6 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [“2 mars 1790.] M. Charles «le Cameth. 11 me semble que le préopinant s’est un peu rapproché de la question-, car il est impossible de traiter l’affaire des colonies d’une manière partielle. Il faut bien se persuader que la moindre faute que ferait l’Assemblée dans cette longue et difficile affaire exposerait la métropole à perdre les colonies. 11 faut bien convenir que le gouvernement a fait des fautes considérables, qu’il s’agit de réparer; et l’Assemblée à laquelle on reproche tant de torts, parce qu’elle a réformé tant d’abus, sera facilement calomniée dans cette affaire où la calomnie peut être si utile. On lui réproche en ce moment qu’il n’y a pas de crédit, et tout le monde sait que quand elle a été appelée, il n’y avait plus de crédit en France. De même, quand les colonies sont en danger, on remet cette affaire entre ses mains, on la presse, on voudrait qu’elle prît un parti dans une seule séance, bien sûr qu’une telle précipitation donnerait lieu à quelques erreurs. Il n’est pas possible d’envisager la question d’une manière isolée; il est nécessaire de lier le système politique des colonies au système général politique de la métropole. Si l’on discutait en ce moment, chacun parlerait suivant ses principes, ses goûts et le point de ses méditations; ou divaguerait sans cesse. En toute chose il faut commen-• cer par le principe; il faut s’occuper de la constitution des colonies; c’est là ce que vous devez faire. Je crois cette marche de la plus grande importance pour les colons; c’est comme Français, c’est comme colon que je demande qu’elle soit suivie. Il faut donc nommer un comité. Si vous n’en nommez pas, il faut au moins renvoyer au comité de constitution. En dernière analyse, je crois qu’on ne peut conserver les colonies qu’en les faisant jouir des bienfaits de la constitution, avec les modifications qu’elles-croiront nécessaires, et qui seront soumises à la prochaine législature. M. l’abbé Maury. On a entamé une foule de questions qui ne peuvent être traitées que successivement. Voici, Messieurs, l’ordre des faits. Vous avez entendu jeudi les adresses de l’armée bordelaise et du commerce de France. Vous avez dit que vous ne pouviez discuter sur l’objet de ces adresses qu’après avoir pris connaissance des dépêches que le ministre avait reçues de Saint-Domingue et de la Martinique. Je ne suis pas frappé, comme le préopinant, du danger qu’il y a à répandre des calomnies contre l’Assemblée.... Le rapport de ces dépêches vient de vous être fait, et vous allez décréter que les pièces seront renvoyées à un comité qui sera chargé de vous présenter un plan de travail ; mais, en les renvoyant même à un comité, il est une question majeure, et la voici : abolira-t-on la traite des noirs, oui ou non, dont vous devez vous occuper préalablement, et qu’il faut aborder sans délai? Il est impossible que l’Assemblée ne s’explique pas sur cette question : il s’agit de la tranquillité, de la sûreté de nos colonies; il s’agit de là banqueroute qu’il faut éviter; et telles sont les circonstances qui nous environnent, que votre siience sur la traite des nègres rend la banqueroute inévitable. Je conclus donc, Messieurs, à ce qu’on renvoie à un comité tout ce qui regarde la constitution, l’organisation des colonies; mais je demande que la discussion soit ouverte demain même sur la grande question de la traite des nègres. (On demande à aller aux voix.) M. le Président. On demande la division de la motion de M. Camus, et cette division consiste à ce que la question de la traite des nègres soit traitée isolément et demain. Je vais mettre aux voix cette division. " (On demande la question préalable sur la division.) M. de Cazalès. Les deux préopinants ne sont pas, ce ne semble, dans la question ; il ne s’agit point ici ni de la constitution de Saint-Domingue ni des principes du régime positif, ni du privilège exclusif des Compagnies des Indes et du Sénégal : il s’agit de trouver un moyen provisoire pour arrêter les insurrections qui affligent les colonies, et pour les mettre en état de recevoir vos lois. Le rapport que vous avez entendu doit suffire pour fixer votre opinion ; le reste doit être renvoyé au comité : si vous adoptez quelque moyeu dilatoire, il ne sera peut-être plus temps de revenir sur vos pas. (On s’obstine à demander la question préalable sur la division.) M. le Président. Que ceux qui sont d’avis qu’il y a lieu à délibérer sur la division demandée, c�’est-à-dire que la question de la traite des nègres soit discutée demain, veuillent bien se lever. (Une grande partie' de l’Assemblée se lève. La contre-partie est posée.) M. le Président. Je demande pour mon compte une seconde épreuve. (Ou fait une seconde épreuve, elle paraît douteuse comme la première.) M. le Président. Je demande pour mon compte l’appel nominal. M. l’abbé Manry. 11 est, ce me semble, inutile de faire un appel nominal sur une question préalable ; je demande qu’il soit fait sur la motion principale : s’occupera-t-on demain de la traite des nègres? oui ou non. M. Rœderer. La question préalable a été demandée sur la. division; elle a été mise aux voix; deux épreuves ont paru douteuses, etM. le président a demandé l’appel nominal. Je demande que l’ordre accoutumé ne soit point interverti, et que l’appel soit fait sur la question préalable seulement. L'avis de M. Rœderer est adopté ; la question est posée comme elle l’avait été déjà ; l’appel nominal est fait, et l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la division demandée. On passe à la motion principale; elle est mise aux voix, et l’Assemblée décide qu’elle renverra l’affaire des colonies à un comité composé de douze membres, pris indistinctement dans l’Assemblée, et que le rapport sera fait lundi matin. La séance est levée à sept heures et demie.