28 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [30 juillet 1791.] ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DEFERMON. Séance du samedi 30 juillet 1791, au matin (1), Un de Messieurs les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance du mercredi 27 juillet au matin, qui est adopté. Un de Messieurs les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance du mardi 26 juillet au soir, qui est adopté. M. Goudard. Messieurs, le comité d'agriculture et de commerce m’a chargé de vous donner lecture de la lettre suivante, touchant la culture du tabac : « Monsieur le président, « A la suite de plusieurs hommages rendus à l’auguste Assemblée sur la culture du tabac, j’ose lui en présenter un qui rassemble sept rocédés dans différents climats, savoir : en anemark, dans l’Ukraine, chez les Grisons, dans la Pannonie, la Virginie, la Guyane et le département du Lot. « Quoi qu’aient pu objecter, contre ce bienfait, les partisans des privilèges, il n’en est pas moins vrai que cette culture occu pera utilement 30,000 arpents de terre, 30,000 bras, dont les trois quarts enfants impubères ; qu’elle obligera d’avoir 60,000 bêtes à corne de plus pour lés engrais, et faire dessécher autant de marais pour leur nourriture ou pour étendre la culture du tabac, Elle donnera à la France une nouvelle branche de commerce extérieur, parce qu’elle a des cantons où son tabac est supérieur à celui de la Virginie ; elle présente un état certain et honnête aux familles qui s’y livreront entièrement, car elle ne souffre point de médiocrité; enfin, elle terminera une dépense de numéraire qui, depuis 1719, coûte à la France au delà de 700 millions, dont l’Angleterre n’a fait usage que pour nous humilier et nous enlever nos colonies les plus utiles. « Ces matières sont amplement développées dans ce traité; mais comme il a environ 500 pages, je suis prêt d’en donner un extrait, en 15 à 20 pages, si l’auguste Assemblée l’ordonne. « Je suis, etc. « Signé : ViLLENEüVE. » Je demande que l’Assemblée fasse mention de la lettre de l’ouvrage du sieur Villeneuve dans le procès-verbal. Plusieurs membres : L’impression des 20 pages. (L’Assemblée, consultée, décrète quhl sera fait mention dans le procès-verbal de la lettre et de l’ouvrage du sieur Villeneuve, et ordonne l’impression de l’extrait de cet ouvrage.) M. Delà vigne, secrétaire, fait lecture d’une adresse des administrateurs du directoire du département de Rhône-et-Loire, qui expriment un respect religieux pour la loi, un amour ardent pour la liberté, une confiance inaltérable en la sagesse de l’Assemblée; ils admirent, dans sa conduite, et le calme de la raison, et le courage de la vertu; ils remercient l’Assemblée d’avoir mis la Constitution monarchique hors de toute atteinte, r et de l’avoir placée comme un rocher majestueux au milieu des mers, pour y braver tous les orages et triompher des vicissitudes du temps. « Les factieux, disent-ils, qui osaient porter une main impie sur ce trophée de la Constitution, sont maintenant confondus, et ceux qui, entraînés par faiblesse ou par l’exagération de leurs idées, s’étaient éloignées du respect dû aux principes, commencent à se rallier en foule autour de vos lois comme autour du monument de la félicité publique. « Ainsi, votre sagesse a vaincu tous les obstacles ; vous avez mis la Constitution monarchique hors de toute enceinte. Vous l’avez placée comme un rocher majestueux au milieu des mers, pour y braver les orages et fatiguer le temps. Jouissez de vos travaux et de3 bénédictions d’un peuple libre; que votre retraite trop prochaine au gré de nos vœux, soit aussi paisible que votre carrière a été difficile et orageuse, vous avez associé notre bonheur à votre gloire; notre reconnaissance sera éternelle comme votre ouvrage, et nos sentiments pour vous seront aussi purs et aussi sublimes que la la liberté dont vous nous avez fait jouir ; fidèles à nos serments, nous professons toujours vos principes, et nous veillerons, avec le plus grand zèle, au maintien de la Constitution. Respect religieux pour la loi, amour ardent pour la liberté, confiance inaltérable en votre sagesse, tels sont nos principes. M. le Président fait donner lecture de deux notes de M. Duport, ministre de la justice, qui transmet à l’Assemblée ; 1° Les doubles minutes des décrets portant aliénation des domaines nationaux en faveur de diverses municipalités, et sanctionnés par le roi les 20 et 25 mai dernier, au nombre de 52 ; 2° Les doubles minutes et la notice des décrets auxquels il a apposé le sceau de l’Etat les 21, 22, 23, 24, 25, 28 et 29 juin, les 2, 4, 5, 6, 10, 12, 17 et 18 juillet présent mois, conformément aux décrets des 21 et 25 juin dernier. M. Delavigne, secrétaire , fait lecture d’une lettre des Juges du tribunal du premier arrondis - sement du département de Paris, qui tend à justifier le sieur Polverel, accusateur public auprès de ce tribunal, du reproche de lenteur qu'on l’accuse d’avoir misé dans la poursuite de l 'affaire des faux-assignats » ...... Cette lettre est ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Les papiers publics nous ont appris hier que l’Assemblée nationale paraissait peu satisfaite de la conduite de l’accusateur public auprès de notre tribunal, relativement à l’affaire des faux assignats, dont l'Assemblée nationale nous a attribué la connaissance. Nous nous empressons de mettre sous vos yeux le tableau des travaux auxquels l’accusateur public s’est livré depuis l’époque où cette affaire nous a été renvoyée; et qui doivent le justifier du reproche de lenteur qu’on l’accuse d’avoir mis dans cette même affaire. » Nous croyons devoir ajouter qu’il est personnellement à notre connaissance que M. Polverel, naturellement très laborieux, emploie tous ses moments au service auquel sa place l’assujettit (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1791.1 29 auprès du tribunal, et qu’il serait très difficile de rencontrer pour cette place un sujet qui réunit à la fois plus d’exactitude, de zèle et de talents que ceux qui ont toujours distingué à nos yeux M. Polverel. « Nous sommes, etc. « Signé : Les juges du tribunal du premier arrondissement du département de Paris. » A cette lettre est joint un tableau du travail de l’accusateur public de ce tribunal depuis le 26 mai dernier jusqu’au 28 juillet courant. M. d’André. L’Assemblée a décidé hier, avec raison, de suspendre provisoirement l’accusateur public de ses fonctions. Messieurs, le motif que vous avez eu, a été que vous n’avez pas vu dans la conduite de l’accusateur public l’activité qu’il avait dû y mettre. Or, aujourd’hui, d’après le compte qui vous est rendu par le tribunal du premier arrondissement qu’il a fait son devoir, je pense que ces témoignages publics doivent suffire pour lever une suspension provisoire. M. le Président Je préviens l’Assemblée que M. Polverel s’est présenté ce matin chez moi et m’a demandé la grâce u’être admis à la barre. (Oui! oui!) M. Camus. Je ne pense pas que M. Polverel doive être entendu ; le décret que vous avez rendu à son égard est juste; il y aurait le plus grand danger à se rétracter aujourd’hui. C’est après avoir appris qu’il était question de faux assignats, après avoir vu qu’ils se multipliaient de jour en jour, ce qui, vraisemblablement, ne serait pas arrivé, si les coupables avaient été punis saus retard, que vous avez rendu votre décret. Les juges du tribunal qui, aujourd’hui, ont pris le temps de présenter une requête en faveur de l’accusateur public, auraient bien mieux fait de s’occuper à nous rendre le compte que nous leur avons demandé de la procédure qui doit avoir été instruite contre les fabricateurs de faux assignats. Le ministre de la justice m’a envoyé une lettre de M. Polverel ; voici ses propres expressions : Les procès-verbaux, pièces de procédure et renseignements du comité des recherches, ont été réunis successivement, au greffe, les 26, 27 et 31 mai derniers. Le 3 juin, le tribunal a reçu une plainte; les 5 accusés ont subi un interrogatoire le 9 juin; on a continué le 16 et le 18 et fini le 20 juin. L’événement de la nuit du 20 au 21 et ce qui s’en est suivi ont fait laisser l’instruction de cette affaire en souffrance pendant environ trois semaines. » A mes yeux, Messieurs, voilà le véritable crime et du tribunal et de l’accusateur public, c’est d’avoir suspendu, ne fut-ce que d’une heure, l’information; pour tout bon citoyen, pour tout accusateur public, l’événement du 21 juin était une raison de plus pour accélérer le cours de la justice; des fonctionnaires constitutionnels ne devaient pas dire : il faut voir ce qui arrivera. On ajoute : « l’information n’a commencé que le 16 juillet, présent mois. » , C’est là un tort très grave, parce que, si les interrogatoires avaient été subis le 31 mai, il fallait que l’accusateur çnblic présentât les témoins tout de suite et les témoins n’étaient pas équivoques. Le comité des recherches avait reudu public son travail sur les faux assignats et on savait à qui il fallait s’adresser pour avoir des témoins. « Depuis le 16 jusqu’au 27, dix-sept témoins ont été entendus; il en reste un essentiel à entendre, c’est le graveur qui est absent. » Mais lors du commencement de la procédure il était à Paris 1 « Restent encore les opérations des experts, graveur et papetier, qui ont éprouvé du retard. » C’est là le dernier tort de l’accusateur public; c’est à lui à requérir que ces opérations d’experts soient faites, et il peut bien le requérir avant même que tous les témoins soient entendus. Je vois donc là une négligence grave. Votre décret est donc juste. Il ne faut ici ni grâce ni clémence. Un grand exemple est nécessaire. Tous les accusateurs publics doivent savoir qu’il est de leur devoir le plus rigoureux de faire rendre promptement justice à tous les citoyens. Si les accusés sont coupables, il importe qu’ils soient punis lorsque le souvenir de leur crime est encore récent. S’ils sont innocents, c’est un crime de les priver de leur liberté, plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Il y a en ce moment des arrestations arbitraires, et cependant les personnes ainsi arrêtées, sont aussi détenues jusqu’à ce qu’à la suite des instructions préliminaires, il puisse être reudu des décrets de prise de corps ; tant qu’il n’y a pas de décret, tout accusé a le droit de demander que son affaire soit instruite, et qu’il soit élargi, et peut-être à cet égard on vous fera un jour des plaintes très sérieuse-. Je demande donc que l’accusateur public, qui a négligé ses fonctions d’une manière aussi dangereuse, ne soit pas entendu, parce que vous l’avez déjà jugé. Je dis que vous ne devez pas recevoir la requête et la recommandation des juges du tribunal, parce qu’ils sont eux-mêmes coupables, pour n’avoir pas fait avancer l’accusateur public. Je dis que votre décret étant juste étayant été rendu, l’Assemblée nationale est faite pour rendre justice et le faire exécuter ; je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’entrer dans de plus grands détails à cet égard, et j’avoue que je suis surpi is qu’on fasse une autre proposition. Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. Gaultier-Bianasat. Il est impossible que vous n’entendiez pas l’accusateur public ; je demande qu’il soit entendu. Je dois d’ailleurs instruire l’Assemblée d’un fait : c’est que M. Polverel a passé un long temps à faire des extraits au comité des recherches sur l’affaire du 21 juin. M. Bouche. L’Assemblée ne doit pas se laisser émouvoir par une fausse pitié; je demande l’ordre du jour. M.Ooupil-Préfeln. Messieurs, vous voulez faire un exemple de sévérité : eh bien! Messieurs, vous irez directement contre votre but en n’entendant pas le sieur Polverel. En effet, ou il est innocent ou il est coupable; ou il est repro-chable ou il ne l’est pas : s’il est innocent, s’il n’est pas reprochable, sa justification vous convaincra, vous l’absoudrez, vous lui rendrez justice; 3i, au contraire, il est reprochable, il ne faut pas lui donner le droit de dire qu’il a été opprimé, qu’il a été jugé sans être entendu. Je demande donc que, conformément à la demande qu’il en a faite, le sieur Polverel soit entendu par l’Assemblée.