72G [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 13 février 1791.] Art. 35. « Si la déposition d’un témoin est évidemment fausse, le président d’office en dressera procès-verbal, et pourra, sur la réquisition de l’accusateur public ou de l’accusé, le faire arrêter sur-le-champ, et le renvoyer par devant le juré du district du lieu, pour prononcer sur l’accusation dont l’acte, dans ce cas, sera dressé par le président lui-même.» M. Tronchet. J’observe au comité qu’il y a un cas auquel il n’a pas pensé, sur lequel je l’invite à réfléchir. Je suppose que j’ai formé une plainte en subordination contre la déposition d’un témoin. Il faut alors, non seulement interrompre l’instruction, mais il faut déterminer comment se fera l’instruction sur l’insubordination ; si elle se fera devant le même tribunal ou devant un juré d’accusation. Je ne propose pas, quant à présent, d’article additionnel sur cela, mais je ferai seulement l’observation que le comité s’occupe de ces différents cas. M. Duport, rapporteur. L’observation de M . Tronchet me paraît fort utile .Votre comité proposera des articles là-dessus. (L’Assemblée adopte l’article 35, et renvoie au comité les observations de M. Tronchet.) M. l’abbé Mawry. Vos comités de jurisprudence criminelle et de Constitution vous ont proposé eux-mêmes des articles additionnels; mais il me semble qu’ils n’ont pas porté leur attention sur un objet qui me paraît infiniment digne de la vôtre. Dans les manières qui ont été proposées pour manifester l’opinion du juré, on ne vous indique que deux formes consacrées déjà dans la jurisprudence anglaise ; savoir, le juré déclarera si l’accusé est coupable on non coupable. Il ne faut pas perdre de vue le grand changement que cette forme occasionne dans votre jurisprudence. Dans l’ancienne jurisprudence criminelle, vous aviez deux sortes de jugements, dont on ne vous parle pas ; savoir : le hors de cour et le pins amplement informé. Le hors de cour avait été imaginé, comme vous le savez, Messieurs, pour décharger l’accusateur des poursuites de l’accusé. Voilà le véritable objet qui a fait admettre le hors de cour, parce que si l’on avait déchargé pleinement de "l’accusation, il y aurait eu lieu à une demande en dommages et intérêts. Je dis que tel en a été le véritable objet, d’après tous les criminalistes et surtout M. d’Aguesseau, qui a fort bien expliqué ce que c’était que le hors de cour, parce qu’au commencement de ce siècle la fausse monnaie s’était répandue dans le royaume, et par les précautions qu’a prises Louis XIV, la fausse monnaie ne s’est plus faite ouvertement ; on n’en a plus connu d’atelier public en France. Comment s’y prit-on, Messieurs? Les commissaires qui allaient dans les provinces reçurent indistinctement toutes les accusations, "et ils n’absolvaient jamais personne; ils ne prononçaient qu'un hors de cour, de sorte que beaucoup d’honuêtes gens furent flétris ; et en 1720 des enfants, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants qui demandaient à entrer dans les cours de judicature du royaume, et dont les pères avaient eu un procès célèbre en la cour des monnaies, ne pouvaient pas y être admis, parce qu’on leur disait que leur père, leur grand père avaient eu un hors de cour. C’est à cette occasion, Messieurs, que M. d’Aguesseau a j parfaitement prouvé que le hors de cour n’avait jamais été introduit dans les tribunaux français que pour éviter des dommages et intérêts. Il y avait encore, Messieurs, un plus ample informé, et on en connaissait de deux espèces : le plus ample informé pouruu au, le plus ample informé indéfini. Le plus ample informé indéfini n’existe plus dans la nouvelle jurisprudence que l’on vous propose. Il n’est personne parmi vous qui ignore qu’en Angleterre, où cette jurisprudence de juré que vous adoptez aujourd’hui est établie depuis longtemps, ou entend tous les jours, dans les cafés de Londres, des hommes se vanter d’un crime qui avait mérité la corde. On leur répond : mais vous vous mettez dans le cas de la poursuite. Non, je ne la crains pas, disent-ils, je suis acquitté. Cela veut dire qu’ils ont été jugés par un juré qui a déclaré qu’ils étaient non coupables. En Angleterre, Messieurs, lorsqu’un crime n’est pas légalement prouvé, il faut que l’accusé soit déchargé. Cette institution ne me paraît ni juste, ni sage, ni politique. Il est très possible que les preuves contre l’accusé ne soient pas suffisantes pour le condamner; alors je ne demande pas qu’on le condamne, mais je demande qu’il reste sous le glaive de la loi, qui doit toujours rester suspendu sur la tête du coupable. Je demande qu’il y ait une autre formule de jugement. Vous pèserez dans votre sagesse, Messieurs, s’il faut que cette formule entraîne une flétrissure d’opiniou comme l’emportait autrefois le hors de cour ; vous examinerez si elle doit priver le citoyen des droits auxquels tout homme honnête peut prétendre daus la société. Mais je demande que, quelque détermination que vous preniez à cet égard, votre comité veuille bien vous présenter incessamment des articles additionnels et une formule de prononcer dans ces termes : Les charges ne sont pas prouvées. Il en résultera, Messieurs, si les charges ne sont pas prouvées, que l’accusé ne sera qu’élargi, mais il ne sera pas irrévocablement absous : et si l’on acquiert de nouvelles lumières contre lui, il faut qu’on puisse le poursuivre. Au lieu que dans la forme de jugement qu’on vous propose, l’absolution serait irrévocable. Ce serait un trop graud scandale, Messieurs, que de voir dans ia société un homme qui aurait commis impunément un crime, se vanter publiquement d’avoir commis un crime capital, sans qu’il fût possible de le poursuivre. Gela n’arrivera jamais, si vous voulez bien adopter, dans votre jostice, ce mode de jugement. Lorsque l’innocence ne sera pas pure, lorsque le juré, comme homme, verra parfaitement qu’il y a des charges très graves contre un accusé, mais qu’il ne peut pas le condamner, il déclare simplement que les charges ne sont pas prouvées, mais que le secours de la loi existe toujours. Un cas qui n’est pas rare dans la jurisprudence, un notaire, par exemple, est accusé de faux : c’est un crime très capital dans la société, et dont la preuvre légale est très difficile à faire; vos jurés verront clairement que ce notaire est coupable d’un crime de faux, mais les témoins n’oseront peut-être pas encore se montrer; le juré sera donc obligé de dire qu’il n’est pas coupable; iL le renverra exercer des fonctions sacrées dans la société; il livrera la société à un homme justement flétri dans un ministère de confiance et d’honneur. Que l’on déclare simplement que les charges ne sont pas prouvées, mais que les charges peuvent revivre, lorsque la preuvre légale (Assemblée nationale*] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [3 février 1791.] 7�7 sera acquise si elle l’est jamais. C’est là l’addition que je demande à vos comités. M. Robespierre. Je demande la question préalable sur la motion de M. l’abbé Maury. Il demande que vous indroduisiez dans votre jurisprudence criminelle une troisième formule qui ne soit ni l’absolution, ni la condamnation, mais qui laisse l’accusé dans un état de soupçon. Cet état-là, Messieurs, est déjà une peine, c’est une peine infamante; car dès qu’un homme est accusé et qu’il n’est pas déclaré innocent, il est dès lors flétri dans l’opinion publique; il est pour jamais dépouillé delà considération publique. Il n’y a jamais que deux alternatives; ou bien la société a prouvé contre un citoyen accusé qu’il était coupable et qu’il devait être privé de ses droits de citoyen, ou elle ne l’a pas prouvé. Si elle l’a prouvé, il est coupable; sinon, il jouit de tous ses droits et il est déclaré innocent. Remarquez qu’une pareille motion tend à altérer entièrement l’esprit du juré. En effet, quand des jurés ont à prononcer si dans leur conscience iis croient un accusé coupable ou non, alors ils déploient tons les ressorts moraux possibles; ils examinent avec une attention religieuse les motifs de la décision qu’ils vont reudré sur le sort de l’accusé; mais si vous leur laissez une autre alternative, ils sont moins scrupuleux. Sous prétexte qu’ils ne sont pas obligés de condamner, ils se laissent aller nonchalamment à prendre un parti moyen ; et sur des présomptions et indices faibles et incertains, ils se portent à flétrir un accusé qu’ils auraient absous. (Applaudissements.) Telles sont, Messieurs, les raisons qui, dans l’ancien régime, avaient déjà formé une opinicm publique, qui, avant que vous fussiez établis, avaient proscrit, comme un grand abus de la jurisprudence criminelle, toute cette condamnation mitoyenne, sous le nom de hors de cour et de prison indéfinie et de plus ample informé. Il n’y a, dans notre jurisprudence criminelle et dans nos principes, que deux cas, ou l'innocence, ou le crime ; il faut condamner ou absoudre. Je demande la question préalable. (. Applaudissements .) M. I’abbé Maury. Cet homme que vous aurez renvoyé ne sera-t-il pas flétri dans l’opinion publique? M. Lie Peletïer de Saint-Fargean. Je demande la question préalable sur la jurisprudence des ouï-dire que M. l’abbé Maury voudrait établir. M. l’abbé Maury. Je prie M. le président à mortier de répéter ce qu’il a dit. M. le Président. Monsieur l’abbé Maury, M. Le Peletier peut avoir dit une chose inutile, mais il n’a pas dit une chose injurieuse. (La motion de M. l’abbé Maury est rejetée.) M. Duport, rapporteur. Nous passons maintenant, Messieurs, au titre VIII (1). TITRE VIII. Du jugement et de l' exécution. Art. 1er « Lorsque l’accusé aura été déclaré non convaincu, le président prononcera que l’accusé est acquitté de l’accusation, et ordonnera qu’il soit mis sur-le-champ en liberté. » (Adopté.) Art. 2. (Nouveau.) « Il en sera de même, si les jurés ont décidé que le fait a été commis involontairement ou sans aucune intention de nuire. » (Adopté.) Art. 3. (Nouveau.) « Lorsque l’accusé aura été déclaré excusable, il en sera usé ainsi qu’il sera réglé dans le Code pénal. » M. de Montlosier. Je demande la permission d’observer à l’Assemblée qu’il est possible qu’un délit soit excusable, non pas dans la totalité du délit, mais pour une partie du délit. Or, je demande si un libelle d’accusation exprimait un délit qui emportât la peine capitale, et que le délitpûts’excuserdemanière à ne mériter qu’une peine afflictive, personnelle, ou une peine pécuniaire, je demande alors comment le président, comment le juré s’exprimerait. M. Duport, rapporteur. J’ai lieu dépenser que le préopinant a demandé la parole avant d’avoir entendu l’article. En effet, nous ne pouvons pas régler dans ce moment ce qu’il y aura à prononcer sur les excuses des crimes, il est digne, sans doute, du législateur de déterminer, dans le Code pénal, ce qui sera fait alors. (L’article 3 est adopté.) Art. 4. (Ancien art. 2.) « Tout particulier, ainsi acquitté, ne pourra plus être repris ni accusé pour raison du même fait ». (Adopté.) Art. 5. (Ancien art. 3.) « Lorsque l’accusé aura été déclaré convaincu, le président, en présence du public, le fera comparaître, et lui donnera connaissance de la déclaration du juré. » (Adopté.) Art. 6. (Ancien art. 4.) « Sur cela, le commissaire du roi fera sa réquisition pour l’application de la loi. » (Adopté.) Art. 7. (Ancien art. 5.) « Le président demandera à l’accusé s’il n’a rien à dire pour sa défense ; lui, ses amis ou conseils ne pourront plus plaider que le fait est faux, mais seulement qu’il n’est pas défendu, ou qualifié crime par la loi, ou qu’il ne mérite pas la peine dont le commissaire du roi a requis l’application ». M. de Montlosier. Il est possible, lorsque le juré aura prononcé, que l’accusé, se présentant devant le juge, trouve de nouvelles pièces justificatives qui changent la nature de l’accusation et atténuent les circonstances, et qu’alors la révision soit ordonnée par les juges. Si vous décrétez, dans ce moment-ci, que les amis et les conseils ne pourront plus plaider que le fait est faux, vous mettez un obstacle invincible à cette révision. Je demande donc que l’article soit renvoyé au comité pour que la révision soit admise en ce cas. (L’Assemblée rejette l'amendement et adopte l’article. 7.) (1) Voy. le projet de décret primitif, Archives parlementaires, tome XXI, page G8. M. le Président doûûe lecture d’une lettre