marine et du nombre de leurs vaisseaux. Quand on est maître de la mer, on domine bientôt sur la terre. 11 serait très désirable que nous pussions consacrer tous les ans à la marine 10 ou 12 millions de plus, qui seraient employés à bâtir autant de vaisseaux de ligne. Jamais nous ne combattrons les Anglais avec avantage, si nous n’avons pas de forces égales à leur opposer sans être obligés de recourir à des alliés fidèles, sans doute, mais qui sont rarement en état de nous secourir efficacement, et dont le caractère sera, plus encore qu’avant la Révolution, incompatible avec le nôtre. Nos frontières, du côté des puissances du continent, sont défendues par les plus inexpugnables des forteresses, les gardes nationales. Il faut donc tourner tous efforts du côté de la mer. Ces réflexions me font désirer que l’Assemblée nationale veuille consacrer deux autres principes que je regarde comme très importants, si elle est décidée à renoncer pour toujours aux ressources (1) Au change actuel de 25 1/2, 20,100,000 sterlings formeraient plus de 567,000,000 tournois ; mais ce cours désavantageux, sur lequel on ne peut appuyer aucun calcul de comparaison, ne sera, il faut l’espérer, que momentanée ruineuses des emprunts et des anticipations, et si elle veutque les nations voisines sachent quels seraient les moyens de la France dans le cas où elle serait atiaquée. Voici ces principes : 1° Le déficit qui pourra se trouver sur les recettes d'une année sera toujours imposé par augmentation sur Vannée suivante ; 2° En cas de guerre tous les salariés et tous les fonctionnaires publics, à l'exception des officiers, soldats et matelots en activité, même la liste civile , éprouveront une retenue, et les contributions publiques supporteront une augmentation , telle que le Corps législatif la jugera nécessaire pour défrayer toutes les dépenses de la guerre. Ce n’est pas seulement à l’état de paix qu’il faut pourvoir ; il faut encore penser aux dépenses éventuelles de la guerre. Depuis un siècle, la France a eu quarante années de guerre à soutenir contre l’Angleterre seule. Puisse l’Assemblée nationale établir dans les finances un ordre tel qu’en temps de paix le produit des contributions surpasse toujours les besoins, et qu’en temps de guerre des économies et de nouveaux impôts qui y seraient d’avance destinés, fournissent des fonds suffisants pour la soutenir ! Et bientôt la nation française reprendra en Europe le rang qui lui est assuré par sa puissance. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ, EX-PRÉSIDENT. Séance du mardi 5 octobre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. M. d’André, ex-président, occupe le fauteuil en l’absence de M. le Président. M. Despatyg présente deux adresses, l’une des communautés d’Andrezelles, Champd�euil, Guignes, Hyebles, l’Etang, Pecqueux et Bussy, district de Melun, département de Seiue-et-Marne.; l’autre des gardes nationales des mêmes conjjuu-nautés. Celle-ci contient des expressions d’admi-r ration pour la conduite des gardes nationales de Metz, et l’offre d’uhe somme de 150 livres à distribuer aux veuves des soldats citoyens morts à Nancy. ' M. Vieillard {de Saint-Lô ), secrétaire , fait lecture d’une pétition de cent cinquante locataires de maisons à Versailles. Ils représentent que l’absence du roi a anéanti les avantages qu’ils retiraient de leurs locations, et demandent la résiliation des baux. — On passe à l’ordre du jour. M. de Trouville, ingénieur, admis à la barre, s’exprime en ces termes : Je viens déposer dans votre sein une découverte hydraulique, d’une application immense au développement de l’agriculture et du commerce que vous allez régénérer. Le jeu simple et réciproque de deux éléments, l’air et l’eau, suprême puissance de la nature, présentait aux hommes une combinaison générale, dont la versatilité et le déguisement avaienf. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 octobre 1190.] 469 échappé jusqu’ici, même aux plus grands génie3, appliqués à la science hydraulique. Qui d’eux tous avait osé croire que la mer, par sou flux et reflux, que les rivières et les sources pouvaient s’élever sur les plus hautes montagnes, sans rouages ni mécaniques, mais par la loi inverse de leur écoulement ou de leur chute? Qui aurait osé croire que des eaux vives pouvaient respirer et animer des eaux mortes à des distances considérables, sans intermédiaires mécaniques ? Soulever des lacs, marais, étangs, et les replacer sur des terrains secs et arides, en amenant une double fécondité ; produire des salines artificielles sur des plages inconnues à la mer, produire des écluses de bas en haut, sans bassin de partage, et par conséquent des canaux de navigation, d’irrigation et de jonction, jusqu’à présent réputés impossibles? Etablir dans nos ports des formes nouvelles pour le radoub des vaisseaux? Faire enfin marcher à froid les pompes à feu, sans changer leur construction, en leur laissant la faculté de marcher à chaud à volonté ? Cette découverte a reçu, dans mes mains, une théorie physique et géométrique réglée par les principes : elle est devenue un art complet dont l’académie vient de reconnaître et constater la réalité. Tandis que par vos soins paternels, des relations nouvelles et profondes, morales et politiques, élèvent de toutes parts la prospérité française, au milieu des nations étonnées, il était encore réservé à la France de produire, au milieu de ces événements extraordinaires, une régénération physique et territoriale, qui surprît la nature elle-même, et servît d’instruction aux peuples civilisés. L’homme utile aux hommes est de tous les pays, appartient à toutes les nations ; vous l’avez prouvé par le deuil honorable dont vous vous couvrîtes pour honorer la mémoire de Franklin. Ainsi, par l’utilité universelle des moyens naturels que je me fais un devoir bien doux de vous présenter, à l’honneur d’être Français, je puis espérer de joindre le titre de citoyen du monde, comme vous, par la sagesse et la stabilité de vos décrets. Après avoir été les législateurs de l’Empire français, vous le serez, à coup sûr, des nations qui voudront arriver au bonheur. Je supplie l’Assemblée nationale de prendre ma découverte en considération, et d’en ordonner les expériences en grand. (L’Assemblée applaudit, renvoie cette pétition au comité de commerce et d’agriculture, et accorde à M. de Trouville l’honneur de la séance.) M. le Président fait lecture d’une note de M. le garde des sceaux. En voici l’extrait : « Le roi me charge d’informer l’Assemblée nationale de la manière dont les chambres de vacations des parlements de Rouen, Bordeaux, Douai, Nancy, Grenoble, Toulouse et le conseil supérieur de Colmar ont reçu le décret qui supprime toute l’ancienne hiérarchie judiciaire. Les chambres des vacations de Rouen et Bordeaux ont ordonné la transcription sur les registres et l’envoi aux tribunaux inférieurs. Celle de Douai a pris un arrêté par lequel elle déclare que, forcée par les circonstances, elle cesse toutes fonctions. Celle de Nancy a transcrit sur les registres, en déclarant obéir à la force. A Grenoble, le procureur du roi s’est plusieurs fois transporté au palais, sans jamais y trouver personne. La chambre des vacations du parlement de Toulouse a pris, le 25 septembre, un arrêté sur lequel le roi a cru devoir se concerter avec l’Assemblée nationale, avant de prendre aucun parti. Je vous fais passer copie de cet arrêté : « La cour, séant en vacations, considérant que la monarchie française touche au moment de sa dissolution ; qu’il n’en restera bientôt plus aucun vestige; que les cours anciennes de justice ne sont "pas même respectées ; considérant que les députés aux Etats généraux n’avaient été envoyés que pour mettre un terme à la dilapidation des finances, à laquelle les parlements n’ont cessé de s’opposer ; considérant que ces mêmes députés n’ont pu changer la constitution de l’Etat sans violer leurs mandats et la foi jurée à leurs commettants; considérant que, pour qu’ils pussent détruire la magistrature, il faudrait que leurs mandats leur en donnassent charge expresse ; qu’au contraire, plusieurs cahiers des sénéchaussées du ressort demandent expressément la conservation du parlement de Languedoc; considérant que le clergé a été privé de ses biens, dont une longue possession semblait devoir lui assurer la jouissance à jamais ; que la noblesse a été dépouillée de tous ses droits et de ses titres, contre tous les principes constitutifs d’une véritable monarchie; que la religion est dégradée et entraînée vers sa ruine; que le nouvel ordre judiciaire ne peut qu’aggraver, sur la tête des peuples, le fardeau des impôts ; « La cour inviolablement attachée à la personne sacrée du roi, aux princes de son auguste sang, et aux lois anciennes, proteste, pour l’intérêt dudit seigneur roi, contre le bouleversement de la monarchie, l’anéantissement des ordres, l’envahissement des propriétés, la suppression de la cour de Languedoc; et vu que les précédents édits et déclarations n’ont été transcrits par elle sur les registres que provisoirement et à la charge de l’être de nouveau, à la rentrée de la cour, clause maintenant illusoire, elle déclare lesdits enregistrements non avenus. « Le 27 septembre, le procureur général du roi entré, et les lettres patentes de suppression déposées sur le bureau, la cour, considérant son précédent arrêté et l’impossibilité où elle est de se détruire elle-même, déclare ne pas pouvoir procéder à l’enregistrement desdites lettres. » M. Robespierre. Cet arrêté n’est qu’un acte de délire, qui ne doit exciter que le mépris. L’Assemblée peut déclarer aux divers membres de Toulouse qu'elle leur permet de continuer à être de mauvais citoyens. Ce corps se coalise avec le pouvoir exécutif. (Il s’élève des murmures.) Pourquoi ce ministre s’empresse-t-il d’eri prévenir l’Assemblée? ( Les murmures augmentent. — M. Robespierre descend de la tribune.) M. Populus. Je demande que le comité de Constitution propose dans trois jours un plan pour l’établissement d’une haute cour nationale et du tribunal de cassation. (La présentation de ce plan est ajournée à huitaine.) (La lettre de M. le garde des sceaux et les pièces qui y sont jointes sont renvoyées au comité des rapports.) M. Volfius. Je demande à l’Assemblée, conformément à ce qui a été décrété pour la cour provisoire de la ville de Rennes et pour les mêmes raisons, que la cour provisoire établie à Dijon, le 21 juin dernier, soit autorisée à continuer ses séances jusqu’au 15 octobre.