[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] m séances ne seraient pas rompues, et qu’elle ne se jugerait séparée que lorsque la volonté de l’Assemblée nationale, qu’elle allait consulter, lui serait connue. Elle a député à l’Assemblée nationale deux de ses membres, et l’a suppliée de ratifier son arrêté. Ce n’est donc pas un décret absolu qu’a prononcé l’assemblée d’Anjou, c’est un arrêté provisoire, en attendant qu’elle pût connaître les intentions des représentants de la nation, que le péril de la province n’avait pas permis de consulter avant de prononcer sur cette importante affaire; c’est une véritable pétition à laquelle l’Assemblée nationale est suppliée de faire droit, et qui peut d’autant moins être considérée autrement, que l’assemblée d’Anjou ne peut être regardée que comme une assemblée de contribuables, et non comme une assemblée politique. Si l’Assemblée nationale considère cette, affaire sous le rapport de finances, elle reconnaîtra : 1° que la province d’Anjou proposant de payer le sel à 6U livres le minot, au lieu de 30, augmente la recette du Trésor public du double de ce que ses décrets avaient prononcé; 2° que cette province, limitrophe de la Bretagne, ne fait, en obtenant cette faveur, courir aucun danger à la recette de l’impôt du sel pour les autres provinces, puisque les barrières qui assurent cette perception, placées en deçà de ses limites, ne laisseront pas passer avec plus de facilité le sel de l’Anjou au Maine et en Touraine qu’elles ne le laissaient pénétrer en Bretagne et en Anjou ; 3° que les limites de la province d’Anjou très-peu plus étendue du côté où les barrières devront être posées aujourd’hui, que du côté de la Bretagne, augmenteront à peine les dépenses du fisc, par rétablissement d’un plus grand nombre de barrières, et augmenteront de beaucoup son revenu ; 4° enfin, que l’exemple de TAnjon, applicable seulement aux provinces voisines de provinces franches, ne serait que d’un très-grand avantage s’il était successivement imité dans tout le royaume, et amènerait ainsi, de la manière la plus complète, le remplacement général de la gabelle, tant désiré par l’Assemblée nationale, et dont elle n’osait pas se promettre la possibilité, ou au moins la prompte exécution. D’après toutes ces réflexions, je conclus : 1° à ce que l’Assemblée nationale ne considérant l’arrêté du 6 octobre, de la province d’Anjou, que comme une pétition, elle le renvoie au pouvoir exécutif, pour, par lui, prononcer ce qu’il avisera ; 2° Qu’elle ordonne sur-le-champ la séparation prompte de cette assemblée, dans le terme de son décret du 26 octobre dernier ; 3° Que le président soit chargé de répondre aux députés d’Anjou, que si elle eût pu considérer l’arrêté de la province autrement que comme une pétition, elle aurait vu avec un grand mécontentement une transgression formelle à ses décrets, que toutes les parties du royaume doivent profondément et unanimement respecter, et que sans doute la province d’Anjou, si connue par son attachement aux lois et au Roi, n’a pas la volonté d’enfreindre ; mais que cet arrêté , considéré même coqime une pétition, porte, daus ses expressions et dans son style, un caractère d’ordonnance que l’Assemblée nationale désapprouve, et qui n’ajoute qu’une forme disconvenante, mais absolument inutile à la demande qu’elle renferme. MÉMOIRE PRÉSENTÉ A L’ASSEMBLÉE NATIONALE , LE 24 OCTOBRE 1189, PAR LA SOCIÉTÉ ROYALE D’ AGRICULTURE (1). Sur les abus qui s'opposent aux progrès de l’agriculture et sur les encouragements qu’il est nécessaire d'accorder à ce premier des arts. Dans un temps où l’Assemblée nationale s’occupe d’assurer la liberté individuelle, civile et politique, ainsi que la propriété des citoyens; où l’agriculture, délivrée des droits féodaux, des corvées royales et seigneuriales, laissera aux cultivateurs l’intégrité du temps qu’exigent les travaux des champs, la Société royale d’agriculture, devenue, par la protection d’un Roi citoyen à qui la nation vient de décerner le beau titre de restaurateur de la liberté française, le centre de toutes les connaissances et de tous les encouragements relatifs à l’économie rurale, doit porter à l’Assemblée nationale l’hommage respectueux des cultivateurs; elle doit être l’organe de leurs vœux. La législation rurale présente autant de vices que la législation civile et la législation criminelle : réformer ces deux dernières en négligeant la première, serait laisser imparfaite la restauration de la France ; et la régénération du royaume (la Société ose l’avancer, parce qu’elle doit le dire) a pour principale base la régénération de la culture, La liberté, l’intérêt de la propriété, la facilité d’acquérir, les encouragements propres à accroître la reproduction territoriale, sources premières de la richesse nationale, tel a été le but des travaux de la Société et de ses correspondants de toutes les provinces. C’est sous ce point de vue qu’elle réclame avec confiance de l’Assemblée nationale, un décret contenant les principaux points du code rural et les plus instants à régler. La Société s’en rapporte, au surplus, à la sagesse des représentants de la nation, pour modifier, rectifier et perfectionner les projets qu’elle ne s’est permis de soumettre à l’Assemblée nationale, que par le désir de lui prouver son zèle pour la prospérité publique , que dans la vue de concourir à préparer ses déterminations, et à ménager ses instants précieux pour les objets importants qui lui restent encore à examiner. En conséquence, la Société royale d’agriculture propose, au nom des cultivateurs, de décréter les articles suivants : SOMMAIRE ET RÉSULTAT de chaque article. Article 1er. Que tout propriétaire auraledroitde cultiver son terrain de la manière qui lui conviendra, et d’employer sa propriété à la culture des objets auxquels il donnera la préférence. Art. 2. Que le droit de parcours sera aboli dans les cantons et provinces où il existe encore, et que chacun sera libre de clore sa propriété, de quelque étendue qu’elle soit, sans que personne puisse l’en empêcher. (1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur. 524 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] Art. 3. Que personne ne pourra s’opposer au partage des communes, et que ies assemblées provinciales seront chargées de le surveiller dans les lieux où il se réalisera, en ayant égard aux droits légitimes de chacun. Art. 4. Que personne ne pourra s'opposer au dessèchement des marais ou terrains inondés, à la destruction des moulins ou étangs ; que la nature des travaux desdits moulins et étangs pourra seulement donner lieu à uneindemnité, laquelle sera déterminée par les assemblées provinciales ou municipales. Art. 5. Que les terres du domaine, et toutes celles qui seront décidées appartenir à la nation, pourront être vendues et aliénées, soit à prix d’argent, soit en rentes rachetables, après toutefois que la valeur en aura été constatée par les assemblées provinciales. Art. 6. Que les baux ruraux pourront être, dans tout le royaume, portés à dix-huit ans et au delà, sans donner lieu à aucun droit fiscal ou autre envers qui que ce soit, et que les baux des bénéfices ne pourront être pour un terme au dessous de dix-huit ans ; qu’en outre, dans lé cas de changement de titulaire, les nouvaux seront tenus de maintenir les baux de leurs prédécesseurs, et qu’en aucun cas lesdits bénéficiers ne pourront faire de baux généraux. Art. 7. Que, vu l’importance de multiplier les propriétaires cultivateurs, de faciliter la division des propriétés, les droits de franc-fief et d’échange perçus par le fisc, seront entièrement supprimés, et les autres droits d’échange seigneuriaux stipulés rachetables. Art. 8. Que pour faciliter le commerce des terres et assurer les propriétés, il ne sera fait à l’avenir aucune substitution, ni exercé aucune espèce de retrait. Art. 9. Que la forme actuelle des saisies réelles, dont l’effet est d’attaquer, de détériorer les propriétés et de les rendre souvent stériles pendant leur durée, sera supprimée et remplacée par toute autre qui n’aura pas le même danger. Art. 10. Que l’administration et l’inspection des bois et forêts du domaine, du clergé, des communautés et des hôpitaux, seront confiées aux assemblées provinciales et municipales. Art. 11. Que les entraves apportées jusqu’à présent par la législation, à la formation et à l’extension des prairies artificielles, seront détruites, et les plus grands encouragements donnés à cette branche de culture. Art. 12. Que vu l’importance d’encourager la multiplication des abeilles, la production des cires indigènes, et de remédier aux importations de cires étrangères, les ruches seront déclarées insaisissables pour cause d’imposition. Art. 13. Que vu l’importance du produit des vignes, les différents droits d’aides, en ce qu’ils tendent à violer les domiciles, à entraver le commercedes vins, seront entièrement supprimés. Art. 14. Que la défense de cultiver le tabac et quelques plantes, à huile, étant contraire au principe de la liberté, la culture de ces plantes sera permise dans toutes les provinces du royaume, sauf à faire supporter une imposition particulière aux terres qui y seront employées. Art. 15. Que le régime de la gabelle sera entièrement supprimé. Art. 16. Que les assemblées générales s’occuperont des moyens de ramener les divers poids et mesures de toutes les provinces à l’uniformité désirée depuis si longtemps. Art. 17. Que pour rendre plus facile le transport des denrées et le commerce intérieur du royaume, les assemblées provinciales destineront chaque année une somme pour l’entretien et la confection des chemins vicinaux. Art. 18. Que le régime actuel des milices, enlevant des bras nécessaires à la culture et troublant les travaux des cultivateurs, sera changé. Art. 19. Que la célébration de toutes les fêtes sera renvoyée au dimanche. Art. 20. 'Que les dépôts de mendicité seront supprimés et remplacés par des ateliers publics, sous l’inspection des assemblées provinciales et municipales. L’Assemblée nationale est suppliée de prendre, le plus tôt possible en considération les demandes qui lui sont faites par la Société royale d’agriculture ; en promulguant les décrets qu’elle jugera favorables à l’agriculture avant l’hiver prochain, elle mettrait les cultivateurs à même de se livrer l’année prochaine à des travaux qui concourraient à augmenter considérablement les produits territoriaux. ENCOURAGEMENTS. Article 1er. De l’utilité d’honorer les laboureurs et les cultivateurs. Art. 2. D’une caisse de prêt. Art. 3. De l’utilité d’une Société d’agriculture pratique, et qui s’occuperait principalement : 1° De l’art vétérinaire ; 2° De la panification ; 3° De la manipulation des chanvres et des lins ; 4° De l’art des accouchements ; 5° Du chaulage des grains ; 6° De l’emploi de plantes perdues pour le commerce ; 7° Des plantes potagères ; 8° Du parcage des bêtes à laine, etc., etc., etc. MÉMOIRE. 1° De la liberté’ de sa propriété. La liberté de cultiver son terrain de la manière qu’il plaît à tout propriétaire, d’y semer et d’y planter telle graine ou telle plante qu’il voudra, est aussi essentielle aux progrès de l’agriculture, que la liberté civile et individuelle peut l’être à la société (1). Cette liberté une fois acquise, chacun peut clore sa propriété, la soustraire aux dégâts des malfaiteurs ou des animaux; chacun peut se livrer à des essais précieux pour l’économie rurale, que le droit de parcours interdit nécessairement partout où il existe. Tant que la France a été en proie aux vexations de la féodalité, l’agriculture, le commerce et les arts ont été circonscrits dans certains endroits et comme anéantis dans d’autres. Le laboureur ne commença à se livrer à l’exercice de ce premier des arts, que lorsque l’autorité royale put assez s’élever sur la destruction des grands vassaux, et qu’il fut permis aux malheureux serfs de devenir proprié taires de quelques arpents de terre qu’ils pouvaient transmettre à leurs enfants. Le commerçant ne songea à colporter les den-(1) Les Romains définissaient la propriété : Jus utendi et abutendi re sud. 525 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] rées et les marchandises de province à province, ! que lorsqu’il put impunément quitter ou s’absenter de la glèbe seigneuriale sur laquelle il était né, etque les voyageurs, jusqu’alors soumis à des péages pour leurs personnes et pour leurs effets à l’entrée des territoires de fiefs, furent protégés par le souverain. L’artiste, l’ouvrier, gémissant sous l’empire des lois féodales, se sont empressés d’abandonner leurs villages pour se réfugier dans les villes, où des immunités, des prérogatives, la liberté enfin, leur assuraient qu’ils travailleraient pour eux et leurs enfants. Dans tous les pays, chez tous les peuples, les progrès de l’agriculture et de l’industrie ont toujours été en proportion directe de la liberté des peuples. Malheureusement cette vérité éternelle a toujours cédé aux raisonnements insidieux des agents fiscaux, qui, ayant toujours de l’argent à offrir, avaient toujours raison ; leur avidité insatiable et leur esprit fécond ont fait imaginer des privilèges exclusifs sur le sel, sur l’eau, sur toutes les marchandises, avec une foule de règlements contradictoires et vexatoires, dont le peuple n’avait connaissance que par les amendes ou les peines corporelles auxquelles il était condamné. Nous sommes donc arrivés à cette heureuse époque où la saine raison, l’équité et l’intérêt du peuple détermineront seuls les lois du royaume; avec la liberté d’écrire et de penser nous recouvrons donc notre liberté et celle de nos biens, inséparables l’une de l’autre. L’exemple des pays les mieux cultivés, par conséquent des plus riches, prouve les avantages immenses qui résultent de la liberté de clore son terrain: des récoltes mieux soignées et plus abondantes sont les effets de ce droit si naturel. Le cultivateur propriétaire n’épargne ni soin, ni peine, ni industrie, lorsqu’il peut ou veut enrichir ou embellir à son gré sa propriété; il profite de tous les moyens que la nature et l’art peuvent suggérer pour l’améliorer; mais, lorsqu’elle est exposée aux dégâts, ou qu’il n’est que copropriétaire, il n’a plus cette activité qui le porte à s’affranchir de la routine ou des préjugés; il ne cultive que par nécessité ; ses travaux sont sans méthode ni principe; il abandonne ses récoltes aux hasards des saisons. Enfin la liberté de jouir de son héritage suivant sa volonté est si importante à l’agriculture, qu’il est impossible qu’elle fleurisse partout où cette liberté n’existe pas. L’Assemblée nationale, en la proclamant, détruirait un des principaux abus qui s’opposent aux progrès de l’agriculture. Cette loi est déjà dictée par la raison, par l’évidence et surtout par les principes que l’Assemblée a manifestés. Elle est une suite nécessaire de l’organisation de toute société libre et bien établie. La Société d’agriculture croit devoir se borner à rappeler ces vérités élémentaires qui n’ont pas besoin de développements. 2° Droit de parcours et de vaine pâture. Ce droit consiste à faire paître ses bestiaux sur les héritages d’autrui, et à recevoir les bestiaux d’autrui sur son héritage. Cette sorte de réciprocité semblerait d’abord être l’effet d’un pacte commun, qui n’a été établi que pour l’intérêt général; mais il n’est que trop certain, au contraire, qu’il faut l’attribuer à la longue indifférence du gouvernement pour l’agriculture, à l’abandon de terrains immenses, condamnés depuis des siècles à la stérilité, sur lesquels des temps plus heureux ont engagé successivement à conduire la charrue. Les abus et les maux qui résultent de ce droit sont immenses: il empêche les propriétaires de clore leurs héritages; il s’oppose invinciblement à la formation des prairies artificielles, source abondante de richesses agricoles; il interdit toute possibilité de faire des semis de bois, d’èlever ou d’acclimater des arbres exotiques et précieux; enfin, il attaque et détruit la liberté de la propriété. Par le laps de temps, par apathie pour la. culture des terres qu’on abandonnait dès l’instant de leurs dépouilles, les droits de parcours ou vaine pâture ont été regardés néanmoins comme une propriété. Des coutumes les ont autorisés, et les parlements les ont aussi consacrés; malheureusement un abus n’ayant point de bornes, il s’est étendu non-seulement sur les terrains vagues, mais encore sur les terres, les prés et les bois : les riches ont été les plus intéréssés à sa conservation, par la facilité qu’ils avaient d’entretenir beaucoup de bestiaux, et toujours les tribunaux ont maintenu ce droit comme une propriété sacrée. 11 est reconnu aujourd’hui que les terres condamnées à rester en jachères peuvent être employées très-utilement à la culture, à semer du trèfle, des luzernes, des pois, etc. Le cultivateur pourrait, en améliorant ainsi sa terre, se procurer des ressources précieuses pour subvenir au payement de ses impositions; mais le droit de parcours et vaine pâture s’y oppose. II pourrait, lorsque la récolte des blés a été médiocre, ou tout à fait mauvaise, semer et planter sur ces mêmes terres, des choux, des carottes, des pommes de terre, et augmenter ainsi la masse des aliments nécessaires à sa famille et à ses bestiaux; le droit de parcours s’y oppose. Plus riche en fourrages, il pourrait élever un plus grand nombre de bestiaux, avoir des moutons et des brebis d’une race choisie, les conserver tels, les améliorer, les nourrir et les soigner d’après les procédés avoués et constatés par l’expérience ; le droit de parcours s’y oppose. Mais aujourd’hui que la voix des cultivateurs ne s’adresse plus qu’à l’Assemblée nationale, elle sera certainement entendue et accueillie ; la raison l’équité, la loi de la propriété, sont des garants de ses succès. Que l’Assemblée daigne considérer et comparer les produits d’une terre soumise à une vaine pâture, et ceux d’une autre, dont la propriété est exclusivement toute l’année au propriétaire ; elle verra que quatre arpents cultivés rapportent plus que cinquante arpents en vaine pâlure, elle verra qu’une bonne culture admet les labours d’hiver et d’automne, et que cette méthode est impraticable, parce que le piétinement des bestiaux tasse la terre, et la rend quelquefois si compacte, qu’il est souvent impossible de l'amolir au printemps. Ce droit est si excessif, si attentatoire à la propriété, que l’Assemblée nationale, en suivant ses principes, ne peut que le proscrire entièrement. Celte proscription existe déjà par le fait dans plusieurs provinces. Un édit du mois de mars 1766 l’a aboli en Champagne, dans le Barrois et la Franche-Comté, et a permis aux propriétaires de clore leurs héritages. 11 y a dix ans que le comté d’Auxerre jouit des mêmes avantages. Le droit de parcours fait des ravages énormes dans les provinces où la culture des oliviers est 526 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] admise; aussi, depuis longtemps, en sollicitent-elles l’abolition. L’un des correspondants de la Société (1) lui apprend que ce droit ruine les plantations précieuses; que non-seulement les bestiaux de haute taille, mais encore les moutons et les chèvres rongent par le pied ces arbres, ou écourtent tellement les branches qu’ils peuvent atteindre, qu’il est impossible de tirer parti des jeunes oliviers qui croissent à côté des autres, ce qui réduit et force à ne pouvoir élever cet arbre que dans les pépinières, tandis que la nature en offre de plus beaux qui ne coûteraient ni argent ni peine. Lu culture de cet arbre est certainement trop précieuse à la France pour que l’administration ne lui donne pas tout le secours et toute la protection possible. Nous retirons pour des sommes considérables, des huiles de l’étranger: ce motif joint à la conservation de la propriété des citoyens, doit sans doute déterminer l’Assemblée à proscrire un droit qui ne peut subsister plus longtemps chez un peuple libre et éclairé. Le droit de parcours et vaine pâture que nous venons de dénoncer, s’exerce encore d’une manière encore plus vexatoire dans quelques provinces, sous diverses dénominations. Dans la majeure partie du Toulois, plusieurs seigneurs, et surtout des abbés et religieux, ont le droit d'envoyer depuis le 23 avril jusqu’au 25 juin, époque où les prairies sont en pleine végétation, un certain nombre de bœufs dans les prés de leurs vassaux, pendant tout le temps que le soleil est sur l’horizon. Le pâtre est obligé de les conduire un peu vite, et de les empêcher de se coucher. Le nombre des bœufs à envoyer sur ces superbes prairies, varie, et n’est pas meme proportionné à leur étendue. Il paraît que le caprice du seigneur a seul fait la loi du droit et de la quantité. 11 suffit de dire que dans le village d’Ourches, on n’y en met que six, et quatre -vingt -huit dans celle du village de Sivry. qui n’a pas une étendue bien plus considérable. Ainsi, un usage barbare détériore annuellement, depuis des siècles, les récoltes de riches prairies qu’arrose la Moselle. Il est inutile sans doute de développer les effets désastreux de cet usage; il suffit de l’indiquer pour le faire apprécier , et et prononcer sans examen sa proscription. Ce même droit, sous la dénomination seule de banon, existe encore en Normandie : aux environs deCaen, près Louvigny, un seigneur, entre autres, a le droit d’envoyer depuis le 20 avril, jusqu’à ce que les foins soient coupés et enlevés, douze vaches et un taureau sur une prairie fertile; le conducteur, comme dans le Toulois, doit aussi marcher continuellement, et ne pas permettre que les animaux se reposent nulle part, de sorte que les propriétaires ne récoltent que ce que le troupeau féodal a épargné et foulé aux pieds. Ces droits particuliers, et en général celui de parcours ou vaine pâture, sont donc intolérables dans un moment ou les représentants delà nation ont consacré pour principe fondamental de respecter et de faire respecter les propriétés : sans doute on ne considérera plus comme tel ce droit que les abus, l’esclavage et la tyrannie de la féodalité avaient imaginé. Ces titres trop longtemps respectés ne le seront plus chez un peuple libre et agricole. 3° Du partage des communes. Les communes ou communaux sont des terrains ordinairement spacieux, possédés par les habi-) M. Amoureux, à Montpellier, tants d’une ou plusieurs paroisses, soit à titre de propriété indivise, par possession immémoriale, soit par concession à titre onéreux de la part des seigneurs. Les unes sont des prairies sur lesquelles des propriétaires peuvent enlever l’herbe à la charge du droit de commune après la récolte; les autres sont des terrains vagues et incultes abandonnés toute l’année au pâturage. Les terrains vagues et incultes tenus en communes, sont si étendus, qu’on ne peut sans étonnement et sans douleur les voir depuis si longtemps condamnés à une stérilité perpétuelle, sans que le cri de la raison et des besoins impérieux, que les tableaux si fréquents de la misère dans toutes les provinces, et que l’exemple d’un royaume voisin agricole, aient pu ébranler un édifice aussi monstrueux qu’avait construit la féodalité. Il ne sera pas difficile de démontrer combien l’agriculture et l’Etat souffrent de l’usage des communes. L’expérience prouve que les biens possédés en commun sont toujours négligés et dilapidés en commun. L’idée de la propriété, si active, si nécessaire, la base des sociétés, ne porte à donner aucun soin, à faire aucune dépense à ces sortes de biens; au contraire, chaque habitant ne considérant que son droit particulier, tâche d’en tirer le plus de profit possible; il usurpe ou dégrade quand il peut ; et toujours sa jouissance quelle qu’elle soit, qui devait être commune et proportionnelle, est inégalé, souvent même nulle pour celui qui en aurait le plus de besoin ; car l’homme en effet qui en retire le plus d’avantage, est précisément celui qui y fait paître le plus de bestiaux. Or, le manouvrier, l’artisan qui y ont un droit égal, sont privés en tout ou en partie du produit de la commune : ainsi l’objet pour lequel les communes ont existé, celui de soulager les pauvres dénués de propriété territoriale, est éludé et même annulé. Souvent ces journaliers, trop indigents pour avoir un petit troupeau, une seule vache même, sont employés en impositions pour la taille et leur quote-part dans les frais de procès de communauté, ordinairement très-fréquents. On pourrait citer plusieurs exemples que des communautés ont été ruinées par des procès, et que des habitants n’ont eu d’autre ressource que dans l’émigration. En comparant le faible produit des communes avec celui des terrains mis en culture, il sera facile de se persuader que l’existence des communes est un des abus principaux, contraire aux progrès de l’agriculture. L’expérience nous apprend qu’un arpent de trèfle ou de luzerne, sur lequel on fait trois coupes, rapporte non-seulement plus de fourrage que l’arpent de pré ordiuaire, mais même que quarante arpents en commune soumis au pâturage pendant toute l’année. On ne saurait encore révoquer en doute qu’un manouvrier, propriétaire d’un arpent cultivé en luzerne, trouve plus de facilité pour élever et nourrir une ou deux vaches, que dans une commune où il ne peut jamais rien récolter pour l’hiver, quand même sa quote-part serait de six ou dix arpents. Quelle ressource peut-on obtenir en effet d’un terrain, quelque fertile qu’il soit naturellement, lorsque pendant toute l’année il est foulé par les animaux, d’un terrain dont l’herbe, sans cesse coupée, sans cesse arrêtée dans le cours de sa végétation, finit par dépérir ? Jamais on n’aperçoit dans ces communaux aucunes plantes légumineuses, qui seules fournis- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] 527 sent au bétail une nourriture solide et substan-| lielle. r Une telle nourriture doit nécessairement tenir " les bestiaux dans un état habituel de maigreur, abâtardir toutes les races, et ne fournir que de T faibles secours. D’ailleurs, les engrais sont perdus dans le vague des pâturages communs. Indépendamment de la modicité des produits, les communes deviennent le foyer des épizooties qui ravagent si souvent nos provinces. Il suffit K qu’un animal soit atteint d’une maladie contagieuse, pour que tout le troupeau qui se touche, ou mange de la môme herbe en soit bientôt infecté. Il suffit même qu’un animal, par une * constitution vicieuse, porte en lui le germe d’une maladie contagieuse, pour qu’en respirant de plus près les émanations pestilentielles des terrains bas et marécageux, ou en dévorant, pressé > par la faim, des herbes que la crue des eaux stagnantes aura couvertes de limon infect, ce même germe se développe et devienne la cause d’une mortalité générale, qui n’eût jamais existé dans ► des pâturages que la culture aurait rendus plus salubres. Objectera-t-on qu’il existe des communes dans des plaines saines et aérées où on n’a jamais x éprouvé d’épizooties ? Mais, quelque salubre que " soit une commune, elle ne peut jamais garantir du danger de la communication d’un animal affecté de maladie contagieuse ; danger d’autant * plus grand, que la garde des bestiaux par un pâtre commun, en usage dans presque toutes les provinces, ordonnée même par des tribunaux, suppose nécessairement un rapprochement continuel de bestiaux qui sans cesse se renouvelle ► par le commerce. La qualité de l’herbage est encore une puissante considération pour faire cultiver. La nature, toujours libérale envers l’homme laborieux, dispense aussi ses bienfaits en raison de ses travaux et de ses soins ; elle lui donne des fruits exquis, des légumes excellents, s’il les cultive soigneusement; mais ils sont âpres et malfaisants, s’il les abandonne à eux-mêmes. Les présents de la nature sont donc en proportion de la culture plus ou moins soignée. * On pressent quelles doivent être les qualités des herbages que la nature produit sur un terrain condamné à une perpétuelle inculture. Des j botanistes agriculteurs ont observé que dans ' les prairies ordinaires, les plantes utiles s’élevaient à quarante environ, et que les autres en plus grand nombre étaient ou préjudiciables ou nuisibles, surtout dans leur état de verdure. On ► a également observé dans les prés bas et marécageux que parmi les plantes qui les convrent, à peine s’en trouve-t-il cinq à six utiles, quinze à vingt que les animaux ne mangent que quand ils ► sont pressés par le besoin. Faut-il s’étonner maintenant que les bestiaux qui n’ont d’autre pâturage que les communaux, soient continuellement dans un état de maigreur, . ou exposés à des maladies contagieuses ? Mais si * ces observations, quelque importantes qu’elles soient, n’entraînaient point la conviction, on ne pourra au moins se refuser au principe déjà cité, f. qu’il est impossible qu’un terrain perpétuellement inculte, toujours piétiné par les bestiaux, puisse jamais produire un herbage aussi salubre que les terrains cultivés. Le partage des communes ouvrirait à l’agri-> culture une source immense de richesses. Cette vérité si évidente, démontrée par des faits authentiques, par la conduite des Anglais, eût passé il y a peu de temps pour un système. Le parti puissant des protecteurs du régime féodal, pour qui tout était au mieux, n’aurait pas manqué de faire naître des obstacles insurmontables (1), que les cours étaient toujours disposées à accueillir; mais enfin la raison, l’intérêt public, ne parlent plus en vain, et c’est avec confiance que la Société propose de mettre en culture* de convertir en propriétés , des terrains incultes qui n’appartiennent à personne, parce qu’ils sont à tout le monde. L’intérêt général et l’intérêt particulier sollicitent impérieusement ce partage. La masse des propriétés et le nombre des propriétaires augmentant, celle des cultures de toutes sortes dé productions marchera d’un pas égal. Le propriétaire seul est actif et laborieux; un produit assuré est la récompense de ses travaux et de son industrie : animé par une jouissance exclusive à laquelle il ne croyait pouvoir jamais aspirer, il cultivera avec ardeur sa nouvelle propriété, il se livrera à des essais qui, en devenant pour lui des moyens d’aisance, enrichiront l’agriculture de productions nouvelles ou perfectionnées. Citons donc des exemples à l’appui de ces vérités. L’Angleterre doit principalement l’état florissant de son agriculture au partage des communes ; comme en France, elles occupaient un espace immense, puisqu’on les évaluait à un tiers du sol ; la révolution qui rendit le peuple anglais libre, fut aussi celle qui le porta à demander le partage des communes. L’habitude, la routine, les derniers efforts de la féodalité, opposèrent, en beaucoup d’endroits, des obstacles ; mais l’exemple de ceux qui avaient partagé le sort heureux d’être devenus propriétaires, l’intérêt évident des seigneurs mêmes, ne tardèrent pas à éclairer la nation britannique, et chaque année le Parlement non-seulement autorisait le partage des communes, mais il permettait encore de clore ses propriétés. Le résultat d’une telle opération est facile à concevoir : le peuple anglais s’est livré tout entier à la culture ; ses champs sont couverts de bestiaux, le peuple y est aisé, et il jouit de son industrie, que le gouvernement protège sans cesse. Un mémoire de M. le baron d’Hertzberg, du mois de janvier 1785, dans lequel il rend compte de la population et de l’amélioration des Etats prussiens, nous apprend que le feu roi de Prusse avait en couragé, par des prix, les défrichements et l'abolition des communes ; et qu’il a même exempté pendant quinze années de dîmes et autres impositions, ceux qui défrichaient des terrains incultes : ces partages de communes, ces défrichements se sont succédé chaque année, et le succès des intentions de ce roi philosophe ont même surpassé ses espérances . Un édit du mois de juin 1769, et qui fut enregistré sans représentations au parlement de Metz a permis le partage des communes. Les avantages s’en prouvent par un exemple frappant que nous trouvons dans un livre dont l’auteur mérite à juste titre la reconnaissance publique (l’ami du cultivateur). Le petit bourg de Ghevillon près de Metz avait une commune stérile; les habitants ont obtenu la permission de la partager : ce lieu , qui (1) En 1776, une brochure ayant pour titre : Inconvénients des droits féodaux, porta le parlement à assembler toutes les chambres. Le feu prince de Conty vint y prendre séance. La brochure fut brûlée et l’auteur décrété. 528 n’avait que vingt-cinq feux, en compte aujourd’hui soixante, et la quantité des bestiaux y est dans la même proportion. M. le duc dePenlhièvre avait, dans sa propriété de Lamballe, en Bretagne, des terrains immenses en vaine pâture ; il les a concédés à des particuliers; il y croît maintenant des moissons riches et variées. Ajoutons un fait contraire que nous communique le même auteur. En 1744, la Champagne, où il y a beaucoup de communes, éprouva une cruelle épizootie : l’année suivante une maladie populaire y moissonna une grande quantité d’habitants des campagnes. La diversité du monde constitutif des communes du royaume, prescrit nécessairement des moyens différents pour parvenir à ce partage : les unes sont possédées par indivis entre les habitants ; les autres sont mixtes, en ce qu’elles sont divisées entre propriétaires partiels, mais à la charge d u droit de communes après les récoltes. Il y en a encore de différentes espèces qui varient en raison du régime plus ou moins excessif des seigneurs de fiefs: nous nous bornerons à exposer l’immense étendue de terrain qu’il y a en communes, de rappeler des exemples positifs prouvés par des effets comparés des lieux où il y a des communes, avec ceux où elles ont été partagées. Le royaume est réputé contenir plus de 120 millions d’arpents. Les recherches faites en différents temps, et particulièrement sous le ministère du vertueux Turgot, prouvent qu’il y a au moins [24 octobre 1789.] 8 millions d’arpents en communes et en friche, ce qui est la même chose. Fut-il jamais pour la France une conquête plus précieuse à faire, une conquête qui, bien loin de coûter des larmes, du sang et des ravages, ouvrirait de nouvelles sources de prospérité ? S’il était possible de douter de la quantité immense de communes et de terrains en friche qui sont en France, MM. les députés du Roussillon, de la Guyenne, du Poitou, del’Aunis, du Limousin, de la Marche, du Berry, de la Bretagne, de la Saintonge, de la Bourgogne, de la Champagne, du pays Messin, du Soissonnais, en assureraient l’exactitude. Il y a des souverainetés moins grandes que les Landes de Bordeaux. Les communes seules du comté de Beaufort sont évaluées à 8,000 arpents. La généralité de Soissons, quoique à la proximité de Paris, dont l’immense population assure le débit des denrées, en contient 12,000 ; la généralité de Paris même présente à elle seule plus de 50,000 arpents en communes ou vaine pâture. Trop d’ennemis l’assiégeaient : les corvées, les impositions arbitraires, les grands seigneurs, les grands bénéficiers, les lièvres, les lapins, les bêtes fauves, attaquaient de toutes parts ses récoltes et mômes ses propriétés. La société va mettre sous les yeux de l’Assemblée deux tableaux qui, autant que les raisonnements, porteront avec eux la conviction que les communes sont destructives de la propriété et de la population : ils sont pris dans le cours complet d’agriculture de M. l’abbé Rozier, son correspondant à Lyon. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. TABLEA U des variations survenues dans le nombre et les facultés des ménages de l’élection de Clermont en Beauvoisis, depuis 1728 jusqu’en 1768. Ce tableau donne lieu à des observations importantes : la première, que sur cinquante-cinq communautés, qui possèdent des biens communs, viugt-huit sont augmentées en nombre de feux ; tandis que sur quarante-sept, qui n’en possédaient pas, vingt-neuf sont devenues plus nombreuses. La deuxième, que dans les paroisses où il y [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] 529 , avait des communes, le nombre des taillables trop " pauvres a été de 140 sur 2,632 ; tandis que dans celles où il n’v en avait pas, le nombre est de 58, sur 2,780. Ainsi, voilà des résultats établis sur des faits. Nous en ajouterons encore un plus particulier, qui offre un exemple frappant de l’inutilité des ** communes, et mêmes des obstacles qu’elles apportent à la population. là Trente-deux paroisses de l’élection de Soissons possédaient entre elles, en 1729, deux mille quatre cent soixante-dix-neuf ménages ; aujourd’hui elles sont réduites à seize cent quatre-vingt-neuf : ce qui fait une diminution de 790 sur la totalité. Les élections de Laon et de Guise offrent le tiers de leur surface dans un état inculte, sous le le titre de communes. Le tableau ci-joint va prouver que les communes ne sont pas moins funestes à la subsistance des animaux qu’à celle des hommes. ETAT de comparution du nombre des habitants, artisans ou laboureurs, des arpents de terre en culture ou en communes, de 40 villages de l’élection de Clermont en Beauvoisis; savoir : de 20 paroisses sans communaux , de 20 autres en ayant, et aussi du nombre de leurs bestiaux. Les vingt villages sans communes devraient, en suivant la proportion d’une plus grande quantité d’arpents de terre (1906), être plus nombreux seulement de 376 ménages : ils en ont 466 de plus. Il en résulte donc que la population est plus favorable de 90 feux dans les villages qui n’ont pas de communes. * Le nombre des vaches et moutons est évidemment plus considérable dans les secondes que k dans les premières, puisque les vaches sont dans la proportion d’une pour neuf arpents et demi pour les villages sans communes; tandis que dans les autres villages, il ne monte qu’à une pour 13 arpents 1/25, tant cultures que communes. La quantité de moutons, dans les premiers, est � eu proportion d’un pour un arpent 1/47, lorsque dans la seconde on n’en nourrit qu’un pour un arpent 1/25, tant terres labourables que pâtures. Dans les communautés sans communes, 2,500 artisans ou journaliers ont entre eux 542 vaches: ce qu’on peut évaluer en raison d’une sur cinq ménages; et dans les autres, 1811 particuliers n’en ont que 301, c’est-à-dire une sur six feux. Il est donc certain qu’un plus grand nombre de citoyens s’adonne à la culture d’une même quantité de terre dans les endroits où on ne trouve pas de communes. De toutes parts, nous pourrions accumuler des faits qui prouvent jusqu’à l’évidence l’utilité du partage des communes; les grands propriétaires lre Série, T. IX. pourront peut-être s’y opposer ; mais ils méconnaîtraient leurpropre intérêt. Le bonheur de l’Etat n’est pas qu’il y ait de grands tenanciers ; mais, au contraire, une grande quantité de tenanciers. La société ne s’étendra pas davantage sur cet objet : quelque empressée qu’elle soit de présenter des moyens de partage, elle pense que l’Assemblée nationale, qui réunit dans son sein des re - présentants de toutes les provinces, en trouvera de plus efficaces. La variation des dispositions, des coutumes, la portera peut-être à décréter le partage des communes, en laissant aux assemblées provinciales les modes convenables pour l’opérer. 4° Des dessèchements. Deux motifs puissants nous paraissent devoir porter l’Assemblée nationale à s’occuper de cet objet important : le premier, de détruire le principe des maladies continuelles qui affligent les malheureux habitants voisins des marais, principalement ceux qui sont situés au midi de la France; le second, de rendre à la culture des terrains immenses. Ces travaux ne peuvent, être entrepris par les habitants de la campagne, parce qu’il faut, d’une part, beaucoup de connaissances pour les plans de dessèchements et leur exécution, et de l’autre, des sommes considérables. 34 gQQ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] Oq ne peut douter de l’utilité et des avantages de pareilles entreprises, relativement à l’agriculture et à la prospérité du royaume. Les sommes employées à ces travaux circuleraient dans les mains des journaliers et des habitants de la campagne, leur donneraient les moyens d’avoir une sorte d’aisance, et de travailler eux-mêmes à dessécher un canton, pour se former ensuite de petites propriétés. Nous ne pouvons citer à l’Assemblée nationale une autorité plus respectable et plus digne d’elle que les principes d’administration de Henri IV : « Entre les moyens licites, dit ce bon prince, que nous avons recherchés pour soulager et enrichir nos sujets depuis notre avènement à la couronne, ayant reconnu que le revenu de la terre était le plus utile et le plus assuré, comme étant celle qui produit les fruits et les matières propres pour toutes sortes de nourriture, d’ouvrages et de manufactures, qui sont au commerce des hommes. Nous avons, à cette occasion, désiré et fait chercher les moyens de dessécher un grand nombre de marais, desquels le fonds est bon et fertile, s’il était en état d’être cultivé. » Il est de la dignité de l’Assemblée nationale et du restaurateur de la liberté française, de continuer et d’achever des travaux que Henri IV a indiqués comme favorables à la prospérité du royaume. De ces nouvelles terres, il en résultera des productions d’autant plus précieuses, que pendant une longue suite d’années le secours des engrais sera inutile; que de nouveaux colons peupleraient ces marais, dont l’existence répand au loin i’infection, les maladies et la mort, U y a encore en France une grande quantité de terrains couverts par des eaux stagnantes ; et bien loin que cette quantité diminue, elle augmente tous les ans par rétablissement d’étangs et la construction de moulins sur les rivières. La retenue nécessaire des eaux pour former les biefs ou écluses, occasionne un épanchement qui forme autant de marais malsains et presque puis en produits. Il existe des endroits où un seui moulin est la cause d’un marais de mille arpents. Cet objet d’administration publique est plus essentiel qu’on ne pourrait jamais l’imaginer, et nous espérons que les assemblées provinciales pourront facilement dessécher des milliers d’arpents en détruisant quelques étangs dont le sol serait plus productif en culture, ou en substituant seulement quelques moulins à vent ou à feu à ceux qui sont sur les rivières. Voici un exemple et une occasion de connaître ces effets et d’en juger : Le terroir de Garentan, en Normandie, est depuis longtemps malsain ; des eaux stagnantes y couvrent une grande partie du pays : les habitants ont plusieurs fois offert au gouvernement de les faire écouler; mais les propriétaires des moulins qui ont appauvri, par des saignées, le cours du petit Vay, et qui ont occasionné cette stagnation, s’y sont constamment opposés. Les représentations et les offres des habitants n’ont pas été écoutés ; le produit d’un très-grand nombre d’arpents qu’on aurait pu rendre à la culture, et la santé de 200,000 âmes ont été sacrifiés au crédit et à l’intérêt malentendus de quelques seigneurs protégés. Un prince étranger, le margrave de Baden, s’est comporté bien différemment : il a fait élever, il y a quelques années, un monument public à un paysan de Garl-Furehe, pour avoir opéré le dessèchement d’un marais. L'utilité des dessèchements ne se borne pas à l’agrandissement des terrains cultivés ; on peut se servir de ces mêmes eaux pour arroser des prairies que leur stagnation rend infertiles, ou d’un produit presque nul. Les avantages de l’irrigation sont incalculables. Le rapport d’un arpent de pré qu’un propriétaire peut arroser, lorsque la saison l’exige, donne au moins une récolte double ou triple de celle d’un autre, qui, dans la même exposition, ne pourrait pas l’être. Ges effets sont incontestables; cependant, presque nulle part on ne s’occupe d’arroser les prairies. Une modique saignée, faite dans le cours d’une rivière, suffirait pour arroser une étendue considérable de terrain; mais le service d’un moulin, ou plutôt le droit exclusif de çe moulin, de jouir de toute l’eau, malgré sa surabondance, serait la cause d’un procès ruineux : ainsi, pour un moulin qui rapporte 3 à 400 livres de fermage, des paroisses perdent souvent pour 3 à 4,000 livres de fourrage. Gette évaluation n’est pas exagérée; et ce qui l’est encore moins, c’est qu’il n’y a point de cantons en France qui n’éprouvent, faute d’irrigation, la perte d’une pareille ou d’une plus grande somme. Les tribunaux ont toujours maintenu avec sévérité le cours des eaux, même lorsqu’il n’était interrompu que par un court espace, après lequel elles retombaient dans le même lit; et sous le prétexte du bien public, de police générale, ils enlevaient à des paroisses des milliers de fourrages, sans compter les sommes dépensées en procédures, pour un moulin qui n’en eût pas souffert, et qui tout au plus, en d’autres circonstances, n’aurait cessé de tourner que quelques jours et à différentes époques. L’administration publique doit venir au secours des municipalités. Il sera inutile d’avoir recours à la force ou à la chicane ; il suffira seulement de bien persuader les habitants que les parlements ne les condamneront plusjipour cela, il suffira d’indemniser les propriétaires, beaucoup au delà même du produit du service journalier de leur moulin : l’idée du bien public, les effets de cette irrigation établiront partout une heureuse harmonie qui, en unissant par des liens plus communs les habitants, augmentera considérablement leur récolte, leurs bestiaux, leur aisance, et par conséquent leur bonheur. Le dessèchement des marais offre des ressources vastes et précieuses. Il sera possible, dans beaucoup de provinces, d’ouvrir des canaux de navigation. La navigation de la Scarpe a fait dessécher dix mille arpents de marais. Le Glain, qui baigne les murs de Poitiers, était autrefois navigable, et il n’a cessé de l’être que par les digues faites pour les moulins. Nous ne citerons que le canal de Briare, pour prouver jusqu’à quel point les dessèchements peuvent faciliter la confection des canaux de navigation. Henri IV voulant procurer à sa bonne ville de Paris des ressources plus abondantes pour fournir à ses besoins ; désirant, surtout, que les pays qui avoisinent la Loire pussent trouver uu débit plus assuré de leurs denrées, que le Bourbonnais, le Nivernais, la Puisaye, qui, à défaut de routes et de communications, étaient forcés de consommer toutes les productions de leur sol, résolut d’ouvrir un canal qui pût réunir la Loire à la Seine. Gette résolution royale et paternelle aurait dû lui faire ériger desr monuments qui auraient attesté à la postérité un si grand bienfait. Il fallut, qui le croirait? que ce bon roi et son digne ministre protégeassent à main armée les travaux de ce canal. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] 08I Il serait inutile (Je Rattacher à développer les i grands effets qui sont résultés de la confection de ce canal ; on se bornera à dire que la Pui-sdye (1), pays couvert de bois, était dévoré à un tel point par la misère et par la féodalité, qu’il ' n’y avait point la moindre trace de commerce, même mercantile. C’est à cette époque que ses ► habitants ont commencé à vendre leurs denrées, et les propriétaires leurs bois. Par ce canal, le � plus fréquenté du royaume, il descend du Nivernais, du Bourbonnais, de l’Auvergne, du Berry, de ia Puisaye, du Gâtinais, une quantité considérable de vins, de fruits, de charbons de terre, de bois de charpente et de chauffage, des eaux-de-vie, des faïences, des verreries et des poteries. . Gomhien de provinces où il serait mille fois plus facile de construire de pareils canaux ! Les frais de la navigation de la rivière d’Authioq, en ' Anjou, se sont payés par le dessèchement de dix mille arpents de terres excellentes. Nous citerons encore le Berry, parce qu’il en a le plus de besoin, comme étant au centre du royaume, et r parce qu’eu même temps il en a plus de moyens. Une infinité de rivières partagent cette pro-~ vince dans toute son étendue. U y en a qui se jettent dans la Loire, entre Orléans et Château-t neuf, qu?il serait très-facile de rendre navigables. Le Cher, l’Indre, étaient anciennement na~ vigables pendant une grande étendue. La Creuse est encore une des rivières assez considérables , pour en tirer un parti assez avantageux. Si l’Etat eût dépensé pour la navigation de la Creuse, y qui est sollicitée et démontrée possible depuis si longtemps , ce qu’il a dépensé pour la solde des commis employés sur ses bords pour la cpnser-' vation de la gabelle et des traites, il y a longtemps que les pays qu’elle baigne seraient riches, parce qu’ils seraient cultivés, parce qu’ils conduiraient leurs marchandises , leurs denrées à Nantes ; au lieu que le tableau qu’ils représentent est celui d’un pays dévasté par la famine ou la guerre qu’amène toujours un tyran. Plusieurs paroisses comptent à peine dix hommes pour p cultiver la terre , parce que la misère ou le faux-saunage les ont enlevés à leurs foyers et à leurs . enfants. Nous dirons, à l’appui de ces faits authentiques, que la Flandre a été vivifiée par ses canaux; que l’Angleterre doit sa prospérité à ceux qu’elle a eu soin de former. L’endroit le plus éloigné d’une route ou d’un canal en Angleterre, » est de deux lieues. La plus-value que les canaux de navigation donneront évidemment aux forêts , aux terrains vagues ou inondés, aux den-rées, aux marchandises, aux manufactures, feront toujours trouver des capitalistes pour les entreprendre, si toutefois les assemblées provinciales ne préfèrent n’en faire des fonds, ce qui vaudrait infiniment mieux pour l’intérêt des . particuliers et des riverains , et serait plus con-� venable à la dignité d’une nation riche et puissante. Puisse un jour l’administration de la » France se pénétrer de ces grandes vérités, que le royaume ne peut prospérer que par Une bonne agriculture, et que-pour l’exciter , il faut nécessairement un transport libre et facile des denrées, afin d’en favoriser la circulation et assurer le débit qui est le terme comme le mo-* bile de tous les travaux de l’économie rurale ! (1) A Bleneau, petite ville de Puisaye, l’arpent de bois taillis se vendait, en 1680, 20 livres ; il se vend aujourd’hui 300 livres et plus. 5° De l' inaliénabilité des biens domaniaux ecclésiastiques et de mainmorte, De loup les commerces, le plus essentiel, pour une nation agricole, est celui des biens-fonds , lequel, pour fructifier, doit être libre et commun dans toutes ses parties. Le joug des coutumes et des institutions féodales, les chaînes incommensurables des lois fiscales n’ont cessé de contrarier ou de paralyser les grands effets de çe principe social et politique. Les seigneurs de fiefs et le clergé sont parvenus, surtout depuis le yne siècle, à se rendre propriétaires d’que quantité immense de bieqs territoriaux. Ils ont obtenu des immunités et des prérogatives qui affranchissaient partie de ces biens des contributions publiques, et les faisaient disparaître du commercé des terres, Les grands portaient toute leur attention à étendre leurs fiefs; les révolutions de l’Etat les faisaient passer ensuite dans le domaine de la couronne, qu’une loi impolitique a frappé si abusivement d ’ inaliénabilité. Le clergé, toujours subsistant, achetait, et il était très-rare qu’il vendît aucune possession territoriale. Les biens de cet ordre sont devenus inaliénables par succession des temps , c’est-à-dire morts pour le commerce. Une loi de nos jours a défendu au clergé d’acquérir ; mais elle a été trop tardive. Les mœurs et les lumières ont éclairé enfin l’administration et surtout fixé l’opinion sur ses intérêts. Il suffira , pour déterminer l’Assemblée nationale à examiner et peser dans sa sagesse d’aussi grands intérêts, de lui faire connaître toute l’étendue des biens territoriaux dits inaliénables, et de lui exposerles abus et les avantages qui en résulteraient pour la nation, en les remplaçant dans le commercé. Malgré la résistance que le clergé a opposée à la déclaration du roi de 1751, qui ordonnait que tous les bénéficiers seraient tenus de donner, dans six mois, une déclaration des biens et revenus de leur bénéfice, malgré l’inexécution de cette loi, on est parvenu néanmoins à savoir que le clergé possède une grande portion des biens territoriaux du royaume, et dans les meilleurs fonds. Fut-il jamais, pour l’administration publique, un examen plus important, et pour l’Assemblée nationale un décret plus nécessaire que celui qui, révoquant l’inaliénabilité des biens du clergé , les mette dans le commerce social , en détruisant pour jamais un abus politique aussi absurde et aussi contraire aux principes de toute société ? Lorsque l’Angleterre eut consacré , par sa constitution, la liberté et lapropriété des citoyens, elle avança à grands pas vers la prospérité ; presque tous les biens du clergé rentrèrent dans le commerce et la circulation ; elle reprit cette partie du domaine national, réduisit Je nombre des ecclésiastiques (1). Bientôt ces biens immenses furent partagés, devinrent dans une proportion sage des propriétés que le peuple anglais rendit plus précieuses par ses travaux et son industrie. L’Etat, déjà devenu riche en augmentant la masse (1) Le revenu du clergé d’Angleterre monte aujourd’hui à environ 210,000 livres sterling, d’après MM. Waffon et Warneredfong. gga [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.) des propriétés, le devint encore bien davantage par la contribution nouvelle de tous ces biens , qui, dans les mains du clergé, étaient exempts. Une balance équitable rétablit l’ordre entre les charges et les revenus de l'Etat. L’affection du peuple à sa patrie en le rendant citoyen , propriétaire, agriculteur , après avoir été serf , esclave et misérable , le rendit encore brave et puissant daus ses foyers et dans toutes les contrées. Tel est l’effet de la liberté et de la propriété, les deux pivots de toute société politique. Des domaines de ia couronne sont frappés de la même stérilité, des mêmes abus que les biens du clergé, parce que, pour les uns et pour les autres, l’esprit de propriété ne préside pas à leur entretien et à leur mise en valeur. Les biens domaniaux ne sont pas, sans doute, aussi étendus que ceux du clergé, mais ils n’en sollicitent pas moins le regard le pius attentif de l’administration nationale. Lorsque nos rois faisaient servir les revenus de leur domaine à leur dépense, sous un ministre sage, ami de son maître, ces biens étaient régis assez fructueusement; mais, lorsque les dégradations et l’avidité des courtisans ont rendu insuffisants les biens domaniaux , lorsqu’on est parvenu à persuader nos rois que le vrai domaine de la couronne était tout le royaume, que leur dépense privée, celle de leur cour, celle des grands officiers de ia couronne, le service militaire, les pensions, les prodigalités, et enfin toutes les dépenses possibles devaient être payées avec les deniers publics; alors les biens domaniaux ont été livrés à une dilapidation funeste ; ils sont devenus des objets de spéculation de cour ; les favoris , les courtisans s’en sont fait donner la plus grande partie, sans donner un sou au trésor royal. C’est dans ces temps surtout que l'inaliénabilité a üasséen sorte de loi ; les courtisans y étaient trop intéressés : en aliénant, on eût vendu ajuste prix, à cause de la concurrence; en n’aliénant pas, ils couraient la chance de jouir à perpétuité sans rien débourser. Ce qui a pu échapper à cette invasion a été engagé à différents particuliers, à un prix ridicule par son exiguïté. en comparaison du revenu du domaine; d’autres en ont joui pour un prix plus approximatif du vrai revenu ; mais la majeure partie s’est soustraite à payer des impositions sous le prétexte de biens domaniaux. L’absence funeste de l’idée de la propriété, celle toujours présente de l’inaliénabilité, a empêché les engagistes d’exercer leur industrie, d’améliorer des biens dont ils n’étaient que détenteurs précaires , et partout cette grande étendue de biens a été presque nulle pour les revenus publics. Mais, si nous devons tant regretter que les biens domaniaux de nos rois aient été livrés à une telle dévastation, c’est surtout pour la partie des bois et forêts qu’il serait peut-être imprudent d’aliéner. Combien de milliers d’arpents couverts d’arbres antiques et superbes ont été coupés et ravagés, sans que jamais aucun de ces engagistes ait songé à en replanter ou semer un seul arpent! Dans presque toutes les provinces, nos rois, nos princes avaient des forêts, et partout la cognée a tout abattu : on paye encore des officiers de maîtrise où il n’y a plus qne la place des bois; peut-être même que sans les plaisirs de la chasse, les belles forêts de Compiègne et de Fontainebleau seraient aujourd’hui des dé > serts. Si l’aliénation des biens du clergé et du domaine était permise, la plus heureuse révolution se préparerait pour la France. Des étrangers que les abus de l’autorité de notre administration avaient éloignés, ou empêchaient de venir en France, accourraient s’y former des propriétés. Fut-il un sol plus fortuné, un sol plus heureux ! Et lequel pourra lui être préféré, lorsque notre liberté, celle de nos propriétés sera connue et J)ien assurée? Bientôt nos capitalistes mêmes, qui n’ont exercé leur industrie, leur génie que pour augmenter des richesses souvent imaginaires, ne trouvant plus de moyens de faire servir leurs fonds à l’agiotage, à des spéculations financières, les emploieront au commerce ou à acheter des fonds de terre; devenant des hommes dignes de la société, ils enrichiront l’Etat par les mêmes moyens qui avaient préparé sa ruine ; les mutations deviendront pour le Trésor public une branche de revenu qui soulagera d’autant les propriétés foncières ; les grandes possessions, que des bras mercenaires cultivaient par force ou sans industrie, seront divisées en petites portions que l’esprit de propriété rendra plus fertiles; nous verrons disparaître cette hausse d’intérêt qui fut toujours le signal de la décadence des empires. L’agriculture seule deviendra le théâtre de tous les travaux de l’industrie, des spéculations. Les friches des engagistes deviendront des prairies, des bois, des jardins entre les mains des propriétaires. Une balance plus égale (1) de l’intérêt de l’argent avec les revenus 'des terres, sera une ressource toujours assurée pour les cultivateurs qui voudront tenter des établissements, ou qui auront éprouvé des malheurs. Le commerce national et étranger facilitera les denrées. Les rapports entre les contribuables ne seront plus si étrangement disproportionnés. On verra, par une répartition plus égale, disparaître toutes les haines, tous les esprits de corps. L’égalité proportionnelle des charges resserrera les liens de la société. 6° De l’instabilité des baux ecclésiastiques , et de leur trop courte durée. Les abus que renferment les baux à ferme sont innombrables, ils entravent de toutes parts les progrès de l’agriculture. Il était évidemment utile et essentiel aux propriétaires et à la classe des fermiers cultivateurs d’avoir des baux à long terme; les lois fiscales ont assujetti à des impôts onéreux ceux qui étaient faits au delà de neuf ans, et malgré la révocation de cette loi, les officiers fiscaux osent encore les percevoir dans quelques provinces. Des lois féodales dans plusieurs coutumes réputent encore aliénatoires les baux faits au delà de neuf ans. L’Angleterre, que nous citons souvent, parce que l’agriculture y est favorisée, et le cultivateur protégé, a depuis longtemps adopté l’usage des baux à long terme; ils sont ordinairement de 18, 27, il y en a même de 99 ans. Le fermier se livre avec zèle à l’agriculture, il ne néglige (1) La disproportion actuelle est si. forte, tées par la force, les autres par la suite des lois féodales et fiscales, puissent convenir à l’administration d’un peuple éclairé, qui ne peut ni ne veut plus outrager la nature, blesser l’équité et ‘ attenter aux droits du citoyen, Les substitutions et les retraits tendent évidemment à diminuer le nombre des propriétaires, lorsque les principes de la sociabilité, chez un , peuple agricole , tendent au contraire à l’augmenter. Les substitutions et les retraits tendent à conserver dans leur intégrité, et même dans leur indivisibilité, des propriétés vastes, à concentrer des fortunes immenses dans les mêmes familles. � Un gouvernement sage, au contraire, qui doit r veiller pour le pauvre et le riche, tend à diviser les grandes propriétés, parce que l’expérience - lui apprend qu’elles sont plus haal cultivées et impolitiques*, il tend encore à faciliter les ventes, les échanges et les mutations, à donner au peuple l’occasion d’avoir des propriétés, à lui donner les moyens d’améliorer sa condition * lorsque ses travaux, son industrie lui auront fait faire des � épargnes. La qualité de citoyen s’affermit par le titre de propriétaire. , Les substitutions, les retraits entravent le commerce des terres* diminuent nécessairement les valeurs foncières, occasionnent des procès, des haines, forcent le propriétaire qui a besoin de vendre, à donner sa chose à un moindre prix, ou à la Conserver dans un état de négligence ou d’inculture, suite naturelle de ses besoins. Un gouvernement sage doit se rendre libre et briser tous les liens qui, jusqu’à ce jour, ont enchaîné ce grand principe; il doit, pour fixer le numéraire, veiller à ce que les biens-fonds soient les meilleures spéculations et les plus favorisées ; il doit par suite protéger le propriétaire qui a besoin, ou qui veut échanger ou vendre sa propriété, et ne pas souffrir que le fisc lui enlève un tiers de sa valeur, Les substitutions attaquent la foi publique. Les substitués empruntent impunément, parce que leurs enfants n’y perdront rien. Les créanciers se reposent sur la probité ou sur la fortune des substitués, et ceux-ci les trompent ou les vo* lent. Un gouvernement sage doit arrêter une telle déprédation. Les mœurs et lq fortune publique l’ordonnent impérieusement. Les substitutions et les retraits féodaux circonscrivent, pour une certaine ClàsSe de la société, des droits qui prédominent sur l’intérêt général, qui semblent être la continuation du pouvoir du riche sur le pauVre, qui nuisent essentiellement à la perfectibilité de nôtre administration, et surtout de notre législation. Un gouvernement qui tend à Sa prospérité, et qui ne peut y parvenir que par la réunion des intérêts communs, doit détruire tout ce qui s’oppose à cette réunion. Toute exception ou acception de personnes doit cesser aujourd’hui. Les rangs, les dignités doivent céder à l’intérêt de la nation entière, qui seul doit être l’objet sacré et primitif de toutes les lois publiques. D’ailleurs, des tyrans, des hommes barbares les ont instituées, ces lois. Là nation qui est sage et plus civilisée que sous les règnes deS premières races, le Roi qui est père de Son peuple, peuvent et doivent abroger des lois dont les effets seraient toujours les stigmates de l’esclavage et de l’ignorance. 9° Des saisies réelles. Ce décret judiciaire est peut-être de tous celui qui donhe lieu à plus de vexations de la part des officiers des tribunaux ; mais on peut assurer, sans crainte de se tromper, qu’il est aussi celui qui a le plus affligé l’habitant des campagnes, et en général les propriétaires. Une dette, quelque modique qu’elle fût, donnait lieu à des frais immenses. Les exemples de Saisies réelles qui ont coûté des sommes cent mille fois supérieures à la dette pour laquelle on avait saisi, ne sont pas rares. Les exemples de saisies réelles, ou ventes forcées de terres ducô procureurs mêmes, dont les frais absorbaient les deux tiers du prix, sont encore communs. Les exemples de terres vendues en suite de saisies réelles, et dont le prix n’a pas été pour les créanciers, mais tout entier pour les officiers de justice, qu’üne loi prévoyante à établis les premiers prenants, sont encore très-communs. Enfin, M. de Chancey, l’ün de nos correspondants, nous apprend qu’une veuve, possédant un bien de 3,000 livres, a été ruinée par une saisie réelle pour une perdrix qu’elle n’avait pas tuée, et par Une suite d’un cautionnement de 50 livres pour l’amende de ce délit de chasse. Tant de désordres, dont la masse paraîtrait 536 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [“24 octobre 1789.] bien plus excessive encore, si on pouvait recueillir ceux que l’antre de la chicane recèle, avertissent F Assemblée nationale d’en arrêter le cours : les mœurs, l’intérêt public le sollicitent. Le tableau d’une terre ou d’une ferme en saisie réelle, présente celui d’une dévastation hostile, du séjour d’un fléau ; les terres, les prés sont en friche ou abandonnés à une vague pâture ; les bâtiments sont délabrés, les bois coupés et saccagés : l’intérêt des agents de la justice à prolonger les frais tant que la chose leur en assure la perception, prolonge nécessairement ce tableau de misère. La masse de tant de biens dans cet état, nécessite dans le Gode civil une réforme prompte qui puisse prévenir de tels désordres, et garantir le cultivateur des séductions et des pièges des praticiens dont la plupart ne vivent que par ces odieuses manœuvres. 10° Bois et Forêts. Toutes les sociétés d’agriculture, tous les citoyens amis du bien public, n’ont cessé depuis longtemps d’avertir le ministère que le royaume tendait rapidement à une disette générale des bois de toute espèce : leurs représentations n’ont eu aucun succès ; elles n’ont peut-être pas même été lues, tant il a été difficile jusqu’à présent de fixer l’attention du grand nombre des ministres qui se sont uniquement occupés d’emprunts, de finances et de fiscalité ! Le haut prix de cet objet de consommation, comparé avec celui qui se payait il y a vingt ou trente ans, aurait dû suffire à une administration dont le bién public aurait dirigé les travaux, pour rechercher les causes d’un renchérissement qui a franchi si subitement les proportions lentes et graduelles des denrées avec le taux de l’argent. L’excès du prix, bien loin de porter à conserver les bois, en a fait et fait couper davantage ; le même tableau, les mêmes effets existent dans tout le royaume. Le prix du bois a quadruplé depuis quinze à vingt ans. Partout on coupe, et presque nulle part on ne plante. Bientôt les efforts et les soins de la nature, qui veille à la reproduction des arbres, ne pourra plus suffire à la consommation des foyers et au service des constructions. Partout la soif insatiable d’un luxe inouï, les spéculations financières, les projets systématiques et de calcul, l’égoïsme, souvent aussi le poids accablant des impositions, ont fait abattre ces chênaies antiques, ces beaux monuments de la nature champêtre, destinés aux grandes charpentes ou aux besoins de la marine. Heureux encore si la culture des plantes céréales ou légumineuses se fut agrandie sur les couches nombreuses de terre végétale que le temps avait accumulées sur leur surface IMaisnon : les souches trop âgées pour reproduire, trop difficiles ou trop coûteuses à arracher, ont éloigné toute idée de culture, et des déserts ont succédé à des lieux superbes que fa nature avait embellis et que nos aïeux avaient en vénération. Le luxe de la capitale est imité dans les provinces ; la valeur exorbitante des bois de toute espèce, porte les propriétaires, qui sont toujours pressés de jouir, à couper et à détruire les bois. On a fait partout des efforts et des travaux pour ouvrir des communications jusqu’alors inusitées; partout nous voyons ouvrir et pratiquer des ruisseaux flottables. L’administration se prête souvent à ces projets; elle a dépensé depuis trois ans près de 2 millions pour ouvrir un canal dans le Nivernais, en perforant une montagne, et on assure que ce canal ne sera jamais d’aucun secours; car, en prenant les bois à 3 livres la corde dans les cantons qui doivent y affluer, ils coûteraient beaucoup plus que le prix marchand à Paris. Par une fatalité inconcevable, il semble que ces foyers se multiplient tous les jours, et à mesure que les dernières ressourcés augmentent. Jadis un foyer commun servait à toute une famille; aujourd’hui les valets ont leur foyer particulier. Il y a cinquante ans que les bords seuls de la Marne, de la Seine, de l’Yonne et de l’Oise, suffisaient pour approvisionner Paris ; aujourd'hui les canaux de Briare, d’Orléans, auxquels se réunissent des milliers de ruisseaux ou rivières flottables, nouvellement construits ; la Loire, à laquelle se rendent divers ruisseaux nouvellement formés et à grands frais, dans le Haut-Berry, le Bourbonnais, peuvent à peine fournir les chantiers, malgré les ressources que le petit peuple trouve dans la tourbe, et malgré la consommation du charbon de terre que les manufacturiers ont commencé à faire succéder au charbon de bois. Il n’existe aucune province où cette disette ne se fasse sentir plus ou moins. Elle est extrême dans les provinces méridionales. Partout existe donc le besoin ou l’absolue nécessité de planter du bois, et surtout de veiller au régime du peu qui reste (1). 11 faut donc encourager les propriétaires, les protéger, leur fournir même des fonds pour les exciter à semer ou planter des bois : il faut donc s’emparer sur-le-ehamp de l’administration des forêts du Roi, et des gens de mainmorte ; il faut donc s’opposer aux entreprises des officiers des maîtrises, aux ravages de prétendus engagistes, que la crainte de ne pas jouir longtemps, porte à abattre, même clandestinement, et dans les temps où les arbres sont couverts de feuilles ; il faut donc interdire aux religieux et surtout aux abbés commendataires, toute coupe de leurs bois, et être sourd aux prétendus besoins de réparations d’églises ou de dégradations d’abbayes ; il faut donc examiner attentivement les provinces qui fournissent Paris à plus de 40 lieues, surveiller et concilier l’intérêt, la liberté des propriétaires avec les besoins et la ressource de la consommation ; il faut donc enfin s'occuper, sans aucun délai, du soin de repeupler les anciennes forêts, de semer et de planter les terrains vagues, qui, par la suite, pourront fournir à la consommation. La Société peut, avec confiance, assurer l’Assemblée nationale qu’il y a peu de terrains inaccessibles à la culture de quelques espèces de bois, tels que le chêne, le châtaignier, le hêtre, le pin, le sapin, le bouleau, l’aune, le peuplier, etc. (2). (1) Si les assemblées provinciales défendaient rigoureusement de se servir de liens de bois pour les gerbes de blé ou bottes de fourrages, cette seule ordonnance empêcherait la dégradation de plus de cent mille arpents de bois. Le paysan coupe les brins les plus droits, les mieux venants, n’épargne même pas ceux qui sont de pied. Un procès-verbal a constaté pour une seule paroisse du Gàtinais, onze mille liens de bois de 7, 8 à 10 pieds de long pour dos gerbes qu’un homme seul a peine à enlever. (l)Dans une plaine couverte de bruyères, située dans le Bas-Berry, qui contient au moins 10, OOOarpents, on a vu des châtaigniers superbes que la tradition apprend avoir été plantés pour marquer les limites de plusieurs villages : si la plaine en eût été couverte, elle vaudrait plus de six millions, et certainement on aurait le total à trois livres l’arpent. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] 537 La nature a placé, presque dans tous les cantons en friche, des arbres épars parvenus à une grosseur considérable, qui indiquent l’espèce qui conviendrait au sol. Il semble qu’une heureuse destinée les a conservés pour cette fin. Ces indications ne sauraient être fautives ; elles prémunissent contre toute espèce de système qui, * dans l’ardeur de créer, voudrait s’obstiner à faire croître l’arbre le plus précieux où l’humble bou-- leau seul peut prospérer. Il est toujours sage d’observer la nature, de l’étudier, et même de faire des essais avant de se livrer aux travaux en grand. L’expérience est le seul livre utile, le seul livre où doivent lire les cultivateurs et les administrateurs publics chargés p. de protéger l’agriculture. On sera étonné d’apprendre que depuis plusieurs années, et dans beaucoup de provinces, r on se sert de paille pour chauffer les fours, pour préparer les breuvages des animaux, et cuire les aliments : dernière ressource à l’agriculture, une partie de ses engrais sans laquelle elle ne peut que languir, ressource extrême qui présage l’abandon des cultures et la nécessité des émigrations. A peine peut-on trouver du bois pour faire les harnais du labourage. * Quelque importante que puisse être, pour les propriétaires fonciers, l’opération de semer ou de réparer les bois, quelque impérieuse qu’elle puisse être pour l’administration publique, le ■ succès en est subordonné à un concours de circonstances qu’il est nécessaire de prévoir, de con-► naître ou d’éviter. Le propriétaire ou l’administration provinciale qui voudrait former en bois une commune considérable, pourrait, par exemple, manquer son but, en se déterminant d’abord a former une pépinière d’arbres forestiers, pour les planter ensuite sur un terrain inculte; car il est aisé de sentir qu’une plante prise dans une pépinière fertile, labourée et soignée, aurait de la peine à croître sur un sol qu’aucune culture n’aurait préparé. La manière de planter, toujours négligée quand une main servile la con-duit, les frais de plantations, la sécheresse des saisons, toutes ces circonstances réunies ne feraient - qu’éloigner ces utiles opérations. Ces exemples de non-succès prolongeraient la cause et les effets de la disette, donneraient des armes à ceux qui, par habitude ou par caractère, ‘ frondent et censurent tous les projets, toutes les tentatives utiles qu’ils n’ont pas proposés ou ► discutés. L’habitude de l’insouciance, effet naturel de notre long asservissement au pouvoir � arbitraire, ferait trouver des sectateurs qui bientôt persuaderaient que l’argent employé à former des bois et forêts est prodigué à des protégés ou abusivement distribué. k Parmi les différents moyens d’encouragements, nous en citerons un qui aurait le double avantage d’assurer la possibilité ou l’impossibilité du ' succès. Il consiste à proposer un prix, proportionné au travail et à son importance, à ceux qui, * sur une vaste étendue de terrain en friche, parviendraient à y faire croître et à y faire connaître l’espèce qui conviendrait mieux au sol en publiant laméthode dont ils se seraient servis. k Une récompense qui pourrait au moins indemniser des frais faits pour ces travaux, donnée > avec solennité, aurait des effets incalculables pour le bien public. Par ce moyen l’administra-+ tion ne hasarderait jamais une mise de fonds considérable, et elle serait assurée par le nombre de ceux qui concourraient à mériter le prix, ou plutôt à bien mériter de la patrie, que chaque friche ou commune pourrait par la suite se couvrir d’arbres utiles. L’Angleterre décerna au duc de Bedfort une médaille nationale, avec cette inscription : Pour avoir semé du gland. Le repeuplement des bois et forêts, la nécessité d'épargner ceux qui restent, doivent néanmoins avertir l’administration de multiplier et de favoriser les moyens qui peuvent suppléer aux bois. La nécessité, le besoin rendent industrieux. Depuis plusieurs années, à Paris, on se sert utilement de la tourbe, et partout où il y a des marais, il est possible d’y pratiquer des tourbières (1). 11 y a des mines fréquentes de charbon de terre, dont il est important de favoriser l’exploitation. Les fourneaux, les foyers des manufactures n’en consomment pas d’autres en Angleterre, d’où nous relirons des ouvrages de fer et d’acier qui l’emportent sur les nôtres par le prix et la perfection. Combien de provinces offriraient d’aussi précieuses ressources, autant pour l’objet des manufactures, que pour épargner la masse des bois, et soutenir les besoins de la consommation ? Bientôt les forges de feu seront abandonnées faute de bois. Déjà dans plusieurs provinces, et notamment dans le Berry, on est forcé d’extraire les racines des bruyères qu’on réduit en charbon pour soutenir le service des forges. Les manufactures de faïence, de poterie et de verrerie sont dans un état languissant, parce que la consommation du bois augmentant nécessairement le prix des marchandises, celles de France ne peuvent plus soutenir la concurrence avec celle d’Angleterre, à qui cette même marchandise coûte moins que le bois seul coûte aux manufacturiers français. 1 1° Des prairies artificielles. La culture des prairies artificielles est un thermomètre invariable et sûr pour juger l’état de l’agriculture, l’aisance ou la richesse d’un royaume agricole. Cette vérité précieuse ne pourrait être contredite, l’expérience en est partout constante. La Suisse, l’Angleterre, la Hollande et toutes les provinces ou cantons de France qui s’y adonnent, en sont une preuve authentique. Une plus grande quantité de fourrages assure la multiplication des bestiaux, d’où résulte nécessairement une masse plus considérable d’engrais qui sont la base essentielle de toute espèce de culture. Si les connaissances relatives à l’économie rurale ont été si tardives, il faut l’attribuer certainement à la servitude féodale et fiscale au pouvoir arbitraire des délégués qui se réunissaient pour accabler le cultivateur français : pendant plusieurs siècles les laboureurs ont travaillé la terre sans émulation, sans courage et sans principes; ils ont observé que la terre s’appauvrissait par une longue suite de productions de même nature; alors ils ont laissé reposer, disaient-ils, les terres pour leur donner le temps de recouvrer les sucs nutritifs qu’elles avaient perdus. (1) Depuis un temps immémorial, dans plusieurs provinces, on se sert de tourbes pour se chauffer, et pour les fourneaux et les manufactures. La fouille de ces tourbes enrichit les propriétaires, fait gagner la vie à beaucoup d’ouvriers, évite une dépense considérable à ceux qui les substituent au bois. Les cendres des tourbes sont reconnues excellentes comme engrais, surtout sur les prairies artificielles. ggg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] De ees observations est résulté la pratique funeste du long repos des terres et celle des jachères, systèmes que la disette seule des engrais et l’impuis-sancedes cultivateurs ont rendu continuellement nécessaire. Bientôt la routine les a érigés en principe d’agriculture les baux, les actes et la jurisprudence de tous les tribunaux ont consacré cette méthode vicieuse et absurde, comme une maxime qui importait au bien général. Dans la suite des temps on a peu à peu reconnu les bienfaits d’une agriculture plus raisonnée. Les lumières, l’industrie active et favorisée du peuple anglais, des cultivateurs éclairés, des sociétés d’agriculture ont fait sentir aux propriétaires de terres les vices de leur culture et l’importance des prairies artificielles. Il h’a fallu à la plupart qu’essayer pour s’en convaincre. L’exemple et l’expérience, ces deux guides si favorables à l’art agricole, ont insensiblement démontré les avantages immenses de ces sortes de prairies. Déjà, des provinces entières ont changé de face. Depuis dix à douze ans l’Alsace, la Flandre, la Normandie» le plus grand nombre des élections de la généralité de Paris, ont quadruplé la quantité de leurs fourrages, le nombre de leurs bestiaux, la masse des engrais et de leurs récoltes. Les terres jadis destinées aux longs repos, c’est-à-dire à une vaine ou stérile pâture, celles même des jachères se sont couvertes successivement de trèfle, de luzerne, de sainfoin, etc.» etc. Les produits ont été doubles et triples de ceux des prés naturels, et souvent des terres cultivées en grains (1). Ces diverses plantes fertilisent encore la terre, soit par leurs racines longues et profondes qui, en la divisant, vont chercher dans les couches inférieures la nourriture qui leur convient, soit par les débris nombreux de leurs feuilles et tige, soit enfin par le mécanisme de leur végétation, qui, déposant à la surface du sol une sorte d’engrais météorique, lefécopde et le dispose à la production des céréales. Le défrichement de ces prairies artificielles donne des récoltes superbes et successives, souvent même sans le secours des engrais, après avoir donné des milliers de fourrages sur des terres que le système du repos et des jachères aurait condamnées à une sorte de nullité par le produit, et pour lesquelles le cultivateur n’aurait cessé de payer des impositions. Ce genre de culture ne dérange ni ne diminue l’ordre et la quantité dés plantes céréales. Le cultivateur fermier, qU’uri bail trop court gêne, choisit le trèfle pour les terres qu’il né peut laisser qu’une, deux oü trois années en jachères, et sa terre n’en est que plus fertile et mieux disposée à recevoir toute autre production (2). Le propriétaire laisse plusieurs années la luzerne et le sainfoin dans son champ, parce que le produit augmente dé plus en plus les premières (1) D’après des recherches exactes faites par M. Gilbert, auteur d’un ouvrage sur les prairies artificielles que là société a couronné, il résulte que i’année commune sur P d’un arpent de luzerne, est de 4,6Ü4 livres ; celle du trèfle de 4,561 livres; celle des vesces de 2,733 livres. (2) Plusieurs curés et seigneurs de l’Artois ont prétendu avoir la dime sur les prairies artificielles, parce qu’elles couvraient la plus grande partie de leurs terrains décimables. Les syndics ont fait le relevé de l’état des dîmes avant l'introduction des prairies artificielles: ils ont démontré que cette pratique avait tiercé la récolte des blés. La démonstration de ce fait est authentique. Les paroisses ont gagné leur procès au parlement de Paris en 1785. années, et que la fertilité de sa terre est en proportion directe du long séjour de ces plantes. Partout les meilleures pratiques, la culture des plantes utiles, trouvent des contradicteurs, des routines ou des préjugés à vaincre. Ou reproche aux fourrages des prairies artificielles des dangers, des défauts même de salubrité; d’autres soutiennent que leur terrain n'est propre à aucune sorte de prairies artificielles; d’autres enfin osent soutenir que l’usage des prairies artificielles fait diminuer la quantité des récoltes. La société n'a cessé de combattre des préjugés aussi absurdes par des expériences multipliées et authentiques, et les détails n’ont fait que confirmer et ajouter aux preuves de l’excellence et de futilité des prairies artificielles. Elle s’est convaincue que la variété des plantes qui les forment pouvait s’assortir à celle des terrains. Le sainfoin indigène sur les montagnes vient très-bien sur les terres rudes et graveleuses; le trèfle sur les terrains durs et humides, même sur ceux qui sont sablonneux; la luzerne, les vesces croissent également bien sur toutes celles qui sont substantielles, que les labours peuvent atténuer et préparer. Nous nous attacherons moins à développer les avantages de ces prairies qu’à représenter à l’Assemblée nationale qu'il y a de vastes provinces où cette culture si précieuse est inconnue ; d’autres, où elle l’est peu, et qu’une seule élection de la généralité de Paris en contient plus d’arpents que le Berry ou le Poitou (1). Des abus, la routine, les défauts de moyens s’opposeront encore longtemps à cette partie précieuse de l’économie rurale; l’Assemblée nationale s’empressera, sans doute, de l’indiquer aux assemblées provinciales, comme un des principaux objets qui doivent faire prospérer l’agriculture, el de les autoriser à employer des secours du Trésor public pour faciliter les cultivateurs que les impôts, les malheurs, ta misère mettraient dans l’impuissance de s’y livrer ; en le faisant, elle ouvrira un trésor inépuisable, elle préviendra les assemblées provinciales contre l’entreprise si abusive des syndics de pim-sieurs Cantons, qui augmentent de taille ceux qui cultivent des prairies artificielles, en les imposant comme possesseurs de prés naturels. L’aisance et les richesses des cultivateurs dépendent absolument de la multiplication des bestiaux ; l’Assemblée nationale sait quelle sorte de nourriture soutient, dans le temps présent et depuis si longtemps, l’habitant de la campagne. Un pain noir, malsain, inférieur à celui que consomment tant d’animaux de luxe, quelques laitages, rarement des légumes, sont les aliments ordinaires de ces citoyens qui travaillent si péniblement aux reproductions des denrées de première nécessité» Elle sait encore que le commerce seul des bestiaux répand quelque argent dans les villages et hameaux; qu’en multipliant Jes fourrages, les bestiaux suivront exactement la même proportion ; que de cette multiplication découlera l’aisance des cultivateurs, la richesse des propriétaires et une plus grande population (2)» (1) Dans presque toutes les prorinces, les décima-teurs s’opposaient ou plaidaient pour empêcher la culture des prairies artificielles dont ils voulaient percevoir la dîme; les agriculteurs bénissent le décret qui a supprimé une perception plus onéreuse que tous les impôts réunis. (2) En multipliant les fourrages et ies bestiaüx, nous n’exporterons pas chaque année chez l’étranger dés sommes considérables. Eh 1787, on a exporté pour : du beurré, 2,507,000 livres; potir fromage, 4,522,000 livres ; ¥ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [24 octobre 1789.] 589 L’Angleterre, la Flandre, la Suisse, la Norman-r die, la raison enfin prouvent avee évidence que les bestiaux sont la principale richesse de tout pays agricole, et que la France peut et doit jouir* par son sol et par son administration, d’un si ' grand bienfait. ► 12° Des abeilles. ~ Une des branches de t l’économie rurale , que l’administration pouvait rendre plus facilement florissante, est celle des abeilles, Il ne lui aurait fallu ni dépenses, ni privilèges, ni préposés. Un regard favorable, quelques encouragements, une défense sévère de les saisir ou brûler pour fait de taille ou d’impositions fiscales, aurait conservé à la France une richesse précieuse qui en est presque disparue, et pour laquelle elle s’est f rendue tributaire de sommes considérables pour les cires qu’elle fait venir de l’étranger, La première cause de l’abandon des abeilles fut l’usage du sucre, que d’abord les riches et ensuite tous les consommateurs préférèrent au miel, qui, depuis si longtemps, faisait un des mets les plus recherchés de tous les peuples cultivateurs. Il servait et sert encore dans beaucoup de provinces et d’Ëtats, à faire une boisson saine et agréable Gonnue sous le nom d’hydromel. Mais ce qui a achevé la destruction presque totale de ces insectes si précieux, ce sont les ■ abus de la fiscalité. Lorsque les préposés ne trouvaient pas dans le mobilier des contribuables ► la somme qu’ils demandaient, ils saisissaient les ruches de ces malheureux pour ajouter à la vente de leur mobilier; quelquefois même ils les faisaient brûler. La répartition arbitraire des impôts n’a pas moins contribué à cette dévastation. L’artisan ou le propriétaire villageois qui avaient un certain nombre de ruches, étaient imposés en proportion de ce nombre, souvent plus chèrement que pour un égal nombre d’arpents ou de boisselées de terre. L’hiyer, les accidents, tes saisies, le feu détruisaient les ruches, et l’impo-“’ sition restait. Que pouvait auprès des intendants un malheureux paysan ? II payait ou vendait ce - qu’il pouvait avoir, Ces abus, généralement exercés dans tout le royaume, ont dû nécessairement faire diminuer partout le nombre des abeilles. Nous citerons un L exemple de l’opinion du peuplé sur ses craintes relativement à l’imposition sur les ruches. Ün y ministre (M. de Lavérdy), contrôleur général des finances, voulut encourager la culture des abeil-� les, il envoya des lettres circulaires dans les différentes élections, notamment en Normandie, pour annoncer ce projet, et demanda en même temps l’état de celles qui existaient. Les liabi-. tants crurent entrevoir dans cette démarche ministérielle des recherches pour asseoir Un nouvel , impôt : presque toutes les abeilles furent aussi-’ tôt détruites. Que cé fait présente de réflexions â faire sür toutes les autres parties de l’adminis-- tration ! Ün intérêt politique, l’intérêt de rendre au ale des campagnes une branche de revenu leur estsi facile de se procurer et de conser-■ ver, doit porter l’Assemblée nationale à prendre l’un et l’autre en considération. Ü est certain que � pour cuir en poil, 2,707,000 livres ; pour peaux non apprêtées, 1,180,000 livres; pour suif, 3,111,000 livrée. La France pourrait, dans peu d’années, exporter* tous ces objets. nous tirons de l’étranger des cires pour des sommes considérables. L’état des importations faites en 1787 de matières du sol étranger, prouve que nous avons reçu pour 2,260,000 livres de cire jaune de la Barbarie, du Levant, de la Hollande, des villes hanséaliques et de la Russie, Voilà donc une somme considérable à conquérir sur l’étranger, et qu’il est bien facile de fixer parmi nous* L’abeille, ce précieux insecte, ne prend rien sur nos subsistances, n’attaque aucune de nos récol tes. Il peut être soigné par les femmes et les villageois ; il peut servir en même temps d’occupation et de délassement aux propriétaires riches qui voudront observer les lois, et le gouvernement de ces intéressantes républiques, qui ont fait le délassement de tant de sages et de philosophes. Il y a longtemps que l’emploi des cires, que le 1 uxe a él e vées à un si grand degré de con sommation , aurait dû porter l’administration à encourager l’éducation des abeilles ; mais cet objet, qui a paru si indifférent, paraîtra important et nécessaire a l'Assemblée nationale, parce qu’il tend à favoriser notre commerce et à rendre le peuple des campagnes plus aisé et plus industrieux, Nous ne doutons pas qu’en s’occupant du régime des impositions, elle déclarera les abeilles insaisissables pour aucune espèce de tribut royal* féodal ou fiscal, et qu’elle assignera une faible somme pour encourager et multiplier l’éducation d’un insecte si précieux à la société sous tous les rapports. 13° Des droits d'aides, de la vigne et du commerce des vins. Les provinces soumises aux droits d’aides payent un tribut au fisc si excessif sous tous les rapports, qu’il paraît impossible de le laisser subsister plus longtemps ; si d’un côté on veut établir dans tout le royaume un régime uniforme qui appelle toutes les provinces aux contributions publiques ; et si de l’autre on veut donner aux peuples la satisfaction de voir détruire un impôt odieux etvexatoire, dont lui seul supporte les trois quarts, et duquel il demande partout l’abolition. Le régime des droits d’aides est une hydre que les traitants seuls peuvent bien connaître, La compilation du génie fiscal contient plusieurs volumes. Mais il nous suffira d’observer que ces droits s’opposent à la liberté du commerce du vin, à la culture des vignes; qu’ils attaquent et violent les domiciles des citoyens; qu’ils entretiennent une guerre civile* puisqu’une partie des citoyens est toujours armée contre l’autre pour la conservation de ces droits, et qu’ils consistent en quelque sorte à forcer à boire, et à punir pour avoir bu. Le droit des citoyens, aujourd’hui mieux senti, fait souvent résister à de telles vexations. La mort ou la prison sont les suites journalières de l’exercice de ces droits. La France est, de tous les royaumes de l’Europe et du monde entier, le mieux situé pour faire le commerce; elle a des ports dans toutes les parties de son étendue, qui lui ouvrent des communications avec toutes les nations. On doit être étonné, en considérant le contraste d’une telle position avec l’état actuel du commerce national, que les administrateurs publics, en avouant ses avantages, aient consenti à forger des chaînes qui l’entravent dans toutes les provinces, dans toutes les paroisses et dans tous les hameaux. 540 ]Assemblée nationale.], ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] Un royaume agricole, dont le sol est ou pourrait être fertile, doit sans cesse veiller à ce que ses productions territoriales aient un débit assuré; il doit très-activement protéger le commerce de ses productions. De cette protection découle une source intarissable de richesses. Le propriétaire se livre avec ardeur à la cul ture des denrées dont le prix lui présente un bénéfice assuré, et qui est toujours en raison directe de ses travaux et de ses soins. L’abondance des productions, loin d’arrêter le cours de son revenu, l’augmente souvent par les ressources de l’exportation. Le journalier, le malheureux journalier, participe nécessairement à ces bienfaits, soit comme propriétaire, soit comme mercenaire; le sort de l’ouvrier cultivateur est toujours en proportion de celui du propriétaire cultivateur. Les vins, en ne les considérant que sous les rapports de l’exportation, pourraient et devraient faire une blanche principale des revenus de l’Etat. Presque toutes les provinces en produisent : les unes d’excellents, les autres de moindre qualité; mais leur conversion en eau-de-vie ne les rend pas moins précieux, et cependant ce commerce est languissant, le nombre des vignes diminue, sans que la quantité des récoltes de blé augmente. Les vignerons sont presque partout misérables ; leur sort et celui des propriétaires est tel que les années d'abondance sont pour eux de mauvaises années : le fisc seul trouve un moyen d’augmenter et de tripler son revenu; il perçoit les mêmes droits sur les pièces de vin, quelque modique que puisse être leur prix. Tel est, au surplus, son cruel apanage : ce n’est que par la misère du peuple qu’il accroît ses richesses. La France ne produit aucune denrée plus utilement exportable que ses vins ; elle en produit plus qu’aucun autre royaume; elle pourrait être l’entrepôt des vins de toutes les provinces du Nord et de FAmérique. Cette exportation n’expose l’Etat à aucune secousse ni à aucune révolution, comme le commerce des grains. Le peuple est loin d’atteindre au degré de faire du vin sa boisson ordinaire. L’exportation soutiendrait le prix de ceux qui se consommeraient à un prix modéré, qui, en faisant le bien du propriétaire et des vignerons, ne surchargerait pas les consommateurs. L’Assemblée nationale doit donc s’empresser de protéger le commerce des vins, autant pour augmenter nos richesses foncières, que pour fonder notre commerce avec l’étranger sur des rapporis plus avantageux et mieux combinés. En exportant nos vins, nous pourrions bientôt établir le plus utile des commerces pour un peuple agricole, celui des échanges immédiats, en ce que nous pourrions nous procurer les marchandises étrangères par nos denrées, et non pas avec notre argent, ce qui, d’un côté, affaiblit la masse de notre numéraire, et brise, de l’autre, tout équilibre de protit avec les nations qui ont pour principe les échanges immédiats. Dans les circonstances fâcheuses où se trouvent Jes finances de l’Etat, il est difficile, sans doute, d’opérer subitement des suppressions qui constituent une partie des revenus publics. Nous nous permettrons cependant une observation, que nous suggère la connaissance que nous pouvons avoir de la quantité immense des terrains jadis privilégiés en imposition et en droits fiscaux; nous croyons qu’une répartition commune présentera une recette qui approchera le niveau des dépenses qui seront déterminées. L’Assemblée nationale l’a déjà rendu si facile parla suppression des dîmes, qui étaient un impôt presque égal à celui des aides, et auquel il ne manquait que les horreurs de la perception. Nous croyons encore qu’il n’y a pas de sacrifice que non-seulement les citoyens riches, mais encore et principalement le peuple, ne fassent pour rejeter sur les vignes la partie de cet impôt qui se verse net au Trésor public, et qui n’est pas la moitié de ce qu’il paye. L’impatiencedu peuple égale son espérance pour la destruction de cet impôt : on sait qu’il n’a d’autre délassement de ses travaux, de ses peines; et c’est principalement sur les ventes en détail que les droits d’aides sont exhorbitants, et lorsqu’il cherche à calmer ou oublier ses maux, il se voit entouré d’hommes qui le vexent, qui semblent n’exister que pour le persécuter, et forcer sa misère même à devenir sa principale contribution. Le jour que l’Assemblée nationale prononcera l’abolition des droits d’aides sera l’époque d’une fête dans tout le royaume. 14® Du tabac. La liberté de cultiver et de semer telle plante qu’on voudra sur son terrain, paraissant être un droit acquis -à tout citoyen , un droit favorable à tout pays agricole, nous avons cru, pour démontrer la’ justice de ce principe, qu’il serait utile pour là France que la culture du tabac y fût libre. Il paraîtra toujours étonnant qu’un gouvernement éclairé ait mis des entraves à la culture générale d’une plante que l’habitude a placée au rang de celles qui servent à ses besoins; et qu’on ait consenti à percevoir une imposition de plus de 50 millions, à en exporter annuellement de l’étranger au moins 12 à 15, pour prohiber une plante dont la culture aurait pu épargner cette exportation impolitique, et se combiner en même temps avec les revenus publics. Quelques développements, appuyés de faits, suffiront sans doute pour déterminer l’Assemblée nationale à détruire une régie vexatoire pour les peuples et qui n’a été utile qu’aux importants. 1° 11 est incontestable, d’après l’expérience, que le sol de la France, en général, est propre à la culture du tabac; qu’il y a des provinces qui en produisent d’excellents, telles que la Bourgogne, la Franche-Comté, l’Alsace, le Dauphiné, le Languedoc, le Béarn (I). La culture en est même permise dans plusieurs cantons limitrophes des pays étrangers, malgré les efforts multipliés du fisc. Il est certain encore, que nulle part on n’a le talent de la manipulation comme en France. Un mémoire authentique, communiqué à la Société par un de ses correspondants, nous apprend que plusieurs paroisses, près de Pont-de-l’Arche, en Normandie, ayant obtenu, sous Louis XIV, la permission de cultiver du tabac, les habitants se livrèrent à ce nouveau genre de culture, et que leurs succès, tant pour Ja manipulation que pour la qualité du tabac, répondirent à leurs travaux. Le tabac de ce canton l’emportait en qualité sur celui qu’on tirait alors de l’étranger à un prix si excessif. Les fermiers généraux, toujours actifs pour (1) Les tabacs de Glairac, en Guyenne, étaient Irès-renominés. 541 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] leur intérêt, parvinrent, en 1722, à faire supprimer ce privilège par des moyens odieux (1). Avant de parler de l’avantage que le Trésor public peut retirer de cet impôt, et des considérations politiques qui peuvent se concilier avec lui, nous exposerons les droits dont doivent jouir les citoyens libres d’un Etat agricole. Il me semble que toute plante utile au commerce, nécessaire même pour les besoins de la société, peut et doit être cultivée sur le sol de cette même société: les avantages en sont faciles à exprimer. Cette nouvelle culture, d’ailleurs précieuse pour la médecine et l’art vétérinaire, emploierait beaucoup de bras et même beaucoup de terrains incultes ; car le tabac n’est pas d’une végétation difticile. Le prix de la plante, les frais de culture, et de manipulation, répandraient dans les différentes classes des cultivateurs et des artisans un argent bien utile. Nous ne porterions pas chez les étrangers 12 à 15 millions au moins qui sont perdus pour nous, parce que, lorsque nous n’achetons pas nos tabacs directement de l’Angleterre ou de la Hollande, nous les tirons de l’Amérique, qui se sert de nos fonds pour payer ses dettes aux Anglais. Enfin, la France concentrerait chez elle une denrée précieuse par son débit et bientôt elle pourrait en faire commerce avec l’étranger. Que de motifs nous portent à désirer cette nouvelle culture ! Le peuple, à qui il est devenu en quelque sorte nécessaire, pourrait s’en fournir à meilleur prix, et réserver pour ses premiers besoins l’excédant de l’argent qu’il emploie chaque année à acheter cette denrée, dont l’habitude est pour lui si impérieuse, qu’il la préfère à ses vêtements, et souvent à son pain. 2° Combien de fois les cours souveraines, et le conseil même du Roi, n’ont-ils pas retenti des plaintes et des cris du peuple contre le régime de cet impôt ! Tantôt on se plaignait de la mauvaise qualité et des corps étrangers que l’avidité des traitants subalternes faisait mêler dans le tabac même; tantôt les visites des soudoyés violaient les domiciles, en répandant impunément le sang des citoyens, trop souvent encore pour les délits qu’ils avaient supposés. Depuis quelque temps les fermiers généraux viennent de forcer les consommateurs à acheter les tabacs en poudre, en s’emparant de tous les moulins; ainsi, pour augmenter leur bénéfice sur leur fourniture exclusive, ils vendent l’eau, le sel, et les autres ingrédients qu’ils y font entrer, 3 livres 12 sous la livre (2): invention fiscale qui y surcharge cet impôt au moins d’un cinquième. Que l’Assemblée nationale se fasse représenter le tableau des saisies (3). Elle y verra des vexa-(1) Sur la demande qui fut faite aux privilégiés d’exhiber les titres, ils les communiquèrent de bonne foi, et jamais ils n’ont pu les revoir. Quelques années après, on les a soumis au régime général, sous prétexte qu’ils n’avaient pas de titres. (2) Il y a six ans que le parlement de Rennes fit brûler 40,000 livres de tabac gâté ou avarié; et que sans lui on eût livré à la consommation. En 1785, un des membres de la société, chargé par le gouvernement de faire l’examen du tabac suspecté, trouva, par l’analyse qu’il en fit, sur 100 livres de tabac, 20 livres d’eau surabondante à sa préparation ordinaire, et 5 livres de sel. (3) Les permissions mêmes des fermiers généraux étaient une source d’abus et de vexations. Les apothicaires, et les directeurs de jardins de botanique, pou-tions, des atrocités qui font frémir; des meurtres, des assassinats commis juridiquement pour quelques livres de tabac. Qu’elle se fasse représenter surtout les procédures de ces tribunaux odieux et tyranniques, appelés commissions, elle reconnaîtra, au premier examen: l’influence des traitants, toujours juges dans leur propre cause ; elle s’indignera que des citoyens parlant ou agissant au nom de la justice, se soient portés à ruiner ou à déshonorer des citoyens qu’ils laissent languir dans les prisons, d’où l’argent seul pouvait les faire sortir ; elle s’indignera que, sur une simple lettre des fermiers généraux, ce tribunal, décernant des prises de corps, fait enlever les citoyens dans leur domicile, et leur fait traverser comme à des criminels, quelquefois un espace de cent lieues, sans respect pour les tribunaux ordinaires (Le Bas-Berry est justiciable de la commission de Valence en Dauphiné). C’est en voyant le nombre des commis qui s’élève au moins, pour le tabac seulement, à 10,000, qu’elle ne balancera pas à rendre aux arts et à l’agriculture des bras qui leur appartiennent; qu’elle fera cesser cette guerre civile qui est au moins immorale, si elle n’est pas impolitique. Ne serait-il pas possible d’imposer chaque arpent cultivé en tabac? Bientôt l’habitude de cette culture et de la manipulation, nous mettrait en état de nous passer de celui de l’étranger. Le gouvernement pourrait combiner les droits d’exportation de celui du dehors, avec la quantité nécessaire aux consommateurs. Il est impossible, sans doute, de présenter le tableau du revenu de cette nouvelle imposition foncière ; mais les besoins de la consommation faisant présumer nécessairement l’immensité de cette culture, on peut assurer que cette branche d’imposition serait très-considérable. D’ailleurs, l’Assemblée nationale remarquera que la culture de cette plante étant permise dans plusieurs provinces, il serait de la sagesse de détruire ces lignes de démarcation, qui sont la cause de tant de maux, et qui laisseraient imparfait son grand œuvre, qui réunit toutes les provinces sous un même régime. 15° De la gabelle. Cet impôt excite l’indignation dans toutes les provinces qui y sont soumises. Tous les cahiers en demandent l’abolition. L’assemblée des notables de 1787 en avaient jugé l’entière suppression nécessaire. Le Roi lui-même a manifesté ce désir à ses peuples. Un vœu si général ne peut qu’être réalisé par l’Assemblée nationale ; et tous les citoyens attendent avec empressement ce décret si désiré, qui va rendre aux peuples une denrée que la nature leur avait partout prodiguée, et que le fisc leur vendait si chèrement. Des millions d’hommes, soudoyés pour soutenir ce régime aussi étrange que cruel, vont donc être rendus aux arts, à l’agriculture, à la raient cultiver douze pieds de tabac pour le commerce ou l’industrie publique; les cultivateurs ne pouvaient en avoir que quatre pour servir de remède à leurs bestiaux. Mais, comme cette plante dissémine facilement ses graines, le nombre des pieds se trouvant plus considérables, les commis faisaient des saisies qui coûtaient beaucoup aux propriétaires par l’amende qui est de 1,000 livres, et sans cependant qu’il y eût do contravention préméditée. 542 atrie, qu’ils outrageaient par leurs fonctions ostiles et anticiviques! Le faux saunage ne sera donc plus l’école de tant de brigands qui troublaient la tranquillité publique, attaquaient la vie et la propriété des citoyens,. et devenaient eux-mêmes un second fléau, pire que la gabelle, pour les citoyens domiciliés, qu’ils forçaient à leur donner asile et à leurs chevaux ! Heureux quand ceux-ci n’étaient pas doublement victimes, soit des traitants, lorsque les sels étaient surpris chez eux, soit en même temps des contrebandiers qui, se croyant trahis, incendiaient ou ravageaient encore” leurs maisons ou les assassinaient! Que de crimes et de meurtres la gabelle a causés à la France ! Sa suppression ne peut être modifiée; les modifications feraient bientôt renaître les abus. La disproportion qui existe entre le prix du sel sur les bords de la mer, et celui auquel on pourrait le réduire, exciterait toujours le faux saunage et les inquisitions; il nous seinble qu’il faut l’anéantir entièrement, et l’abandonner au commerce comme les autres productions. Nous nous permettrons cependant une seule réflexion, sur la possibilité de supprimer les gabelles sans perdre la totalité de cette branche du revenu public. Il nous a paru possible que toutes les salines fussent prises au compte de l’administration, en indemnisant, sans doute, ceux qui en sont propriétaires, et de délivrer le sel à un sou dans ces salines. Ce moyen présenterait les avantages de ne pas surcharger les provinces voisines des mers ; et à celles qui sont rédimées de la gabelle de pouvoir en donner aux bestiaux, ce qui augmenterait beaucoup les débits, et en même temps de les vendre, dans tout le royaume, à un prix très-modéré, par les effets heureux de la concurrence du commerce. 16° De V uniformité des poids et mesures . Il y a longtemps que la variété des poids et mesures, dans les diverses provinces de France, excite des réclamations. L’intérêt du commerce et de l’agriculture en sollicite l’uniformité ; mais les efforts des amis de l’agriculture, des protecteurs du commerce, les divers projets de tant de citoyens qui l’ont réclamée, ont échoué contre l’édifice, alors trop solide, de la féodalité et de la fiscalité, qui rendait nulles les demandes faites à ce sujet, soit dans les tribunaux, soit auprès des ministres. L’ancienneté des réclamations sur un tel abus se prouve par l’un des capitulaires de Charlemagne. Ce grand roi , digne d’administrer l’empire français, voulut l’égalité des poids et mesures dans ses Etats; mais la féodalité devint trop puissante : son décret royal tomba bientôt en désuétude. Les seigneurs de fiefs s’arrogèrent le droit de régir leurs domaines et d’imposer leurs vassaux, Leur volonté était presque toujours la mesure de leurs lois de police et de règlement, De l’opposition et de la différence de ces volontés, il en résulte une telle dissemblance, qu’on pourrait presque compter les diverses mesures par les abbayes ou chapitres, châtellenies, marquisats ou baronnies qui sont en France. La différence des mesures arbitraires ne laisse pas douter que la féodalité n’ait quelquefois même augmenté les mesures, en raison de l’accroissement du numéraire au-dessus du prix originaire des redevances-La preuve s’en tire d’un arrêt rendu, en 1665, par le parlement de Paris, qui ordonna que toutes les mesures et tous les [24 octobre 1789.] poids se raient étalonnés, et les matrices remises ès-mains des juges et officiers commis par la police , avec défense à toute personne d’en garder ou réserver aucune ; mais on pressent l’effet de cet arrêt, dont l’exécution fut laissée aux juges mêmes des seigneurs. Nous pourrions citer plusieurs provinces, notamment la Touraine, où cette différence a été telle, que la quotité du devoir féodal, dans quelques endroits, s’est trouvée augmentée de près de moitié. Cet abus mérite bien d’être réprimé. Déjà l’Assemblée nationale a vengé les malheureux cultivateurs, en supprimant les dîmes, qui, comme les mesures, ont varié dans leur quotité, et il est de la sagesse de l’aréopage français de s’occuper d’une réforme qui puisse se concilier avec l’intérêt des particuliers et l’intérêt général. La diversité nuit évidemment au commerce, qui, ne pouvant connaître tous les poids et mesures du royaume, est exposé à être dupe, ou à laisser sans commerce diverses branches d’industrie que l’uniformité des poids et mesures faciliterait. L’uniformité des poids et mesures serait, dans ses effets pour la France, ce que seront ceux d’une même législation, d’une même imposition et d’un même souverain. 17® De l’entretien des chemins vicinaux. Nous ne nous attacherons pas à développer les avantages des grandes routes; ils sont trop connus et trop certains ; mais uniquement occupés de ce qui peut être utile spécialement à l’agriculture, nous aurons l’honneur d’observer à l’Assemblée nationale que l’entretien ou la confection des chemins yicinaux, est un objet qui égale au moins d’intérêt celui des grandes routes. La liberté et la facilité des communications et des transports, l’économie des voitures, sont essentielles aux progrès du commerce et de l’agriculture, parce que le défaut de pouvoir les déplacer, ou les trop grands frais qu’il faudrait faire, font tomber les denrées à une telle vilité de prix, que leur culture est nécessairement languissante. Combien de villes et de bourgs qui seraient riches par les productions de leur sol, s’ils pouvaient échanger ou vendre celles qui sont surabondantes ! Jamais l’administration publique n’a porté ses regards sur les chemins vicinaux, qu’une bonne police et quelques secours auraient mis en état de servir. Combien d’endroits où il faut quatre bœufs ou six chevaux pour conduire des denrées ou des récoltes, tandis qu’avec de meilleurs chemins on ferait plus d’ouvrage et on emploierait moins de chevaux ! Les diverses municipalités qui ne jouissent pas , des avantages des grandes routes, doivent s’empresser de demander aux assemblées provinciales des secours, et faire tous leurs efforts pour y joindre une contribution particulière; elles augmenteront le prix de leurs denrées parce qu’elles les vendront d’autant plus chères qu’elles auront moins coûté pour les frais de transport, et ces frais ne pourront diminuer que par des chemins praticables et entretenus avec soin. L'Assemblés nationale rendrait aux campagnes un service inappréciable, en destinant une partie des fonds publics à cet objet; elle dédommagerait en partie les cultivateurs des peines et des vexations qu’ils ont éprouvées pour les corvées en [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U octobrs 1789.] 643 nature. L’équité semble dicter ce décret, puis-qu’au moins la bourse des riches concourrait à ouvrir ou à réparer des chemins vicinaux pour ces malheureux paysans qui ont si longtemps, si injustement et si péniblement travaillé pour eux, � Les canaux, les rivières navigables sont également et même plus favorables au commerce et à l’agriculture; mais les frais de navigation et de ~ péage sont si multipliés, si excessifs, qu’on préfère, dans beaucoup de provinces, les voitures de terre à celles des canaux, et notamment à Auxerre, à cause du péage de Joigny, etc., etc. Mais si l’Assemblée nationale supprimait les péages de servitude, ordonnait le remboursement k des autres, elle rendrait un grand service au commerce de nos denrées, en ce que la commu-, nication par eau, en économisant le travail des bœufs, des chevaux et des hommes, en rendrait un plus grand nombre à la culture. 18° Des milices. k Le royaume est tous les ans livré à une sorte de révolution intérieure, pour laquelle ‘ les ministres ont paru indifférents, parce qu’elle ne troublait que la tranquillité du peuple des campagnes. Chaque année, 160,000 hommes au moins sont rigoureusement appelés à former une milice composée de 10 à 12,000 ; la voie du sort désigne ceux qui doivent la composer. * Les représentations des citoyens, les supplications des cultivateurs auprès des intendants ne sont pas nouvelles, et nous nous félicitons d’avoir à dénoncer un abus aussi funeste à une assemblée de citoyens, qui tous ont vu les suites du tirage de cette effrayante loterie. Elle sait que l’annonce de la milice jette l’alarme et l’effroi parmi le peuple des campagnes ; que chaque père et mère tremblent que le sort ne leur enlève un fils qu’ils chérissent, et qui leur est nécessaire ; elle sait l. que cet état affreux d’incertitude se renouvelle tous les ans, et livre à des angoisses cruelles l’âme pure et sensible des laboureurs et de leurs femmes ; elle sait encore que l'artisan et le bourgeois se réfugient dans les villes, et que le fardeau du désespoir et du tirage pèse sur les seuls paysans que l’attachement fixe dans la maison paternelle ; elle sait que pour échapper à l’horreur de toutes ces inquiétudes, et aux malheurs ‘'de la réalité, les paysans font contracter à leurs enfants des mariages prématurés, dont les suites ■ sont évidemment une énervation physique qui nuit à la population, à une bonne constitution, et souvent même qui excitent la division dans les familles, par la réunion de plusieurs ménages sous un même toit, dont les intérêts dès lors opposés nuisent à l’harmonie et à l’unité des -moyens, qui seuls peuvent faire fructifier les travaux ; elle sait enfin, que tous les garçons appelés au tirage dépensent beaucoup d’argent ' pour aller au chef-lieu de la subdélégation avec leurs parents, qu’ils forment entre eux une contribution pour dédommager celui que le sort a désigné. L’évaluation de cette somme équivaut à un impôt ; car on ne peut évaluer moindre le nombre * de ceux qui tirent au sort, en y joignant les parents qui les accompagnent, qu’à 160,000 ; ainsi, en supposant 4 livres de dépense de voyage et 6 livres pour la consommation commune, il en résulte une somme de 1,600,000 livres, et qui est indépendante de celle qu’on ne peut calculer pour la perte d’un temps qui aurait été employé aux travaux de l’agriculture. La réunion de tant de jeunes gens fait encore des libertins, occasionne des querelles de paroisses, cause des meurtres, et excite à des recherches tumultueuses ceux qui sont cachés ou qui se croient exempts. Que de motifs doivent porter l’Assemblée nationale à l’abolition d’un tel usage, suite de la servitude personnelle, d’un usage qui enlève tous les ans des milliers de bras à l’agriculture, pour grossir dans les villes le nombre des laquais ou des artisans, que les variations du luxe exposent si souvent à la misère, et presque toujours, à la perte des mœurs ; un usage enfin, qui doit être proscrit parce qu’il est seulement supporté par le peuple des campagnes, et que notre Constitution appelle enfin tous les citoyens aux charges de l’Etat ! Nous ne nous permettrons de faire aucune observation sur le régime des milices provinciales, sur le moyen d’y suppléer. Des législateurs citoyens, un prince restaurateur de la liberté publique trouveront sans doute les moyens les plus convenables pour maintenir la sûreté de l’Etat, et délivrer d’un tel fléau les peuples des campagnes. 19° De la suppression des fêtes. Dans l’origine des sociétés , le vœu commun fut, après un certain nombre de jours de travail, dmn réserver un pour offrir au créateur des prières, et en même temps pour se réunir et se délasser. Constantin est le premier chef qui établit en 321, qu’on chômerait les dimanches, et si nous en croyons Montesquieu, il ne rendit cette ordonnance que pour les villes, et non pour les campagnes ; dans la suite, il consentit même qu’on célébrât le samedi et le vendredi dans les villes. Les faveurs premières accordées au clergé, le portèrent à multiplier tellement le nombre des fêtes, que le tiers de l’année était chômé. Il fut heureusement servi par le peuple et par les circonstances ; les chefs de peuplades traitaient les habitants des campagnes comme des esclaves, et on sent avec quel transport ces fêtes étaient accueillies de la part de ce même peuple, qui portait dans les églises avec empressement, mais volontairement, les prémices de ses récoltes. La cour de Rome favorisa de tout son crédit et de son autorité l’institution des fêtes ; elle dota ses enfants de privilèges, d’indulgences, de confréries qui furent tellement honorées, que les princes et les rois même s’empressaient de s’v associer. Alors sans doute, le clergé régnait en Italie et en France ; mais peu à peu, nos rois, fatigués des prétentions ultramontaines, aidés par les parlements, surtout par celui de Paris, l’administration du royaume en devint moins dépendante, et on osa diminuer le nombre des fêtes. L’allégement du pouvoir féodal augmenta le pouvoir de nos rois ; les peuples, devenus libres, devinrent aussi plus laborieux et cultivateurs, parce-qu’il leur était permis de travailler pour eux, ce qui leur fit d’autant plus désirer la suppression de tant de fêtes. Le gouvernement, les cours souveraines, uqs rois même, supplièrent le clergé d’en diminuer le nombre ; mais, quoique plusieurs prélats se soient empressés de les réduire, il en existe encore beaucoup trop, dont il importe de renvoyer la célébration au dimanche : les devoirs de la religion, l’ordre public, les mœurs, l’économie politique sollicitent cette réforme. 544 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] Les jours de fête, en effet, sont des occasions où le peuple, forcé d’être oisif, se livre toujours aux désordres qui en sont les suites nécessaires, c’est-à-dire, à toutes sortes d’excès de libertinage et à l’ivrognerie. 11 consomme en un seul jour le gain d’une semaine entière. L'habitude du vice rend l’homme paresseux et misérable : sa femme, ses enfants, sont les victimes de son désordre. Une administration sage doit faire cesser les occasions d’un tel scandale pour les mœurs. Quant à l’économie relative à l’agriculture, elle se prouve par un aperçu dont les effets ne peuvent ère révoqués en doute. Supposons qu’il y ait proportionnellement dans chaque diocèse vingt fêtes par an, tant de celles dont la célébration est générale, que de celles particulières, et certainement ce nombre est au-dessous de la vérité : il en résulte donc, que tous les ouvriers, laboureurs, marchands perdent le travail ou le salaire de vingt jours. Que l’on rapproche maintenant le gain et les travaux que chaque individu eût fait; qu’on ne suppose que quatre millions d’hommes salariés par autrui, ou par leur propre travail, c’est donc pour un seul jour de fête 4 millions, et pour vingt, 80 millions, à 20 sous par jour, ce qui parait faire la moyenne proportionnelle pour les ouvriers des villes, les artisans et les manouvriers dans les campagnes. Quelque énorme que puisse paraître cette somme, il est certain qu’elle est bien plus considérable, qu’elle est même incalculable. Qui peut apprécier, en effet, les pertes qui résultent des récoltes qu’on aurait serrées en un jour de fête et que les pluies ou la grêle du lendemain ont anéanties, avariées ou diminuées (1)? Qui peut calculer les effets du labourage des terres, des cultures des vignes, après ou avant une pluie ? Qui peut calculer, apprécier môme le prix d’un jour de travail pendant les récoltes ? Quant au commerce, faut-il s’étonner des avantages des marchandises des royaumes étrangers, où l’on ne connaît pas de fêtes, tandis que les ouvriers, les manufacturiers français sur trois cents jours de travail, en perdent vingt, qui, avec les lundis (2), plus nuisibles encore que les fêtes et les dimanches, font un tiers de l’année ? N’est-ce pas évidemment diminuer le commerce de sa production; et les travaux de l’industrie, perdent les effets précieux de la concurrence sans laquelle le commerce languit ? N’est-ce pas forcer les ouvriers à augmenter d’un tiers leur salaire, lorsqu’on pourrait au moins, en supprimant les fêtes, rendre meilleur le sort de l’ouvrier qui en paye plus cher les denrées ? 20° De la mendicité et du glanage. C’est, un grand malheur pour l’Etat, pour les mœurs, et surtout pour l’agriculture, qu’il y ait des mendiants et des vagabonds ; leur existence nuit à l’harmonie de la sociabilité ; elle est criminelle en quelque sorte, puisqu’ils usur-(1) La société rend hommage à plusieurs curés qui n’hésitent pas à permettre à leurs paroissiens de travailler les jours de fêtes et dimanches dans le temps des récoltes. (2) L’on voit fréquemment, surtout dans les villes, l’artisan qui quelquefois a travaillé le dimanche, passer le lundi au cabaret, et créer ainsi, par paresse ou par débauche, des cessations de travail qu’aucune loi, qu’aucun intérêt ni aucun prétexte ne peuvent justifier. pent le patrimoine des vrais pauvres, et elle rappelle sans cesse au gouvernement la nécessité d’en " détruire ou diminuer les causes. La mendicité naît de la misère ou du libertinage. Le vrai moyen de la détruire est donc de rendre le peuple heureux et de l’entretenir dans de bonnes mœurs. Il ne peut être heureux qu’en délivrant son industrie ou sa propriété de mille * taxes qui lui en enlèvent les trois quarts; il ne peut avoir de bonnes mœurs que lorsqu’il verra tous ~ les citoyens se rallier au nom de la patrie pour l'intérêt commun, pour blâmer ou punir les infractions aux lois sociales et à celles de la religion, ou décerner une couronne civique au citoyen de quelque rang qu’il soit, pour une action patriotique ou vertueuse. < Ce n’est pas par des ordonnances rigoureuses ni en séquestrant dans des dépôts publics qu’on dé-truiraia mendicité; ces moyens seront toujoursin-’ suffisants et souvent plus dangereux que le mal : flétris par l’opinion publique, irrités dans leur misère, privés de leur liberté, les mendiants deviennent un fléau lorsqu’ils peuvent échapper, ' après avoir coûté des sommes immenses àj l’Etat. 4 Ces vérités se prouvent par des exemples. La Suisse a moins de mendiants que l’Angleterre, J l’Angleterre en a moins que la France, la France beaucoup moins que l’Espagne ; ce sont des faits reconnus et avoués par tous les voyageurs. Lorsque le peuple cultivateur ne verra plus tant j de terriens le mettre à contribution pour son pain, son sel, son vin, son domicile et sa per-* sonne, qu’il pourra enfin se donner une petite propriété, sans donner au fisc de la féodalité le quart ou la moitié delà somme même employée � à son acquisition ; que la loi qui jusqu’à ce jour, ne protégeait que le riche ou l’intrigant, aura la même considération pour lui ; alors le sentiment de l’honneur lui commandera l’obéissance aux lois de la société. Malgré la sagesse de ces lois, malgré les bienfaits d’une nouvelle administration, il y aura toujours, dans une aussi nom-, breuse population, des individus nés malheureusement, qui se livreront à la mendicité et au vagabondage; alors, il faut sans doute que la loi qui - le réprimera soit sévère, mais que ce ne soit plus pour les entasser dans des hôpitaux, dans des prisons, dans des dépôts où règne un air méphitique, où sont des libertins dépravés, et où se développe > avec énergie la double contagion des mœurs corrompues, et des maladies épidémiques. a Le punition la plus naturelle à infliger aux mendiants vagabonds, c’est de les assujettir au 4 travail. On pourrait les réunir pour les faire travailler dans chaque généralité à des ateliers publics ; soit à des défrichements ou à des dessèchements (1) vicinaux, soit à des canaux de na-� vigationou d’irrigation; leur bonne conduite serait leur protection pour les faire renvoyer dans leurs paroisses, après qu’ils auraient payé le"" juste tribut à la société, pour les délits qu’ils auraient commis envers elle. (1) Il est plus juste d’employer à des travaux pénibles * et sur des terrains malsains, des hommes qui ont démérité de la société, et laisser pour les ouvriers domi-\ ciliés les travaux des routes et des chemins vicinaux. Si le gouvernement eût employé des mendiants au dessèchement de Rochefort, il eût conservé beaucoup dex soldats qui y ont péri, et les malheureux rélégués aux dépôts ne seraient pas morts dans la misère après avoir été inutiles à la société. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] Du glanage. Il y a deux sortes de glanage : l’un toléré par le gouvernement, institué par le clergé, celui des vicaires dans plusieurs diocèses ; le second, celui des pauvres, mais qui leur est enlevé par des personnes qui ne sont ni pauvres ni invalides. Le premier doit être supprimé, et pour l’honneur et la dignité des prêtres que le haut clergé a réduits à cette existence humiliante, et pour les malheureux cultivateurs que ce même clergé si riche, si opulent, pressure depuis longtemps ar toutes sortes de contributions. N’est-il pas onteux pour le sacerdoce, que des ecclésiastiques, appelés par état à l'étude de la morale et de la théologie, aux fonctions saintes de consoler les malheureux, soient réduits à aller dans les champs, ou dans les greniers de pauvres colons ou métayers, leur enlever une partie, quelquefois même partager leur subsistance? Tout étonne dans cet usage, et avilit le haut clergé qui l'a ordonné, le gouvernement qui Ta toléré, les prêtres qui s’y sont livrés, et surtout le peuple qui y a consenti. L’administration ne peut pas souffrir plus longtemps une telle discordance dans les rapports des contributions publiques, et surtout elle doit effacer jusqu’au nom d’un tel usage. Le glanage des pauvres, au contraire, est une institution sacrée, recommandée par toutes les lois de l’Eglise, autorisée dans tous les Etats ; mais, par une fatalité attachée aux institutions humaines, les abus les plus révoltants naissent presque toujours des meilleures lois. Dans toutes les provinces on se plaint des abus du glanage; des femmes, des filles, des garçons, des hommes en état de travailler, souvent même en état de se passer de glaner, entrent dans les champs avant que les blés soient enlevés ou liés en gerbe ; le vrai pauvre ne peut presque rien espérer par une trop grande concurrence ; il en est souvent chassé ; les épis épars ne sont que les prétextes du glanage ; ils profitent de tous les moyens possibles pour s’approprier une partie de récolte, et toujours ils rentrent chez eux avec une charge de glanes, qui devient souvent dans leur domicile le prétexte d’en aller la nuit voler dans les champs, qu’ils mettent en forme de glanes. Qui vole le jour, peut bien être présumé voler la nuit. Il n’est pas étonnant, dans les bourgs et villages, de voir des fainéants qui n’ont pas un arpent, vendre ou avoir plus de blé que beaucoup de ceux sur le terrain desquels ils ont glané. Dans d’autres cantons, chaque moissonneur s’aflide avec un glaneur ou une glaneuse ; ce seul affidé peut glaner derrière lui ; on sent ce qui doit résulter d’une telle association. Le propriétaire est trompé, le pauvre est frustré de ce que la société lui réserve. 11 sera très-facile aux municipalités d’inscrire ceux qui auront un vrai besoin de glaner, et de défendre à tout autre de le faire. Cet abus intéresse essentiellement la police générale du rovaume ; il attaque la propriété du cultivateur ; il est une école de mendicité, de brigandage et de libertinage ; il porte à voler le bien des pauvres, qui sollicitent eux-mêmes un décret public à cet égard. ENCOURAGEMENTS. 1° De Vutilüé d’honorer les laboureurs et les cultivateurs. Quoique la Société soit persuadée que les progrès de l’agriculture dépendent essentiellement d’une bonne administration, elle croit cependant qu’ils peuvent être hâtés ou déterminés par des moyens qui ne tiennent ni à l’intérêt, ni au changement de régime. Le sentiment de l’honneur est un mobile qui dans tous les arts et dans toutes les professions fait faire des prodiges ; un sentiment contraire énerve les forces physiques, enchaîne les idées. L’amour de la gloire a fait seul nos héros, nos savants et nos artistes ; il peut faire de même de célèbres agriculteurs. Le peuple chinois a consacré cette vérité, et en démontre l’utilité. Tous les ans l’empereur trace quelques sillons avec une charrue ; tous les ans les gouverneurs de ce vaste empire font la même cérémonie : le labourage est chez eux la fonction la plus honorable, et l’agriculture le plus florissant de tous les arts. En France, au contraire, le laboureur est avili; il n’est admis dans aucune corporation de magistrature (1). Le bourgeois, dans les provinces, le dédaigne ou refuse de s’allier avec sa famille; entraîné par le torrent de l’opinion publique, il s’efforce de devenir aisé pour quitter son état et tâcher de devenir citadin en achetant quelque charge. Il serait sage, il serait nécessaire même, d’honorer la profession du laboureur ; les moyens en sont faciles, et ne coûteraient presque rien à l’administration. Dans chaque province on pourrait distribuer des prix à ceux qui auraient fait des essais ou des travaux favorables à l’agriculture. Il serait également digne de la bonté de Louis XVI pour son peuple d’instituer un ordre qu’il voulût bien porter, et auquel seraient admis tous les citoyens qui auraient rendu des services signalés et authentiques par leurs découvertes ou leurs travaux relatifs à l’agriculture. Il serait de la dignité de l’Assemblée nationale d’en demander l’institution, et que le jour de l’admission (les candidats fût l’époque de la fête nationale; le nom de Tordre serait, sans doute, celui du Roi même. La Société ne développera pas les détails d’une telle institution, ni les effets immenses qui en résulteraient; mais elle peut assurer que cet ordre serait aussi heureux et plus honorable que tous ceux qui existent, et qui coûtent des sommes considérables. Si une grande population est le signe d’un empire florissant, la France à ce titre tient un des premiers rangs; mais les effets de cette grande population sont réservés pour-les villes seules : les campagnes manquent de bras. C’est une vérité reconnue, et l’administration doit se bâter de rétablir un équilibre dont la subversion fait la ruine de l’agriculture. Les travaux des champs coûtent excessivement, par les gages qu’il faut donner aux valets, aux manouvriers; et il n’est pas rare de trouver des exemples que des fermiers payent autant en gages à leurs valets (1) Le fils d’un laboureur de la Picardie avait acheté une charge de trésorier de France ; il ne put en obtenir l’agrément. lre SÉRIE, T. IX. 35 546 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] qu’à leur propriétaire même. Cet objet sera pour les administrations provinciales un exemple très-important, qui intéresse autant la police publique, que le bien-être même des cultivateurs. Louis XIV avait rendu une loi pour qu’on ne fît pas payer de taille à celui qui aurait douze enfants. L’Assemblée nationale et Louis XVI exempteront, sans doute, dans une proportion encourageante, ceux des laboureurs qui auront un égal nombre d’enfants. Il est d’une bonne politique de favoriser et d’honorer les mariages. Les lois romaines décernaient des récompenses et des prérogatives aux pères de famille et infligeaient des peines aux célibataires. Le but et le motif de ces lois étaient d’encourager le travail et de conserver de bonnes mœurs. Nous nous sommes bien écartés de ces maximes ; car le célibat en France a été comblé d’honneurs et de richesses ; mais les erreurs n’ont qu’un temps , il faut espérer que le terme de celle-ci est arrivé. 2° D'une caisse de prêt. Il n’est que trop certain que les propriétaires cultivateurs sont réduits à une sorte d’impossibilité de se livrer à des améliorations et même aux réparations nécessaires. Les impositions royales, les droits fiscaux et féodaux, la perception inégale, les taxes multipliées sur l’industrie se sont accumulés à un tel degré, à un tel excès, qu’il en est résulté un épuisement général. Il est encore certain que le trésor royal, tous les trésors particuliers, les emprunts, les banques, les projets, les loteries, les grandes entreprises n’ont cessé de tendre à faire affluer, même des provinces les plus éloignées , la majeure partie du numéraire dans la capitale ; d’où il résulte une privation presque totale du numéraire pour les opérations les plus utiles; une privation d’autant plus funeste dans ses effets que l’argent seul détermine à travailler ou à faire travailler, que les prix des denrées ne sont plus dans aucune proportion relative, que les travaux de la terre sont devenus et sont encore les plus ingrats, les moins protégés et les moins fructueux de la société. Les impositions royales, féodales ou fiscales, dont le poids accablant ne portait en quelque sorte que sur les propriétés foncières, par les exemptions immenses des privilégiés, ont dû nécessairement détourner tout propriétaire riche et aisé des travaux de la campagne, et le porter conséquemment à placer sa fortune dans les fonds publics, dont l’intérêt dépassait de moitié, souvent des deux tiers, le revenu des biens territoriaux. Le luxe des villes, par une fatalité funeste, s’est propagé dans tout le royaume ; les habitants des villes, des bourgs et villages, le cultivateur même se sont fait des habitudes ou des besoins de ce que l’opulence et l’oisiveté ont inventé dans la capitale. Ce luxe est un fléau qui s’est réuni à tous les autres pour enlever aux provinces, aux campagnes, le peu de numéraire qui y reste. Un tel régime devait à la longue occasionner une masse de dettes en même temps qu’une masse de misères ; les financiers seuls, les banquiers étrangers ont profité de nos fautes, de nos erreurs. Ils se sont emparés de notre numéraire ; ils ont même, à cet égard, le pouvoir de rétablir ou j d’éteindre le crédit public, et on ne pourra se délivrer de ce joug qu’en employant dés moyens absolument indépendants d’eux ; des moyens, en un mot, qui soient tels que le peuple puisse, sans s’obérer encore, trouver des ressources pour se livrer aux travaux de l’agriculture et des arts qui en sont la suite, et l’Etat, sans user le peu de crédit qu’il pourrait se donner par des impôts rigoureux. Car nous sommes parvenus à ce point extrême que l’Etat, le peuple et surtout le propriétaire cultivateur sont dans une pénurie extrême d’argent. Il faut donc un crédit national qui devienne une source de nouveaux moyens et qui force les capitalistes à livrer à la circulation l’argent qu’ils cachent. Une situation aussi déplorable des finances du royaume ne permettant pas à l’administration de désigner de longtemps des fonds pour les progrès de l’agriculture, la Société a pensé qu’il serait aujourd’hui possible plus que jamais de créer une banque rurale, où chaque propriétaire pourrait emprunter jusqu’à la concurrence du tiers ou de la moitié de sa propriété libre et franche de toutes dettes ou hypothèques, en payant, pendant l’espace de quarante, cinquante ou soixante années, les intérêts à 3 ou 4 0/0, au bout duquel il se trouverait entièrement libéré et du capital et des intérêts. Les billets ou papiers de banque ne pourraient jamais avoir les dangers du système fatal de Law, dont le souvenir effraye encore, en ce qu’ils auraient une représentation vraiment réelle, vraiment sûre, et indépendante de tous les événements ou de toutes les révolutions publiques. Ces billets auraient peut-être un crédit plus réel que les espèces monnayées, qui ne sont elles-mêmes que des signes de" convention, puisqu’ils représenteraient des valeurs foncières, qui, dès l’instant de la création de la banque, augmenteraient ces mêmes valeurs par les secours qu’ils donneraient aux cultivateurs. La multiplication de ces billets ne serait jamais excessive, parce que le prêt ou crédit national ne s’élèverait qu’au tiers ou à la moitié de la valeur foncière : ces signes de banque s’éteindraient également à l’époque convenue, et seraient brûlés en présence des administrateurs publics. Les propriétaires pourraient avec ces billets de banque, qui seraient reçus comme argent, se livrer à l’amélioration des terres ; ils pourraient défricher ou dessécher des marais , planter des bois, ils pourraient réparer même leurs biens, se livrer à des essais, à des travaux dont les effets ou le produit ne se font ressentir qu’à des époques éloignées, sans craindre les poursuites des créanciers avides, qui ne prêtent plus aujourd’hui que par obligation annuelle, ou par billets à court terme. L’Etat deviendrait immensément riche par les intérêts qui seraient fournis au Trésor public, puisque dans l’espace de cinquante ans, il recevrait en réalité le montant de la somme qu’il aurait sanctionnée de son crédit, et encore les intérêts de cette même somme qui serait égale au capital ; intérêts qui seraient toujours payés, et évidemment plus sûrs que les revenus mêmes des impositions équitables. Dans l’espace de dix ans, l’Etat pourrait payer une partie de ses dettes, protéger le commerce" et l’agriculture, protéger toutes les frontières, et soutenir avec dignité l’éclat du Trône, la gloire de l’empire français. L’argent sortirait bientôt des antres où il est enfoui : la diminution d’intérêt national forcerait 547 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] les capitalistes à donner leur argent au même taux : enfin, la Société croit que ce plan pourrait être de la plus grande utilité pour les cultivateurs. Peuaccoutumée aux opérations de finances, elle le propose comme un moyen de subvention dont elle n’a peut-être pas prévu les inconvénients ; mais elle est rassurée dès qu’il doit être K soumis à l’Assemblée nationale. Nota. Un particulier, riche de 3,000 livres de - revenu foncier, emprunte sur son domaine, qu’il justifie libre de dettes, la somme de 30,000 livres, moitié de la valeur; il paye les intérêts à 4 0/0 tous les six mois, ce qui ne le gêne ni ne le grève, et enrichit l’Etat ; car, dans l’espace de cinquante ans, le Trésor public a reçu la somme de 1 ,200 li-*■ vres chaque année : or, cinquante fois 1 ,200 livres font la somme de 60,000 livres, sur laquelle il ( faut déduire les frais de perception. 3° De V utilité d'une Société d'agriculture pratique dans chaque département des provinces. La communication libre et facile des dé-- couvertes, des procédés, ou des méthodes perfectionnées, est aussi favorable à l’agriculture, u que la liberté de penser et d’écrire est utile aux progrès des arts et des sciences. Les laboureurs, les cultivateurs, les bourgeois propriétaires ne voyagent plus; ils cultivent et font cultiver comme ont cultivé leurs pères. La routine et les préjugés dominent partout sur leurs travaux. La > misère ou le défaut d’aisance les réduisent aussi aux anciennes pratiques; ils n’osent ni ne peuvent faire des essais dont le succès serait douteux ‘ ou dispendieux. 11 est donc nécessaire que les arts ruraux, perfectionnés ou inventés, aillent les trouver ; il faut donc mettre sous leurs yeux la leçon si utile, si heureuse de l’exemple pratique des arts ou des méthodes proposées. Il serait important d’établir dans chaque département ou arrondissement une Société de citoyens agriculteurs, surtout de ceux qui pratiquent, la-* quelle correspondrait avec celle du chef-lieu de la province, et celle de la province avec celle de Paris, qui est déjà, par ses travaux et son institution, en correspondance avec toutes les Sociétés d’agriculture et d’agriculteurs éclairés, tant dans le royaume que dans les pays étrangers. Par ce moyen, toutes les provinces s’éclaireraient mutuellement sur un art si nécessaire et qui est i encore au berceau, mais qui doit promptement prospérer sur les ruines de la fiscalité et de la féodalité. Les systèmes et les erreurs qui les accré-k ditent ne seraient plus dangereux, n’exposeraient plus les fortunes des particuliers ; l’opinion générale fixerait bientôt le mérite des découvertes qui seraient indépendantes du sol ou du climat ; une heureuse émulation animerait les propriétaires; quelques prix distribués encourageraient " les malheureux laboureurs, qui ont peine à croire au bonheur public ou à voir leur état honoré. La , France serait bientôt la rivale de l’Angleterre pour l’agriculture. Ce royaume, il est vrai, n’a pas de Sociétés d’agriculture dans ses provinces, mais son état actuel est le résultat d’une révolution de près de cent anuées, et l’établissement proposé pourrait avancer d’un siècle la même prospérité. § I. Ces Sociétés pourraient, par exemple, réunir auprès d’elles des artistes vétérinaires. Il n’y a pas de province qui n’éprouve chaque année des maladies locales ou des épizooties, qu’il serait facile de prévenir ou d’arrêter dans leurs progrès. Il ne faudrait pas, sans doute, borner l’étude de la médecine et de l’art vétérinaire aux chevaux seuls, comme on fait dans les écoles qui existent ; les bœufs, les vaches, les bêtes à laine sont plus essentiels encore à l’économie rurale; en un mot, les bestiaux sont la principale richesse du royaume. De leur conservation et de leur multiplication dépend la prospérité ou l’inertie de l’agriculture. De cette vérité incontestable résulte donc la nécessité de former des élèves pour la médecine vétérinaire. 8 H. La panification est en général très-mauvaise dans les campagnes. Cet objet est trop essentiel pour ne pas fixer l’attention d’une Société, soit pour la construction des fours pour lesquels il faudrait moitié moins de bois, soit pour tous les autres objets accessoires qui ne peuvent être indifférents, puisqu’il s’agit du pauvre comme du riche. M. Necker a confié l’école de boulangerie de Paris à la Société royale d’agriculture de celte capitale. g III. On ignore dans beaucoup de provinces la manipulation expéditive des chanvres et des lins, l’art de les ouvrer et de les manufacturer. Cette ignorance nous rend tributaires de l’étranger pour des sommes considérables. Il serait très-facile à une Société d’agriculture de diriger ces travaux et de les multiplier en formant des élèves. g IV. L’art des accouchements est meurtrier dans les campagnes; des milliers d’êtres sont sacrifiés par l’ignorance des sages-femmes. L’humanité sollicite une instruction et une surveillance publique sur cet objet. § V. Le chaulage des grains est essentiellement nécessaire ; cependant il n’est pas généralement adopté, parce qu’on n’en connaît pas les bons effets, quoique depuis vingt ans on ne cesse de les publier. Une Société d’agriculture s’occuperait très-utilement de répandre l’usage d’un si bon procédé pour éviter la carie des blés. § VI. Il croît spontanément, ou par la culture, dans chaque province, une quantité immense de plantes, d’arbres ou d’arbustes qui sont perdus pour l’économie rurale, et qu’il serait possible de rendre commerçables cq les préparant chacun selon leur destination. § VII. Les plantes potagères sont d’une ressource précieuse pour les cultivateurs; mais on ignore et la culture et l’usage d’un très-grand nombre. L’établissement d’un jardin public, sous l’inspection d’une Société, serait de la plus grande importance ; 1° pour la distribution des graines ; 2 pour g|g [Assemblée nationale.] l’instruction publique; 3° pour la perfection des instruments agraires. Les haies, les champs sont remplis d’arbres sauvages, parce qu’on ignore l’art de les greffer. § VIII. Les maisons des paysans sont malsaines, froides et peu solides; on les couvre de chaume là où il serait possible et facile de fabriquer de la tuile ou de trouver de l’ardoise. Une Société pourrait apprendre à construire en pisé, ce qui serait pour les paysans un art inappréciable. § IX. Combien de provinces où on entasse les brebis et les moutons toute l’année dans des étables, lorsqu’on pourrait les faire servir si utilement à l’engrais des terres en les faisant parquer! etc. § X. On retire chaque année de l’étranger pour deux millions, et quelquefois plus, de beurre et de fromage. En éclairant les cultivateurs par une meilleure manipulation, les Sociétés pourraient rendre ce commerce plus actif, etc., etc. 4° Observations relatives au commerce des grains , des farines et du pain. Quoique nous nous soyons imposé la loi de ne surcharger ce mémoire d’aucun précepte , d’aucun détail de pratique rurale, nous ne pouvons cependant nous dispenser de le terminer par l’aperçu des causes principales qui influent de la manière la plus directe sur l’abondance et la qualité des récoltes. Ce ne sont d’ailleurs que des vues générales concernant l’amélioration de l’aliment fondamental, et la diminution de son prix. Cette double considération ne saurait être indifférente à la Société, parce que l’augmentation réelle de la valeur des grains deviendra pour les laboureurs uu puissant motif de mieux cultiver leurs terres, et que c’est, par conséquent, concourir aux progrès de l’agriculture et à l’aisance des cultivateurs, que de s’occuper de tout ce qui a rapport à la meunerie et à la boulangerie, à ces deux arts de premier besoin qui sont le but et la fin des travaux du labourage. On sait qu’il n’existe point de pays en Europe qui produise de meilleurs froments que la France. Le climat, le sol et les aspects leur concilient la netteté, la pesanteur et la finesse d’écorce qui en caractérisent la bonne qualité ; mais le défaut de soins, lors des semailles et des récoltes, les méthodes vicieuses de les battre, de les conserver, de les transporter, de les moudre et de les convertir en pain, font bientôt disparaître tous ces avantages; arrêtons-nous à quelques observations. Des grains. Les cultivateurs de beaucoup de cantons ne sont ni assez difficiles ni assez attentifs à l’opération la plus importante de l’agriculture, celle des semailles. Le choix qu’ils font du grain le plus lourd, le plus mûr, le mieux nourri, ne suffit pas encore pour remplir complètement cet objet. [24 octobre 1789.] Le blé, avec les apparences les plus saines, peut être moucheté imperceptiblement, et porter en soi le germe de la maladie du noir. Souvent ils négligent le sarclage, battent sur des aires malpropres, vannent et criblent à moitié, d’où il suit que les plus excellents grains. manquent de cet extérieur qui en rehausse la valeur marchande, et que tous ces défauts de soins se manifestent dans la farine, comme dans le pain qu’on en prépare. Pour se garantir du noir, de cette maladie terrible qui diminue quelquefois, dans certains endroits, la récolte d’un tiers, en même temps qu’elle salit les grains échappés à la contagion de cette vraie peste des semences, la plupart des cultivateurs se bornent à éteindre un morceau de chaux dans l’eau, à en arroser un tas de semence qu’ils retournent, et mettent à sécher. Mais cette opération essentielle, pratiquée presque partout sans règle ni proportion, malgré les avis multipliés de la Société, est insuffisante pour s’opposer à la maladie, pour peu que la saison soit favorable à son développement. S’il est reconnu qu’il y ait toujours un profit assuré à ne rien épargner sur le choix et sur la préparation des semences, on ne saurait douter non plus qu’il ne faille user de la plus grande économie, lorsqu’il s’agit de les répandre. Cependant, quoique d’excellents patriotes, affligés de ce qu’on perd annuellement une grande quantité du plus beau grain, n’aient cessé de prouver aux fermiers, par mille et mille expériences, que dans un champ semé épais, tous les grains germent et poussent à la fois, que les racines, foin de s’étendre et de se ramifier, se rencontrent, s’entrelacent, se confondent et s’affament réciproquement ; qu’en réduisant la semence à moitié de ce qu’ils en emploient ordinairement, le produit surpassait d’un tiers ou d’un quart ; ils n’en continuent pas moins leur pratique vicieuse, en sorte que souvent la moisson ne répond ni aux dépenses qu’ils font ni aux peines qu’ils se donnent, tant est grand l’empire des préjugés et de la routine. Les avantages de semer clair ne consistent pas seulement dans l’épargne delà semence et dans le bénéfice des récoltes; la pureté et la netteté des grains en sont encore les effets; les pièces de blé, moins en proie aux herbes étrangères, sont d’un sarclage plus facile ; on risque moins d’ébranler la bonne plante pour arracher la mauvaise; enfin, elles ne sont pas aussi susceptibles de verser à l’approche des moissons. S’il était possible d’établir dans les campagnes une unité de vues, d’opinions et de travaux; si leurs habitants n’étaient pas aussi étrangers les uns aux autres; qu’il n’existât plus, enfin parmi eux qu’une seule et même famille disposée àcon-courir au. bien général, on viendrait sans doute à bout d’affaiblir les effets des maladies du grain, des mauvaises herbes qui infestent nos champs, et des animaux destructeurs qui les ravagent. Les précautions employées par les cultivateurs les plus soigneux pour“arrêîer ces fléaux dans leur source ne sont que des opérations partielles, qui manquent leur effet quand elles ne sont pas exécutées en commun. A quoi sert, par exemple, l’attention d’un fermier à échardonner son champ et à e'cheniller son verger , si le voisin ne l’imite pas ? Ce n’est donc qu’en réunissant ses efforts qu’on parviendra à former une ligue contre ces ennemis qui, en ruinant les campagnes, entraînent encore après eux la disette et les maladies. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 549 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [24 octobre 1789.] Ce qu’il importe le plus de persuader aux cultivateurs pour leur propre intérêt et pour le nôtre, c’est que ces fléaux ne naissent pas fortuitement, qu’ils ne sont ni l’ouvrage des brouillards, ni celui de quelque prestige; que l’influence des saisons et des localités contribue seulement à les rendre plus ou moins formidables; que la carie ou le noir, maladie particulière au froment, réside dans le froment et se propage par la voiede la contagion, etqu’ils ont dans leur foyer de quoi s’en préserver ; que la terre ne produit pas d’elle-même les mauvaises herbes qui lèvent au printemps; que ce sont les semailles, le fumier etle vent qui les répandent et les perpétuent; enfin, que les papillons qui ont déposé leurs œufs dans les champs, à la grange et au grenier, donnent naissance aux insectes, et que c’est à ces papillons qu’il faut déclarer la guerre si on veut en arrêter la source. Telles sont les erreurs et les vérités qu’il serait utile de faire connaître aux habitants des campagnes, en ne leur parlant que le langage familier de leur pratique, par l’organe de leurs pasteurs surtout, si à l’avenir leurs revenus sont en fonds de terres, etqu’ils puissent en consacrer quelques arpents à des essais sous les yeux de leurs paroissiens. Quelle voix plus propre à vaincre la séduction de la routine, à faire taire les préjugés, et à les préserver de ces hommes à secrets qui, profitant de l’enthousiasme des uns, et abusant de la crédulité des autres, sont plus capables de nuire à l’agriculture que de la favoriser ! Connaissance parfaite du sol, engrais abondants, labours profonds et répétés, préparation des semences et économie dans leur distribution , semailles précoces suffisamment enterrées et recouvertes : voilà les maximes fondamentales du premier de tous les arts. Malgré l’obstination du cultivateur à se rendre aux expériences les plus frappantes, ne cessons de lui montrer dans ses fautes le principe des maux qu’il a éprouvés ; faisons en sorte qu’il ne puisse plus accuser que son aveuglement des torts dont il charge ordinairement les intempéries ou les localités ; qu’il soit enfin convaincu ue l’abondance et la qualité des récoltes dépen-ent en partie de la perfection de chacune des opérations qui les précédent, et que le moindre oubli dans une seule se fait sentir sur la production. Le défaut de sarclage, les aires malpropres, l’imperfection des cribles, rendent souvent les grains sales et impurs ; ils ne coulent pas dans la main, et sont remplis de semences étrangères et de petites pierres, ce qui déprécie leur valeur dans le commerce et dans l’emploi; or, si les laboureurs soignaient mieux leurs grains, ils retireraient, en les vendant plus cher, au delà de ce que les frais et les déchets de criblage auraient pu leur coûter. C’est à l’oubli des précautions de cribler et de rafraîchir les grains pendant leur séjour au grenier, de les cribler de nouveau quand ils arrivent à leur destination, qu’il faut attribuer l’altération de ces masses considérables de blé, dont les pertes réunies occasionnent la cherté, et souvent la famine. C’est sans doute un abus de cultiver ensemble, et dans un champ d’une même veine de terre, le froment et le seigle, puisque l’un est plus tôt mûr que l’autre et que chacun exige une qualité différente de sol ; on a beau objecter que ces plantes, végétant ainsi concurremment, se prêtent des secours réciproques : jamais l’expérience en plein champ n’a prouvé ce prétendu phénomène. G’est un autre abus de mélanger ces grains quand ils ont été récoltés séparément, pour les porter ensuite au marché, vu qu’alors il est impossible de juger quelle est leur proportion res-j�ective, et que, selon toute vraisemblance, le grain le moins cher est certainement celui qui y domine. Un autre inconvénient encore de cette méthode, c’est qu’en envoyant au moulin les grains ainsi mélangés, il n’en résulte qu’une farine défectueuse et peu abondante. Leur nature, leur volume et leur forme étant différents, ils exigent aussi une mouture différente. 11 faut donc les moudre à part et conserver leur farine séparément, quand bien même on aurait l’intention d’en faire un pain mélangé, par la raison que l’une convient mieux à la préparation du levain et l’autre à celle de la pâte. Toutes ces considérations, que nous abrégeons, servent donc à prouver qu’il serait utile d’interdire le commerce des grains mélangés, parce qu’il n’est réellement avantageux qu’au vendeur, et que comme la pesanteur spécifique des grains est la marque la plus certaine pour juger de leur qualité, il serait nécessaire que leur commerce se fît au poids et à la mesure; ces deux moyens, employés toujours concurremment, procureraient beaucoup d’avantages et préviendraient une foule d’abus. Sans vouloir suivre les traces des précautions employées pour se ménager des ressources contre les disettes, nous croyons que les grandes villes extrêmement peuplées pourraient se servir avec succès de l’entremise des boulangers, dont les achats et les magasins très-divisés pourraient fournir aux besoins et écarter les craintes. Ce parti serait d’autant plus sage qu’il n’est pas possible de mettre les provisions de ce genre en de meilleures mains : elles se feraient sans appareil et sans frais ; elles auraient pour surveillant l’homme dont la fortune et l’industrie seraient également intéressées à en tirer les plus grands avantages ; mais nous pensons aussi qu’il vaudrait beaucoup mieux que les provisions se fissent plutôt en farine qu’en blé: nous en expliquerons plus loin les raisons. Qu’il nous soit permis de réclamer, au nom de la justice et du bien publie, l’œil vigilant des administrations chargées de veiller aux objets de subsistance; la nature peut, sans doute, donner des grains de médiocre qualité, mais rarement sont-ils capables de préjudicier à la santé lorsqu’ils ont élé soignés par des procédés bien entendus. Cependant, si les négligences ou les méthodes vicieuses ont augmenté les défauts qu’ils avaient déjà au moment d’en faire la récolte, il ne faut pas se hâter de porter un arrêt de proscription que l’on n’ait consulté les ouvrages des physiciens patriotes qui ont traité avec le plus de clarté ces objets importants; il faut faire essayer en silence et sous ses yeux les moyens qu’ils indiquent, pour s’assurer par soi-même si les grains et les farines suspects peuvent servir encore de nourriture sans aucun inconvénient. Si enfin , après avoir réuni les lumières d’observateurs habiles, sans préjugés, parfaitement instruits du degré d’altération� des grains, des causes multipliées qui les ont gâtés, et des effets qu’ils peuvent produire dans cet état ; si, après ces sages précautions, il reste encore de l’incertitude, on ne doit plus balancer à rejeter de la masse des subsistances de pareils grains; mais il ne faut pas les perdre de vue qu’ils n’aient acquis la forme sous laquelle ils 550 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] peuvent encore devenir une ressource quelconque pour la chose publique. De la mouture. C’est une des principales opérations de la fabrication du pain ; une fois manquée* il n’est guère possible de réparer le mal ; quelque bon procédé que le boulanger emploie dans ses manipulations subséquentes, la défectuosité de la mouture se manifestera toujours dans les qualités des résultats. Les moutures vicieuses sont une des causes principales de la cherté du pain et toujours l’impôt le plus onéreux qu’on puisse mettre sur le peuple. Quelle épargne, si d’une extrémité à l’autre du royaume, on parvenait à relirer des grains tout ce qu’ils renferment de farine! On y parvient par 1a, mouture économique ; mais les expériences laites à l’école de boulangerie de Paris prouvent que chaque fois que le grain ou ses produits passent sous les meules, ils éprouvent toujours une altération plus ou moins sensible, et que loin d’augmenter le nombre des remoutures portées déjà à cinq, il faut les restreindre à trois ans au plus, dut-on retirer un peu moins de farine ; elles prouvent encore, que loin de conserver la mouture à la grosse, sous le prétexte qu’elle occasionne moins de déchet et de frais que la mouture économique, il faut nécessairement la proscrire, parce qu’elle donne des produits toujours incertains, mais assez constamment aux riches de la farine avec du son, et à la classe indigente beaucoup de son avec de la farine. Pour prévenir cette disette locale, ces renchérissement subits, ces émeutes populaires que fait naître, presque chaque année, dans quelques cantons du royaume, la suspension des moutures pendant des mois entiers de temps calme, de sécheresse, de gelées et d’inondations, il faudrait établir un certain nombre de moulins indépendants de l’air et de l’eau : d’abord pour les villes très-peuplées, un moulin composé de plusieurs meules mues par une machine à feu; pour celles d’un ordre inférieur, des moulins à manège, et enlin des moulins à bras pour les campagnes, les hôpitaux, les maisons de force, etc., etc. Il serait même à désirer que ces derniers devinssent un objet d’ateliers de punition pour des hommes condamnés par la loi, et qu’il est bien danger reux d’abandonner à une inaction absolue durant le jour, parce qu’ils veillent la nuit. Les moulins à eau, moins multipliés par ce moyen, ne nuiraient plus à l’arrosement des prairies ; le cours des rivières serait plus libre, et leur épanchement ne noierait plus des pays sains et fertiles, pour n’en former que des marais fangeux, stériles et nuis pour l’agriculture. Les machines à feu appliquées aux moulins donneraient lieu à de grands établissements de mouture, parce qu’on ne serait pas commandé par le local. On pourrait travailler les grains dans la partie supérieure du bâtiment : un crible passé au-dessus de la trémie ferait arriver sous les meules le grain tout nettoyé, tout rafraîchi ; la bluterie s’établirait dans la partie inférieure, et on adapterait des bluteaux en sens contraire, de manière, que le criblage, la mouture et la bluterie marcheraient ensemble par la même force motrice. On sait que le jeu bien combiné des machines est préférable à la main-d’œuvre, toujours plus chère et qui n’exécute pas aussi bien. C’est surtout dans les villes maritimes qu’il faudrait distinguer et favoriser ces grands établissements de mouture, parce que, quand on serait menacé d’une disette prochaine, ils mettraient à portée de recevoir des grains de l’étranger, de réparer par leur industrie la détérioration que la denrée aurait pu éprouver pendant son trajet, de leur enlever ce qui s’opposerait à la perfection des moutures, de leur restituer les qualités que les intempéries des saisons ou la négligence auraient pu affaiblir ; enfin , leur appliquer la chaleur de l’étuve quand il s’agirait d’arrêter leur dépérissement, de les rendre convenables à la nourriture, ou de prolonger la durée de leur conservation. Ces établissements de mouture, formés dans les villes capitales de nos provinces, deviendraient pour les jeunes meuniers un cours d’instruction pratique. C’est là qu’ils apprendraient à bien monter les meules, à les piquer convenablement, à sasser parfaitement les gruaux ; enfin, ils acquerraient la preuve que la perfection d’un objet tient souvent à des soins peu dispendieux, dont on est amplement dédommagé par la valeur des marchandises qui en sont les résultats. Il est malheureux, sans doute, que dans les cantons où le prix de la mouture est prélevé d’avance sur le grain, on n’ait pas songé à le lixer sur la farine. Le meunier alors serait intéressé à mieux moudre, et il ne se servirait pas de toute l’impétuosité du moteur pour expédier autant de blé à la fois. Nous croyons qu’on pourrait prévenir une partie des fraudes qu’on leur impute, en fixant partout le prix de la mouture en argent, et non en nature ; en les obligeant d’avoir des balances pour peser le blé qu’ils reçoivent, la farine et les sons qu’ils renvoient aux particuliers. De la farine. La question qui a pour objet les avantages du commerce des farines a été discutée sous tous les rapports dans un mémoire imprimé parmi ceux de la Société royale d’agriculture, pour l’année 1785, trimestre d’automne. Nous nous dispenserions de revenir sur cette matière, laissant au temps à opérer la révolution que nous désirons, si elle n’était du petit nombre de ces vérités qu’on ne saurait trop souvent rappeler. 11 est certain qu’un des moyens de perfectionner promptement dans le royaume la meunerie et la boulangerie, c’est de substituer le commerce des farines à celui des grains. Il n’existe pas de contrée plus favorablement située pour en tirer un parti avantageux, soit par rapport à l’abon* dance et à la qualité de ses grains, soit relativement à la multitude de ses rivières et de ses canaux navigables. Les boulangers qui seraient dans le cas d’acheter des grains et de les faire moudre sur-le-champ, ne perdraient jamais le fruit de leurs soins et de leur attente, parce que la farine, gardée selon les bons principes, n’expose à aucune dépense; qu’elle devient, avec le temps, sèche, moelleuse, d’un travail plus facile, et donne de meilleur pain, et en plus grande quantité que si elle était récente. Ces avantages suffiraient pour les dédommager de la mise de leurs fonds ; mais il faut convenir que la plupart d’entre .eux ne possèdent ni emplacement, ni fonds, ni crédit, ni intelligence, pour former de pareils approvisionnements. C’est toujours sous la forme de la farine qu’il [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] faudrait exporter le superflu de nos récoltes, parce que cette exportation laisserait dans le royaume, d’abord le bénéfice de la main-d’œuvre, ensuite des farines bises pour la nourriture du peuple, des issues pour l’engrais des bestiaux. Cette exportation n’ayant lieu que dans des barriques, elle multiplierait la main-d’œuvre des tonneliers, et revivifierait les manufactures d’étamines à bluteaux : la charpente, les forges se ressentiraient aussi de l’accroissement de ce travail. Ces objets réunis augmenteraient le prix du setier de 3 à 4 livres au profit de la France, qui serait longtemps en possession de ce nouveau genre de commerce avant que les étrangers fussent en état de lui disputer la concurrence. L’expérience a déjà prouvé que le commerce des minots occasionnait une activité favorable à l’agriculture dans les provinces qui avoisinent les villes maritimes, et que l’abondance des grains ne suffit pas toujours pour rassurer sur les besoins de la consommation : la farine prête à être employée doit mériter la préférence. A la faveur du commerce des farines, l’administration aurait un moyen prompt de faire avorter sur-le-champ les spéculations avides des monopoleurs et des capitalistes. En vain objecterait-on que les farines seraient d’un transport embarrassant, se conservant moins aisément que les grains, et qu’il est plus facile de les mélanger. Nous répondrons à la première objection que, depuis la découverte de l’Amérique , nous n’approvisionnons nos colonies qu’en farine ; à la seconde, que la farine a, comme le blé, des caractères frappants qui ne peuvent échapper aux organes exercés et qu’il existe des pierres de touche qui décèlent la présence des mélanges ; qu’enfin, la conservation des farines en sacs isolés, placés dans un grenier par rangées droites , n’exige ni dépenses , ni embarras, ni soins: qu’elles se bonifient en vieillissant, tandis que les grains abandonnés à l’air, suivant la méthode ordinaire, coûtent, en déchet et en frais de manutention, 4 0/0 du prix d’achat, sans avoir augmenté de qualité. Le commerce intérieur et extérieur des farines a donc l’avantage de réunir à l’intérêt public l’intérêt particulier; sous ce double rapport, il mérite les faveurs de l’Assemblée nationale. Du pain . Comme le bois est la partie la plus dispendieuse de la fabrication du pain, et qu’il coûte fort cher dans presque toutes les provinces, il faudrait s’occuper des moyens de l’économiser. La plupart des fours sont construits sans principes ; ils ont trop d’élévation à la voûte, une très-large entrée, et une porte qui ferme mal : d’où il résulte une consommation énorme, pour n’obtenir souvent qu’une cuisson imparfaite. Pour diminuer la consommation du bois, devenu si rare par le luxe de nos cultivateurs, l’abus des défrichements et l’oubli des plantations, il serait utile d’abord d’engager les habitants de chaque village à faire construire un four commun, d’après un bon plan. Ce four, ne refroidissant jamais, cuirait infiniment mieux le pain, et ne consommerait pas autant de combustible. Il serait nécessaire ensuite , pour les mêmes motifs , de diminuer dans les villes le trop grand nombre de fours. Une meilleure administration des forêts existantes, l’encouragement à de nouvelles planta-551 tions, la nécessité d’élever et de conserver les espèces de bois destinées aux constructions de tout genre, ne doivent pas empêcher de recourir aux moyens les plus efficaces pour accélérer la recherche et l’exploitation des mines de charbon de terre. Il est d’ailleurs bien constaté par des expériences faites en différents endroits, et notamment à Paris sous les yeux de la Société, que le pain peut cuire sur un âtre chauffé immécfiâ-tement par le charbon de terre, sans contracter ni odeur ni goût. S’il n’existait qu’une seule et même mouture dans tout le royaume et que ce fût la mouture économique, il serait facile de mettre toujours le prix du pain à sa juste valeur. Le blé fournit les trois quarts de son poids en farine ; savoir, huit neuvièmes de farine blanche, et l’autre neuvième de farine bise : le reste consiste en issues formées de remoulages, de recoupes et de son. Or, douze onces de farine absorbant huit onces d’eau au pétrissage, et n’en conservant que quatre au four, il resterait toujours une livre de pain pour une livre de blé. Alors il n’y aurait plus qu’à ajouter au prix courant des grains les frais accessoires; à distinguer ensuite ceux de fabrication et Je bénéfice légitime, qui doivent être réglés sur les circonstances locales et l’étendue du travail des boulangers. Mais ces bases données par la nature, et que l’art est venu à bout de saisir, varient infiniment à raison des récoltes et des expositions. Quoique l’on connaisse parfaitement bien aujourd’hui la dépense réelle qu’il en coûte pour transformer en pain un sac de blé d’un poids et d’une mesure connus, cette dépense peut encore différer relativement aux qualités, aux formes et au volume des pains que le boulanger fabrique, et au nombre des fournées qu’il cuit. N’est-il pas juste, en outre, de maintenir au prix le plus modique le pain que consomme l’ouvrier chargé de famille, l’homme dénué de tout secours, et de faire supporter une grande partie des frais de main-d’œuvre à celui du riche, dont le pain, plus délicat, demande aussi plus de soins et plus de façon ? C’est dans cet esprit de justice et d’humanité que se trouve rédigé un projet de tarif qu’a proposé M. îillet, membre de la Société; tarif déjà adopté par Rochefort, Bar-le-Duc et Chartres. Nous croyons que les administrations provinciales ne pourraient mieux faire que de consulter ce savant pour mettre fin à toutes les discussions qui se renouvelleront sans cesse tant qu’on ne remontera point à la source des contestations, et aux moyens assurés d’établir des bases fixes pour écarter de la taxe du pain tout prétexte, tout arbitraire. Comme le pain est, dans tous les temps, la moindre dépense du riche, et la plus forte du pauvre, on ne saurait trop prendre garde qu’il ne soit fait aucun tort à ce sujet. L’unique moyen pour y parvenir serait de vendre le pain au poids. L’acheteur, trouvant des balances chez le boulanger, pourrait toujours, quand il le voudrait, acquérir la certitude qu’il a le poids du pain qu’il paye ; et les boulangers, sans s'écarter de l’usage où ils sont de faire des pains d’un certain volume, et de les maintenir, autant qu’il est pos sible, dans les poids différents où ils les vendent, suppléeraient en pain ce qu’il y aurait de moins. Nous le répétons, le peuple serait soulagé par la vente du pain au poids. Cet usage est adopté dans beaucoup de villes du royaume. Nous n’en- 552 [26 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. trevoyons aucun obstacle qui puisse empêcher qu’il ne devienne général. 11 serait également à désirer qu’il fût possible de diminuer le nombre des boulangers, trop multipliés dans les villes. La plupart vivent à peine du travail de leur état, et n’ont qu’une connaissance très-imparfaite des grains et des moutures. Ne pouvant s’approvisionner sur les lieux des récoltes, ni tirer de la première main, ils vont, au jour le jour, acheter la farine qu’ils emploient souvent au sortir des meules : d’où résultent une douzaine de livres de pain de moins par sac, un travail plus difficile, un produit plus cher et moins parfait que si la farine avait reposé. Qui se ressent principalement du défaut d’aisance des boulangers ? Le peuple. Combien de fois cependant, accessibles à tous les sentiments qu’inspire la misère publique, ne fournissent-ils pas à crédit aux pauvres ouvriers, pendant des mois entiers, le pain qu’ils n'ont pas encore gagné! Comment ces boulangers pourront-ils avoir en avance des provisions, et supporter les sacrifices dans les moments de crise où il est prudent quelquefois de maintenir la diminution du prix du pain au delà des bornes prescrites par le tarif, si leur travail, borné à une ou deux journées, les indemnise à peine de leurs frais? Nous ajouterons, en terminant ces observations, qu’il serait ridicule de supposer que si les boulangers étaient en moins grand nombre, et qu'ils fussent chargés seuls des approvisionnements, ils feraient payer le pain arbitrairement. Ce commerce sera toujours sous la sauvegarde des lois ; et les magistrats, qui en sont les dépositaires, instruits par les essais , veilleront à ce que cette denrée de premier besoin soit de bonne qualité, toujours dans une relation intime avec le prix des grains et des farines. Toutes les facilités accordées aux boulangers dans leur commerce tourneront au profit du peuple. Ainsi, intéresser à leur sort la bienfaisance éclairée, c’est former des vœux pour le soulagement de la classe indigente. Fait et arrêté dans une assemblée générale et extraordinaire, tenue au Louvre, le 26 septembre 1789. Signé : le marquis de Bullion, directeur; Parmentier, vice-directeur; Béthune; duc de Charost ; de La Bergerie ; l’abbé Lefebvre, agent général] Broussonnet, secrétaire perpétuel. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du lundi 26 octobre 1789 (1). La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal. M. le Président annonce que le résultat du scrutin pour la nomination d’un président n’a pas donné de résultat et qu’aucun membre n’a réuni la majorité réglementaire. L’Assemblée décide qu’elle procédera à un nouveau scrutin à deux heures et demie et qu’en attendant M. Fréteau continuera à présider. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. le Président annonce que les trois membres qui ont été élus secrétaires sont MM. Target, Thouret et Barnave. Un membre a fait l’observation que dans le procès-verbal du 18 octobre qui a été imprimé, il n’était pas fait mention du décret relatif à la sanction royale, qui porte que la loi était sanctionnée. M. le gàrde des sceaux en enverra à l’Assemblée nationale u ne expédition signée et scellée, pour être déposée dan s ses archives ; en conséquence l’Assemblée a ordonné que cette disposition serait insérée dans le procès-verbal de ce jour, et qu’elle serait remise par M. le président sous les yeux du Roi. M. le Président a fait lecture d’une adresse des officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d’une convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette province. Cette municipalité demande dans cette circonstance la conduite qu’elle doit tenir, ne désirant que le vœu et les ordres de l’Assemblée nationale. M. le Président a vu le Roi et témoigné à Sa Majesté que, si cette assemblée avait pour objet autre chose que la répartition des impôts ou des mesures relatives à la contribution patriotique, les conséquences pourraient en être fâcheuses. La discussion est ouverte sur l'adresse de la ville de Saint-Marcellin et sur la convocation extraordinaire des Etats du Dauphiné. M. Barnave. La convocation des Etats ne peut être relative aux impôts, puisque le doublement est aussi convoqué, et que cette convocation ne doit se faire que pour la nomination des députés aux assemblées de la nation ; ainsi, elle a pour objet la révocation des députés actuels , ou du moins des opérations infiniment importantes. M. Duport. Il faut d’abord savoir si c'est avec le consentement du Roi que les Etats du Dauphiné sont convoqués; et si ce consentement n’a pas été donné, on doit demander aux ministres quelles mesures ils prendront pour empêcher cette convocation. M. lia Poule. Une lettre devienne m’apprend qu’on assemble les trois ordres du Dauphiné, pour s’occuper de la translation de l’Assemblée, et qu’on annonce l’improbation de quelques décrets. Je vous engage à user de toute votre puissance et de tout votre courage pour réprimer des entreprises aussi dangereuses. M. Arnoult. Le parti proposé par M. Duport ne remédierait pas au mal. Si les ministres disent qu’ils ont permis, l’Assemblée ne pourra pas approuver cette permission ; mais que fera-t-elle ? Il vaut mieux répondre à la municipalité de Saint-Marcellin que l’Assemblée nationale n’est pas instruite de cette convocation, et qu’elle la désapprouvera si elle a un autre objet que les impositions. M. Bewbell. Le moyen le plus sûr est de rendre un décret qui suspende l’assemblée jusqu’à ce que la commission intermédiaire ait donné les motifs de la convocation. M. de Blacons. On calomnie la province du Dauphiné, en lui supposant des projets qui puissent inspirer quelques craintes ; mais elle a assez