Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 139 Ganges en Languedoc, avec adhésion des onze communautés qui forment son district; Des adresses du même genre des citoyens de toutes les classes de la ville Saint-Girons en Cou-serans; du comité permanent de la ville d’Auch ; du comité patriotique de la ville de Sainte-Mene-hould ; de la ville d’Aix en Provence, du corps ecclésiastique de la ville d’Ambert en Auvergne ; et de la ville même d’Ambert, capitale du Livra-dais, à laquelle se sont réunies diverses municipalités qui demandent avec elle un juge royal; D’une semblable adresse de la paroisse de Bize en Champagne. Les habitants de cette paroisse offrent à l’Assemblée et au Roi le prix de cent arpents de bois taillis, formant le quart de réserve de leurs bois communaux, pour être vendus sans frais, et le prix de cette adjudication versé directement par l’adjudicataire dans les coffres du Roi; D’une adresse de félicitations, remerciements et adhésion delà ville de l’Isle-en-Jourdain en Poitou, qui demande l’établissement d’un siège royal; D’une adresse exactement semblable de la ville d’Ardres en Auvergne ; d’une autre semblable de la part de la ville de Pile-Bouchard, contenant en outre quelques réclamations relatives aux impôts ; D’une autre du même genre de la ville de Pont-Croix en Bretagne; d’une adresse pareille de la ville de Tarare dans le Lyonnais, qui demande, outre l’établissement d’un siège royal, celui de six foires par année ; Des décrets et délibérations des électeurs des trois ordres, officiers municipaux et conseil de la ville d’Amiens ; du comité national et permanent de la ville d’Alençon ; de la ville de Mont-Louis en Roussillon, et du comité permanent de la ville de Saint-Agnan en Berry, relatifs à la circulation des grains, et aux moyens d’en empêcher l’exportation, et d’assurer le maintien du bon ordre à la perception des impôts ; D’une adresse de la ville de Peyrehorade et Igaas, sénéchaussée de Dax, par laquelle elle re nonce à tous ses privilèges, et supplie l’Assemblée d’autoriser sa municipalité tant à maintenir le bon ordre, qu’à faire exécuter les décrets du 4 - août ; d’une adresse des ordres réunis, députés, électeurs et membres du comité général de la ville de Caen en Normandie, par laquelle, à la suite d’une peinture effrayante des maux que lui cause l’anarchie, elle supplie l’Assemblée de s’occuper sans relâche de la Constitution, et particulièrement de l’organisation des assemblées provinciales et municipalités, des tribunaux et des _ milices nationales ; Enfin d’une lettre du sieur Bouillard d’Orgeval, électeur de Paris, commandant en chef la garde nationale de Guyenne dans laquelle il fait hommage à la nation de la finance de sa charge de président des traites de la ville de Brie-Comte-Robert. M. Malès, au nom du comité des rapports, *rend compte de l’affaire concernant la municipalité de Vernon-sur-Seine. La ville de Vernon était gouvernée par un maire et des échevins nommés par le Roi. Dans les derniers troubles, le maire et les échevins s’absentèrent tous, excepté un seul, qui s’associa différents particuliers pour former un conseil. Le premier acte de ce tribunal fut un acte de bienfaisance. Le second en fut la confirmation ; mais les communes n’y furent pas appelées. Cette convocation cause des murmures; le peuple s’assemble, et il s’établit un comité provisoire qui fait disparaître l’ancienne municipalité et l’ancienne milice bourgeoise pour en créer une nouvelle, et l’on s’empare de l’hôtel de ville. Le comité provisoire est opposé à l’ancienne municipalité. L’un et l’autre demandent réciproquement à l’Assemblée nationale sa destruction. Mais les choses n’en restent pas là. Le comité provisoire croit devoir s’attribuer le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif. Ce comité fait imprimer un placard qui est divisé eu deux chapitres : le premier chapitre ne contient aucune disposition extraordinaire, il est même sage. Le second est intitulé : Intérêt général . Il y est ordonné à tous les laboureurs de se rendre à l’hôtel de ville pour y déclarer la quantité de grains u’ils pourront fournir à la ville, sinon ils seront élarés accapareurs ; défense, sous peine d’être déclarés accapareurs, aux laboureurs de vendre chez eux et aux étrangers, et de conduire leurs grains hors de leur territoire. Il est ordonné aux laboureurs des environs de Vernon de faire battre et de fournir la halle, sous peine de 50 livres d’amende et de prison. En vertu de ce placard, deux curés ont été forcés par une garnison à envoyer leurs grains aux halles de Vernon; il y a eu des amendes, des décrets, des emprisonnements, comme objet du ressort de la haute police. Le comité des rapports présente le projet d’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale, persistant dans ses decrets du 10 août dernier, renvoie les constesta-tions survenues entre les habitants de Vernon au pouvoir exécutif, avec prière d’avoir égard au vœu général des habitants, qui ont tous manifesté de donner des appoints aux officiers qui seront employés, jusqu’à la nouvelle organisation des municipalités. « Déclare en outre prendre sous sa sauvegarde tous et un chacun des habitants de Vernon, et les met sous la protection de la loi. » Ce dernier article est relatif à une liste de proscription imprimée et affichée dans Vernon. On allait ouvrir la discussion sur cet arrêté, lorsque M. le président annonce l’arrivée de M. Necker. L’affaire de Vernon est renvoyée à la séance du soir, et M. Necker est introduit dans la salle au milieu des applaudissements. Il est reçu avec les honneurs accoutumés. M. Ifecker, ayant pris séance au milieu de la salle, en face de M. le président, a fait, au nom du Roi, le rapport suivant sur l'état annuel des finances (1) : Messieurs, les affaires de finances, dont on vous a entretenus plusieurs fois, soQt arrivées graduellement au dernier terme de l’embarras ; et vous ne vous en étonnerez point, si vous réfléchissez d’abord qu’au mois d’août de l’année dernière, elles paraissaient à un tel degré de trouble, qu'on se crut dans la nécessité de proposer à Sa Majesté les mesures les plus alarmantes, et que toute espèce de confiance fut arrêtée. Depuis cette époque, sont survenues toutes les difficultés qui naissent du soutien long et pénible d’un édifice chancelant; il s’y est joint, par extraordinaire, des besoins immenses de blés, qui ont occasionné ou des dépenses proportionnées à ces besoins, ou (1) Le rapport de M. Necker est incomplet au Moniteur. 140 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] l’emploi d’un crédit équivalent. Les achats faits par le gouvernement, réunis aux opérations du commerce, ont dérangé peut-être la balance avec l’étranger, de plus de 50 millions; ce qui n’a pu se faire sans une révolution dans les changes ; révolution qui influe sur la quantité du numéraire en circulation. Le public attendait avec impatience que l’Assemblée nationale s’occupât des finances; mais la marche nécessairement lente d’un Corps législatif très-nombreux, a tellement prolongé ses discussions, qu’après cinq mois révolus, les affaires essentielles de la finance ne sont point encore traitées. Il est résulté de ces retards et des divisions qui ont régné dans votre Assemblée, un discrédit qui s’est accru insensiblement, et chacun sait que des événements extraordinaires ont mis le comble à la défiance et au resserrement de l’argent. Nos troubles intérieurs ont éloigné de la France, et de la capitale en particulier, cette multitude de voyageurs qui attirent en France une somme d’argent considérable; et dans le même temps une émigration de Français d’une étendue effrayante, répand au dehors notre numéraire. Enfin, au sein du royaume, un grand nombre de citoyens regardant l’état des finances comme irrémédiable, et considérant l’avenir d’une manière sinistre, enferment soigneusement leur argent; et des capitaux immenses sont comme disparus du milieu de nous. J’avais eu un moment d’espérance, lorsque je vous proposai un premier emprunt national et patriotique, à 5 0/0 d’intérêt. Il n’est pas douteux qu’il eût été rempli en peu de jours, et cet empressement aurait ranimé pendant quelque temps les esprits; mais tel a été l’effet de ce qui s’est passé à cet égard, telle a été aussi l’impression donnée par des mouvements momentanés, tantôt à Paris, tantôt dans votre Assemblée, que l’on s’est intéressé lentement et faiblement dans votre second emprunt, quoique plus avantageux que le premier; et les étrangers surtout, de l’aveu de leurs correspondants, n’ont donné aucune commission. On devait avoir plus de confiance dans les ressources, la sagesse et la volonté de la plus grande des nations; mais n’étant qu’aux bords du précipice, il dépend encore de vous, Messieurs, de faire voir qu’on se trompe et de reprendre avec éclat les sentiments qui vous appartiennent. Mais, avant de développer ici vos moyens pour atteindre à ce but, je dois vous informer de la grandeur du mal, de son urgence, et du désordre prochain dont nous sommes menacés. Il fallait le produit de votre dernier emprunt; il fallait, vous le savez, Messieurs, 40 millions pour satisfaire aux besoins de ce mois et des premiers jours du suivant; il en fallait 60 de plus pour achever le service de l’année, sans augmenter le fonds destiné jusqu’à présent au payement des rentes sur l’hôtel de ville; il faudrait enfin une somme inconnue, si le dépérissement des revenus du Roi allait en augmentant. Vous savez, Messieurs, avec quelle instance j’ai sollicité de vous deux décrets que nous n’avons point encore, l’un pour protéger le recouvrement des droits sur les consommations, l’autre pour assurer le payement des impositions foncières. Cependant les alarmes s’accroissent chaque jour, le renouvellement des anticipations est presque entièrement arrêté, et il faut au contraire donner des secours à ceux qui, pour faire des avances au gouvernement, ont signé des billets qu'ils sont dans l’impuissance d’acquitter. Joignez à tous ces maux la disparition journalière de l’argent effectif, et une disparition telle que, même avec une grande richesse en papier, il deviendrait impossible de payer le prêt des troupes, et de satisfaire à la partie des dépenses qu’on est forcé d’acquitter en deniers comptants. . Cependant c’est de toutes les provinces frontières où le payement des impositions se trouve retardé ; c’est encore de Brest et de Toulon, pour les travaux des ports; c’est aussi de divers lieux où il faut acheter des grains et des bestiaux pour la subsistance de Paris et de Versailles; enfin c’est d’une quantité d’endroits, qu’au nom des plus grands périls on sollicite de l'argent comptant : et vous devez juger, Messieurs, combien ce nouvel embarras est mquiétaut, puisque j’ai proposé au Roi de m’autoriser à faire porter toute sa vaisselle plate à la monnaie; proposition que Sa Majesté a accueillie avec cet empressement, avec cet amour du bien qui la caractérise ; et la Reine, au moment où elle a eu connaissance de mes peines, m’a ordonné sur-le-champ de disposer pareillement de toute sa vaisselle; les ministres (lu Roi ont suivi ces exemples. Remarquez bien, Messieurs, que ce n’est pas pour procurer au Trésor royal 8 à 900,000 livres, que je me suis déterminé à proposer à Leurs Majestés une privation momentanée, mais parce qu’il est impossible de faire du numéraire effectif autrement qu’avec des métaux ; ainsi le vote d’un don gratuit de votre part, eût-il été de plusieurs millions, n’aurait pas rempli le même objet, puisqu’on aurait eu la faculté de le paver en papier et à différents termes. Enfiu, j’ai lieu d’espérer que l’exemple donné par le monarque encouragera les véritables amis de la chose publique, et l’on en fait déjà l’épreuve. La caisse d’escompte, liée au gouvernement par ses services, se ressent de l’impression de tant de malheurs, et ses fonds en numéraire effectif auraient été épuisés depuis longtemps, si par toutes les dispositions que la nature des circonstances peut autoriser, elle ne résistait pas à l’orage. Toutes les maisons de banque et de commerce, tous les hommes dans lesaffaires, éprouvent une gêne alarmante par le défaut absolu du numéraire, et par l’influence de l’embarras des finances. Enfin, la détresse du Trésor royal, la pénurie générale sont tellement visibles, qü’il n’est plus temps de dissimuler, et d’en imposer par de la contenance : ainsi, malgré la publicité inévitable de tout ce qu’on doit confier à une Assemblée nombreuse, malgré les vieilles règles, qui font du Trésor royal un antre mystérieux, le Roi a pensé, Messieurs, qu’il valait mieux tout dire, qu’il valait mieux découvrir, pendant qu’on ap-perçoit encore la possibilité du secours, la crise extrême où se trouvent les finances. Il y avait hier au matin au Trésor royal 12,800,000 livres, soit en billets de la caisse d’escompte, soit en argent comptant, soit en effets exigibles dans la semaine: cet état, au premier coup d’œil, est fort au-dessus de celui dans lequel j’ai trouvé le Trésor royal au mois d’août de l’année dernière; mais d’abord, treize mois mois d’intervalle remplis d’événements et de contrariétés inimaginables, ont épuisé toutes les ressources. D’ailleurs, d’ici à la fin du mois les besoins indispensables, c’est-à-dire, le prêt des troupes de terre, le prêt et le service de mer, le payement des intérêts acquittés au Trésor royal, en les circonscrivant dans le plus exact nécessaire, le payement des pensions encore plus limité, enfin, le secours qu’exigent plusieurs caisses et divers trésoriers habitués à servir le Roi de leur crédit, ces divers objets faisant uniquement partie des obligations forcées, ces divers objets, dis-je, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [-24 septembre 1789.] 141 se montent à 8 ou 9 millions ; ainsi il ne restera que 3 ou 4 millions pour commencer le mois prochain, et nous aurions besoin de 30 millions pour satisfaire à ses besoins, et de 70 à 80 pour répondre au service indispensable des trois derniers mois de cette année. Voilà, Messieurs, le triste récit de l’état des finances de France, dans un moment où il n'y a plus de crédit. C’est à regret que je donne publiquement cette instruction; mais je le fais à une époque où il n’est plus temps de se défendre, par le secret, des atteintes de l’opinion. J’ai l’âme déchirée d’avoir à présenter un pareil tableau de notre détresse. Ces temps où, au milieu d’une guerre dispendieuse, je pourvoyais, sans de grandes inquiétudes, à 150 millions de dépenses extraordinaires; ces temps plus récents où, à l’ap-prochedelaréunion des représentants de la nation, je me formais le spectacle des prospérités de ce royaume et de la renaissance de toutes ses forces; ces temps sont trop près de mon souvenir pour ne pas former dans ma pensée le contraste le plus affligeant avec les circonstances présentes. Ah ! que la prudence des hommes est un faible bouclier, que leur prévoyance est incertaine 1 II est un cours d’événements qui les entraîne, et c’est en vain que le nautooier jeté sur le rivage, se rappelle douloureusement le vaisseau qu’il a conduit longtemps avec sûreté au milieu des mers orageuses, mais dont il n’aperçoit plus que les malheureux débris, le jouet des vagues et de la tempête. C’est assez cependant, Messieurs, vous avoir entretenus de nos infortunes ; il faut se relever, il faut reprendre courage, il faut essayer de résister à tout, il faut faire tête à l’orage, et vous ressouvenir de ce que vous êtes et de tout ce que vous pouvez, aidés de la volonté d’un excellent Roi, aidés de son véritable dévouement au rétablissement de l’ordre et au bonheur général. Je crois devoir, Messieurs, diviser en trois parties l’examen des moyens qui peuvent écarter les maux dont nous sommes environnés, et rendre aux finances de l’Etat une nouvelle vie. Il faut établir un rapport certain entre les revenus et les dépenses fixes. Il faut trouver les secours qui sont nécessaires pour satisfaire aux besoins extraordinaires de cette année, et songer à l’avance à ceux de l’année prochaine. 11 faut enfin se tirer de l’angoisse alarmante du moment présent. Voilà l’exposé des trois parties que je dois traiter; elles ont entre elles un lien intime. Ce n’est que par la perspective d’un ordre stable à l’avenir, que l’on pourra consentir aux sacrifices nécessaires pour suffire aux besoins extraordinaires, ce n’est enfin qu’en remplissant ces deux vues, que par un effort particulier on parviendra peut-être à sortir de la situation sans exemple où nous nous trouvons pour le moment. PREMIÈRE PARTIE. Revenus et dépenses fixes. La situation n’est plus la même qu’à l’époque de l'ouverture des Etats généraux. L’ordre dans la perception des droits et des impositions était parfaitement établi; l’on n’en prévoyait pas l’interruption, et l’on pouvait prudemment compter parmi les ressources de l’Etat, les améliorations survenues dans le produit de ces droits et celles dont on était moralement certain. Une telle ressource n’a plus, dans l’état actuelle même degré de réalité puisque les recouvrements sont troublés, et qu’on est en doute sur la continuation de plusieurs de ces revenus.� Enfin, l’on ne peut plus, dans un temps de défiance, rassurer les esprits par des bonifications diverses, divisées en plusieurs articles, qui exigent toutes un examen attentif, et dont le public n’est pas à portée de juger d’un coup d’œil. C’est donc tout un autre compte qu’il faut présenter aujourd’hui pour rétablir la tranquillité. 11 est de plus nécessaire que vous-mêmes, Messieurs, sans être obligés à aucune recherche ni à aucune étude approfondie qui prolongeraient indéfiniment vos déterminations, vous puissiez adopter des bases d’améliorations dans les finances susceptibles d’être approuvées ou rejetées au milieu même de votre nombreuse Assemblée. Ce n’est pas, je suis bien loin de le penser, ce n’est pas qu’il faille négliger aucune bonification partielle, mais on peut les réserver, soit pour accroître le fonds d’une caisse d’amortissement, soit pour remplacer quelques droits onéreux, soit pour satisfaire à des accroissements de dépense que la suite de vos dispositions pourra rendre nécessaires. Je vous rappellerai d’abord, Messieurs, que le déficit, selon le compte qui vous a été présenté à l’ouverture de l’Assemblée nationale, se montait à environ 56 millions. Toutes les pièces justificatives de ce compte ont été remises aux députés qui composent le grand comité des finances, et je crois qu’ils sont en état de vous dire que s’ils n’ont pas tout examiné dans le plus grand détail, l’exactitude qu’ils ont aperçue jusqu’à présent, donne lieu de présumer que cet ouvrage a été fait avec beaucoup de soin et de régularité. Le chapitre des anticipations dans le compte des finances dont il est ici question comprenait en dépense environ 5 millions pour l’intérêt de 80 millions qu’on supposait nécessaires pour finir l’année ; mais comme le dernier emprunt, en y ajoutant le fonds destiné aux remboursements, a produit une nouvelle charge, pendant dix ans, de 10 millions, c’est environ 5 millions à ajouter au déficit de 56 millions, ce qui l’élève à 61. Le dernier emprunt, il est vrai, n’est pas rempli, mais il le sera successivement dans un temps donné ; ainsi il faut mettre en ligne de compte les intérêts et les remboursements auxquels il engagera, puisqu’il est question ici d’un état futur et permanent. Je passe sous silence quelques petites augmentations de dépenses et de revenus, afin de ne point détourner votre attention par des bagatelles. Yoici maintenant les ressources majeures qui pourraient balancer ce déficit, si vous jugiez à propos de les adopter. 1° Vous pourriez déterminer que les fonds destinés au département de la guerre, seraient diminués de 15 à 20 millions, en améliorant cependant le sort du soldat ; et vous demanderiez au Roi que les nouveaux plans fussent formés sur cette base. 2° Le Roi et la Reine sont disposés à n’avoir qu’une seule et même maison; et en ordonnant les retranchements les plus rigides, Leurs Majestés, guidées par le plus vif désir de contribuer au rétablissement de l’ordre, espèrent pouvoir réduire à 20 millions les dépenses comprises sous la dénomination générale de maison du Roi ; ce qui 142 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] produirait une nouvelle économie de 5 millions. 3° Les sommes fournies aux maisons des princes se montent à 8,240,000 livres, indépendamment du produit des apanages ; il ne m’appartient pas de déterminer le retranchement dont cet article serait susceptible. 4° En resserrant chaque article, le ministre des affaires étrangères proposera encore successivement une réduction d’un million sur le fonds très-modéré destiné à sou département. 5° Les pensions s’élèvent encore à près de 25 millions, nonobstant les dernières retenues : ce sera peu, selon votre opinion déjà connue, que de fixer ici à 5 ou 6 millions i’économie dont cette dépense serait susceptible ; mais ne voulant indiquer en ce moment que des réductions auxquelles on puisse avoir confiance, je ne crois pas devoir aller plus loin. Vous verrez que les petites pensions, celles qui méritent des égards à tant de titres, forment la grande masse. 6° La dépense des haras que vous êtes dans l'intention de supprimer, se monte à 800,000 livres. 7° Le Roi paye annuellement au clergé 2,500,000 livres pour augmenter le fonds de ses remboursements : ce supplément pourrait être retranché sans inconvénients. 8° Les extinctions viagères pendant le cours de l’année suivante pourraient au moins être mises ici en ligne de compte ; elles se monteront probablement à 1,500,000 livres. 9° Si l’on a recours à une taxe momentanée pour subvenir à l'embarras présent, et sauver entièrement les finances, il est probable qu’avec son produit on pourra diminuer les anticipations qui le sont déjà beaucoup aujourd’hui par la force du discrédit ; ainsi l’on doit raisonnablement s’attendre à une réduction sur cette partie de dépense, et je l’estimerai, quoique vaguement encore en ce moment, à près de 8 millions. 10° Vous pourriez convenir en dernier terme, qu’àprès avoir réuni ensemble, sous le nom d’impôt territorial , la taille et les vingtièmes, la somme totale existant aujourd’hui serait augmentée de 15 millions; et les contribuables trouveraient le dédommagement de cet accroissement par l’assujettissement à l’impôt territorial de toutes les personnes et de toutes les terres privilégiées, et par la cessation de tous les abonnements particuliers qui existent pour les vingtièmes. Enfin, si vous le préfériez, au lieu de l’accroissement positif sur l’impôt territorial dont je viens de parler, vous pourriez seulement déterminer qu’il serait pourvu dans chaque province, par une addition d’impôt, aux diverses remises, réductions et modérations que le Roi accorde sur la taille, les vingtièmes et la capitation, soit à la décharge effective des contribuables, soit pour être destinées à des travaux de charité et à diverses dépenses particulières à chaque province. Ces différents objets forment précisément, dans le compte général des dépenses, une somme de 15 millions, savoir : 7,120,000 livres, pour remises en moins imposé sur la recette des pays d’élections et des pays conquis ; décharges et modérations sur les vingtièmes et la capitation, remises aux pays d’Etats, etc.; 1,896,000 livres, pour travaux de charité ; 1,144,000 livres, pour destruction du vagabondage et de la mendicité ; 4,500,000 livres, dépensées dans les provinces, dont l’objet varie tous les ans, et qui se renouvellent de différentes manières. Il ne serait pas difficile à chaque province de faire quelque économie sur ces divers objets ; on pourrait encore laisser à leur profit ce qu’elles parviendraient à épargner sur les frais de recouvrement; et en leur confiant la surveillance sur l’administration et la vente deq bois, on pourrait les mettre de part dans les augmentations de produit; et tous ces articles réunis à ceux que j’ai déjà indiqués, savoir, l’assujettissement à l’impôt de toutes les personnes et de toutes les terres privilégiées, ainsi que la cessation des abonnements, balanceraient à coup sûr les 15 millions qui seraient procurés à l’Etat, soit en accroissement de revenu, soit en diminution de dépense. La juste répartition de l’imposition des vingtièmes eût produit bien au delà d’une telle somme ; mais cette ressource serait éteinte par la conversion générale de cette impôt et de celui de la taille, dans une seule contribution territoriale dont la somme serait fixe. RÉCAPITULATION. Les dix articles bien simples que je viens d’indiquer se monteraient à une somme à peu près égale au déficit de 61 millions. il suffirait donc, Messieurs, que ces dix articles préliminaires fussent constatés, de concert entre le Roi et vous, Messieurs, pour assurer la confiance. Je vais maintenant vous donner l’indice de quelques autres bonifications, dont l’examen et la fixation exigeraient plus de temps, mais qui pourraient être appliquées par vous, Messieurs, à tel usage qui vous paraîtrait le plus convenable. 1° Je mettrai en première ligne la part que vous jugeriez à propos d’assigner à l’Etat, sur le produit des dîmes ou de l’impôt qui serait destiné à les remplacer. La réponse du Roi, sur vos arretés du 4 août, contient toutes les observations dont ce sujet est susceptible. 2° Une réduction sur le traitement des ministres et sur les appointements des personnes attachées d’une manière quelconque à i’administra-liou ; 3° J’avais estimé, dans mou discours à l’ouverture de votre Assemblée, que par la diminution des traitements attribués aux divers fermiers, administrateurs et régisseurs des droits sur les consommations, par l’accroissement des produits, depuis l’époque des derniers baux ou traités passés avec eux. et par l’augmentation probable de ces droits dans l’espace d’un ou deux ans, on pourrait raisonnablement compter sur une amélioration de revenu d’environ 24 millions. Il est survenu de grands changements depuis l’époque de votre Assemblée. Le recouvrement de tous les droits sur le sel, le tabac, et d’autres objets de consommation, ainsi que le recouvrement des droits perçus aux entrées de Paris et aux frontières du royaume, sont soumis en ce moment à des contrariétés et des diminutions qui ne permettraient pas de former raisonnablement aucune spéculation sur le produit de ces revenus ; mais les économies projetées sur les frais de perception pourront sub* sister, et l’on doit compter pareillement, lors du retour de la tranquillité publique, sur le progrès 143 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] successif des droits sur les consommations dont vous désirerez la continuation. 4° La rentrée dans les domaines engagés, ou la redevance annuelle à laquelle on pourrait les assujettir, présente encore une ressource digne d’attention. Je supprime l’énumération de plusieurs articles d’économie, indiqués déjà dans mon discours à l’ouverture de votre Assemblée. Une recherche scrupuleuse en ferait peut-être découvrir encore quelques autres, mais un calcul précis n'est pas nécessaire en ce moment, puisque les nouveaux objets que j’ai désignés, je ne les offre qu’en perspective. J’écarte ici tout ce qui serait susceptible de discussion, parce que rien d’incertain ne peut foncier le crédit à une époque où l’on ne veut plus attendre pour savoir à quoi s’en tenir sur la fortune publique ; mais ce sont autant de moyens qui serviraient ou à remplacer la diminution actuelle du produit de la gabelle, ou à faciliter les divers projets d’amortissement ou d’ordre public que vous aurez en vue. Je ne compte point, par ce motif, au nombre des ressources applicables au déficit, aucun droit sur le luxe ou sur le timbre ; vous aurez besoin de ces moyens nouveaux pour remplacer les droits dont vous aurez définitivement arrêté la suppression. Ajoutez, Messieurs, à l’exposition que je viens de vous faire, une considération très importante : c’est qu’il y a dans les charges annuelles de l’Etat 105 millions de rentes viagères, dont l’extinction successive offre une ressource graduelle de la plus grande conséquence. Oui ne reprendrait l’espérance, en voyant tous les moyens dont je viens de présenter le fidèle tableau. A coup sûr il dépend de vous, Messieurs, de prendre, en peu de temps, des délibérations propres à rassurer parfaitement sur l’ordre permanent des finances, et véritablement vous ne pouvez plus différer. Je ne vous propose, Messieurs, pour remettre de l’ordre dans les finances, aucune grande subversion, aucune idée systématique, aucune de ces imaginations auxquelles on donne le nom de génie : tout doit être simple en ce genre, tout doit être au moins successif, surtout dans un moment où la confiance, ce lien si nécessaire entre le présent et l’avenir, nous refuse son assistance. SECONDE PARTIE. Besoins extraordinaires. La confiance une fois assurée par les premières bases que je viens d’indiquer, il faut en même temps trouver des ressources suffisantes pour se libérer de l’embarras présent, et pour satisfaire aux besoins extraordinaires de cette année et de l’année prochaine. Il faut environ 80 millions pour cette année, sans augmenter les fonds destinés aux rentes de J’hôtel de ville, et il serait de la plus grande et de la plus parfaite justice, qu’au 31 décembre le payement des six derniers mois de 1788, celui qui s’exécute actuellement, fût entièrement achevé. C’est assez, comme j’ai déjà eu occasion de le faire observer dans mou discours à l’ouverture de votre Assemblée, c’est assez d’avoir imposé sur les rentiers le retard d’un semestre. Ainsi, pour ne pas aller plus loin, et pour liquider dans l’année prochaine quelques dettes exigibles, enfin pour suppléer à de nouveaux besoins de blés et pour d’autres objets nécessaires, il faudrait, indépendamment de la partie de l’emprunt qui n’est pas encore remplie, indépendamment encore du renouvellement des anticipations entièrement arrêté dans ce moment ; il faudrait, dis-je, très-probablement un nouveau secours extraordinaire de 80 millions dans le cours de l’année prochaine, lesquels joints aux 70 ou 80 nécessaires pour cette année, élèveraient à environ 160 millions la somme qu’exigerait une liquidation complète. Il faut renoncer dans ce moment à toute espèce d’emprunt; tout essai nouveau, même à un haut intérêt, ne réussirait pas ; ce serait harceler inutilement et maladroitement la confiance, que de vouloir l’entreprendre. Il est donc nécessaire de recourir à un autre moyen, et le vœu public vous l’indique: ce vœu, manifesté de toutes manières , et auquel vous avez déjà donné un assentiment général , consisterait dans une contribution forte, demandée pour une seule fois à tous les habitants du royaume. On s’y prêtera, je le crois, avec beaucoup de bonne volonté, si ce sacrifice paraît le dernier terme des dispositions que vous aurez adoptées pour assurer invariablement l’ordre et l’équilibre dans les finances. On a proposé que cette contribution momentanée fut relative au capital de chaque citoyen. Je la croirais plus simple et plus convenable si elle était proportionnée au revenu. L’évaluation que chacun ferait de son propre capital, prêterait trop à l’arbitraire, et l’on pourrait, sans blesser sa conscience, l’évaluer avec soi-même fort au-dessous de sa valeur ; car on peut estimer avec beaucoup de liberté une terre sans acheteurs, des effets royaux en discrédit et plusieurs autres sortes de biens. Il est de plus un grand nombre de citoyens qui, sans capitaux ou avec un capital médiocre, ont un revenu considérable ; tels sont ceux qui, adonnés au commerce, aux affaires de banque et de finance, aux arts, aux professions utiles, aux places d’administration et à beaucoup d’autres occupations, doivent à leurs talents et à leur industrie un revenu absolument étranger à leur capital ; et tels sont encore les fermiers de toute espèce ; enfin les rentes viagères ne payeraient pas une juste part au besoin général, si leur capital servait uniquement de mesure à leur contribution, et tous les bénéficiers, tous les usufruitiers seraient encore embarrassés dans leurs calculs. Je penserais donc qu’il serait préférable de demander une contribution extraordinaire en raison du revenu annuel , et qu’elle pourrait être portée au quart de ce revenu libre de toute charge, de tout impôt et de toute rente. Une telle contribution pour ceux qui ont leur argent placé à 5 0/0 dans les effets royaux ou dans les divers immeubles fictifs, reviendrait à 1 et 1/4 0/0 de leur capital; elle ne reviendrait qu’à 3/4 0/0 pareillement du capital, pour les propriétaires des biens dont le revenu n’est que de 3 0/0. Ainsi , en supposant une même règle pour tout le monde, le propriétaire de terres se trouverait traité comme le rentier, si la contribution ôtait proportionnée au capital, et il serait au contraire favorisé, si cette contribution était relative au revenu; mais un tel égard vous paraîtra, je crois, raisonnable. Je n’entrerai pas en ce moment dans le détail des formes qu’il faudrait prescrire pour la levée de cette taxe extraordinaire ; ce serait trop m’écarter du sujet principal. 144 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] Je De vois qu’une difficulté importante. ] Elle concerne le genre de déclaration qu’il fau-i drait exiger de toutes les personnes assujetties à j une taxe qui serait relative aux revenus particuliers de chaque contribuable. Le serment est sans doute le lien le plus fort ; mais dans une transaction qui n’aura lieu qu’uoe seule fois, dans une transaction à laquelle la majeure partie des habitants du royaume seront appelés à participer, est-il convenable de les mettre tous, et sans exception, aux prises avec leur conscience? Est-il convenable de les exposer à manquer de respect envers l’Etre suprême, et de des dégager ainsi, peut-être pour toute leur vie, les liens qu’ils auront une fois rompus? Le serment ne doit être employé que pour fortifier les obligations attachées à des fonctions nécessaires; mais quand un serment doit être imposé à tous les habitants d’un royaume, quand leur fidélité est visiblement en contraste avec leur intérêt; enfin, quand ce serment n’a pour but qu’une disposition momentanée et purement pécuniaire, vous ne serez point surpris, Messieurs, de la répugnance du Roi pour une telle condition; et malgré les exemples qu’on met en avant, Sa Majesté désire que votre attention se fixe particulièrement sur ces observations. La formule suivante : Je déclare avec vérité que ..... serait peut-être suffisante; et c’est un bel hommage à rendre à une nation, que de ne lui demander rien de plus. Je suis persuadé que beaucoup de citoyens donneront plus que la proportion indiquée dans ce mémoire ; car on a beau calomnier le cœur humain : il reste encore, au milieu des erreurs qu’on nous reproche, uu grand sentiment de patriotisme chez plusieurs personnes; d'ailleurs, chacun tient de quelque manière au rétablissement de l’ordre, et ceux qui, par la nature de leur fortune, s’y croient étrangers, ne montrent que la limite de leurs vues. Que penseriez-vous encore, Messieurs, si au lieu de demander un sacrifice purement gratuit du quart du revenu, ou de telle autre quotité, on enregistrait dans chaque paroisse, sur un livre public, les sommes données par chaque citoyen, et qu’on les constituât créanciers de l’Etat de ces mêmes sommes, pour être remboursées successivement, à commencer de l’époque où l’intérêt de l’argent serait baissé généralement à 4 0/0 ? Chacun se trouverait associé de cette manière à ce retour complet de la prospérité publique, après y avoir contribué, dès ce moment, par un premier sacrifice qui aurait sauvé l’Etat d’un grand danger. II faudra aussi déterminer quelle est la modicité de revenus qui doit exempter de contribuer à la taxe extraordinaire ; mais, dans une affaire patriotique, peut-être que par un sentiment d’égard pour tous les citoyens, il ne faudrait exclure personne de fournir un petit sacrifice; maison déterminerait seulement l’état ou la mesure de revenus qui rendrait cet acte absolument libre. En général, aucune rigueur ne devrait être employée envers personne ; l’aiguillon doit être le patriotisme, elle surveillant sa propre honnêteté. La vaisselle, les bijoux d’or et d’argent et le numéraire sans action, le numéraire thésaurisé au grand préjudice de l’Etat, échappant à la taxe établie sur les revenus; ne vous paraîtrait-il pas convenable, du moment qu’on se contente de la déclaration des propriétaires, et qu’on n’y joint aucune inquisition, ne vous paraîtrait-il pas convenable d’imposer ces sortes de richesses à un sacrifice unique et passager de 2 ou 3 0/0 du capital? Cette contribution aurait l’avantage particulier de concourir à ramener dans la circulation des richesses oisives. Le payement de ces diverses taxes pourrait avoir lieu à différentes époques, dans l’espace de quinze, dix-huit mois ou davantage, en permettant à ceux qui le désireraient, d’acquitter le tout à la fois, ou d’en avancer les termes, moyennant la bonification qui leur serait faite d’un escompte raisonnable. Ce qui déplaît le plus dans un impôt proportionné à sa fortune, c’est une crainte de la faire connaître ; mais comme chacun devrait être encouragé par votre décret, à donner plus que cette proportion si sa situation le lui permettait, tous ceux dont le sacrifice excéderait, dans une mesure quelconque, la taxe déterminée, pourraient, en l’annonçant vaguement-dans leur déclaration, voiler de cette manière le rapport de leur contribution avec leur revenu. Je considérerais comme une facilité générale et nécessaire, de permettre à tout le monde indistinctement d’acquitter sa taxe en vaisselle ou en bijoux d’or et d’argent, reçus à un prix favorable pour les contribuables. La femme d’un simple paysan donnera, s'il le faut, son anneau ou sa croix d’or ; elle n’en sera pas moins heureuse, et il lui sera permis d’en être fière. On demandera peut-être quel serait le produit vraisemblable des contributions dont on vient de vous entretenir. Il est impossible de s’en faire une juste idée ; mais je crois qu’on se livre à beaucoup d’exagération à cet égard. Elle serait toutefois assez importante pour que vous dussiez nommer des commissaires qui, de concert avec le ministre des finances, veilleraient sur la rentrée de ces contributions, et sur l’emploi qui en serait fait conformément à vos dispositions. Au reste, quoique dans l’indication d’une taxe extraordinaire relative aux circonstances présentes, je donne simplement une forme aux propositions qui ont été signées de toutes parts dans la capitale, il n’est pas moins douloureux pour moi d’avoir à mettre en avant une idée momentanément à charge à la nation ; toute mon administration passée prouve assez ce qu’il m’en coûte, et je range l’obligation où je me trouve en cet instant, au nombre des grands sacrifices auxquels je me suis exposé en revenant prendre le timon des affaires de finance ; et cependant je ne puis pas dire que pour mon bonheur j’eusse fait mieux en passant le reste de mes jours dans l’éloignement et dans la retraite, puisqu’un seul des maux de la France que j’eusse présumé, que j’eusse imaginé d’avoir eu le pouvoir ou l’occasion d’adoucir, aurait troublé le repos de ma vie : il faut donc se soumettre avec résignation à sa destinée. TROISIÈME PARTIE. Le moment présent. Si vous ne perdez pas un instant, Messieurs, pour décréter la contribution extraordinaire qu’on vient d’indiquer, et si ce décret est accompagné d’une délibération propre à inspirer une pleine contiance dans le rétablissement général de l’ordre , on pourra considérer la taxe extraordinaire comme le dernier sacrifice, comme le complément de tout; et il y aura, je crois, de l’empressement à la payer; cet empressement donnera des secours prochains, et surtout il influera d’une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 445 manière universelle sur la circulation. Il faut ce-| pendant quelque chose de plus pour le moment, a lin de réunir toutes ses ressources contre un mal imminent, et qui nous serre de si près. C’est dans une pareille vue que Je Roi a autorisé les directeurs des monnaies à recevoir, de la part de ceux qui voudront suivre l’exemple de Sa Majesté, la vaisselle et les bijoux d’or et d’argent, en échange desquels il leur sera délivré des récépissés; et l’époque du remboursement de ces récépissés, l’intérêt à payer en attendant, ainsi que la fixation du prix de la vaisselle, sont des dispositions réservées par le Roi à votre délibération ; et je vous proposerais que l’on put donner 55 francs de la vaisselle contre des récépissés remboursables à six mois de date, sans intérêt , ou 58 francs, si l’on remettait ces récépissés dans l’emprunt national de 80 millions , à condition néanmoins qu’en payant la mise de cette manière, on ne jouirait pas de la faculté d’en fournir la moitié en effets royaux. U n’est pas douteux qu’en portant aujourd’hui sa vaisselle à la Monnaie, on rendra un grand et véritable service à la chose publique , puisque la rareté extrême et sans égale du numéraire effectif nous met dans le plus-pénible embarras. Nous avons, par cette raison, un grand intérêt à ménager la Caisse d’escompte, qui, au milieu des difficultés générales, fait pour nous tout ce qu’elle peut raisonnablement ; et ses services dont nous ne pouvons pas nous passer en ce moment seront plus décisifs si vous approuvez , si vous encouragez son zèle. Il faut surtout, Messieurs, vous garder de mal juger de ses administrateurs sans les entendre; ils ne demandent pas mieux que de mettre leur conduite au grand jour. Vous verrez qu’en cédant quelquefois aux circonstances, pour donner à la finance des secours indispensables, ils n’ont jamais perdu de vue leurs devoirs particuliers d’administrateurs; mais, dans les grandes révolutions amenées par le trouble et le discrédit, toutes les caisses publiques ont un intérêt qui les unit ensemble, et elles se ressentent en même temps de l’empire des circonstances. La Caisse d’escompte cependant, ayant reçu à des époques différentes un échec daus l’opinion par le contre-coup du discrédit général, il y aurait peut-être de la convenance à lui proposer de se fondre et se transformer par quelque coalition dans un établissement nouveau, sous le titre de Banque nationale, et de former ainsi l’une des portions intégrantes d’un grand établissement, auquel vous donneriez, Messieurs, une approbation immédiate et décisive; mais une condition indispensable de tout établissement de ce genre, c’est de réunir une somme de numéraire effectif, suffisante pour assurer à tout moment l’échange des billets circulants contre de l’argent comptant. Ce qui se passe aujourd’hui à l’égard des billets de la Caisse d’escompte, est une suite de la crise actuelle et des temps précédents; et il serait im politique et déraisonnable de vouloir, dans ce moment, la ramener par force à une marche différente. Enfin, Messieurs, et pour l’instant présent, et pour toute l’année, et pour tous les temps, ce qui devient chaque jour, chaque moment plus indispensable, c’est que vous rendiez les deux décrets que je sollicite de vous avec tant d’instances : l’un pour prêter de la force au recouvrement des droits sur les consommations, et l’on m’a dit que vous veniez de le déterminer ; l’autre, plus pressant encore, pour soutenir de même le recouvrement des impositions foncières, en expliquant lre Série, T. IX. ceux de vos décrets qui sont mal interprétés par les contribuables, et qui les engagent en plusieurs lieux à refuser le payement de la taille, des vingtièmes et de là' capitation. Je me réfère à tout ce qui vous a été représenté à cet égard par les douze membre� du comité que Vous avez nommés pour conférer avec moi, et qui sont informés dans les détails de la nécessité absolue de ces deux décrets. Rien n’ira , .Messieurs , rien ne pourra s’améliorer, si le payement des impositions est interrompu, si les recouvrements ne sont pas protégés par là publicité de vos intentions et par l’êxpressioh forte de votre volonté, si les recouvrements n’ont pas l’appui des lois, si les lois ne sont pas soutenues par le pouvoir exécutif, et si ce pouvoir éprouve des résistances au-dessus de ses forces. Il arriverait alors que les subsides et les ressources extraordinaires ne serviraient qu’à rémplir le vide occasionné paê la diminution des recettes, au lieü de contribuer efficacement au rétablissement de l’ordre. Mon courage, mes forces s’épuisent à représenter ces importantes vérités ;1 ët je ne puis voir sans une mortelle peine que les meilleurs amis de la liberté publique compromettent le succès de la plus noble entreprise, en ne s’occupant pas assez de la gravité des circonstances actuelles; comme s’ils pouvaient détacher l’avenir du présent, comme s’il suffisait d’appliquer toute là puissance de leur esprit à former un édifice nouvéàu, et (qu’il ne fallût pas en même temps examiner si la maison qu’on habile encore, n’est pas prête à tomber en ruines et à nous ensevelir sous ses débris! Pardonnez, Messieurs, si je vous parle ainsi : il n’est rien sans doute de si imposant que le respect dû à une Assemblée telle que la vôtre ; mais il y a peut-être quelque chose de plus grand encore : c’est l’indépendance et la dignité d’un seul homme auimé par la seule idée de ses devoirs, et fièrement soutenu par la pureté de ses intentions et l’approbation de sa conscience ; vous ne vous blesserez point d’un pareil sentiment, puisque chacun de Vous, Messieurs, peut également y prétendre. Je vous demande, Messieurs , au nom du Roi, je vous sollicite au nom du vœu général de la nation, je vous conjure au nom de la tranquillité publique, au nom du salut de cet empire , de suspendre toute espèce de discussion , pour vous livrer sans interruption aux délibérations nécessaires, instantes, indispensables, qu’exige la circonstance présente. Il n’y a pas un moment à perdre pour calmer les esprits sur la situation des affaires, et je récapitulerai ici que pour y parvenir, pour sauver le vaisseau du naufrage, il est à désirer : 1° Que vous délibériez sur le vœu presque général d’une contribution passagère, capable, par son importance , de subvenir à l’étendue des besoins extraordinaires de l’Etat; 2° Que pour favoriser le succès de cette disposition, vous adoptiez quelques vues principales , propres à convaincre que l’équilibre entre les revenus et les dépenses fixes sera sûrement établi , et qu’on ne doit conserver aucun doute sur l’existence prochaine d’un ordre à jamais durable; 3° Que vous approuviez, et l’échange contre des récépissés à terme, et l’admisssion dans l’emprunt, de la vaisselle d’argent à un prix déterminé, ou que vous laissiez à l’administration des financés toute liberté à cet égard ; 4° Que vous autorisiez" la Caisse d’escompte à nous aider de tout son pouvoir, sauf à discuter les idées propres à convertir, avec la convenance 10 -j 4g �Assemblée nationale.] ARCHIVES Pi* et le gré des intéressés, cet utile établissement en un plus utile encore, sous le nom de Banque nationale ; 5° Que vous rendiez sans délai les décrets nécessaires pour arrêter, par tous les moyens en votre pouvoir, le dépérissement des revenus, et que vous examiniez avec soin les circonstances qui s’opposent à l’action des lois et à l’exercice du pouvoir exécutif, afin d’y porter de toutes vos forces le remède le .plus immédiat. Voilà, Messieurs; entre beaucoup de dispositions intéressantes pour les finances, celles qui sont les plus importantes ; et il me semble qu’après vous en être occupés efficacement, vous pourriez revenir à vos autres discussions importantes avec plus de repos et de sécurité. Vos travaux sur la Constitution sont avancés, et tout semble déjà préparé pour assurer à la nation les dispositions qui forment l’objet de ses vœux; vous ne pouvez plus craindre de vous écarter de l’esprit de vos instructions, en vous occupant efficacement des moyens propres à fonder la confiance sur des bases durables, et en déterminant la mesure et le genre des secours qui seront nécessaires au réta-. blissement de l’ordre. D’ailleurs, est-il besoin de le dire? sont-ce des considérations personnelles ou particulières qui engagent le Roi à vous solliciter d’adopter sans retard les dispositions auxquelles il vous invite ; et la nation qui vous a choisis pour représentants n’a-t-elle pas l’intérêt le plus éminent à prévenir le désordre et la subversion des fortunes? Qui peut en prévoir les effets, qui peut en calculer les suites? Examinez-les au dedans du royaume, considérez-les au dehors ; voyez leurs rapports immenses avec tout, avec la tranquillité publique , avec les subsistances, avec le bonheur, avec la force, avec les diverses circonstances générales et particulières auxquelles l’argent aboutit, et vous me dispenserez, sans doute, de vous faire le triste et déplorable tableau des malheurs qui seraient inévitables, si par des mesures grandes et vigoureuses vous ne veniez pas nous prêter secours, si vous ne veniez pas soutenir ce rocher chancelant, dont le Roi seul, depuis si longtemps, retient et suspend la chute, mais dont l’inclinaison journalière touche à son dernier terme et nous menace tous. Certes, Messieurs, c’est enfin votre affaire et votre grande affaire ; ce n’est pas, je ne puis trop le dire, ce n’est pas sur des décombres et au milieu des clameurs de tous les citoyens, que vous éleverez solidement l’édifice de notre bonheur : la vie est trop courte, les pensées des hommes sont trop circonscrites pour qu’on puisse leur offrir, en dédommagement de leurs maux, la satisfaction incertaine des générations suivantes. Il faut donc unir tout ensemble, l’avenir et le présent , les spéculations et les réalités , la libéralité des principes et la justice pratique et positive, le ménagement des espérances et la garantie de ce qu’on possède, enfin l’estime de la liberté, et le soin continuel de l’ordre public. Je dois mettre au rang des dispositions importantes pour le crédit, la recherche instante et la détermination des moyens propres à mettre une fin à toutes ces terreurs, qui chaque jour éloignent de la France un nombre étonnant de citoyens; émigration qui diminue notre numéraire, et qui fera bientôt de la capitale du royaume un lieu de réunion d’ouvriers sans salaires, et d'hommes industrieux sans occupation. Je me suis réservé de finir par une observation importante : il me semble que vous devez être offensés pour l’honneur de la France, qu’après LEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] avoir fait, il y a si peu de temps, une déclaration authentique de la protection que vous accordiez .aux créanciers de l’Etat, et de la résolution où vous étiez de ne soumettre jamais à aucune retenue le payement des intérêts, le crédit n’ait pris aucun accroissement, et se soit même affaibli davantage. Vous ne devez pas supporter plus longtemps que de si justes et de si généreuses intentions m aient pas Fascendant qu’elles méritent. C’est vous-, Messieurs, c’est vous les représentants de la plus grande nation, qui vous êtes expliqués; il faut enfin qu’on vous croie,: mais pour procurer à vos paroles, le respect qui leur appartient, il faut, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le représenter avec force, il faut que ces promesses soient accompagnées de délibérations et de dispositions propres à démontrer réellement et positivement, que par vos soins l’équilibre entre les revenus et les dépenses sera rétabli ; il ne faut pas qu’on entende parler sans cesse d’abolitions ou de diminutions de droits, d’accroissements, de remboursements , de dédommagements nécessaires, et que l’indemnité de ces sacrifices, la balance de ces pertes soient assignées sur des idées générales, sur des ressources vagues, sur le produit confus d’impositions ou d’améliorations dont la mesure et la possibilité restent inconnues. Vous n’empêcherez jamais que l’inquiétude de tous les citoyens sur leur argent, sur leurs revenus, sur leur fortune, n’environne vos travaux, et ne vous suive pas à pas. Répandez donc une tranquillité devenue si pressante et si nécessaire. Ah ! qu’il vous sera beau de relever par un grand effort la-confiance abattue, de garantir l’Etat d’un désordre qui paraît inévitable à tous les yeux, et de rendre à la France cette vigueur intérieure dont on commence à perdre l’espérance, et cette considération politique au dehors, seule capable de la préserver des dangers qui, au milieu de nos fortes distractions, ne sont pas même comptés ; de dangers néanmoins qu'en tous les temps on doit placer au rang des événements possibles, et dans le nombre des motifs qui doivent obliger à s’occuper sérieusement du rétablissement du crédit et de la restauration de l’ordre dans les finances. Vous réunissez, Messieurs, les moyens nécessaires pour remplir ces différents buts, et pour répondre aux besoins de l’Etat : les craintes, les espérances se dirigent vers vous, elles semblent vous environner et comme vous presser de toutes parts; et je n’en doute point, prenant en main les intérêts éminents qui sont en péril , étendant votre sauvegarde sur les fortunes et sur l’honneur national, vous ajouterez cette gloire à celle que vous promettent vos utiles travaux, à celle dont peuvent se flatter, à si juste titre, les généreux citoyens qui, secondant les vues du meilleur des Rois, assureront sur la même base le bonheur des peuples et la liberté publique. M. le Président répond Monsieur, je présenterai à la délibération de l’Assemblée le rapport que vous lui faites de la part du Roi. Quel que soit le malheur des circonstances, la confiance des Français peut encore s’appuyer sur des bases solides : l’Assemblée nationale, Le Roi et , j’ose le dire , le ministre qui a bien mérité de l’un et de l’autre. On demande le dépôt du rapport. Le ministre, en se retirant, promet d’en faire remettre iucessamment copie. Divers orateurs demandent la . parole sur le rapport.