[Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] M. le due de Lévis (1). Il m’est impossible d’apercevoir le rapport qu’il y a entre des lieues carrées et des députés. Ou ne voit point, par exemple, pourquoi le lac de Genève, s'il ôtait compris dans une des provinces de France, serait privé de représentants qui lui appartiendraient� autant de titres qu’aux landes de Bordeaux et de Bretagne. Vainement a-t-on voulu corriger les inconvénients qui résultent de cette forme vicieuse, par les autres députations accordées à la population et à la contribution. Ces palliatifs ne servent qu’à montrer qu’en s’écartant des principes on est obligé de multiplier les ressorts et de compliquer les mouvements. Cependant à qui appartient le droit de se faire représenter, si ce n’est à des hommes et non aux champs et aux richesses ? Autrement si les provinces ont le droit d’envoyer plus de députés en raison de leur contribution, il s’ensuivrait que les particuliers qui payent le plus devraient avoir le plus d’influence sur le choix des députés, ce qui serait injuste et ce qui devient cependant la conséquence du système proposé par le comité de constitution ; d’ailleurs, par votre déclaration, tous les citoyens sont égaux en droits; or, le plus beau de tous est d’avoir des représentants, et le comité semble dire qu’il faut avoir des richesses pour être représenté. J’opine donc pourque les bras soient représentés, et non les écus, et pour que la population soit la seule règle qui fixe le nombre des représentants envoyés à l’Assemblée nationale par chaque canton et département. M. Barrère de ¥Ieuïac (2). La base territoriale est fausse ; un pays est couvert de moissons, un autre de bruyères; ici les hommes sont entassés dans des villes ; à côté les campagnes sont désertes ; des habitations nombreuses couvrent une province; des forêts, des sables, des marais couvrent la surface d’une autre; ainsi par les différences qui se trouvent dans les qualités du terrain, dans les degrés de fertilité et dans la nature de ses productions, la mesure territoriale est trop inégale, trop injuste pour être adoptée. La base contributive n’est pas plus exacte puisque les impôts sont très-variables par la nature des richesses et de l’industrie ; c’est d’ailleurs une base honteuse, puisque ce ne sont pas les métaux, mais les hommes qu’il faut représenter ou administrer. La seule base digne du législateur est celle de la population, parce que les lois sont faites pour les hommes et non pour les terres. Les hommes font l’Etat, ils forment les lois, ils remplissent l'administration, et quoique le terrain nourrisse les habitants, il doit se resserrer ou s’étendre sous le compas de l’administrateur, suivant son degré d’utilité. Ge n’est pas qu’on doive négliger la base territoriale, puisque l’administration devient plus pénible et plus dispendieuse dans les grandes distances, mais ce n’est là qu’une base secondaire. Quant au degré de représentation, le plus petit nombre est préférable ; deux degrés sont plus rapprochés du peuple, il élira plus directement ses représentants, il surveillera mieux ses administrateurs ; deux degrés de représentation rendent les élections plus générales et plus populaires ; (1) Le discours de M. le duc de Lévis n’a pas été inséré au Moniteur. (2) L’opinion de M. Barrère de Yieuzac est incomplète au Moniteur. 691 deux degrés d’administration la rendent plus salutaire et plus économique. Les municipalités sont à la liberté politique ce que les jurés sont à la liberté civile, c’est-à-dire la base essentielle à établir ; donner à chaque ville, bourg et village, une municipalité indépendante, c’est réunir le principe représentatif et détruire à leur origine tous les liens de l’administration; ne pas laisser à chaque bourg ou village un régime municipal honoré de ce nom, c’est rappeler des idées humiliantes de sub alternation aU lieu de faire naître des rapports plus doux d’intérêt et de réunion. _ Je propose donc d’établir deux sortes de municipalités : les unes secondaires, les autres princi-pales. Voici les articles que je soumets à votre délibération : 1 0 Déterminer de quel nombre d’individus chaque département sera composé ; 2° Renvoyer aux députés de chaque province le soin d’appliquer cette base de population sur le territoire, pour pouvoir établir par un décret particulier la division des assemblées provinciales ou de département, sauf à elles à perfectionner par la suite ces divisions j 3° Arrêter qu’il n’v aura que deux degrés de représentation et d’administration; 4° Déterminer de que! nombre d’individus sera composé chaque arrondissement subordonné à l’assemblée de département ; 5° Etablir dans chaque ville, bourg et village, une municipalité secondaire, et dans certaines villes et bourgs des municipalités principales auxquelles les secondaires ressortiraient pour certains objets; 6° Déterminer le nombre d’habitants nécessaire pour former une municipalité principale, de manière que chaque assemblée provinciale puisse adopter le principe au territoire, La suite de la discussion a été ajournée, afin de permettre à l’Assemblée de s’occuper d’affaires urgentes. M. de Talleyrand, évêque d’Autun , présente au nom du comité de constitution un règlement provisoire de police pour la ville de Paris , rédigé sur la demande des administrateurs de la commune. M. le comte de Mirabeau présente sur l’article 8 un amendement ayant pour objet d’interdire au lieutenant de maire, ou au conseiller assesseur, la faculté de condamner à huit jours de prison; il fait remarquer que toutes les lois du royaume n’autorisent un pareil fait que pour vingt-quatre heures, comme simple précaution et noa comme peine. M. Démeunier convient que c’est donner trop d’autorité aux magistrats de police ; cependant, eu égard aux circonstances actuelles et dans une ville comme Paris, la police a un plus grand besoin d’une force réprimante ; il propose par sous-amendement de réduire ce pouvoir à un emprisonnement de trois jours. Cet amendement est mis aux voix et adopté* M. Defermont propose d’ajouter que l’emprisonnement ne pourra être ordonné que de l’avis de deux notables adjoints. La question préalable est demandée et adoptée* M. Dupont de IVemours. L’Assemblée a 692 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] pensé que Paris, dont la population égale trois départements du Poitou et surpasse celle des� trois départements du Dauphiné, devait former à elle seule un département, On a jugé que c’était le moyen d’assurer à cette grande ville toute l’étendue de la représentation à laquelle elle a droit de prétendre dans l’Assemblée nationale ; de la rendre non plus par hasard, mais constitutionnellement, capitale du royaume, et de favoriser le plus qu’il sera possible ses approvisionnements, en y intéressant la totalité de l’empire français, et en tarissant la source de tous les prétextes qui pourraient y apporter obstacle. Il n’est pas inutile de rappeler ou du moins d’indiquer les raisonnements qui établissent la justesse de cette opinion, car on y trouvera les principes de la forme d’administration que l’existence constitutionnelle de département parait devoir imprimer à la municipalité de Paris. § I. La ville de Paris , formant un département, sera mieux représentée. Si la ville de Paris était la capitale d’un département, elle ne pourrait y former qu’un district, et serait environnée de huit autres districts qui composeraient le département le plus peuplé du royaume. Chacun de ces districts concourrait à fournir des électeurs en raison de ses contributions directes et du nombre de ses citoyens actifs. Or, on doit remarquer que les contributions directes sont proportionnellement beaucoup plus fortes dans les campagnes que dans les villes, et surtout que dans la capitale; la raison en est qu’une grande partie des contributions des villes, et surtout de la capitale, sont acquittées par des droits d’entrée, c’est-à-dire par des contributions indirectes. 11 en résulte que le nombre des citoyens actifs est proportionnellement beaucoup plus considérable dans les campagnes que dans les villes, et (nous devons en convenir au sein de la première ville du royaume) cela même est un bien ; car dans les campagnes les mœurs sont plus simples et plus pures, c’est-à-dire, en d’autres termes, que la raison y est plus saine et que les idées y sont plus justes, quoiqu’il y ait, en général, plus de talents dans les villes. Cependant, il faut que les villes soient représentées ; et la nature des impositions qu’elles affectionnent y diminuant le nombre des citoyens actifs, une ville de six cent mille âmes ne doit pas en présenter beaucoup plus qu’une campagne peuplée de trois cent mille. Les huit districts qui environneraient Paris ayant une population supérieure à celle de Paris même, il pourrait se trouver qu’à l’assemblée générale de département il n’y eût qu’un tiers d’électeurs fourni par la ville de Paris, et que les deux autres tiers le fussent par les paroisses et communautés de campagne. Alors pour peu qu’il se fût élevé quelque animosité entre les Parisiens et les campagnes de leur département, une majorité combinée, que la différence des mœurs et celle des costumes rendraient très-facile, pourrait faire que la totalité des représentants fût choisie dans les districts extérieurs, et que la ville de Paris ne fût aucunement représentée, quoiqu’elle parût l’être in globo dans son département, et que ses citoyens actifs eussent participé aux élections. On pense bien que la chose n’arriverait pas rigoureusement ainsi ; mais il suffirait que Paris pût perdre un tiers, ou même un seul des représentants auxquels sa population et ses contributions lui donnent droit, pour que l’arrangement qui l’exposerait à ce danger ne dût pas être agréable aux habitants de Paris. 11 leur est sensiblement plus avantageux que la ville, réunie tout au plus à sa banlieue, forme à elle seule un département dans lequel ses citoyens ne concourront qu’entre eux, et qui sera certain d’avoir dans l’Assemblée nationale toute la représentation qui lui est due : cet intérêt doit vivement toucher les Parisiens, quoiqu’il soit moins pressant que celui dont nous allons parler dans le paragraphe suivant : § II. Intérêt de Paris relativement à la subsistance. Une ville qui renferme six à sept cent mille habitants ne peut subsister qu’autant qu’une immense étendue de pays concourt à son approvisionnement. Elle ne saurait l’y contraindre par la force. Elle n’en a le droit vis à vis de personne, et contre une immense étendue de pays elle n’en aurait pas le pouvoir. La liberté de la circulation des denrées, des conventions, des prix qui présentent de l’avantage aux fournisseurs, et l’évidence impérieuse de ses besoins sont donc le seul gage qu’elle puisse avoir des secours qui lui seront donnés par ses compatriotes. Elle peut et doit obtenir d’eux; elle ne doit rien leur prendre , et ne pourrait le tenter sans péril. Ce serait une idée très-injuste et très-inconstitutionnelle d’imaginer qu’aucune municipalité puisse exercer un droit coercitif sur une autre municipalité. Les municipalités sont entre elles comme les hommes, et la révolution a été faite précisément pour que les grands n’opprimassent pas les petits, pour que la puissance fût uniquement employée à protéger le peuple. Paris, chef-lieu d’un département, n’aurait aucun droit de plus sur le moindre village de ce département. La municipalité de Paris n’aurait même aucune autorité sur le moindre village de son district. L’assemblée de district, qui prendrait les ordres de l’assemblée de département, les intimerait également à la municipalité de Paris et aux autres municipalités. Ces ordres, quels qu’ils fussent, ne pourraient rien ajouter à la sûreté des approvisionnements de Paris ; car, encore une fois, cette sûreté ne pourra jamais être garantie que par l’intérêt des fournisseurs, les moyens de payer des habitants, et la liberté de la circulation des“subsistances, qui est et doit être une loi constitutionnelle de l’Etat, dont la confédération n’a pour objet que de faire respecter toutes les propriétés et de pourvoir à tous les besoins en raison de leur urgence. Or, le degré d’urgence des besoins ne peut se manifester que par le prix qu’offrent les consommateurs. Ceux qui ont le plus de besoins payent le plus cher ; on ne peut ni les priver des secours qu’ils appellent, ni obliger les vendeurs de les donner à perte, pour fournir à des besoins moins pressants. C’est ainsi que les approvisionnements et les prix s’égalisent partout au grand avantage de l’humanité et avec équité pour tout le monde. Mais, si la liberté de la circulation peut seule 69S [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] assurer l'approvisionnement des grandes villes, il n’est pas inutile, pour son parfait établissement, après un long espace de troubles et;d’orages, que chacun soit convaincu de l’indispensable nécessité de cette liberté, et de l’impossibilité où seraient les villes de subsister par elles-mêmes et par leur territoire. Or, lorsque Paris n’aura pour territoire qu’une banlieue, il n’y a personne qui ne sente que cette ville doit tirer son approvisionnement des provinces, et qu’on ne pourrait lui refuser à cet égard toute la facilité nécessaire, sans démence, sans injustice, sans cruauté : toutes les forces du royaume concourront donc en ce cas à l’approvisionnement de Paris. Si, au contraire, Paris semblait commander à un département dont la ville serait le chef-lieu, et auquel cependant sa municipalité ne commanderait pas, les départements environnants pourraient croire ou feindre de croire que le département de Paris suffit pour fournir à cette ville tout ce qui peut être nécessaire à sa subsistance; et cependant un département de neuf lieues de rayon ou d’une lieue de rayon, une province, une banlieue, y sont également insuffisants. C’est à quoi Paris s’est exposé toutes les fois qu’il a demandé une sorte de préférence dans un arrondissement déterminé. Les arrondissements environnants sont devenus ennemis de Paris. Chaque ville a voulu avoir le sien ; la circulation a été obstruée; des cantons abondants ont manqué de débouchés pour leurs productions et ont été privés d’une partie de leurs revenus ; d’autres, qui manquaient déjà d’approvisionnements, sont tombés dans un dénûment plus gtrand encore ; et Paris lui-même, reconnaissant l’insuffisance de son arrondissement, a été obligé d’avoir recours à des approvisionnements faits en pays étranger, et cela au milieu d’une récolte abondante et dans un royaume fertile, mais où le système des arrondissements, devenu général de fait, malgré le droit naturel et politique, malgré les décrets de l’Assemblée nationale, malgré la sanction du Pioi, interceptait tous les approvisionnements. Cependant, quoiqu’un arrondissement de neuf lieues de rayon ou d’environ trois cents lieues de superficie soit aussi incapable de fournir à l’approvisionnement de Paris qu’une simple banlieue, il ne le paraît pas autant ; et l’on objec-rait à Paris comme une richesse un territoire de trois cents lieues, qui ne pourrait lui être presque d’aucun secours. C’est un principe, lorsqu’on veut approvisionner une grande ville, de commencer les achats au loin, afin de les ramener progressivement sur elle, et de faire participer à son abondance les provinces environnantes. L’institution des arrondissements est tout à fait contraire à ce principe. Au moment de la récolte, la ville, éblouie par les ressources faciles que lui présente son arrondissement, l’épuise ; et lorsqu’ensuite il faut qu’elle tire de plus loin, ce n’est pas sans alarme ni sans humeur que les villes de l’arrondissement, déjà dénuées de provisions, voient passer les grains destinés à la consommation de la ville principale. On multiplie donc les obstacles à la subsistance des villes par les arrondis-ments qu’on leur attribue. Si l’on voulait embrasser dans le département de Paris tous les lieux d’où cette ville tire les choses nécessaires à ses besoins, il y faudrait comprendre la Normandie, l’Auvergne, le Limousin, pour ses bœufs ; l’Orléanais, la Bourgogne, la Champagne et la Guyenne, pour ses vins ; la Provence et le Languedoc pour ses huiles; le Nivernais pour ses bois, etc., etc. Mais quel est le moyen de faire que toutes les provinces soient pour ainsi dire dans le département de Paris? C’est de n’y en mettre aucune ; c’est de les intéresser toutes, et d’intéresser l’opinion publique, qui se forme à Paris plus qu’ail-leurs, à faciliter partout l’échange et la communication des denrées; c’est de lever tous les obstacles qui s’opposent à la liberté du commerce. Quelques personnes ont cru qu’il serait nécessaire que les moulins qui servent à l’approvisionnement de Paris fussent placés dans le département dont cette ville serait le chef-lieu; leur erreur à cet égard vient de ce qu’elles ont confondu la propriété avec l’administration et l’administration municipale avec celle de département. La ville de Paris, comme toute autre corporation, peut être propriétaire de moulins et de magasins; sa municipalité peut régir ses magasins ; comme les représentants de toutes les corporations régissent, partout le royaume, leurs propriétés. Un grand nombre d’établissements publics à Paris, et un bien plus grand nombre de bourgeois de Paris, ont des propriétés hors de Paris; ils les administrent comme ils le jugent convenable, et toutes les lois du royaume sont faites, tous les pouvoirs sont établis pour leur en conserver, pour leur en garantir la liberté. Il n’y aurait aucune sûreté publique ni particulière, l’Etat serait renversé, la Constitution serait nulle si, après que celle-ci aura été complètement décrétée et sanctionnée, on pouvait empêcher un seul particulier de faire travailler ses moulins comme il lui conviendra, d’y porter des grains, d’en retirer la farine, à plus forte raison une ville, à plus forte raison la première ville du royaume. Si Paris achetait les moulins de Moissac, la puissance entière du Roi et de la nation devrait lui en garantir l’usage aussi assuré que celui des moulins de Corbeil ou des moulins de Montmartre qui peuvent lui appartenir. On ne peut supposer rien de contraire qu’en supposant l’abus de la force, la guerre civile, la dissolution de la société; mais dans ce cas comme dans l’autre, la distance de Pontoise ou de Corbeil à Paris ne serait ni augmentée ni diminuée ; soit que l’on eût compris ou non ces villes dans le département de Paris, les difficultés ou les facilités de la communication seraient exactement les mêmes. Ainsi, ou il y aura paix et bon ordre, et alors tout le royaume approvisionnera Paris avec d’autant plus de zèle que, ne lui sachant qu’une banlieue, tout le royaume sera convaincu que cette banlieue et Paris doivent être nourris par les provinces ; ou il y aura guerre, désordre, anéantissement de la monarchie, de la république, de tout, et alors il n’y aura plus de puissance qu’à la portée des armes, et la destruction de Paris par la disette deviendrait inévitable ; mais Dieu, la sagesse de l’Assemblée nationale, la bonté du Roi, la modération des Parisiens eux-mêmes, le respect qu’ils doivent au Corps législatif, au pouvoir exécutif, garantiront la patrie d’un tel malheur. § 111. Paris, capitale du royaume ou d'un département. Si Paris était compris dans un département, il ne serait considéré par les autres départements 694 [Assemhlée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789,] que comme une partie de province. Us ne se regarderaient pas comme ayant des relations avec Paris, mais seulement avec le département de Paris. Et en effet, jamais ils n’auraient avec la municipalité de Paris aucune correspondance directe; il ne pourraient en avoir qu’avec l’assemblée du département dans lequel la ville de Paris serait située ; car ce n’était pas le dérangement de la Constitution que quelques districts de Paris avaient demandé en sollicitant un département de neuf lieues de rayon; c’était la conformité de régime avec les autres villes. Il aurait donc fallu établira Paris, au-dessus de la municipalité, une assemblée de district, formée par les représentants de citoyens actifs compris dans Paris, et de ceux qui se seraient trouvés dans les villes et dans les villages qui auraient fait partie du district de Paris. Au-dessus de cette assemblée de district qui, dans toutes les matières d’administration, commande directement à la municipalité de Paris, il aurait fallu établir encoie l’assemblée de dépar-tament, formée des députés des citoyens actifs des huit districts environnants, et de ceux du district de Paris ; et nous avons vu dans le premier paragraphe que, par le simple usage de la liberté des élections dirigées par quelque mécontentement particulier, soit que ce mécontentement fût bien ou mal fondé, il aurait pu quelquefois arriver que, dans l’Assemblée nationale, il ne se trouvât aucun député direct de la ville de Paris. Si la municipalité de Paris avait donc eu quelque pétition à faire, elle aurait été tenue de s’adresser à l’assemblée du district dans lequel auraient été comprises la ville et la banlieue; cette assemblée de district, ou en aurait décidé, si la chose avait été de sa compétence, ou bien en aurait référé à l’assemblée de département, qui aurait prononcé si l’objet eût été de son ressort, ou qui en aurait référé elle-même à l’Assemblée nationale et au Roi. Gomme il faut en tout de l’ordre, et un ordre régulier et impartial, Paris n’aurait pu à cet égard avoir aucun droit de plus que le moindre village. Cette cascade d’autorités a paru ne pouvoir convenir à la ville de Paris, qui a toujours été regardée comme un département particulier, qui n’a jamais été comprise dans l’intendance où elle était enclavée, et qui même formait à elle seule un gouvernement. Il n’y a point de Parisien qui n’eût été affligé de l’état subalterne auquel il aurait fallu réduire cette grande ville; il n’y en a point qui ne doive applaudir aux citoyens qui se sont occupés des moyens de procurer à la ville de Paris une plus grande existence politique dans l’Etat. Cette existence politique sera la plus grande possible si la municipalité de Paris est honorée des fonctions d’une assemblée de département ; si elle peut correspondre directement avec les autres départements, avec l’Assemblée nationale et avec le Roi. Alors on saura que Paris, inférieur en territoire, mais supérieur en contributions et en population aux plus grandes provinces du royaume, vaut et pèse autant et plus qu’aucune de ces provinces. Alors la ville de Paris ne sera plus regardée comme une simple municipalité ; elle sera un des élémenfs principaux de l’organisation de l’Etat, et ce ne sera que de ce moment qu’elle deviendra véritablement capitale du royaume, non par une simple accumulation de maisons, mais par la constitution qui lui sera donnée. Nous examinerons dans le paragraphe suivant quelle doit être la forme que la dignité de département oblige de donner en effet à la constitution de Paris, afin qu’il n’y ait dans son sein aucuue autorité supérieure à celle de sa municipalité que celle de l’Assemblée nationale et celle du Roi. § IV. Comment organiser un département dans la ville de Paris et sa banlieue. La ville de Paris formant un département, il faut de toute nécessité qu’il présente les mêmes éléments que les autres, et qu’on ne puisse remarquer aucune dissemblance importante entre son organisation et la leur. Il faut donc qu’il s’y trouve des cantons où se tiennent des assemblées primaires, afin que les citoyens actifs y procèdent, en la même forme éta - blie'dans les autres cantons du royaume, aux élections pour lesquelles ils ont un droit direct. Il faut que dans ces cantons de Paris des juges de Paris remplissent les mêmes fonctions qui leur seront attribuées partout ailleurs. Ces cantons sont déjà formés : leur nombre, leur étendue ont paru proportionnés à celle de la ville. On est accoutumé à y tenir des assemblées primaires; ce sont les soixante districts actuellement subsistants (1). Us n’auraient à changer que de noms et de fonctions. Ils éliraient un nombre de juges de paix suffisant pour qu’à toute heure de jour et de nuit on pût en trouver un ou deux séant dans la salle commune du canton, aujourd’hui nommé district; la vigilance perpétuelle que demande la police d’une grande ville exige dans chaque canton cette séance permanente des juges cle paix , et les districts actuels de Paris en ont contracté l’habitude, On pourrait encore y conserver, par les mêmes raisons tenant à la multiplicité des détails, un comité composé d’un président, d’un vice-président et de quatre conseillers chargés des fonctions d’administration qui leur seraient déléguées, et notamment de l’inspection des hôtels garnis et autres maisons publiques, et de l’exécution des règlements relatifs à l’illumination et à la propreté des rues. Il faut que ces cantons soient divisés en sections, qu’ils soient à plusieurs égards une image des petites municipalités champêtres, et dans lesquelles un syndic et deux conseillers, assistés d’un greffier, et tous les quatre élus par les citoyens de leur section, fassent, comme le bureau municipal dans les paroisses de campagne, la répartition des impositions entre les contribuables, et veillent, sous les ordres du comité de leur canton, à tout ce qui concerne la propreté et la sûreté publiques. On diviserait la banlieue en douze cantons(2),où l’on tiendrait pareillement des assemblées primaires, et où l’on établirait le nombre déjugés de paix qui serait convenable. L’administration de ces cantons hors des murs et celle des municipalités qui s’y trouveraient comprises seraient en tout semblables à celle des can-(1) Ce que l’on dit ici du nombre des districts établis autrefois par un pouvoir arbitraire ne signifie point du tout que la ville ne puisse proposer à l’Assemblée nationale, et celle-ci combiner et décréter toute autre division qui semblerait plus convenable aux besoins des administrés. (Note de M. Dupont de Nemours.) (2) Il faut répéter que l’on ne parle toujours que par hypothèse sur le nombre des cantons, pour lequel on s’en rapporte entièrement aux lumières des citoyens de Paris et à la sagesse de l’Assemblée nationale (Note de M. Dupont de Nemours.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] QQ$ tons et des municipalités de tous les autres départements. La totalité de celui de Paris, ville et banlieue comprises, serait donc divisée en soixante-douze cantons, que l’on pourrait partager en huit districts, composés chacun de neuf cantons. Chacun de ces huit districts aurait, comme ceux des provinces, un directoire et un conseil. Le directoire remplirait précisément les mêmes fonctions que les directoires des districts provinciaux ; il répartirait les impositions entre les cantons et les sections de canton : il ferait entretenir, sous les ordres delà municipalité ou de l’assemblée de département, le pavé, les chemins de son district ; il inspecterait l’administration des établissements publics, collèges, hôpitaux, casernes, qui se trouveraient dans son district, d’après les instructions qu’il recevrait de la municipalité générale qui ferait les fonctions d’assemblée de département. On n’établirait point de tribunal dans les districts, parce que la seule raison qui ait porté l’Assemblée nationale à placer un tribunal dans chaque district des autres départements est le louable désir de rapprocher la justice des justiciables. Mais cette raison est inapplicable aux' districts du département de Paris, puisqu’il ne s’y trouvera pas un canton, ni pas une section de canton, qui ne soit à une distance très-rapprochce du Châtelet, lequel exercera les fonctions de tribunal de district sur tous ceux du département. Entin la municipalité, présidée par le maire, et formée pareillement d’un directoire et d’un conseil à la foi municipal pour la ville, et de département pour tous les districts, aurait l’administration générale, partagerait l’impôt entre les districts, recevrait et vérifierait les comptes de leurs directoires et de leurs conseils, leur intimerait les ordres qui lui seraient donnés par l 'Assemblée nationale et par le Roi, dirigerait les établissement publics qui seraient d’une utilité commune à tout le département, surveillerait tous les autres, exercerait la police générale, administrerait la rivière, convoquerait et présiderait les assemblées générales d’électeurs, remplirait toutes les mêmes fonctions que les assemblées de département des provinces. La grande municipalité de Paris, correspondant directement avec l’Assemblée nationale et avec le Roi, serait donc parfaitement organisée jusque dans ses moindres ramifications, et comme municipalité, et comme assemblée de département. Les cantons et les sections de canton de Paris seraient en quelque façon de petites municipalités, dont les officiers seraient revêtus par délégation d’une subdivision du pouvoir administratif. Les districts, formés de neuf cantons, seraient en tout semblables aux districts des provinces ; la ville de Paris garderait sans inconvénient la plus grande dignité dont elle soit susceptible; la constitution de son département serait complètement analogue à celle des autres départements, et aurait atteint le plus haut degré de perfection que l’on puisse donner à un département urbain. Il me semble que pour peu que l’on ait connaissance du coeur humain, ainsi que de la grande nécessité d’éviter dans l’administration tous les conflits d’autorité et la complication des ressorts inutiles, on jugera que cette constitution pour la ville de Paris et pour son département, formée d’elle-même et, au delà de ses murs, d’une simple banlieue, est incomparablement préférable à celle qui ne mettrait la municipalité de Paris qu’au troisième rang dans l’administration, et qui la soumettrait à l’assemblée de son district, qui serait soumise elle-même à une assemblée de département. J’offre à la fois ces idées à la commune de Paris et à l’Assemblée nationale, et je désire qu’elles y trouvent ce que je crois y voir, le moyen de concilier tous les droits, tous les intérêts, tous les besoins, et, ce qui est bien plus difficile, toutes les prétentions. L’Assemblée renvoie au comité de constitution le discours de M. Dupont, et adopte en ces termes le règlement proposé par M, l’évêque d’Autun : « L’Assemblée nationale, vu le projet de règlement qui lui a été présenté par les maires, lieutenants de maire, conseillers,assesseurs et administrateurs de la ville de Paris, et les observations faites par le comité de constitution ; considérant que la nature des circonstances exige impérieusement que l’action de la police soit rétablie, et qu’il est important de donner dès à présent un moyen provisoire d’activité à cette partie essentielle de l’ordre public, en attendant qu’elle puisse recevoir une organisation régulière, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Chaque comité de district remplira provisoirement dans son arrondissement, sous l’autorité du corps municipal, les fonctions de police ci-après désignées. «Art. 2. Les comités des districts veilleront, chacun dans son arrondissement, aux objets de police journalière, conformément aux ordres et instructions qui seront donnés par la municipalité. « Art. 3. Il y aura nuit et jour au comité au moins un des membres, qui sera spécialement chargé d’entendre et d’interroger les gens arrêtés pour faits de police, avec pouvoir de les faire relaxer après une simple réprimande, ou de les faire déposer dans les prisons de l’hôtel de la Force. Le secrétaire greffier, dont il va être parlé, enverra tous les matins les procès-verbaux qui auront été dressés au maire ou à son lieutenant, ayant le département de la police. « Art. 4. Un secrétaire greffier assistera le commissaire de service, et il sera par lui tenu un registre de tout ce qui se fera de relatif à l’exercice de la police. Ledit registre sera paraphé par le président du comité du district. « Art. 5. Les particuliers arrêtés, prévenus de vols ou d’autres crimes, seront conduits sur-le-champ et directement par les patrouilles devant un commissaire au Châtelet, avec les effets pouvant servir à charge ou décharge ; et, dans le cas où ces particuliers auraient été conduits d’abord aux comités des districts, ils seront renvoyés à l’instant devant un commissaire au Châtelet, à l’effet de commencer la procédure suivant les formes judiciaires. « Art. 6. Le commissaire au Châtelet qui aura interrogé les prévenus de vols ou autres crimes enverra, dans le jour, une expédition de son procès-verbal au maire ou au lieutenant de maire au département de la police. «Art. 7. Le lieutenant de maire au département de la police, ou l’un de ses conseillers administrateurs, visitera chaque jour les prisons de l’hôtel de la Force, interrogera les prisonniers arrêtés la veille et envoyés dans cette prison par les comités des dislricts ; seront à cette visite invités deux adjoints notables pris alternativement dans chaque district. «Art. 8. Le lieutenant de maire, ou le conseiller administrateur qui le remplacera, pourra mettre