SÉANCE DU 8 FRIMAIRE AN III (28 NOVEMBRE 1794) - N° 36 287 36 Un des secrétaires donne lecture de deux adresses; l’une des membres de la section du Centre de Dijon [Côte-d’Or]®, qui se félicitent de la clôture de la salle de la société des Jacobins, qui, contre toutes les règles de l’égalité, prenoît le nom de société-mère; ils déclarent une haine implacable aux aristocrates, aux royalistes, et à tous ceux qui voudroient s’élever contre la souveraineté du peuple : ils les vouent à la mort. L’autre adresse est des membres de la société populaire de Montmorillon, département de la Vienne6 ; ils applaudissent à la fameuse journée du 9 thermidor, à la clôture de la salle des Jacobins, et à l’anéantissement du système de la terreur. La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion de ces deux adresses au bulletin (62). a [Les citoyens de la section du centre de Dijon à la Convention nationale, Dijon, le 4 frimaire an III\ (63) Seconde adresse à la Convention par la section du centre de Dijon, votée le 4 frimaire. Une société célèbre par ses services et par ses attentats, le berceau de la République et le repaire de Catilina, après avoir été l’idole du peuple en était devenue l’horreur, et la Convention pour rester une, vient de l’anéantir. Amis de la patrie! un moment résistons à notre joie, pour nous démontrer à nous-mêmes que cet acte de l’autorité centrale n’attaque point les principes, n’en est que l’application, n’est que seule mesure de police et achève de nous rendre libres. Le dernier cri de cette société a été un appel aux droits de l’homme ; est-ce donc les violer que de rendre égale pour tous la loi de l’égalité? Quoi ! la loi atteint l’individu suspect, et n’attein-droit pas l’aggrégation coupable ? Sociétés, si improprement nommées populaires (car il est temps de rendre aux mots leur véritable acception, il n’est qu’une société populaire, c’est le peuple ; les sections seules en sont les fragments sacrés, et hors de leur sein, rien n’a de caractère pour ce nom auguste!); oui, la charte sociale a consacré votre existence, c’est-à-dire, les réunions paisibles de citoyens oui s’en-tre’éclairent sur la chose publique, parce qu’en effet ces réunions dérivent des droits naturels. Mais si l’une de vous, dénaturée par l’intrigue, s’arroge exclusivement le nom de société-mère . si loin de rester isolée, selon son essence, elle se ramifie, elle s’entrelace avec toutes celles que la contagion de son exemple a pu corrompre ; si la (62) P.-V., L, 164. (63) C 328 (2), pl. 1457, p. 47. Bull., 8 frim. (suppl.) ; Débats, n° 796, 970-972. minorité représentative y trouve un appui factieux contre le vœu légal de la majorité; si l’amour propre humilié, détrôné par la clameur publique, s’y forme à son gré une cour de tous les hommes de proie et de sang, y appelle ses complices la nation, et élève insolemment le cri de la révolte... alors le salut du peuple est de la dissoudre ; autrement, c’est fait du corps politique ; c’est un monstre à deux têtes et qui finit par se dévorer lui-même. De bonne foi, qu’étoit devenue cette société des Jacobins, ce foyer primitif du civisme, et qui, dans l’origine, brûla d’un feu si pur ? Un cratère sulfureux, un Etna dans le voisinage de la Convention, toujours la menaçant de ses laves ardentes, toujours béant pour l’engloutir. Terre française, réjouis-toi, le volcan est éteint. Vainement de loin en loin quelques monticules combustibles qu’ils alimentent dans des feux souterrains vomissent encore quelques tourbillons de fumée ; Terre française, réjouis-toi, les monticules vont s’éteindre avec la mère-montagne. Représentants, nous vous devons ce bienfait. La plus belle des victoires est de se battre soi-même; c’est aujourd’hui la vôtre. Pères de la patrie, en fermant les Jacobins, vous l’avez sauvée. Jouissez de votre ouvrage, entendez notre joie ; tous les citoyens sont pour vous. Mais amis, point de fausse sécurité ; gardons-nous d’oublier que le vaisseau national fait route entre deux écueils ; que la joie d’échapper aujourd’hui à l’un ne nous ramène pas en aveugles vers l’autre. Certes, nous n’aurons pas si péniblement traversé l’océan révolutionnaire, sans virer de bord et rebrousser chemin. Hommes des divers partis, écoutez donc le langage de ceux qui ne sont d’aucun, mais qui ont juré la République : quelles que soient vos opinions, vos actions ne restent-elles point à la Patrie ? Hommage à nos saintes lois ; vous êtes nos frères, vos oppresseurs sont les nôtres, et leur chute devient la commune joie.... Mais que l’aristocratie se rappelle toujours que nous avons voté la mort, celle du royalisme et de toute autorité attentatoire à la souveraineté du peuple. Oui, les Jacobins de Robespierre sont anéantis, mais les Jacobins de 1789 vivront toujours. Oui, abolissons même le nom de jacobin, puisque le crime l’a profané ; mais les principes auxquels ce nom nous rallia tous dans l’origine sont éternels, sont dans nos cœurs, et n’en sortiront qu’avec notre sang. Nous abordons sur la plage après une horrible tourmente, et les frères s’embrassent, hélas ! sur des corps naufragés. Mais aussi, amis généreux, compagnons d’infortune et de gloire, nous nous embrassons sur les débris du trône, sur les débris des idoles, devant l’autel, devant la statue de la liberté ; et si celle-ci jamais retombait en péril, nous vous rembarquons avec elle, prêts à périr pour la sauver. Voila notre profession de foi politique, ou plutôt, assemblée auguste, c’est la tienne ; car toute pensée généreuse qui élève l’âme au-dessus des intérêts individuels, est à toi, et devient la propriété nationale. Achève donc au-dedans ton triomphe comme au dehors; appuie fortement ton pied d’airain sur toutes les têtes de l’hydre, 288 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de quelque côté quelles se tournent ; et, la main toujours sur la massue populaire, dans l’attitude du commandement, avec le sentiment de ta force, avec la conscience de ta cause, avec la majesté de la toute-puissance, attends que la paix vienne à toi. Courage ! Union ! la voila qui, dans le lointain, s’avance amenée par nos victoires innombrables. Courage ! Union ! et son ( illisible ) sacrée, déposée sur ton front par la gloire, va devenir la couronne étemelle de la République. Suivent 136 signatures. b [Les membres de la société populaire de Montmo-rillon à la Convention nationale, Montmoril-lon, le 30 brumaire an III\ (64) Citoïens, Vous nous avés rendu la liberté et la vie, en abolissant le reigne de la tirannie qui nous anéantissait, vous travaillés sans cesse à nous rendre cette vie douce, en affermissant de plus en plus, chaque jour, l’empire de la justice et des vertus. De même que nos armées que vous dirigées, ne cessent de bien mériter de la patrie en dispersant les vils troupeaux d’esclaves déchaînées contr’elle; de même vous acquiérés sans cesse des droits à sa reconnaissance, en réduisant à l’impuissance les cruels partisans de la terreur et de l’oppression. Le neuf thermidor, vous avés fait tomber la tête des grands coupables, vous venés de porter les premiers coups à ceux que la même main n’avait pu frapper alors ; vous venés de fermer ce heu de ralliement, de malveillants, qui, prétextant l’intérêt du peuple, voulaient se mettre à la place de ceux à qui il les avait confiés. Continués, dignes représentants, conduisés le peuple français à la hauteur des destinées qui lui sont préparées ; nous entrevoyons le terme heureux où ce peuple victorieux pourra se reposer à l’ombre de ses lauriers: hâtés ce moment en poursuivant toujours, avec une constance méditée, ses ennemis intérieurs et extérieurs ; préparés, en attendant ces lois de sagesse qui doivent perfectionner la morale publique et conduire le peuple au bonheur que promet le gouvernement républicain qu’il a choisi. Pour nous qu’un enthousiasme mal réfléchi n’a jamais porté à des adulations iméritées, nous scavons exprimer notre satisfaction quand elle est réelle ; satisfaits de vos travaux, nous les secondons de tous nos efforts, et nous avons pour devise, vive le peuple, vive la Convention natio-nalle qui seule se représente ; vive la République, haîne aux tirans, haîne aux agitateurs, haîne enfin à tous ceux qui voudraient usurper la souveraineté du peuple en se mettrant en opposition avec la Convention nationalle. Suivent 81 signatures. 37 Un membre [CLAUZEL au nom] du comité de Sûreté générale monte à la tribune, et y donne lecture de plusieurs pièces concernant le procès de Carrier. Lecture faite d’une lettre de Carrier, accusé, relative aux récusations qu’il a professées au Tribunal révolutionnaire, et de plusieurs pièces envoyées par l’accusateur public près ce tribunal, concernant lesdites récusations (65). CLAUZEL : Votre comité de Sûreté générale, qui ne veut point dépasser les limites des pouvoirs que vous lui avez délégués, m’a chargé de vous lire les pièces suivantes : La première est une lettre de l’accusateur public près le Tribunal révolutionnaire de Paris, qui annonce que le Tribunal a rendu officiellement le décret d’accusation contre Carrier. La seconde est une lettre du même, qui accuse réception de l’acte d’accusation dressé par la commission des Vingt et Un, et décrété par la Convention, et qui demande les pièces qui sont à l’appui de l’accusation. La troisième est une lettre du président du même Tribunal, qui apprend la récusation que Carrier a faite de lui, de l’accusateur public, et de toute la section qui s’est occupée du comité de Nantes. La quatrième est une lettre de Carrier au président de la Convention, par laquelle il réclame le droit accordé à tout accusé d’être jugé par des jurés choisis par le sort. La cinquième est le jugement du Tribunal, qui après un long délibéré, déclare qu’attendu la connexité de l’affaire de l’accusé Carrier avec celle du comité de Nantes, la même section connaîtra de l’accusation contre Carrier (66). [L’accusateur public du Tribunal révolutionnaire aux citoyens représentants du peuple membres du comité de Sûreté générale, Paris, le 6 frimaire an III] (67) Citoyens, Je vous instruit que j’ai reçu hier à deux heures après midy avec la lettre d’envoi de la commission des administrations civiles et d’expédition en forme du décret par lequel la Convention nationale a déclaré qu’il y avoir lieu à accusation contre le représentant du peuple Carrier. La lecture de ce décret et la consignation sur les registres du tribunal ont été ordonnés à la séance de ce matin sur mon réquisitoire. (65) P.-V., L, 164. (66) Moniteur, XXII, 619. Débats, n° 796, 972 ;Ann. Patr., n° 697 ; C. Eg., n° 832; F. de la Républ., n° 69; J. Fr., n° 794; Gazette Fr., n° 1061; M.U., n° 1356; J. Univ., n° 1828; Mess. Soir, n° 832 ; Ann. R.F., n° 69 ; J. Perlet, n° 796. (67) C 327 (2), pl. 1442, p. 12 précise que la lettre a été remise au « président » du comité. (64) C 328 (2), pl. 1457, p. 48.