SÉANCE DU 2 BRUMAIRE AN III (23 OCTOBRE 1794) - N08 47-49 387 l’armée qui justifiaient son innocence et sa conduite. Vous avez vu avec quelle audace il l’a inculpé, il y a huit mois, avec quelle perfidie il a eu l’art de lui rendre justice ensuite, et de lui donner une mission pour l’accabler en son absence. Partout une foule d’espions avaient été attachés à ses pas ; de faux témoignages avaient été provoqués; et, malgré les services qu’il a rendus à son pays, il était perdu, il revenait porter sa tête sur l’échafaud, sans l’énergie de la Convention nationale, qui, en se relevant elle-même, arrêta le crime, et rendit la vie et le courage à l’innocence. Voilà les faits. Merlin propose un projet de décret qui est adopté en ces termes (133). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Salut public et de Sûreté générale, décrète que dans sa mission près l’armée des Alpes et notamment à Lyon, Dubois-Crancé a fait son devoir (134). La Convention nationale décrète l’insertion de ce rapport au bulletin (135). 47 La Convention nationale décrète que le représentant du peuple Bouillerot se transportera dans les départemens de la Haute-Garonne et du Gers. Il est investi des mêmes pouvoirs que les autres représentans du peuple envoyés dans les départemens (136). 48 Le citoyen Milaveau, député par le district de Coutances, département de la Manche, est admis à la barre : il fait hommage à la Convention de 250 sabres confectionnés dans un atelier établi à Coutances, et demande que cet établissement républicain soit sanctionné et alimenté. (133) Moniteur, XXII, 339-341. Bull., 2 brum. (suppl.); Débats, n° 762, 489-496; mention dans Ann. Patr., n" 661; Ann. R.F., n° 32; C. Eg., n" 796; F. de la Républ., n° 33; Gazette Fr., n° 1025; J. Fr., n" 758; J. Paris, n” 34; J. Perlet, n” 760; J. Univ., n° 1792; Mess. Soir, n° 796; M. U., XLV, 44; Rép., n“ 33. (134) P.-V., XLVIII, 19-20. C 322, pi. 1363, p. 28, minute signée de Guimberteau. Décret attribué à Merlin (de Thion-ville) par C* II 21, p. 15. Moniteur, XXII, 341; Débats, n° 762, 496; Ann. Patr., n“ 661; Ann. R.F., n” 32; C. Eg., n° 796; F. de la Républ., n° 33; Gazette Fr., n 1025; J. Fr., n° 758; J. Mont., n° 10; J. Perlet, n° 760; J. Univ., n” 1793; Mess. Soir, n* 796. (135) Moniteur, XXII, 341. (136) P.-V., XLVIII, 20. C 322, pl. 1363, p. 29, minute de la main de Clauzel, rapporteur. Bull., 2 brum. J. Fr., n° 759; Mess. Soir, n” 796; M. U., XLV, 43. Le district de Coutances a établi dans son sein une manufacture de petites armes. Cet établissement ne doit son élévation qu’au patriotisme et à l’activité des citoyens de Coutances, qui se sont empressés d’offrir à la Convention 250 sabres, les premiers fruits de leurs travaux ; mais malgré leur bonne volonté, ils se trouvent arrêtés par le défaut de matières premières nécessaires à l’alimentation de cette manufacture (137). La Convention nationale décrète la mention honorable de l’offrande patriotique du district de Coutances, l’insertion au bulletin, et le renvoi de la pétition au comité de Salut public, pour encourager et alimenter la manufacture d’armes dont il s’agit (138). 49 GUYTON-MORVEAU, au nom du comité de Salut public (139) : Vous avez ordonné, le 13 prairial, la formation d’une Ecole de Mars, dans la plaine des Sablons; vous l’avez mise sous la surveillance de votre comité de Salut public, en le chargeant de prendre toutes les mesures d’exécution. Le moment est venu de vous rendre compte de ces mesures, de vous faire connaître, et au peuple français, le résultat de ce premier essai d’une éducation militaire républicaine ; les principes qui l’ont dirigée, les moyens qu’il a fallu créer révolutionnairement, les fruits que l’on peut déjà s’en promettre, les vues que l’on doit recueillir pour assurer et accroître les avantages de cette institution, d’appeler enfin, sur tous ceux qui y ont heureusement coopéré, sur la masse des élèves qui ont si bien justifié vos espérances, le regard de la Convention nationale, qui est à la fois leur récompense et le principe de leur émulation. Tel est l’objet du rapport que le comité m’a chargé de vous présenter. Ce que vous avez vu décadi, à la fête des Victoires, de la force et de l’adresse des élèves de cette école, dans une lutte préparée pour offrir le simulacre d’un combat, me dispensera de vous retracer toutes les preuves qu’ils en avaient déjà données; mais l’impression que vous en avez conservée ajoutera sans doute à l’intérêt avec lequel vous entendrez l’exposition des moyens par lesquels on a obtenu des progrès si rapides et véritablement étonnants. (137) Mess. Soir, n° 796. (138) P.-V., XLVIII, 20. C 322, pl. 1363, p. 30, minute de la main de Le Carpentier. Décret anonyme selon C* II 21, p. 15. J. Fr., n' 758; Mess. Soir, n“ 796; M. U., XLV, 42 -, Rép., n° 33. (139) Moniteur, XXII, 308-312. Bull., 6 brum. (suppl. 1 et 2) ; mention dans Ann. Patr., n° 661 ; Ann. R.F., n" 32 ; C. Eg., n' 796; Débats, n° 760, 468; F. de la Républ., n° 33, 34; Gazette Fr., n° 1025; J. Fr., n” 758; J. Mont., n° 10; J. Paris, n° 34; J. Perlet, n 760; J. Univ., n° 1793; Mess. Soir, n" 796; M. U., XLV, 43. 388 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Aussitôt que votre décret a été connu dans les départements, il a fait naître l’ardeur de participer à ce bienfait d’une éducation nationale. Les jeunes gens se sont présentés en foule, les municipalités ont indiqué aux agents nationaux des districts ceux qui étaient dans les conditions imposées par la loi, et à qui elle faisait un titre de préférence de l’indigence de leurs parents ou de leur dévouement pour la patrie : les regrets de ceux que le défaut d’âge ou la faiblesse de leur complexion ne permettait pas d’admettre ont été souvent marqués par des larmes. Plusieurs sont venus à Paris dans l’attente incertaine d’être reçus en remplacement ou comme surnuméraires ; et, ce qui ne doit pas rester ignoré, c’est que la plupart de ces derniers n’ont pu se mettre en route qu’en suite de l’offre généreuse de leurs compatriotes élus de leur faire part de la subsistance qu’ils devaient recevoir. L’époque de l’ouverture de l’école était très rapprochée; la nécessité de profiter de ce qui restait de la belle saison n’avait permis de donner que trois décades pour appeler les élèves de tous les points de la république, rassembler des instructeurs de tout genre, préparer une organisation, disposer un camp pour environ quatre mille hommes, et l’approvisionner de tout; mais la rapidité du torrent révolutionnaire ne laisse pas apercevoir les frottements, et, dans les entreprises qui sortent des limites posées par l’usage, la force de première impulsion approche plus sûrement du but que le mouvement continuellement retardé par les oscillations d’un régulateur. Le 20 messidor, la plaine aride des Sablons était couverte de tentes, et présentait un camp fermé de tous côtés par des palissades et chevaux de frise, avec son parc d’artillerie, des baraques pour les chevaux, une enceinte particulière pour servir d’hospice, sous le nom de quartier de santé, presque tous les services montés pour les distributions de subsistances, d’armes, d’habillements, d’équipements, et déjà l’on travaillait à l’élévation de la grande baraque destinée à contenir la totalité des élèves pour y recevoir les instructions orales. L’organisation à donner à cette nouvelle école était le point le plus important pour réaliser les espérances que vous en aviez conçues ; l’amour de la liberté et de l’égalité, la haine des tyrans, la pratique des vertus républicaines, de la fraternité, qui les rend toutes faciles, les exercices propres à durcir le corps, à lui donner l’habitude des mouvements réglés, des leçons préparées pour aider l’intelligence, échauffer le courage, effacer l’impression des préjugés, et jeter dans la mémoire quelques vérités utiles, dont le talent se saisit pour se former, dont l’application amène les développements : voilà les bases que votre comité s’est proposées. Les moeurs tiennent plus qu’on ne le pense aux usages ; et quand on est d’accord de la nécessité de régénérer les moeurs d’une nation, ne serait-ce pas une sorte de faiblesse de respecter encore des noms, des formes, qui n’ont pour eux que l’autorité d’un régime proscrit; qui ne se conservent que parce qu’il est plus facile d’adopter ou d’imiter que de créer et de perfectionner? Mais c’est précisément quand de si puissants motifs appellent des changements heureux que l’on doit les tenter ; c’est quand on a à sa disposition une jeunesse ardente de patriotisme, encore libre des entraves d’une longue habitude, qu’il est permis d’essayer des innovations dont les fautes mêmes profitent à l’instruction générale. Quelle serait pour les républicains la raison de copier ce qui se fait dans les contrées soumises aux despotes? Approprions-nous tout ce qui tient essentiellement à la perfection de l’art militaire ; hors de là, ce sont des dissemblances, et non des rapprochements, que nous devons chercher. Tel est l’esprit qui a dirigé la formation de la petite armée du camp des Sablons. Au lieu de régiments, de bataillons, d’escouades, et autres divisions communes aux hordes soudoyées par tous les despotes, la troupe des élèves a été partagée en mille, en cent, en dix, qui ont formé des milleries composées de dix centuries, des centuries composées de dix décuries, des décuries composées de dix hommes. Les avantages de cette distribution sont sensibles : elle rentre dans le système décimal que vous avez adopté; elle prévient bien des obscurités dans la comptabilité; elle représente bien plus fidèlement la force réunie sous ces dénominations. Suivant cette méthode, aussi simple que commode, le commandant de la millerie a pris le nom de millerion ; le centurion a fait dans la centurie les fonctions de capitaine ; le décurion, ayant dix hommes sous ses ordres, a remplacé le sous-officier. La composition de ces sections exigeait une autre attention. A la voix des représentants du peuple, six élèves étaient partis ensemble de leurs districts pour suivre la même carrière dans cette période de leur éducation. Les liaisons préparées entre eux par la localité de la naissance n’avaient pu que se fortifier par cette commune destination et par leur cohabitation dans le voyage ; mais les affections particulières devaient être subordonnées à de plus grands intérêts, à des affections plus générales. Ce n’était pas les enfants de tel district, de tel département, que l’on devait voir dans l’École de Mars, mais les enfants de la grande famille, unis par les liens d’une fraternité républicaine, n’ayant d’autre émulation que celle de servir au mieux la commune patrie : c’est le spectacle qu’a offert continuellement le camp des élèves qui, dès leur arrivée, ont été dispersés de manière qu’à peine il s’en est trouvé deux du même district dans la même centurie. Pour ce qui est du vêtement, vous aviez paru donner votre assentiment aux vues de votre comité. Pour le rendre plus commode et plus propre à garantir le soldat de l’intempérie des saisons, il a été formé d’un habit descendant jusqu’au genou, marquant la taille, fermant par devant dans toute sa longueur en forme de cotte, attaché dans le haut par un double rang de ganses, le bas portant un feston par im- SÉANCE DU 2 BRUMAIRE AN III (23 OCTOBRE 1794) - N° 49 389 pression, les épaules recouvertes par des pièces de buffle, une ceinture imitant la peau du tigre, servant de giberne, un pantalon de drap, des bottines ou des demi-guêtres en toile noire, une cravate rouge, nouée largement sous le collet de la chemise renversé, un bonnet de feutre à bords retroussé par des cordons, un sabre court à la romaine, porté par un baudrier en cuir noir. Voilà ce qui a composé l’uniforme des élèves de l’École de Mars. Je ne vous ai point parlé de la couleur de l’habit ; c’était la chose la plus marquante quand i’uniforme d’un corps n’était réellement que la livrée de celui qui en avait le commandement ou qui prétendait le tenir en propriété. L’essai fait à l’École de Mars a prouvé que, sans adopter une seule couleur, il était possible de donner à une troupe tout l’ensemble et la bonne tenue que l’on peut désirer, et l’on sait quelle économie peut en résulter. Le comité ne dissimulera pas que, si l’uniforme adopté pour les élèves de l’École de Mars a paru dans son ensemble présenter de grands avantages, l’expérience a indiqué des corrections dans quelques parties; mais je ne vous occuperai pas ici de ces détails, qui seront l’objet d’une note particulière, et qui méritent d’autant plus d’attention qu’ils semblent devoir donner toute la perfection désirable à cette partie du régime militaire. Le décret du 13 prairial portait expressément que les élèves seraient formés à la frugalité; vos vues ont encore été remplies à cet égard, de manière à prouver avec quelle facilité cette vertu se naturalise dans une République, et jusqu’où elle peut être portée sans intéresser la santé, sans nuire au développement des forces physiques. L’appétit de cette jeunesse n’a été consulté que pour le supplément de pain; la ration de viande n’a été fournie que deux fois par décade; il n’y a eu de distribution d’eau-de-vie et de vin que dans quelques circonstances rares, et en petite quantité ; et pour qu’aucun des élèves ne pût éluder ce régime de sobriété, ni troubler la douce égalité par le spectacle de jouissances non partagées, tous avaient déposé en arrivant les assignats qui leur restaient. Ces précautions n’ont pas servi seulement à prévenir les maladies, suites trop fréquentes des excès ; elles ont écarté les sujets de jalousie, les querelles et toutes les occasions ordinaires de désordre; aussi la police a-t-elle été facile à maintenir. La police des camps a pour objet l’examen et le jugement de quelques délits qui ne peuvent être assez caractérisés pour que chaque supérieur puisse en ordonner sur-le-champ la punition, en exécution d’un réglement. Votre comité a pensé que c’était une occasion favorable d’essayer une institution qui lui semblait la plus propre à faire disparaître des armées bien des vices et bien des abus. Il suffirait pour cela d’établir un tribunal composé de vétérans jouissant d’une réputation généralement reconnue de probité, de sens droit et de valeur; ils n’auraient pas besoin d’un code écrit pour juger les délits de lâcheté, d’infidélité, de vol : le sentiment qu’ils leur inspireraient, par l’opposition avec ce qu’ils auraient constamment pratiqué pendant leur honorable carrière, leur ferait condamner le vice avec toute la mesure de sagesse qui pourrait se concilier avec les grands intérêts publics. Comme ils n’auraient point d’études, point d’habitudes des formes judiciaires, leur opinion serait plus saine et moins vacillante ; ils ne se laisseraient pas égarer par de vains subterfuges ; ils accorderaient à la faiblesse humaine l’indulgence qu’elle est quelquefois en droit de réclamer; enfin la décision de ces hommes entourés du respect dû à leur âge, à leurs services, à leurs vertus, ne pourrait manquer d’obtenir l’assentiment général, et inspirerait une retenue salutaire à ceux qui en auraient besoin pour se soustraire à l’empire de leurs passions. Le tribunal formé sur ce plan à l’École de Mars en a démontré les avantages. Les jugements ont toujours été ramenés à ce juste tempérament que prescrivait la faiblesse de l’âge; et cependant, il serait difficile de se faire l’idée d’un aussi grand rassemblement d’hommes armés où la discipline fût plus exacte, la subordination mieux observée, où il y eût moins de vices à punir, moins d’excès à réprimer. Un essai d’un autre genre a été fait au camp des Sablons, et l’importance de son objet, les avantages qu’on en a obtenus, doivent en faire un article intéressant de ce rapport; je veux parler de la nouvelle forme, du nouveau régime d’hôpital qui y a été établi sous le nom de quartier de santé. Jusqu’alors on avait douté que les malades pussent recevoir sous la tente les secours que leur état exige ; l’opinion même de quelques officiers de santé de réputation avait fait abandonner le projet de le tenter ; ceux qui ont suivi les armées, qui ont été tant de fois douloureusement témoins des souffrances des malades et des blessés dans les fréquentes évacuations, dans les transports si pénibles pour arriver à un hôpital sédentaire souvent éloigné de plusieurs journées, apprendront avec satisfaction que l’expérience a prouvé que, sous des tentes faites exprès, avec un peu plus d’art, ils peuvent être traités, pansés et guéris aussi commodément, aussi proprement, avec aussi peu de frais que dans les hospices les mieux tenus, et sans courir le risque de voir empirer le mal qu’ils y apportent par le mal que leur communique l’air infect et contagieux que l’on y respire. Plus de cinq cents élèves, attaqués de diverses espèces de maladies, ont été reçus au quartier de santé, et, malgré le nombre des fièvres putrides et malignes, des fluxions de poitrine, des dyssenteries que les chaleurs de thermidor ont rendues si communes, dix seulement ont été emportés. La pharmacie, la lingerie, les cuisines, les officiers de santé et la direction étaient également sous la toile, afin qu’il ne manquât rien à la démonstration de la possibilité d’établir un semblable hospice à la proximité des camps. Le service s’y est fait avec la même régularité; il n’y a eu augmentation de consommation d’au- 390 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE cune espèce, et les malades n’ont jamais formé la moindre plainte. A ce tableau de l’organisation de la troupe en masse je dois faire succéder celui de l’emploi du temps, des divers exercices auxquels les élèves ont été successivement appelés, de la forme et des objets de l’instruction qui leur a été donnée. Depuis le premier appel, qui se faisait à cinq heures du matin, jusqu’à huit du soir, où le canon commandait la retraite et ne laissait en mouvement que les patrouilles destinées à faire régner le silence, qui est l’ordre de la nuit, la journée a été distribuée de manière que toutes les facultés des élèves recevaient successivement la mesure d’application qu’elles pouvaient supporter ; la variété d’occupation tenait lieu de repos ; les soins de propreté, la préparation des repas, le service des postes, la lecture, tout avait sa place et servait à l’instruction. L’école de la position, la marche des pelotons, de la charge du fusil, occupait d’abord le plus grand nombre; ceux qui montraient plus d’intelligence et de dextérité sortaient des rangs pour commander eux-mêmes l’exercice, et les centuries se réunissaient le soir pour répéter ensemble les manoeuvres de l’infanterie. Pour la cavalerie, il n’eût pas été possible d’exercer à la fois tous les élèves; on devait craindre cependant de blesser l’égalité par des préférences ; il ne fallait pas non plus renoncer à l’espérance de retirer pour la République quelque fruit de cette instruction, en en faisant un partage qui n’aurait profité à aucun, qui les aurait tous laissés au premier pas. Tous ces intérêts ont été heureusement conciliés; cent élèves ont d’abord été admis aux leçons d’équitation pendant une décade; les trente qui ont montré plus d’aptitude, qui ont été jugés avoir fait plus de progrès, ont continué cet exercice; ils ont formé progressivement un noyau destiné à seconder par l’exemple les préceptes des instructeurs ; et les derniers appelés ont eu, pour regagner l’ensemble, la même facilité que les recrues qui entrent dans un vieux corps. Ainsi, c’est le sort qui a marqué les premiers choix dans chaque centurie; c’est la capacité et les services qu’elle donnait droit d’espérer qui ont décidé les seconds; de pareilles distinctions ne blessent aucunes prétentions ; il n’y en a point d’autres dans une République. C’est en suivant la même méthode que l’on a formé en si peu de temps des canonniers en état de manoeuvrer avec ceux qui ont vieilli dans cet exercice, et le corps de piquiers que l’on a vu avec tant de légèreté et d’audace se présenter au-devant de la cavalerie en mouvement. Le peu de temps que l’on a pu consacrer à la pratique de l’art des fortifications a obligé de prendre une autre route, mais toujours sans perdre de vue les mêmes principes. Ici l’intelligence devait être préparée par les premiers éléments du calcul et de la géométrie, à défaut par l’habitude du dessin, ou du moins se manifester par le fruit des leçons déjà reçues. Des examinateurs ont parcouru toutes les centuries : que l’on ne pense pas que ces examens aient eu quelques traits de ressemblance avec ces concours où l’amour-propre joue un si grand rôle. Il faut en avoir été témoin pour connaître à quel point le sentiment de l’intérêt général peut maîtriser toutes les autres passions. Ceux des élèves à qui les questions étaient adressées les renvoyaient à leurs camarades qu’ils savaient plus en état d’y répondre ; on n’eut bientôt plus qu’à regretter que le nombre des candidats fût limité; et la prérogative de ceux-ci ne fut encore que de multiplier la voix de l’instructeur pour transmettre et expliquer à leurs frères les principes d’après lesquels avaient été ordonnés les travaux dont ils étaient chargés. Mais ce n’était pas seulement pour des exercices que vous aviez institué l’École de Mars; vous aviez marqué l’intention de faire l’essai d’une gymnastique républicaine propre à donner en même temps aux élèves des notions de tous les arts qui sont utiles à la défense de la patrie. Je vous ai annoncé qu’une grande baraque était destinée à l’instruction orale. C’était un spectacle bien satisfaisant de voir dans une même enceinte trois mille cinq cents élèves, arrivés de tous les districts de la République, réunis sur des gradins demi-circulaires, se maintenir dans l’attitude de l’attention, autant par l’avidité de s’instruire que par la discipline ; ne se permettre de mouvements que pour répondre aux élans patriotiques du professeur, que pour applaudir aux actes de discipline proclamés pour l’exemple, et pour épancher leur âme sensible au récit des avantages remportés par les républicains sur les ennemis de la liberté. Comme, dans l’organisation du camp, on avait cherché la plus grande simplicité, en confiant à un général tout ce qui tenait au commandement et à l’action, en chargeant un commissaire des guerres de toutes les parties de l’administration, l’instruction a été ordonnée dans le système de ces deux attributions. Un militaire, formé par l’étude et l’observation, a été chargé d’enseigner les principes de l’art de la guerre, les règles de la tactique, les ordres de marche et de bataille, et la castramétation. Un citoyen, connu par ses recherches dans la science économique, par son application à porter les lumières de la physique dans les ateliers des arts mécaniques, a pris pour but de ses leçons de faire connaître aux élèves tout ce qui est nécessaire pour former et entretenir une armée de cent mille combattants; les matières qu’elle consomme, l’étendue de terrain qu’exige leur production, les métiers qui les préparent, l’ordre de leur approvisionnement, de leur distribution. Un habile officier de santé a terminé ses cours par l’exposition des moyens de conserver la santé des troupes, de prévenir, d’arrêter la contagion, pour compléter ainsi le système de connaissances qu’il importe à tout individu d’acquérir, pour son propre intérêt et celui de la société, et qui devait entrer dans ce premier essai d’une éducation nationale. SÉANCE DU 2 BRUMAIRE AN III (23 OCTOBRE 1794) - N° 49 391 Je ne vous occuperai pas des développements que les professeurs ont donnés à chacune de ces parties ; ils vous sont assez connus par les programmes des leçons imprimées pour les élèves, et dont le recueil vous a été distribué. Venons aux grands résultats. Une des vérités les plus importantes qui se trouve acquise, ou plutôt confirmée, par les essais faits à l’École de Mars, c’est que tout soldat, soit d’infanterie, soit même de cavalerie et d’artillerie, peut apprendre, en moins de trois mois, le maniement des armes et toutes les parties de son service, de manière à exécuter en corps nombreux toutes les manoeuvres avec une grande précision. Mais si cette régularité dans les mouvements, jointe à la célérité que donne l’habitude, est indispensable et le premier objet que l’on se doit de proposer dans l’instruction des corps militaires, ceux qui sont appelés à les diriger, à les commander, ont besoin de connaissances d’un autre genre; il faut qu’ils sachent disposer ces corps avec avantage sur le terrain, qu’ils puissent juger conséquemment ce que les localités présentent de favorable ou de contraire à leurs projets; il faut qu’ils combinent la force et l’adresse, la valeur des troupes, la quabté de leurs armes, tous les moyens enfin de rompre l’équilibre du nombre, ou d’en tirer le plus grand parti : or ceci exige une étude approfondie de tout ce qui tient à l’art de la guerre. Cet art embrasse des sciences exactes, des connaissances physiques ; il doit remonter jusqu’aux moyens producteurs de toutes les fournitures et à l’approvisionnement d’une armée. Les notions qu’en ont prises les élèves du camp des Sablons ne seront pas sans fruit, et les ouvrages qui ont été publiés dans cette vue produiront au moins le très-grand bien d’exciter l’émulation de nos guerriers, déjà signalés par tant d’exploits contre les satellites des tyrans, et qui voudront se surpasser en appliquant leurs loisirs à découvrir de nouveaux moyens de vaincre et d’anéantir les hordes barbares armées contre la liberté des peuples. Lorsqu’on a coopéré à un établissement qui a donné tant d’occasions de reconnaître son utilité, il est naturel de s’affectionner à sa durée ; mais quand votre décret ne l’aurait pas fixée à l’époque où les élèves ne devaient plus rester sous la tente, ce premier voeu ne pourrait se soutenir contre la réflexion qu’il est de l’essence de cet établissement de cesser pour se renouveler. Les raisons qui vous ont déterminés à placer l’École de Mars dans cette classe sont encore présentes à vos esprits. Ces jeunes citoyens, appelés de tous les districts pour recevoir les premiers éléments de l’instruction militaire républicaine, devaient y rentrer pour y offrir l’exemple des vertus qu’ils y ont pratiquées, y montrer les fruits rapides de leur application, en faire le sujet de l’émulation de leurs compatriotes, y porter, en un mot, l’esprit de cette fraternité républicaine qu’ils y avaient puisée. Ils devaient se retrouver dans leurs districts pour y attendre la réquisition ; sans cela, quel eût été l’objet de cette institution. L’égalité et la politique s’opposent également à ce qu’ils soient envoyés aux armées pour y former un corps particulier; l’égalité veut encore qu’ils fassent place à ceux que leur âge appelle à participer à leur tour à ce bienfait de la République. Ajoutons que ce serait tromper le voeu de leurs parents qui les attendent; ils désirent eux-mêmes de s’y réunir, de revoir momentanément leurs foyers; du moins le plus grand nombre en a exprimé l’intention. Enfin leur casernement exigerait des préparatifs, des approvisionnements, une nouvelle manutention auxquels il n’est pas possible de pourvoir avant la levée du camp. Rien n’est prévu pour le transformer subitement en une maison d’enseignement, où il faudrait reprendre en sous-oeuvre la première éducation qui manque à la plupart pour en profiter. Le régime tout différent qu’il faudrait y établir ne serait pas l’ouvrage d’un moment, pour garantir les moeurs des dangers des chambrées, y entretenir une discipline exacte, et faire succéder les exercices de manière que la corruption ne pût y être introduite par l’oisiveté. Votre comité hésite d’autant moins de vous proposer de maintenir cet article de votre décret, qu’il lui réserve la faculté d’admettre ceux qui le désireraient à d’autres genres d’instruction, suivant l’aptitude et le zèle qu’ils auraient montrés. Ainsi les plus avancés dans les premières études mathématiques pourront se présenter à l’examen dont vous avez ordonné l’ouverture pour l’admission à l’École des Travaux publics. Ceux qui se sont distingués dans l’exercice de l’équitation pourront, sur leur demande, être envoyés dans les dépôts, ou réunis pour se perfectionner pendant quelques mois, et former une pépinière d’instructeurs dans cette partie. Il en sera de même de ceux qui auront atteint dans les manoeuvres de l’artillerie un degré d’instruction qui pourra les rendre dès à présent utiles à ce service. Plusieurs seront susceptibles d’emplois de confiance près des agences ou dans les ateliers vers lesquels leur goût les porterait. Ceux enfin à qui la faiblesse de leur com-plexion ne laisserait aucune de ces ressources pour cesser d’être à la charge de parents indigents ne seront pas abandonnés par la patrie; votre comité d’Agriculture et des arts doit vous proposer d’assigner un fonds pour payer l’apprentissage de divers métiers dont la société éprouve le besoin. Qui est-ce qui aura plus de droit à cette munificence nationale que ces enfants qui, dénués de tout secours, auront à vous offrir, avec les preuves de leur indigence, les témoignages d’une conduite éprouvée par leur séjour à l’École de Mars? La Convention nationale trouvera juste, sans doute, de donner un témoignage solennel de satisfaction à la conduite et aux progrès des élèves de l’École de Mars, ainsi qu’au zèle des instructeurs et autres agents qui ont concouru à former cet étabfissement. Le comité de Salut public, pour remplir le voeu de la loi du 13 prairial, a pris des précautions pour que le retour des élèves dans 392 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE leurs foyers n’entraînat ni confusion, ni abus; sa marche à cet égard sera à peu près la même qu’à leur arrivée : l’on doit encore cet éloge aux Elèves de Mars, qu’il ne s’est élevé aucunes plaintes sur leur conduite en route ; ils ont pleinement justifié cette attente de la Convention, que la surveillance fraternelle, c’est-à-dire les bons avis d’un de leurs camarades qui en serait spécialement chargé, suffirait pour prévenir les écarts que l’inexpérience de leur âge aurait pu produire. Votre comité a pensé aussi qu’il serait convenable que ces jeunes gens gardassent la propriété des objets qui ont été à leur usage personnel au camp des Sablons, et qui consistent dans leur habillement uniforme, leur sabre, trois chemises, un havresac et quelques autres effets d’équipement. Quant aux armes, à tout ce qui tient à l’artillerie, à l’équipement des chevaux, aux effets de campement, outils, ustensiles et autres fournitures, ils seront réintégrés dans les magasins nationaux. Pour compléter l’instruction si heureusement commencée par l’École de Mars, il serait à désirer que le comité Militaire vous proposât incessamment les moyens d’établir à Paris, et pendant l’hiver, des cours publics sur les diverses branches de l’art et de l’administration militaire, et que le comité d’ Agriculture vous fît part de ses vues sur l’apprentissage des métiers les plus utiles que la république ferait suivre à ses frais à des enfants de parents peu fortunés, et dont les élèves de l’Ecole de Mars pourraient profiter. Déjà plusieurs conférences sur des objets d’une si grande utilité font entrevoir la possibilité prochaine de ces institutions. Voici le projet de décret qui contient ces diverses mesures. Guyton-Morveau lit un projet de décret qui est adopté en ces termes : Le comité de Salut public fait un rapport sur les élèves de l’Ecole-de-Mars. L’Assemblée en ordonne l’impression, l’insertion au bulletin, la distribution et rend le décret suivant. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Salut public, décrète ce qui suit : Article premier. - En conformité de l’article XI de la loi du 13 prairial dernier, le camp des Sablons sera levé, et les élèves de l’Ecole-de-Mars retourneront dans leurs foyers ; il leur sera en conséquence délivré par le commissaire de l’Ecole, des états de route, comme ils en ont eu pour venir à Paris, et avec les mêmes précautions. Art. II. - Les élèves emporteront les effets d’habillement et d’équipement qui ont été à leur usage personnel pendant leur séjour à l’Ecole-de-Mars, ainsi que leur sabre; ils en conserveront la propriété. Art. III. - Les fusils, les piques, l’artillerie et tous les objets qui en dépendent, les chevaux et leur équipement; enfin les effets de campement, ustensiles, outils, fournitures, autres que celles mentionnées à l’article précédent, seront rétablis dans les divers magasins nationaux dont ils ont été tirés. Art. IV. - Pour plus de facilité, l’évacuation du camp des Sablons commencera à se faire, par parties, aussitôt après la notification du présent décret, et de manière que l’opération soit achevée le 15 brumaire présent mois. Le comité de Salut public est chargé de donner les ordres nécessaires pour régler les dispositions de détail relatives à cet objet, afin de prévenir tous abus et d’assurer la conservation des établissemens du camp qui ne sont pas susceptibles de déplacement. Art. V. - Le comité de Salut public est autorisé à placer dans les armées de la République, ou à employer dans d’autres fonctions, ceux des élèves et de leurs instructeurs qui y seroient propres. Le comité prendra en conséquence tous les renseignemens nécessaires pour faire ces placemens d’une manière convenable, suivant que les besoins de la République l’exigeront. Art. VI. - Le comité militaire fera, le plus promptement possible, un rapport sur les moyens d’établir, pendant l’hiver, à Paris, des cours publics pour perfectionner l’instruction sur toutes les parties de l’art militaire, et sur celles du service des commissaires des guerres. Art. VII. - Le comité d’Agriculture proposera aussi incessamment à la Convention un projet de décret pour faire faire, à un certain nombre d’enfans peu fortunés, l’apprentissage de divers métiers dont la nation paiera les frais. Les élèves de l’Ecole-de-Mars pourront être admis à cet avantage, suivant le mode qui sera prescrit, et s’ils remplissent les conditions qui seront exigées. Art. VIII. - La Convention nationale déclare qu’elle est satisfaite de la conduite des élèves de l’Ecole-de-Mars, et de leurs progrès dans les différens genres d’instruction qui leur ont été donnés, ainsi que du zèle des instructeurs et agens qui ont concouru à former cet établissement. La Convention nationale attend des élèves de l’Ecole-de-Mars qu’ils conserveront les vertus républicaines qu’on leur a fait pratiquer, et que, par leur entier dévouement à la patrie, ils s’acquitteront envers elle du bienfait qu’ils en ont reçu. Art. IX. - Le présent décret et le rapport seront insérés au bulletin de correspondance, imprimés et distribués : il en sera remis un exemplaire à chacun des élèves instructeurs et autres officiers du camp, par les représentans du peuple près l’Ecole-de-Mars, qui certifieront à la suite qu’ils ont suivi les exercices du camp depuis son établissement jusqu’à sa levée. Cette attestation leur servira à faire entrer cet espace de temps dans l’état de