3Ô [Assemblé® nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] sèdent de? biens? Cette règle n'est-elle pas celle de toutes les contributions publiques? Est-il donc juste, en effet, que celui qui sètr.e un champ de blé et paie seul l’entretien du pasteur, celui du presbytère* celui de l’église, celui des ornements, la subsistance des pauvres (car telles sont les véritables charges de la dîme), tandis que celui qui cultive une vigne ou qui possède un bois, ne paie rien; tandis que le riche rentier obtient sur le pauvre propriétaire des préférences honorifiques dans le temple même à l’entretien duquel il ne contribue pas, et du ministre qu’il 11e salarie point ? Que l’on prouve, si on peut, qu’il est juste, qu’il est même seulement convenable, que le cultivateur de tels ou tels fruits supporte seul la dépense du culte, on sera fondé alors à lui envier le soulagement qu’il obtiendra de l’extinction de la dîme; mais si cette preuve est évidemment impossible; a-t-on raison de reprocher à ce cultivateur la fin de l’oppression barbare dont il a été victime pendant tant de siècles? En un mot, la suppression de la dîme a été décrétée sans indemnité. Cette suppression, juste suivant les principes du droit le plus rigoureux, nécessaire suivant ceux d’une sage politique, ne doit pas être révoquée; et la dépense du culte doit être supportée par tous les citoyens sans aucune exception. 8* ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 14 avril 1790. Opinion et réclamation de M. Kabbé de Renne-val (1), député de Paris , sur le projet de décret proposé par le comité des dîmes tendant à prononcer l' expropriation des églises et des titulaires des bénéfices (2). Messieurs, je ne répondrai point aux invectives qui ont retenti plus d’une fois dans cette tribune contre le clergé, contre des hommes, vos concitoyens, que le caractère sacré dont ils sont revêtus devrait au moins garantir des incursions de la calomnie. Si quelques-uns de ses membres ont eu des reproches à se faire, et se sont négligés dans l'accomplissement de leurs devoirs, il en est, et en très grand nombre, dont les vertus et les services ne devraient pas être oubliés. Hé ! quelle est donc la classe d’hommes dont tous les membres aient toujours eu le privilège de la perfection? je le demande à celle des plus grands détracteurs du clergé. Si la justice ne leur est pas encore en tière' ment étrangère, qu’ils prennent la balance, qu’ils pèsent.... Mais ici je m’arrête, et je n’oublie pas que j’ai l’honneur d'être ministre d’une religion qui commande le pardon des injures. ft) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Cette opinion devait être prononcée dans la séance du mercredi 14 avril, mais l’Assemblée 110 jugea pas à propos d’entendre une longue discussion. Après que M. Royer, curé en Franche-Comté, et M. Gouttes, curé en Languedoc, eurent parlé en faveur du projet de décret et que M. l’abbé d'Eymard, député d’Hagueneau, l’eut combattu, l’Assemblée prononça que la discussion sur le fond serait fermée et on ne tarda pas à aller aux voix. (Note de M. l’abbé de Bonneval.) Je dois vous dire cependant, et je dois dire au public, que d’étranges erreurs pourraient peut-être surprendre, que depuis l’établissement de notre religion sainte, les novateurs de tous les siècles ont toujours employé, dans les attaques qu’ils lui ont faites, le langage de la réforme et del’austérité. Ils ont parlé delà foi, et ils l’ont détruite ou altérée ; ils ont parlé des mœurs, et ils les ont corrompues ; ils ont parlé de la charité, et ils ont envahi le patrimoine des pauvres. C’est ainsi que, sous le masque attrayant de la perfection, ils ont tout perverti. Rappelez-vous, Messieurs, des temps qui, malheureusement, ne sont pas encore bien éloignés de nous ; remontez aux temps antérieurs, et l’histoire sera ma preuve. Lorsque vous avez décrété que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, on a dû croire que vous ne vouliez autre chose que d’en assurer une plus juste et meilleure distribution. Le clergé l’aurait vue avec joie ; elle était un des points principaux qui lui étaient recommandés par ses commettants. Vainement vous avait-on proposé de prononcer que la propriété des biens du clergé appartient à la nation : vous vous y étiez refusés après la plus longue et la plus mûre discussion, parce que vous n’aviez pas voulu vous montrer aux yeux de toute l’Europe en contradiction manifeste avec les notions les plus communes de l’équité et de la loi qui la consacre, avec les premiers éléments de l’ordre public, avec les monuments les plus antiques et les plus solennels de la tradition, enfin avec votre propre conscience. J’ose attester celle de la majorité des membres de cette Assemblée, et leur demander si, lorsqu’ils ont consenti au décret qui a prononcé que les biens ecclésiastiques sont à ladispositiondelanation, ils ont pensé qu’il pût en naître de justes prétentions pour envahir un jour ces mômes biens, les enlever à leurinviolable destination et en faire l’objet d’un trafic de banque ou de commerce, peut-être même la base d’un vil agiotage. Déjà la propriété des églises avait été établiéd’une manière invincible; tous les arguments qu’on avait employés pour la combattre n’étaient que des sophismes inventés par l’esprit de système et l’abus du raisonnement, de grands mots arrangés avec art ne détruisent pas les choses, et douze cents ans de possession, sous les yeux de la loi, sont et seront toujours plus forts à ceux de la justice qui existe indépendamment des hommes et dans l’opinion dont les égarements ne sont que passagers, que toutes les subtilités métaphysiques des amateurs de sa nouveauté. Tout à coup l’état de la question fut changé. Une motion entièrement différente fut substituée à la fin de la séance du 2 novembre à celle qui avait été discutée pendant toute la durée avec tant d’avantages pour le clergé. On vous proposa de prononcer que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, et soudainement, malgré les vives instances et les réclamations d’un grand nombre de membres de l’Assemblée, eette motion nouvelle fut mise aux voix sans souffrir qu'elle fût un instant discutée. Cependant son importance et les funestes conséquences qu’on pouvait en tirer devaient lui assurer, conformément à votre règlement, une discussion de trois jours. Le clergé vous fit part de ses inquiétudes, vous refusâtes de l’entendre ; il se vit contraint de gémir sur l’impuissance forcée à laquelle il était réduit, de s’acquitter dans cette importante circonstance, de ce qu’il devait à ses commettants, 31 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U avril 1790.] à la religion, aux pauvres, à la nation tout entière. Mais plein de confiance eu votre loyauté, ne pouvant pas oublier rengagement solennel que vous avez pris avec lui, à Versailles, de regarder ses propriétés comme inviolables, de les maintenir et de les défendre, il ne put, il ne dut pas croire que vous eussiez l’intention de lui tendre un piège, ainsi qu’à ceux des membres de l’Assemblée qui résisteraient à méconnaître la propriété des églises. On vous disait, dans cette séance du 2 novembre, si remarquable aujourd’hui parles avantages qu’on prétend en tirer, que votre constitution n’admettait plus d’ordres en France, celui du clergé ne pouvait être anéanti qu'en mettant ses biens à la disposition de la nation. Mais si le clergé avait pu se faire entendre, il vous aurait ditque tous ses mandats exprimaient le vœu le plus formel de payer etsupporter toutes les charges publiques dans les mêmes proportions que tous ies autres contribuables ; que dès lors son administration commune aurait cessé d’avoir lieu; que n’ayant plus d’Assemblées comme corps politique et administran t, par cela même il pouvait cesser de faire former un ordre dans l’Etat, et que de même que les particuliersexercent tous les droits de propriété sur leurs biens sans cependant former un ordre, de même les églises et les titulaires des bénéfices pouvaient exercer les mêmes droits sans cependant se reproduire en ordre du clergé. L’esprit de corps, vous a-t-on dit, est dangereux. Mais le clergé n’aurait plus formé un corps dans l’ordre politique temporel. Sans doute qu’on ne prétend pas l’empêcher d’en former un dans l’ordre politique religieux. Peut-on concevoir une religion sans qu’il existe un corps chargé de l’enseigner, de ia maintenir dans sa pureté et de la défendre contre les attaques de l’erreur ou de l’incrédulité ? D’ailleurs, que signifient ces terreurs qu’on ne cesse de répandre en vous parlant de l’esprit de corps ? faut-il que tout soit isolé dans l’ordre social ? Que font vos milices nationales, vos milices réglées, vos tribunaux de quelque manière que vous les organisiez, vos assemblées administratives, vos municipalités, vos corporations de commerce? Ne sont-ce pas autant de corps ? Et qu’on ne dise pas que les membres qui les composeront ne seront plus à l’avenir permanents. Qu’importe leur permanence ? Ce qu’on appelle esprit de corps se compose non pas seulement des opinions et des intérêts de chacun des individus qui forment un corps, mais des opinions et des intérêts du corps lui-même ; car chaque corps a une opinion, un intérêt qui lui sont propres et dont rien ne peut le détacher. L’art du gouvernement consiste à employer tous ses soins pour leur donner une direction qui entre dans l’ensemble de ses vues. G’est ainsi qu’avec des mots on se crée des m onstres, et qu’en suivant de telles appréhensions dans toutes leurs conséquences, on se verrait obligé, pouf les prévenir, de rompre tous les liens de la société, et de ramener l’homme à l’état de nature qui ne connaît que des volontés individuelles, et à qui des volontés collectives ou générales sont entièrement étrangères. Dès la première fois que vous avez traité, à Versailles, la grande et importante matière de la finance, lorsque le premier ministre des finances vous adressa la demande d’un emprunt de 30 millions, M. l’archevêque d’Aix vous fit, de la part du clergé, l’offre de se charger de cet emprunt. Sa proposition ne fut pas accueillie. Ce même prélat vous renouvela à l’archevêché, lors de votre discussion sur la propriété du clergé, les offres les plus étendues, et vous dit que le devoir e le vœu du clergé étaient de vous donner, dans les circonstances pénibles où se trouvait la chose publique, des preuves de son zèle et de son dévouement à la patrie, en lui faisant les plus grands sacrifices. S’il ne détermina pas la quotité de son offre, c’était parce que les besoins du Trésor public n’avaient pas encore été manifestés. Lorsque vous avez ensuite décrété qu’il serait mis en vente une masse de biens du domaine et du clergé jusqu’à la concurrence de 400 millions, un honorable membre vous offrit la totalité de cet immense secours, au nom du clergé, qui l’aurait effectué, par la voie d’un emprunt, ouvert sur son crédit. Vous le savez, Messieurs, le crédit du clergé s’est toujours soutenu, même dans les temps où celui de l’État était entièrement détruit, et tandis que le gouvernement remplissait avec peine ses emprunts ruineux, taudis qu’il était obligé de se servir de tous les appas qui pouvaient tenter la cupidité, le clergé remplissait facilement les siens, au moyen d'un intérêt modéré de 5 0/0, et presque toujours de 4 0/0. Cette confiance du public était le fruit d’une administration sage et réglée, qui calculait avec soin l’époque de libération de chacun de ces emprunts ; qui, tous les ans, amortissait fidèlement une partie du capital emprunté, et qui ne retardait jamais le paiement des intérêts aux prêteurs. Cette confiance était telle, qu’en offrant le remboursement à ses créanciers, le clergé a fait de gré à gré avec eux la conversion, au denier vingt-cinq, des rentes constituées sur lui au denier vingt. H en est peu qui n’aient préféré de reconstituer leurs capitaux à un denier inférieur plutôt que de les retirer et d’en faire un autre emploi. Qu’on cesse donc de calomnier l’administration du clergé, il n’en est point à qui elle ne dût servir de modèle. Les titulaires des bénéfices auraient supporté l’intérêt de ces 400 millions, il en serait résulté pour eux une surcharge énorme qui aurait absorbé presque toutes leurs jouissances, mais une jouissance plus noble et plus douce les aurait amplement dédommagés, celle de venir au secours de ia patrie en relevant la fortune publique, et de lui conserver des établissements utiles pour l’Etat, précieux pour les pauvres et nécessaires pour le maintien du culte religieux. Ceux de ces établissements qui auraient pu être sacrifiés à l’utilité publique, avec un moindre inconvénient, auraient été désignés par le clergé et mis en vente par lui-même, les ventes se seraient faites peu à peu, dans les temps opportuns, et sans frais; la parfaite sécurité des acquéreurs, en établissant une concurrence avantageuse, aurait porté les biens vendus à toute leur valeur, et le produit de toutes ces ventes aurait été employé directement et sans déchet, en remboursement envers les prêteurs. M. l’archevêque d’Aix vient de vous renouveler ces mêmes offres. Ah ! Messieurs, combien ne regretterez-vous pas un jour de les avoir constamment rejetées ! elles auraient mis à flot le vaisseau de l’Etat et sauvé la chose publique. Les rentiers auraient été payés; une grande partie de l’arriéré l’aurait été; le crédit public se serait rétabli, le commerce et l’industrie, toutes les transactions qui reposent sur lui, auraient repris leur cours, et la France serait sortie plus brillante que jamais d’une crise qui donnerait la mort aux autres empires de l’Europe. 32 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 179Ô.Î Que d’embarras ne vous seriez-vous pas évités, que de pertes n’auriez-vous pas prévenues ! que de p laintes auraient été épargnées à la génération qui nous succédera ! L’impossibilité de vendre par vous-mêmes les 400 millions des biens du domaine et du clergé vous a fait adopter des propositions dont je crains bien que l’expérience ne vous démontre trop tard tous leà inconvénients. Je ne doute point du zèle et du désintéressement des municipalités, qui vous demandent à l’envi à acquérir différentes portions des biens du clergé. Mais quels sont donc ces acquéreurs, qui sont dans l’impuissance de vous payer le prix de leurs acquisitions, dont les affaires sont en général dérangées, qui doivent plus qu’ils ne possèdent, qui, au moment même où ils acquièrent, vous demandent à emprunter pour remplir une partie des conditions de leurs achats, qui ne peuvent pas acquérir pour eux, et qui n’ont d’espoir que dans la revente? Cette revente sera prompte ou sera lente: si elle est prompte, elle sera désavantageuse, quelles que soient les conditions des paiements et la monnaie qui leur servira d’argent : si elle est lente, ces biens seront mal et chèrement administrés, parce que toute administration passagère et collective est rarement économe, plus rarement intelligente et toujours défectueuse. Que feront-ils ces acquéreurs fictifs ? Sous quel point de vue utile peut-on les considérer ? Comme séquestres, ils coûteront fort cher, et obligeront à une comptabilité peut-être très laborieuse : comme administrateurs, ils régiront mal, ils entretiendront mal, les biens dépériront entre leurs mains, et leur revente se ressentira du délabrement auquel ils seront réduits. Enfin, comme intermédiaires entre la nation qui vend et les particuliers qui achètent , c’est-à-dire comme simples facteurs de la vente, ils mettent leur service à bien haut prix, puisqu’ils demandent qu’il leur soit alloué un bénéfice montant au seizième de l’évaluation des biens qui leur seront livrés. Mais j’entends une grande objection s’élever contre moi, et je dois y répondre. Ne voyez-vous pas, me dit-on, que les offres du clergé constataient son existence, qu’elles la perpétuaient, qu’il ne pouvait ne donner, ni s’imposer, ni vendre en commun et par lui-même, sans se consolider comme corps de clergé, sans conserver peut-être les moyens de se reproduire un jour en ordre dans l’Etat? Si nous les eussions acceptées, nous aurions relevé d’une main ce que nous voulions détruire de l’autre, et notre constitution aurait été exposée aux plus grands périls. Ainsi donc, répondrai-je à mes adversaires, vous sacrifiez le salut de l’Etat, l’intérêt de ses rentiers, des commerçants, de tous les agents de l’industrie, de la classe précieuse des cultivateurs, l’intérêt plus grand encore de la religion et des pauvres, à une crainte chimérique, peut-être à une passion secrète que vous redoutez de vous avouer à vous-mêmes. Hé bien ! c’est à moi de vous montrer que les offres du clergé ne contredisaient en rien votre constitution, et qu’elles pouvaient aisément se concilier avec elle. S’il existait dans le royaume un nombre considérable de propriétaires qui voulussent venir au secours de la chose publique; s’ils se réunissaient pour aviser aux moyens d’effectuer un si noble dessein; s’ils concertaient entre eux un emprunt de 400 millions pour les verser dans le Trésor public; s’ils s’imposaient chacun suivant leurs facultés pour fournir aux intérêts de cet emprunt ; si pour le rembourser ils convenaient de vendre une partie de leurs propriétés respectives ; s’ils établissaient des commissaires pour administrer en commun la partie de leurs biens qui serait mise en vente, jusqu’au moment où ils pourraient être vendus avec avantage, si les évaluations et les adjudications se faisaient devant ces commissaires ; enfin, s’ils prenaient des mesures pour que les frais de leur administration commune et passagère, ainsi que ceux de leur3 ventes, n’opérassent aucun déchet sur le capital dont ils veulent faire don à la patrie, les refuseriez-vous, sous le vain prétexte qu’ils pourraient former un ordre dans l’Etat? Non sans doute: un dévouement aussi pur exciterait votre enthousiasme ; il recevrait parmi vous le prix le plus flatteur, celui de votre reconnaissance, celui de la reconnaissance publique. Pourquoi donc avez-vous rejeté les offres du clergé? pourquoi les rejetteriez-vous encore? Qu’est ici le clergé ? une classe de propriétaires, un grand nombre de propriétaires qui veulent sauver l’Etat. Son nom vous épouvante ! Eh bien, faites disparaître ce nom qui suscite vos alarmes. Ce n’est plus le clergé dans l’ordre politique temporel, si vous le voulez; ce sont les églises du royaume, les titulaires des bénéfices, les propriétaires ecclésiastiques ; et ne dites pas que leurs députés à l’Assemblée nationale sont sans titre et sans caractère pour vous faire ces offres : ils ne seront pas désavoués par leurs commettants. Pourriez-vous le craindre après que les députés des provinces ont renoncé à leurs privilèges sans avoir reçu d’elles un pouvoir spécial pour les autoriser à faire en leur nom cet immense sacrifice? Vous avez établi la liberté, dites-vous; tous les hommes en France ont, d’après vos décrets, le droit de se réunir ; ils peuvent former des pétitions, s’associer pour des entreprises utiles,� et vous refusez à des propriétaires d’user du même droit pour servir la patrie! Hé! pourquoi ce refus? Parce que ces propriétaires sont ecclésiastiques ; parce qu’ils sont ministres des autels ; parce que, par principe autant que par devoir, ils sont plus particulièrement dévoués à la chose publique, c’est-à-dire que par la raison même que vous devez compter sur eux, plus que sur tous les autres citoyens, par la raison que leur zèle vous est plus fortement et plus sûrement garanti, vous voulez les détruire, leur enlever l’administration de leurs biens, envahir leurs propriétés, les faire passer, par le mouvement le plus rapide, dans des mains étrangères où elles deviendront stériles pour la patrie, pour la charité et ainsi enlever à la fois, à l’Etat, des ressources précieuses, à la religion, des moyens nécessaires, aux pauvres et aux malheureux, des consolations assurées. Ah ! Messieurs, j’en appelle à la raison, à la justice, à l’opinion publique, au jugement de toute l’Europe, à celui de la postérité ! Vous délibériez, samedi dernier, sur l’hypothèque _ que vous vouliez donner aux quatre cents millions d’assignats dont vous vous proposez de faire l’émission ; il avait déjà été décrété que cette hypothèque serait établie sur une pareille valeur des biens du domaine et du clergé, qui seraient mis en vente d'après l’indication et sous la surveillance des assemblées de départements. Une motion incidente est venue troubler votre délibération : elle ne tendait à rien moins qu’à prononcer soudainement et sans déplacer, l’invasion de tous les biens-fonds ecclésiastiques dans toute l’étendue du royaume, et la remise de leur administration entre les mains des municipalités et des directoires de districts et de départements. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] 33 Cette proposition n’avait certainement aucune connexité avec l’hypothèque des quatre cents millions d’assignats; car, pour que cette hypothèque soit certaine, il suffît qu’il y soit affecté une valeur de quatre cents millions des biens du domaine et du clergé, et qu’elle soit miseen vente ; il n’est pas nécessaire d’y employer la totalité des biens-fonds du clergé, en dépouillant les établissements ecclésiastiques et les titulaires des bénéfices. Si je ne craignais de me détourner de la question qui nous occupe, je vous observerais, Messieurs, combien ces motions incidentes sont dangereuses, combien elles sont proscrites par votre règlement et opposées au décret que vous avez rendu récemment sur la proposition de M. le baron de Menou, pour fixer un ordre de travail. Vous avez expressément prononcé qu’aucune motion ne pouvait être faite, qu’elle n’eût été préalablement communiquée à votre président et annoncée par lui à l’Assemblée : il n’est personne ui ne sente à quel point de telles motions inci-entes et imprévues peuvent être insidieuses, les surprises qu’elles entraînent et les inconvénients qui en sont la suite, surtout lorsqu’on obtient de les mettre aux voix soudainement et sans délibérer. La justice et la vérité veulent du temps pour être reconnues, et l’évidence même se discréditerait si elle se manifestait par des formes aussi précipitées. Je ne crains pas de vous le dire, plus d’une de nos délibérations ont été déterminées par des impulsions spontanées, entièrement contraires à la sagesse et à la dignité d’un corps délibérant. Aujourd’hui, Messieurs, vous voulez délibérer sur cette motion incidente que, d’après vos ordres, votre comité des dîmes a reprise en sous-œuvre. Vous avez entendu le rapport de ce comité : il ne devait vous présenter son travail sur cette grande matière qu’après l’avoir soumis à votre comité ecclésiastique, dont il est une émanation. Tel était son devoir, mais il s’en est affranchi; et les articles qu’on vous propose de décréter sont aussi étrangers à la majorité de votre comité ecclésiastique qu’ils le sont à vous-mêmes. Le clergé, ou, si vous le voulez, les représentants des églises et les titulaires des bénéfices, ne peuvent plus se dissimuler qu’elle est l’intention de ce projet de décret, et quelles en seront certainement les funestes conséquences. Ils ont le droit de vous dire que leur dépossession, ou, comme on l’a répété si souvent ici, leur expropriation, mot remarquable dans la bouche de leurs antagonistes, n’est point une suite nécessaire de votre décret qui met les biens ecclésiastiques, à la disposition de la nation, que l’administration de ces biens leur appartient, que vous n’avez pas le pouvoir de la leur enlever, qu’elle serait aussi vicieuse que ruineuse entre les mains des directoires de districts et de départements; ils ont le droit de vous dire que rien n’est bon, rien n’est utile, rien n’est solide que ce qui repose sur la justice, et que la spoliation des églises et des titulaires ecclésiastiques est aussi profondément injuste qu’elle est souverainement impolitique ; qu’uüe telle spoliation n’a jamais eu lieu sous l’empire du despotisme, et que les princes qui l’ont entreprise, ont été désavoués par les nations qui gémissaient sous le poids de leurs fers. Ils ont le droit de vous dire que les propriétés ecclésiastiques sont toutes hypothéquées à des créanciers privilégiés, soit dans leur universalité a ceux du clergé en général, soit en particulier a ceux de chacune des églises ; que cette masse lre Série, T. XIII. de créances est énorme; qu’elle n’annonce pas une mauvaise administration, parce que les établissements ecclésiastiques ne mouraient jamais, et que les emprunts qu’ils faisaient pour des améliorations, des reconstructions, des dépenses imprévues, étaient toujours fidèlement desservis et remboursés ; que priver les créanciers de cette hypothèque qui est devenue leur légitime propriété, en dégageant les biens sur lesquels elle repose des obligations auxquelles ils sont soumis envers eux, serait le suprême degré de l’injustice; que ces créanciers sont d’autant plus intéressants que leur modération leur a fait préférer un intérêt médiocre sur le clergé aux intérêts usurai-res du gouvernement ; que dépouiller la caisse du clergé, qui a toujours fidèlement payé, pour enrichir la Caisse d’escompte qui est en faillite depuis deux ans, serait le comble de l’inconséquence; que ces mêmes biens sont grevés d’une autre hypothèque non moins respectable, non moins privilégiée, en faveur du culte religieux, des ministres de la religion et des pauvres que l’Eglise a toujours regardés comme ses enfants les plus chers; enfin, ils vous diront que quand bien même vous auriez le droit de les dépouiller de leurs biens, ce qui n’est pas, ce qui ne peut pas être, ils ont celui de vous demander quels sont les moyens que vous mettrez en remplacement, pour remplir les objets auxquels ils sont spécialement destinés? Si ces moyens consistent en une imposition sur les peuples, représentative de près du double du produit de la dîme, ainsi qu’on nous l’a annoncé, il est évident qu’une telle imposition sera excessivement onéreuse à la nation, qu’elle sera impraticable, et que la nation ne voudrait ni ne pourrait se soumettre à une pareille charge. Dès lors, il est également évident que les biens-fonds du clergé n’étant plus dans ses mains et disparaissant successivement par les ventes qui en seraient faites, le moment viendrait infailliblement, et ce moment ne serait pas éloigné, malgré la garantie de M. Treilhard, où la nation, fatiguée de ce nouveau fardeau d’imposition ajouté à tant d’autres, et refusant de le porter, le culte religieux, ses ministres, les pauvres seraient sans dotation, sans subsistance, sans secours. Daignez, Messieurs, jeter un coup d’œil rapide sur tous les remplacements que vous avez décrétés et sur ceux que vous méditez encore; mesurez-en l’effrayante étendue. Les gabelles, la marque des cuirs, celle des fers, les droits sür les huiles, les savons, les amidons; je passe sous silence ceux de tous genres que nécessitera la nouvelle organisation que vous avez donnée au royaume. Joignez à toutes ces nouvelles et énormes charges, qui porteront nécessairement sur les propriétés, sur les personnes, sur l’industrie, sur les denrées consommées, joignez-y celle de cent-trente-cinq millions à laquelle vous portez les dépenses du culte et le traitement des titulaires ecclésiastiques aujourd’hui existants, et jugez si la culture, l’industrie, les personnes, les choses ne gémiront pas sous le fardeau le plus insupportable et le plus accablant ! Que si vous ajoutez à cette douloureuse perspective l’accroissement de la dette publique dont vous allez surcharger la nation et qui résultera de la dette du clergé tant général que particulier, dont vous êtes bien loin de pouvoir mesurer l’étendue, de huit cents millions de remboursement des offices de la magistrature, du montant des charges de finance et des emplois militaires, de la masse des dettes contractées par les pays 8 31 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] d’État, ne serez-vous pas épouvantés de cet horrible amoncellement de charges publiques dont je craindrais de vous présenter ici ie fidèle calcul ? Vainement dira-t-on que les biens du domaine et ceux du clergé suffiront à tout, paieront tout; quelle que soit la valeur chimérique à laquelle on les porte, valeur infiniment dépréciée par vos opérations sur la féodalité, il faut pour libérer l’Etat, au moins en partie, que tous ces biens soient vendus. Or, comment supposer un nombre d’acquéreurs assez grand, assez riche en capitaux, pour les échanger contre une nature de biens qui, à l’avenir, sera accablée plus que jamais sous le poids de l’impôt et en payer la valeur ? Les étrangers, dira-t-on, seront les acquéreurs au défaut des nationaux. Ainsi donc, vous dépouillerez vos frères, vos concitoyens, pour investir des étrangers d’une grande partie de vos fonds territoriaux; et ces étrangers, croyez-vous qu’ils viennent en foule se fixer parmi vous? n’ont-ils pas une patrie, des habitudes, des propriétés dan s leurs pays? Pensez-vous qu’on rompe tous ces liens, ces liens si chers, avec un grande facilité ? Quel est donc le peuple inconnu, le peuple regorgeant de richesses, que vous comptez établir dans vos villes, dans vos campagnes, et qui vous apportera des monceaux de métaux en échange de tous les fonds que vous lui céderez? Mais, dira-t-on, les assignats, si l’Assemblée les décrète forcés, opéreront les plus heureux effets. Personne ne le désire plus que moi, Messieurs, les malheurs de ma patrie, et en particulier ceux de la ville de Paris, dont j’ai l’honneur d’être représentant, m’affectent trop douloureusement pour que je veuille discréditer une mesure qu’on penserait devoir leur être salutaire ; mais plus le remède sera décisif, plus il est de votre sagesse de vous assurer s’il donnera la mort ou la vie. Je ne me permettrai point de vous développer mon opinion à cet égard. Je sais qu’il est des temps et des circonstances où la vérité même ne doit se produire qu’avec prudence et ménagement ; s’il n’est jamais permis de la trahir, il est quelquefois du devoir de l’homme public de ne la manifester qu'avec une grande réserve. On ne m’accusera donc pas d’avoir cherché à répandre la méfiance, tandis que le rétablissement de la confiance est si nécessaire ; je me bornerai à vous supplier, avec la plus vive instance, d’employer toutes vos lumières, toute la maturité de la réflexion pour calculer le jeu des assignats forcés et en prévoir toutes les suites. Pensez, je vous en conjure, qu’ils ne peuvent pas être considérés comme un de ces moyens indifférents que la politique se permet souvent de tenter, en se Réservant de cesser d’en faire usage suivant les convenances du moment. Ici tout est grave, tout est imposant, tout est terrible, si le succès ne répond pas aux espérances. Les assignats-monnaie pourraient facilement devenir un torrent débordé dont tout le royaume et principalement la ville de Paris déploreraient longtemps les ravages. Si leur circulation n’était que celle du rebut, elle opérerait avec une activité dévorante le déplacement de toutes les propriétés, de toutes les fortunes, de tous les engagements publics et privés, et ils finiraient par occasionner un engorgement funeste au Trésor public et aux particuliers ; si leur crédit n’était que momentané, de la hauteur éphémère à laquelle, ils se seraient élevés, ils retomberaient soudainement en masse sur l’Etat et ils l’enseveliraient dans leur chute ; la nation, les propriétaires, les créanciers, le commerce et l’industrie, la culture, les pauvres seraient sans ressources, et, pour toute consolation, on verrait s’élever du sein de ces vastes débris quelques fortunes scandaleuses qui ne rendraient que plus déchirant le spectacle douloureux de la misère publique. Mais, Messieurs, permettez-moi de fixer un instant vos regards sur quelques détails plus douloureux encore. Je veux parler de l’influence désastreuse que les articles du décret qui vous est proposé auront sur la religion. Considérez, je vous supplie, que le culte de cette religion sainte dans laquelle nous voulons vivre et mourir, dont le maintien nous est spécialement recommandé par tous nos commettants, et que nous devons transmettre avec toute son intégrité, son éclat et ses moyens aux généra-tionslesplus reculées, diffère aussi essentiellement de celui des sectes chrétiennes, qu’elle diffère d’elles dans ses dogmes. La parure et la splendeur de ses temples, la pompe et la majesté de ses cérémonies, le grand nombre de ses ministres que la hiérarchie de l’Eglise a tous également constitués, exigent une grande dépense, une dotation certaine et proportionnée à ses besoins. Ces besoins sont de trois espèces: les frais du culte, qui comprennent l’entretien des temples et detoutcequi est employé à ses cérmonies, la subsistance honorable des ministres dans les différents degrés de la hiérarchie, et dans la proportion de la dignité des emplois qui leur sont confiés, enfin le soulagement des pauvres. Or, comment pourvoir à toutes ces dépenses sans une dotation assurée, indépendante, qui suive dans ses produits les progressions de l’accroissement du prix des denrées et de la main-d’œuvre? 11 n’est certainement que des possesions territoriales qui puissent remplir ces conditions si nécessaires. Etablir cette dotation sur la prestation d’un impôt qui pèserait sur les terres, sur les personnes et sur les choses, qui serait payé par l’universalité des citoyens, par le pauvre comme parle riche, ce serait exposer aux plus grands risques, à des risques évidents, l’exercice de la religion elle-même. Par quelle fatalité, par quelle disposition aussi injuste qu’impolitique, voudrait-on que la religion devînt un fardeau pour les peuples ? qu’elle ne pût offrir à l’humanité souffrante aucune ressource, aucune consolation temporelle, et que ses ministres fussent dans l’impuissance d’exercer la sainte fonction de dispensateur de la charité ? En supposant même que la nation voulût se soumettre à un impôt pour le service religieux, ne voyez-vous pas qu’à la première guerre, au premier malheur public, que la révolution des temps ne reproduit, hélas I que trop souvent dans les empires, cet impôt cesserait d’être payé, ou que la prestation pénible serait arrosée des larmes de l’indigence et de la misère ? La religion fera donc des malheureux ! tandis qu’elle ne devrait donner que des consolations sur la terre, et assurer le bonheur dans un monde à venir, elle deviendra l’instrument ou tout au moins le prétexte de l’oppression et de toutes les calamités fiscales. Qu’on ne dise pas que la dîme était un impôt; sans doute elle était une perception. Mais consacrée par la piété, établie par l’usage, sanctionnée par l’habitude, elle ne pesait presque pas sur les peuples. Les propriétaires des fonds de terre, qui seuls en étaient chargés, n’avaient acquis leurs fonds qu’à condition de la payer ; elle était devenue un des éléments qui entraient dans l’évalua- [14 avril 1790. [ [Assemblée nationale.) tion du prix des ventes et des achats. Elle s’acquittait en nature. Et qui ne sait qu’une gerbe de blé, qui repose encore sur le champ où elle a été récoltée, est un léger sacrifice pour le pauvre cultivateur, tandis que le prix de cette même gerbe, converti en argent, lui occasionne une multitude de frais accessoires qui en double la valeur ? Qu’on ne prétende pas ,non plus m’opposer ici les premiers siècles de l’Eglise, ils rappellent le temps des persécutions ; l’Église alors, en proie à ses persécuteurs, gémissait sur les cendres de ses martyrs. Dans ces jours de deuil et d’affliction elle n’avait pas encore pu établir ses solennités ; son indigence ne lui permettait pas de les porter au degré de splendeur et de majesté qui leur convenait, et auquel elles se sont élevées depuis qu’elles ont appartenues au monde devenu chrétien. Eh quoi ! chez une grande nation dont tous les établissements, dont toutes les dépenses pu • hliques portent le caractère de la grandeur et de la magnificence, la parcimonie ne serait réservée que pour les établissements, que pour les dépenses qui appartiennent à la religion ! On calculerait avec l’Etre suprême pour l’honorer d’une manière plus.ou moins solennelle ! Bientôt on voudrait réduire les hommages qui lui sont dus à la simple adoration du cœur ; et, sous le prétexte de soulager les peuples, on retrancherait toute la partie extérieure du culte religieux! Hommes imprudents, ne savez-vous pas que l’empire des sens s’étend jusquessurla religion! C’est par l’organe de leurs sens, frappés de l’éclat et de la majesté des cérémonies religieuses, que les esprits les plus simples, les cœurs les pius corrompus, les personnes les plus indifférentes en matière de religion, sont souvent ramenées' à cette grande et précieuse communication qui doit exister entre la créature et le créateur, et c’est ainsi que ces mêmeè sens qui nous éloignent trop souvent de l’Etre suprême, nous rappellent à lui par un juste retour. Demandez à ces peuples qui ont été séduits par l’erreur et par une apparence trompeuse de perfection; demandez-leur si, dans leurs temples dépouillés d’ornemenls, dans leurs cérémonies religieuses dépourvues de toute pompe extérieure, ils n’éprouvent pas une sécheresse, une aridité de cœur qui les retiennent courbés vers la terre, tandis que lorsqu’ils entrent dans nos temples, qu’ils assistent à nos cérémonies, à nos solennités, leur âme est transportée vers le ciel ! Voulez-vous réduire vos peuples au seul culte intérieur? Voulez-vous en faire autant de philosophes ? Ah ! craignez que cette prétendue philosophie ne retombe sur vous et n’accable de malheurs la génération présente et les générations futures. La dépouille des églises a toujours été la suite ou le précurseur d’un changement dans la foi. Rappelez-vous ce qui s’est passé chez un peuple voisin, qui, dans son envahissement des propriétés ecclésiastiques, a su au moins respecter un grand nombre de ces propriétés, et qui, après avoir détruit une partie de ce que vous voulez détruire, éprouve peut-être aujourd’hui des regrets et porte le fardeau de ce qui a été mis à la place. Dne taxe établie pour les pauvres ne lui coûte pas moins de 60 à 80 millions par an. Voudriez-vous donc renoncer à la foi de nos pères? Non, Messieurs, vous ne le voulez pas. Les peuples ont mis entre vos mains la défense de cette foi antique qui. seule peut assurer leur bonheur. Vos mandats, vos opinions, votre sagesse, tout vous fait un devoir de la maintenir dans son 35 intégrité, et je me plais à penser que vous ne serez jamais en arrière de votre devoir, sous ce rapport comme sous tous les autres. Je ne saurais cependant vous dissimuler que le refus que vous avez fait hier de déclarer que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’Etat, et qu’à elle seule appartient la publicité et la solennité du culte, alarme un grand nombre de nos concitoyens. Les diverses interprétations dont est susceptible le décret que vou3 avez rendu, au sujet de la simple déclaration d’un fait, inspire de grandes inquiétudes. Je ne les partagerais pas, si je ne considérais que vos intentions ; sans doute elles sont pures; mais lorsque je réfléchis sur les conséquences de ce décret, sur l’effet désastreux qu’il peut produire dans l’esprit des peuples, sur les dangers dont il environne la religion, lorsque je le mets à côté de celui qui vous est proposé pour l’envahissement de toutes les propriétés ecclésiastiques, ah ! Messieurs, je ne peux pas ne pas apercevoir un ensemble effrayant et une combinaison désolante, qui certainement, contre votre vœu, contre votre volonté, ne tiendrait à rien moins qu’à anéantir toute religion en France. L’évangile défend la persécution, et le clergé français n’est point persécuteur. Il rejette la tolérance de l’iüdifféren ce, mais il professe hautement la tolérance de charité. Cette dernière présidera toujours à ses enseignements, comme elle a toujours été et sera toujours dans son cœur. L’Etat veut une religion ; il n’en veut qu’une publiquement avouée, publiquement exercée. Tout mélange, toute rivalité nous ramèneraient à des excès, à des calamités, que, pour l’honneur de la religion elle-même et de l’humanité, il faut effacer de notre histoire. Le régime adopté en matière de religion, chez quelques-uns des peuples de l’Europe, ne saurait convenir à la France. On aura beau faire, jamais on ne transformera les Français en Anglais, en Hollandais. Encore existe-t-il en Hollande et en Angleterre une religion dominante, et vous savez avec quelle majorité la proposition d’abroger la loi du test a été rejetée récemment dans le parlement d’Angleterre. Serait-ce chez les Anglo-Américains que nous irions chercher un modèle ? La maturité, la longue expérience des peuples de l’Europe ne seront donc plus comptées pour rien, et nous serons désormais obligés d’aller nous former à l’école d’un peuple naissant, dont les besoins, les relations, les habitudes diffèrent essentiellement des nôtres; qui, forcé d’appeler des hommes de toutes parts pour accroître sa population et cultiver un territoire immense, n’a pu admettre ceux qui sont venus librement se réunir à sa société qu’avec leurs mœurs et leur croyance religieuse ; qui, depuis huit ans, n’a pas encore définitivement posé les bases fondamentales de son gouvernement, et qui peut-être, en ce genre seulement, nous donnera bientôt une grande leçon ! Mais que pourrais-je ajouter aux excellentes discussions que vous ont fait entendre M. l’évêque de Nancy, M. l’archevêque d’Aix et M. l’abbé d’Eymard? Vainement on a tenté de les combattre ; quelque efforts qu’on ait faits, ou n’y a pas répondu, parce qu’on ne répond point à l’évidence. Des principes d’hier se détruisent par les principes éternels de la justice et de la vérité. J’adhère pleinement et entièrement atout ce qu’ils vous ont dit et aux offres qu’ils vous ont faites. Je le répète, le décret que vous avez rendu hier sur la religion, contre lequel un grand nombre de membres de l’Assemblée a protesté, se lie tellement dans mon esprit à celui qui vous est pro-ARGHIVES PARLEMENTAIRES. 36 [Assentblée nationale.'] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. fl'4 avril 1790.1 posé aujourd’hui pour l’envahissement de tous les biens ecclésiastiques dans l’universalité du royaume; ils s’appuient tellement l’un et l’autre; j’en vois sortir de si grands malheurs et surtout de si grandes atteintes contre la foi de nos pères et notre culte religieux, qu’indépendamment des grandes considérations politiques que j’ai eu l'honneur de mettre sous vos yeux, l’intérêt de la religion, supérieur à tout autre, me commande de m’opposer de toutes mes forces à la spoliation des églises, des établissements ecclésiastiques et des titulaires des bénéfices. En conséquence, je demande que le projet de décret soit entièrement rejeté. Si cependant, contre mon attente et mon vœu, si contre celui de mes commettants et d’un grand nombre de nos concitoyens, ce projet de décret, que je ne saurais jamais séparer dans mon opinion de celui que vous avez rendu hier sur la religion, venait à prévaloir dans votre délibération, l’intérêt de cette religion sainte me commanderait encore de réclamer contre lui de tout mon pouvoir; la volonté non équivoque de mon mandat m’en ferait un devoir, et la mission expresse que j’ai reçue de la part d’une partie de mes commettants, de la première église de France, celle du chapitre de Paris, revêtue des pouvoirs de quaranie-trois églises métropolitaines, cathédrales et collégiales du royaume, rendrait pour moi ce devoir encore plus pressant. Souffrez que je vous fasse la lecture de la réclamation du chapitre de Paris; elle n’a d’autre objet que celui de la religion ; mais, comme j’ai eu l’honneur de vous le direda religion est trop essentiellement intéressée à la conservation des propriétés ecclésiastiques, pour que laproposition de leur envahissement n’appartienne pasàla religion elle-même. D’ailleurs, en faisant profession d’un grand respect pour votre Assemblée, en voulant toujours donner l’exemple de ce respect à tous les autres corps ecclésiastiques, de même que les ditférentes villes et corporations du royaume vous envoient chaque jour des adresses, de même le chapitre de l’église de Paris a Je droit de vous adresser la manifestation de ses sentiments sur l’important objet de la religion. Je réclame donc d’avance, tant en mon nom, comme représentant de la nation, qu’en celui de la religion, des pauvres, de mes commettants, du chapitre de l’église de Paris et des différentes églises dont il a les pouvoirs, contre tout ce qui pourrait être délibéré de contraire aux droits imprescriptibles qui leur sont garantis, ainsi qu’aux autres églises et aux titulaires des bénéfices, par une possession légitime autant que par la loi, et je déclare que je ne pourrai prendre aucune part à cette délibération. Daignez, Messieurs, vous mettre un instant à ma place et considérer combien est amère la position où se trouvent dans cette Assemblée les membres du clergé ; placés entre leurs commettants et vous, entre leurs devoirs les plus sacrés et le désir de ne pas vous déplaire, quelle conduite peuvent-ils tenir qui ne leur attire ou votre animadversion ou celle de leurs concitoyens? S’ils font des réclamations, vous leur en saurez mauvais gré; s’ils n’en font pas, leurs commettants les regarderont comme des prévaricateurs et des traîtres. Ah ! laissez, laissez à des hommes honnêtes, aussi zélés que vous pour la prospérité publique et le salut de la patrie, plus particulièrement voués à la défense de la religion, du culte religieux, du patrimoine des pauvres et de tout ce qui appartient à des intérêts aussi grands, aussi chers; laissez-leur au moins la pénible satisfaction d’échapper aux trop justes reproches que leur feraient les hommes qui les ont envoyés parmi vous ; et surtout à ceux qui ne cesseraient de leur faire voiries deux juges les plus redoutables : la religion et la conscience. EXTRAIT DES REGISTRES DES CONCLUSIONS DU CHAPITRE DE L’ÉGLISE DE PARIS (1), Du lundi 12 avril 1790. Il a été exposé, par un de Messieurs, que le clergé de France n’était pas seulement menacé d’être dépouillé de ses possessions et de l’administration de ses biens, mais qu’il y avait encore tout lieu d’appréhender que la religion catholique, apostolique et romaine ne fût pas maintenue dans le cuite public et solennel qui lui appartient exclusivement à tout autre; que déjà il avait ûté décrété par l’Assemblée nationale, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de personne de l’un ni de l’autre sexe; que cependant les vœux solennels de religion, autorisés par l’église universelle, sont reconnus et admis dans tous les Etats catholiques; qu’on en était maintenant à proposer de supprimer tous les titres de bénéfices autres que les archevêchés, évêchés et cures, et de salarier tous les ministres du service divin; que toutes ces destructions entraînent nécessairement la subversion, la ruine et l’anéantissement de la religion constamment professée et défendue par nos pères, malgré les révolutions des temps; que, dans les conjonctures désastreuses où nous nous trouvons, il n’était plus permis à l’église de Paris, dénommée par nos rois la première du royaume, de se renfermer dans le silence qu’elle a jusqu’à présent gardé ; que ce serait de sa part manquer à l’obligation de veiller au maintien de la religion qu’elle professe comme la seule vraie, et à la conservation des droits qui lui appartiennent essentiellement; que d’ailleurs, nombre d’églises du royaume ont adressé, sans y être provoquées, pouvoirs et procurations au chapitre de Paris pour défendre en leur nom les intérêts de la religion, contre les atteintes qui leur seraient portées; que ne pas réclamer en faveur de ces corps inhérents à la constitution de l’Eglise et de l’Etat, ce serait, dans la crise actuelle, une lâche prévarication ; que ces objets lui paraissaient d’une assez grande importance pour être pris en considération; qu’en conséquence il priait la compagnie d’en délibérer. Sur quoi, Messieurs, après en avoir délibéré, ont unanimement arrêté de charger M. Chevreuil j chancelier et chanoine de l’église de Paris, etM. deBonneval, aussi chanoine de ladite église, tous deux députés du clergé de la ville de Paris à l’Assemblée nationale, d’exprimer de la manière la plus pressante à l’Assemblée nationale, tant au nom de l’église de Paris, qu’en celui des diverses églises (2), qui l’ont (1) Nota. En rendant mon opinion publique, j’ai pensé qu’il était de mon devoir d’y joindre les délibérations du chapitre de l’église de Paris, des 12 et 14 avril, qui justifient la mission qu’il m’a donnée. (2) Agde, Aix, Alby, Aleth, Amiens, Angers, Auch, Autun, Beziers, Saint-Claude, Dax, Saint-Diez, Digne, Dijon, Evreux, Fréjus, Grasse, Lescar, Lodève, tombez, Meaux, Mirepoix, Montpellier, NarJionne, Nîmes, Noyon, Perpignan, Poitiers, Sainl-Pol de Léon, Saint-Pons, Toul, Toulouse, Tulle, Verdun, Viviers, Uzés, Saint-Vulfran {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {14 avril 1790.] �7 autorisée à cette fin, la profonde consternation du chapitre de Paris, sur tous les malheurs qui investissent l’universalité du clergé de France, romme aussi d'adhérer, esdits noms, à toute réclamation, opposition ou protestation qui serait faite contre les atteintes qui ont été portées à la religion et aux droits essentiels du clergé de France; remettant au surplus, le chapitre, à prendre telle délibération ultérieure qu’il appartiendra, suivant la nécessité des circonstances sur les moyens et formes que lui prescriront d'employer les lois de la religion, de la conscience et de l’honneur, pour manifester et consigner authentiquement ses sentiments, afin qu’ils puissent être transmis à la postérité. Du mercredi 14 avril 1790. Le chapitre continuant de délibérer sur les objets pris en considération le 12 de ce mois, après avoir entendu la lecture d'un décret intervenu hier à l’Assemblée nationale, relatif au culte de la religion catholique, apostolique et romaine, et conçu dans des termes qui pourraient donner lieu à des craintes sur le maintien de la religion catholique, apostolique et, romaine en France, comme seule religion de l’État, croirait trahir le premier de ses devoirs, s’il ne manifestait pas de la manière la plus authentique et la plus solennelle, son inviolable attachement à cette religion sainte, qui seule est la véritable, seule a toujours été la religion de la monarchie française dont elle a, dans les Gaules, précédé l’établissement; seule doit y avoir le droit d’exercer un culte public et solennel; seule enseigne la doctrine, prescrit le culte, inspire les sentiments, établit les maximes de morale et de conduite le plus intimement liés au vrai bien de l’ordre social dont Dieu est l’auteur, au bonheur et à la tranquillité des peuples dont il est le protecteur et le père; seule enfin peut conduire ceux qui la professent et l’observent, au salut éternel. Tels sont les sentiments profondément gravés dans le cœur de tous les membres qui composent le chapitre de Paris, et il n’en est aucun qui ne fût disposé, moyennant le secours de la grâce de Dieu, à répandre son sang pour le maintien et la défense de cette religion. Extrait , collationné et certifié conforme à la minute des dites conclusions du chapitre de V église de Paris, par moi soussigné secrétaire du dit chapitre, ce vingt-cinq avril mil sept cent quatre-vingt-dix. Signé: BUÉE, secrétaire du Chapitre. 9e ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 14 avril 1790. Opinion de M. le chevalier de Boufflers (1) sur les affaires du clergé dans la circonstance présente (2). Messieurs, lorsque l’Assemblée nationale a d’Abbeville, Saint-Félix de Caraman, Saint-Gilles en Languedoc, Saint-Paul de Narbonne, Saint-Quentin, Saint-Sermin de Toulouse, Saint-Pierre et Saint-Chef de Vienne. (1) L’opinion de M. de Boufflers n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Ces réflexions que je désirais lire à l’Assemblée, placé la fortune des créanciers de l’Etat, sous la sauvegarde de la loyauté française, elle savait que ce qui est juste est toujours* possible, et que l’économie exécuterait ce que l’honneur avait prononcé : déjà, par vos soins, les charges publiques, également distribuées, paraissent plus supportables; tout ce que l’injustice ou l’ignorance y ajoutait d’accablant en est retranché; une pieuse parcimonie essaie chaque jour de les alléger encore, et chaque jour l’esprit vital de la liberté prête au moindre citoyen de nouvelles forces pour les soutenir : mais bientôt des secours inattendus se joindront à ces moyens par eux-mêmes infaillibles, ils aplaniront toutes les difficultés qu’on se préparait à surmonter, et ne laisseront au peuple français que le mérite d’une si généreuse résolution. Ainsi vous avez dépassé les vœux de vos concitoyens, lorsqu’un zèle impérieux vous a pressés de combattre des préjugés presque aussi anciens que le monde, de chercher les droits sacrés de l’homme dans les principes éternels des choses et dans leurs convenances immuables, d’examiner ensuite les premiers contrats des sociétés naissantes, et de fouiller, pour ainsi dire, dans les archives du genre humain pour y découvrir les titres imprescriptibles de cette nation qui croyait n’avoir que des dettes et à qui vous rendez un superbe patrimoine. Telles sont les fructueuses méditations à la suite desquelles il a été déclaré que l’immense domaine jusqu’ici possédé par le clergé de France est tout entier à la disposition de la grande communauté des Français, et qu’une portion de ces biens peut, dès à présent, faire face à la partie la plus menaçante de la dette nationale. Permettez aujourd’hui, Messieurs, qu’en m’associant plus particulièrement à ces grands travaux, je mesure avec vous l’étendue réelle de nos ressources, et que je vous soumette quelques idées sur les moyens d’accélérer et de faciliter l’exécution de vos décrets. Vous avez décrété qu’il serait vendu pour 400 millions de biens de l’Eglise, et le succès de cette opération, aussi simple qu’utile, est attaché à deux conditions : elle doit commencer promptement, ou elle serait douteuse ; elle doit se faire lentement, ou elle serait impolitique. Si elle ne commence promptement, on ne fera qu’entretenir ces soupçons, si peu mérités, mais si répandus contre le patriotisme des membres du clergé, et leur honneur et leur intérêt, et le bon ordre et le crédit public en souffriront nécessairement. D’un autre côté, si l’on y procède avec une sage lenteur, la quantité de terres actuellement exposées en vente diminuera l’affluence des acquéreurs des autres biens ; or, ces deux intérêts opposés, en agissant l’un sur l’autre, nuiraient à tout, car il en résulterait sur-le-champ, des deux côtés, une désastreuse émulation à qui vendrait à meilleur marché, et, dès lors, le taux des ventes baisserait à chaque instant ; mais le taux de ces ventes est l’indication de toutes les valeurs, il sert de mesure à toutes les fortunes dont celle de l’Etat se compose, et cette mesure a été consultée de sont écrites depuis longtemps; il est aisé de s’en apercevoir à quelques articles sur lesquels on a déjà délibéré qui deviennent en ce moment inutiles, mais que je n’aurais pu supprimer qu’en changeant entièrement l’ordre et la forme de mon travail; j’espère an moins que Ton rendra justice à mes intentions et que, dans aucun cas, on ne me supposera le projet insensé d’élever mon opinion particulière contre les décrets de l’Assemblée nationale {Note de M. de Boufflers).