[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1791.] 131 Aciers, il enverra au roi une députation pour lui en faire part. Le roi viendra faire l'ouverture solennelle de la session, et pourra inviter l'Assemblée à s’occuper des objets qu’il jugera devoir être pris en considération dans le cours de cette session, sans que cette solennité puisse être regardée comme indispensable pour l’activité du Corps législatif. « Art. 94. Huitaine au moins avant la lin de chaque session, le Corps législatif enverra pareillement au roi une députation pour lui annoncer le jour où il se proposera de terminer ses séances. Le roi pourra de même venir faire la clôture so-lenelle de la session. « Art. 95. Lorsque, dans le cours d’une session, le Corps législatif voudra s’ajourner au delà de 15 jours, il sera tenu d’en prévenir le roi par une députation. «• Art. 96. Si le roi juge que les besoins de l’Etat exigent qu’une session soit continuée au delà du terme que le Corps législatif aura annoncé pour sa clôture, ou que l’ajournement n’ait pas lieu, ou qu’il n’ait lieu que pour un temps moins long, il pourra demander, soit une continuation de séance, soit l’abréviation de l’ajournement, par un message motivé sur, lequel le Corps législatif sera tenu de délibérer. « Art. 97. Lorsque le Corps législatif ira en cérémonie, il recevra les honneurs dus aux représentants du souverain ; les armes lui seront présentées, et les tambours battront aux champs. « Art. 98. Les mêmes honneurs seront rendus au roi, comme représentant héréditaire du souverain. « Art. 99. Lorsque le roi et le Corps législatif marcheront ensemble, le président du Corps législatif sera placé à la droite du roi, sansinter-médiaire entre le roi et lui ; et il n’y aura pareillement aucun intermédiaire entre le roi, le président et les autres membres du Corps législatif. » DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 16 MAI 1791. Opinion de M. d’AIIarde sur la rééligibilité des membres de l’Assemblée nationale{\). Messieurs, cette question vous presse entre deux intérêts, le vôtre, celui du peuple: j'en conclus que ce dernier sera seul écouté; après tant sacrifices faits à l’intérêt général, le dernier, le plus grand sans doute, qu’il vous reste à faire, est celui de vous-mêmes. Il suffira donc de vous démontrer que la question de la rééligibilité, telle que le comité l’a proposée, serait une atteinte à l’intérêt général. Je vais appuyer cette démonstration sur les principes de la politique, de la morale, de l’expérience. J’ai cru que la défiance était la plus sûre garde du berceau de la liberté. Je combattrai d’abord le système de la réélection par les considérations politiques. On argumente en faveur du principe, que rien ne peut limiter le droit d’élection, qu’il est fondé sur la liberté : mais il est une considération plus haute, plus souveraine, celle de la sûreté du Corps politique, cette base sur laquelle repose la liberté même : la liberté fléchit devant l’intérêt social ; c’est à ce principe sauveur des Empires, que les lois doivent leur origine; elles ne circonscrivent l’action que dans ce qu’elle peut avoir de nuisible. L’exercice de la liberté s’abaisse alors devant la hauteur du salut public. Je lèverai bientôt le voile qui couvre la plaie immense dont Je frapperait le système de la réélection : mais je suis la marche de ma démonstration, je continue de développer devant vous la chaîne des principes politiques. La représentation nationale est fondée sur ce principe que l'agrégation sociale étant trop nombreuse pour qu’on puisse concevoir une délibération universelle, on ne pourrait obtenir le résultat de la volonté générale, que par des volontés partielles revêtues de son assentiment, Ce mode, imparfait sans doute, est le seul que comporte la nature des choses. Ce principe conduit à celui-ci : Plus on comptera de ces volontés partielles, et plus on se rapprochera de la volonté générale; car plus on additionne de fractions, moins on est éloigné de l’entier. Or, en renouvelant totalement les membres du corps représentatif, vous ajoutez d’une manière plus immédiate à cette masse de volontés dont se compose la volonté générale, parce qu’alors vous en doublez le résultat qu.i reste au contraire si les mêmes sont réélus. En mettant de nouvelles volontés dans fa balance de celles qui ont déterminé l’œuvre de la Constitution, vous lui donnez un poids plus inébranlable; vous l’armez de plus d’appuis, vous l’entourez de plus de respect; d’ailleurs, de cette nouvelle représentation se composerait une espèce de ratiAcation solennelle de la Constitution: par de nouveaux représentants le peuple concourt davantage à ce grand œuvre : il l’a sanctionné sans doute; mais ce nouveau concert de volontés est en quelque sorte le ciment indestructible qui peut en lier les fondements. Le système de l’entier renouvellement du Corps législatif se rapproche davantage du système d’égalité que vous avez su rétablir. Chacun sortant de la carrière après l’avoir parcourue, il reste à un plus grand nombre la faculté d’y descendre : ainsi la condition de tous devient plus égale : par là le pouvoir alterne pour ainsi dire : il parcourt plus d’anneaux de la chaîne sociale : presque tous exercent l’Empire, et nul ne le retient; la loi domine, et non le législateur. Et ne dites pas. .. c’est éteind re le feu du génie, c’est abreuver les talents de découragement, que de fermer à ceux employés dans cette Convention les portes du temple de la législature suivante 1 Oubliez-vous que l’austère désintéressement, que l’abnégation de soi-même sont les premières vertus républicaines, qu’elles seules peuvent et doivent régénérer nos temps corrompus, qu’il faut établir en maxime et surtout en exemple que la plus grande récompense de ceux qui servent la patrie, doit être l’honneur inestimable de l’avoir servie? Vous ne voulez qu'être utiles? Eh bien! vous le serez hors de la législature. Vous pourrez encore rendre la patrie conAdente de vos pensées : vous les verserez dans des écrits civiques ; l’arme de la liberté, l’imprimerie vous conservera une existence politique : par là vous assisterez en quelque sorte au milieu de la chose publique, par là vous pourrez en arrêter encore les oscillations, et préparer, suivre, diriger ses mouvements vers le bien général. (1) Cette opinion n’a pas été prononcée, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1791.] Vous ne prétendez pas sans doute que ceux qui vous suivront, tiendront les rênes de l’administration d’une main plus inexpérimentée : ce serait déprécier son siècle, injurier la France, calomnier une nation : qu’est-ce qu’un rayon devant un foyer de lumière? Je pense d’ailleurs que les esprits qui ont fait une Révolution ne sont pas propres à la consolider. Le régime du calme est un autre que celui de la tourmente; il est temps que la France, travaillée de principes convulsifs, se repose dans des principes d’ordre et de paix; c’est à la prudence à garder ce que la force a conquis. Il a fallu l’arracher aux vices de l’ancienne Constitution par des secousses; mais aujourd’hui cette marche anéantirait les bienfaits de la nouvelle; elle nous porterait sur les routes de l’anarchie, pente glissante et rapide au bas de laquelle est le gouffre du despotisme. L’esprit constitutionnel ne doit donc plus être l’esprit révolutionnaire : l’état des choses est changé et tel a peu près qu’il doit être. La manœuvre ne devant plus être la même, il n’est plus besoin du même pilote; le plus grand des malheurs serait de porter à un ordre de choses établi l’habitude d’esprit contractée dans un ordre de choses qu’il fallait détruire. Je sens que j’arrive aux considérations morales, elles se pressent en foule au-devant de mon esprit. Par la réélection vous ouvrez la porte à la perpétuité des emplois; il faut armer le peuple contre cet enthousiasme, qui, le portant à tout déférer à ceux qui le détendent, le précipite au devant de la servitude. Alors se forme du côté de ceux élevés par le peuple une habitude de commander, et du côté du peuple une habitude d’être gouverné qu’ils savent entretenir en le conduisant plutôt par la passion qui entraîne, que par la réflexion qui n’émeut jamais. Cet homme qui avait profondément creusé l’immortalité, Machiavel, dit aux tyrans : « Flattez le peuple, vous l’enchaînerez ». Je vous dénonce cette exécrable théorie. Songez combien il serait facile, à l’aide d’un civisme hypocrite, de faire proroger son pouvoir; songez ensuite qu'en tout temps, en tout lieu, la prorogation du pouvoir a fini par enfanter l’esclavage. Dans une grande Assemblée un homme peut élever un édifice immense de pouvoir sur les prestiges de l’éloquence; et s’il joignait à cet ascendant les sourdes manœuvres d’une intrigue tortueuse, le colosse finirait par écraser. 11 faut éteindre d’ailleurs la torche des haines personnelles; dans les violents assauts livrés à cette Assemblée, les esprits se sont exaspérés; ils se sont saturés d’animosités, de vengeance; prenons garde que ces dispositions ne soient portées à la prochaine législature. Elle doit exercer l’empire de la paix; nous avons assez exercé celui de la guerre. 11 est même d’humanité de laisser se cicatriser les blessures profondes des vaincus ; les législateurs qui vont vous suivre pourront être ennemis des abus sans l’être des personnes. Vous ne le pouvez pas. Il me reste à ouvrir devant vous le livre de l’histoire, à vous ramener à l’école de l’expérience. Je vais parler d’Athènes et de Rome. Athènes sentit tuus les dangers d’un pouvoir excessif et prolongé : alors naquit l’ostracisme ; je ne prétends point justifier cette ingratitude politique; mais le principe fut pur, l’application souvent injuste, le principe était que tout homme puissant est à craindre; l’ostracisme leur parut le seul moyen de paralyser tout pouvoir qui alarmerait la chose publique. Elle n’avait point ainsi arrêté les Pisistrales, les Périclès : ils montèrent au faîte de la tyrannie. La faveur populaire, l'éloquence, la corruption en furent les degrés, Athènes alors fut enchaînée. La non-réélection, sans présenter les vices de l’ostracisme, en renferme du moins les avantages. L’histoire de Rome présente trois époques ou la liberté fut anéantie : aces trois époques le pouvoir fut impolitiquement prorogé. Les décemvirs sont élus pour réformer les lois; ils les réforment : le peuple est appelé, consulté : le peuple est cher à leurs yeux, ils lui attribuent les jugements et la sanction des lois : un seul faisceau sans ha< lie est porté devant eux ; le jour des comices arrive, ils mendient l’honneur d'être réélus, ils le sont. Le masque tombe, l’appareil de la tyrannie est déployé, douze faisceaux les annoncent, la hache est arborée, un père saintement homicide ne peut arracher à leurs fureurs le chaste sein de sa tille, qu’en y plongeant le poignard. Marius, contre toutes les lois de Rome, est nommé consul sept fois de suite ; Marius fut l’auteur des proscriptions, il marche au milieu du sang, des tombeaux, des ruines. Ce tigre s’était appelé l’ami du peuple ; il avait fait plus, il l’avait d’abord servi. Telle est L’obliquité astucieuse des oppresseurs : ils paraissent sacrifier au génie du bien public, mais c’est au pied de son autel qu’ils attendent les victimes. Tel fut César : il calcula l’idolâtrie du peuple. Quand les racines du despotisme s’étendent dans les volontés, c’est alors qu’il est trop tard pour l’abattre, la tyrannie survit au tyran. Prévenez ces malheurs, Messieurs, tuez la tyrannie dans son germe ; mais, veut-on vous dire, la simple réélection facultative tous les deux ans, ne présente pas les dangers d’une perpétuité constitutionnelle? Eh quoi, Messieurs, la domination de l’intrigue, l’irrésistibilité de l’enthousiasme ne sont-ils pas connus? Les éléments impurs, mais actifs, dont se composent les réputations populaires, ne subsistent-ils pas? Ces moyens mènent rapidement à l’équivalent d’une perpétuité constitutionnelle. Il est d’ailleurs une vérité effrayante : les peuples ou les collections d’individus ont, comme un simple individu, la maladie des passions; elles sont même chez eux plus actives, parce qu’elles se propagent rontagieuse-ment; c’est sur ces passions que l’espoir de la domination et ses moyens sont combinés. Lorsque les Romains voulurent réélire Lucius Quintus, ce grand homme ne voyant que la patrie les conj ura, au nom de leur intérêt le plus cher de l'oublier et de nommer de nouveaux consuls. Je vous vois, Messieurs, rivaliser cet héroïsme et dissuader votre intérêt; vous allez donner un grand exemple en redevenant simples sujets de la loi. J’entendais vos ennemis s’écrier ; ils vont rétablir l’aristocratie dans une espèce de sénat; mais vous démentirez ces honteuses impostures, vous prouverez votre désintéressement, en rentrant dans la classe citoyenne, et ne croyez point perdre vos titres auprès du peuple, vous en conquérez de nouveaux, vous ne quittez un empire que pour en exercer un autre, celui de la vertu.