288 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] sa sanction, ou s’ils entendent qu’il aura le veto sur leurs lois, comme il l'a sur les lois que nous faisons nous-mêmes. (Murmures.) M. de Gouy d’Arsy. Qui dit la sanction, dit le veto; car sans cela on aurait dit, l’acceptation. ( Très bien! très bien!) M. Goupilleau. M. de Gouy, qui a le talent de résumer tout très promptement, vient de m’éclairer. Je demande qu’on détermine si le roi aura le droit ou non de refuser sa sanction. (Murmures.) M. Barnave, rapporteur. Voici, avec l’amendement de M. Beaumetz, la rédaction que je propose pour l’article : « Les lois concernant l'état des personnes non libres et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que R s règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront faits par L s assemblées coloniales actuellement existantes et celles qui leur succéderont, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, et seront porté s directement à la sanction du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. » M. Gaultler-Biaiusat. L’article est insignifiant ou contradictoire, si vous ne fixez pas un terme à l’exécution provisoire des lois faites par les assemblées coloniales sous l’approbation des gouverneurs des colonies ; l’absence de ce délai rend illusoire la sanction du roi, car, si rassemblée coloniale a le droit de faire exécuter des lois par provision, qu’importe le veto puisque la provision sera au-dessus du veto. Je demande donc à l’Assemblée de déterminer ce délai que je considère comme indispensable. M. Barnave, rapporteur. L’observation de M. Biauzat est très juste: on pourrait fixer le délai à un an pour les colonies d’Amérique et à 2 ans pour les colonies au delà du cap de Bonne-Espérance. (Marques d’assentiment.) Voici donc, avec les amendements de MM. Beaumetz et Biauzat, la rédaction définitive de l’article : Art. 3. « Les lois concernant l’état des personnes non libres, et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront faites par les assemblées coloniales actuellement existantes, et celles qui leur succéderont, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, pendant l’espace d’un an pour les colonies d’Amérique, et pendant l'espace de 2 ans pour les colonies au delà du cap de Bonne-Espérance, et seront portées directement à la sanction absolue du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. » (Adopté.) M. Barnave, rapporteur. Voici enfin le dernier article du projet de décret : Art. 4. « Quant aux formes à suivre pour la confection des lois du régime intérieur qui ne concernent pas l’état des personnes désignées dans l’article ci-dessus, elles seront déterminées par le pouvoir législatif, ainsi que le surplus de l’organisation des colonies, après avoir reçu le voeu que les assemblées coloniales ont été autorisées à exprimer sur leur constitution. » (Adopté.) M. le Président lève la séance à six heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 24 SEPTEMBRE 1791. OPINION de M. Bégonen, député de la Seine-Inférieure, sur le projet de décret relatif aux COLONIES, présenté à VAsssemblée nationale par les comités de Constitution, des colonies , de marine et d’agriculture et de commerce , et adopté à la séance du 24 septembre 1791. Avertissement. — J’avais la parole le 23, — je l’ai demandée aussi le 24 : — je n’ai pu l’obtenir, non plus que beaucoup d’autres membres de l’Assemblée qui voulaient soutenir le projet de décret. Je crois devoir à mes commettants de livrer à l’impression les motifs de l’opinion que j’ai embrassée sur cette importante question. Grâces immortelles soient rendues à l’Assemblée nationale, qui, par ce décret, garantit à la France la possession de ses précieuses colonies, se con-concilie à jamais l’attachement et le dévouement des colons, et assure le travail et la subsistance de plusieurs millions de Français. Messieurs, J’ai demandé la parole pour appuyer, autant qu’il est en moi, le projet de décret qui vous est présenté par vos 4 comités. Par ce décret, vous remplirez vos obligations envers l’Etat comme envers les colonies; et j’ose dire que si vous ne le rendez pas, vous manquez à l’un de vos devoirs les plus sacrés; vous compromettez vos colonies, et par là vous compromettez le bonheur du peuple français, qui dépend du travail qu’elles lui procurent par le commerce et la navigation qu’elles alimentent. M. Dupont et M. de Tracy ont prétendu hier que ce décret était insuffisant ; qu’il ne réglait pas les rapports commerciaux; que les comités semblaient avoir ignoré ces rapports, ou n’avaient osé les fixer, ou enfin avaient éludé la difficulté. J’entreprends de prouver, contre leur assertion, que ce décret est suffisant; qu’il statue ce qui est indispensable de statuer ; qu’il est conséquemment nécessaire ; et que ce qui n’y est pas prononcé: 1° ne peut l’être dans ce moment. 2° ne consiste que dans les choses qui peuvent être, sans inconvénients, renvoyées aux législatures prochaines. En effet, Messieurs, vous avez fort sagement et prudemment décrété, le 8 mars 1790, que vous ne feriez les lois de commerce, qui doivent lier les colonies à la métropole, qu’après avoir reçu leurs pétitions et avoir entendu les observai ions des commerçants français. Les événements que vous connaissez tous n’ont pas permis aux colo- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 289 nies d’émeltre leurs vœux et leurs pétitions : ainsi vous n’avez pu rien statuer à cet égard, et votre comité colonial a été dans l’impossibilité absolue de vous le proposer. Mais cela est sans inconvénient grave : les lois de commerce pourront être faites par le Corps législatif parce qu’elles sont réglementaires. Ce qui est constitutionnel, ce que le corps constituant peut seul prononcer, ce qu’il faut qu’il prononce, sous peine de perdre tôt ou tard les colonies, c’est le rapport, le lien politique entre les assemblées coloniales et le Corps législatif en France. On vous dit, on imprime que le système des comités se réduit à enchaîner, en apparence, les colonies au commerce. On ajoute que c’est tromper le commerce français ; que de proposer des lois immuables sur le commerce, c’est proposer l’immuabilité sur un objet qui varie à chaque instant; c’est proposer, dit-on, une contradiction dans les termes, etc. Autant d’erreurs que de mots. U n’est point question, dans le décret, de proposer des lois immuables de commerce, mais de décréter constitutionnellement, c'est-à-dire de rendre immuable ce qui doit l'être, la suprématie du Corps législatif pour assurer la défense et la protection des colonies, comme pour faire exclusivement leurs lois de commerce. Ainsi, ces lois de commerce pourront êtrechan-gées toutes les fois que les circonstances l’exigeront ; mais toujours le juge exclusif et suprême de la convenance de ces lois sera le Corps législatif, parce que les colonies étant des établissements de culture et de commerce, dont l’objet, principal est la prospérité de la métropole qui les a fondées, qui les défend et les protège par ses armes, elles cesseraient de remplir ce but de leur institution, si la métropole ne conservait pas le droit éminent de faire leurs lois de commerce. L’article premier du projet de décret pourvoit à cet objet important le corps entier de la naiion. Mais la métropole doit vouloir la prospérité des colonies, et par un juste égard pour elle, et pour son propre intérêt. Il lui importe à cet effet, d’être éclairée par leurs pétitions et leurs observations : c’est le but de l’article 2 du décret. Ce n’est pas tout. San-tranquillité intérieure, sans garantie des propriétés, sans sûreté individuelle, les colonies ne pourraient ni cultiver, ni prospérer, ni exister pour elles-mêmes et pour la métropole; et c’est pour cela que les comités vous proposent l’art. 3 qui est la sauvegarde de cette tranquillité, la garantie des propriétés et de la sûreté individuelle des colons. Cet ar icle 3 remplit ce but. parce ce qu’il garantit le régime colonial fondé sur l’esclavage des noirs et sur les étais moraux dont il est appuyé, parce qu’il garantit, dis-je, le régime colonial de toute atteinte, en le soustrayant à la discussion des Corps législatifs. Sans ce même article, il ne pourrait y avoir ni repos, ni tranquillisé, conséquemment ni travail ni culture dans les colonies; il ne pourrait pas même y avoir de colonies pour la France. Le sort des colons, leurs propriétés, leur existence, leurs vies dépendraient chaque jour, à toute heure, d’un pouvoir éloigné, qui pourrait prononcer leur proscription en se fondant très philosophiquement sur des principes qui , comme vous l’avez reconnu vous-mêmes, ne peuvent et ne doivent pas leur être appliqués, et leur position serait d’au-dlro Si'. lu.:. T. XXXI. tant plus terrible et d’autant plus intolérable, que les décrets les plu-< sages d’un Corps législatif, et les plus adaptés à leurs localités ne pourraient les rassurer en rien, parce qu’ils ne leur garantiraient rien. N’étant que législatifs, ils pourraient, d’un jour à l’autre, être changés par la même Assemblée; ils pourraient surtout l’être par l’Assemblée suivante. Vous ne pouvez mettre vos colonies à l’abri d’un danger aussi effrayant qu’en adoptant l’article 3. Messieurs, la population citoyenne et française des colonies, celle véritablement attachée à la France parles liens de patrie et de consanguinité, est essentiellement la population européenne. Quand vous avez déclaré, le 8 mars, que vous n’aviez pas entendu comprendre les colonies dans la Constitution décrétée pour le royaume, quand vous l’avez répété en arrêtant votre acte constitutionnel, vous l’avez fait précisément parce que vous saviez que dans les colonies, non-seulement il y avait des esclaves, mais encore un grand nombre d’affranchis et d’hommes libres de couleur. Vous avez senti que si vous n’aviez pas mis les colonies hors la Constitution française, vous auriez accordé, ipso facto , tous les droits politiques à cette classe d’hommes libres ; vous avez jugé qu’il en pourrait résulter de très grands inconvénients pour la paix des colonies, pour leur prospérité pour le maintien du régime colonial. Les effets qu’a produits le décret du 15 mai dernier, la résistance générale qu’il y éprouve, les motifs de cette résistance, fondée sur l’intérêt des propriétés des colons et leur existence même, motifs si puhsants, qu’ils justifient la résistance et justifieraient peut-être même l’insurrection; toutes ces choses vous apprennent combien était sage votre premier décret du 8 mars 1790, qui porta aux colons la colonisation et l’espérance du bonheur, et sur le sujet critique et la censure la plus amère des mêmes personnes qui combattent aujourd’hui le projet de décret qui vous est présenté. Observez, Messieurs, que ce décret ne confère aucun pouvoir aux assemblées coloniales sur les droits des hommes de couleur et nègres libres ; dès lors, il n’est pas vrai qu>- ces assemblées coloniales puissent, en aucun cas, les opprimer. Quant à l’exercice des droits politiques, la société le confère, pour son plus grand avantage et pour l’unique intérêt de ceux qui les exercent; la preuve en est dans la Constitution même du royaume. Le peu d’articles que contient le projet de décret me paraissentdonc renfermer tout ceque vous avez à faire; ils assurent à la nation l’exploitation du commerce des colonies; ils constatent leur juste dépendance à cet égard ; ils garantissent aux colonies des lois sages sur lesquelles elles seront écoutées et leurs intérêts pesés ; ils leur garantissent enfin que leurs propriétés seront à l’abri de toute atteinte. Ces articles me paraissent enfin nécesssaires pour effacer, s’il est possible, l’impressiou terrible et désastreuse de ce cri forcené dont deux fois ici les voûtes de cette salle ont retenti : Périssent les colonies ! Les colonies, Messieurs (on cherche en vain à vous en dissuader), ne périraient point sans entraîner la ruine du royaume. Par elles vous avez un commerce de 300 millions par an, alimentant toutes vos villes, tous vos départements maritimes et manufacturiers; nourrissant plusieurs milliers d’ouvriers de toute espèce, non pas seu-19 290 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791. le ment ceux qui travaillent dans ces manufactures et dans ces ports, mais ceux-mêmes dont les travaux et les occupations semblent n’y avoir aucun rapport et les cultivateurs mêmes des départements intérieurs. C’est là l’effet précieux et incalculable d’une immense circulation, d’uue grande action et réaction de capitaux et d’industrie. Quel ridicule et quelle puérilité n’est-ce donc pas que de calculer, comme on l’a fait, ce qui peut revenir par jour à chaque individu du royaume dans le partage des 300 millions (1) de produits annuels des colonies! Ceux qui font ces petits calculs sont bien neufs en économie politique. Ils ignorent apparemment que c’est par le travail que les nations existent, qu’elles sont heureuses et puissantes, et que la masse du travail qu’un produit annuel et renaissant de 300 millions met en activité, est véritablement au-dessus de tout calcul, et surtout au-dessus de leur faible conception. C’est par les colonies, Messieurs, et par elles seules que vous avez une navigation marchande ; et le plus simple développement va, j’espère, vous eu convaincre. Tous les bâtiments de commerce français, du plus petit au plus grand, ne s’élèvent à peine qu’au nombre de 4,000. 800 ou 1,000 des plus grands de ces navires font directement le commerce des côtes d’Alri� que et des colonies, et un nombre à peu près égal est employé à un cabotage, soit intérieur, soit étranger, pour le transport des assortiments de cargaison* de comestibles ou d’objets nécessaires aux armements, pour les divers ports qui arment des navires pour la destination directe des colonies, ou pour le transport des denrées coloniales, soit de port en port de France, soit dans les pays étrangers. Votre commerce du Levant souffrirait lui-même beaucoup, s’il manquait des objets coloniaux pour ses assortiments, et diminuerait en conséquence. Votre grande pêche sur les bancs et la côte de Terre-Neuve en éprouverait un échec très sensible, et surtout serait arrêté dans l’essor d’extension et de prospérité dont elle est susceptible. Vous resteriez doue avec quelques navires pour l’Inde, un commerce affaibli dans le Levant, de médiocres pêcheries, et très peu de petits naùres caboteurs; c’est-à-dire que votre navigation, déjà si mesquine pour une grande nauon, se verrait tout à coup réduite de plus de moitié. Je n’ai pas besoin de faire sentir que, dans un tel état de choses, votre puissance maritime serait détruite, parce que vous n’auriez point de matelots que la navigation marchande peut seule former et entretenir. Enfin, Messieurs, c’est par vos colonies que la balance générale du commerce a jusqu’à présent été calculée de 70 millions annuellement en faveur de la France, comme la France envoie annuellement 150 millions de denrées coloniales à l’étranger et ne tire qu’environ 10 millions de l’étranger pour la destination directe ou indirecte des colonies. Ces 10 millions déduits de 150, il reste 140 millions de richesses étrangères que les den-(1) J’e$lime cette année le produit des colonies à 300 millions, ou bien peu S’en faut, par la grande valeur à laquelle se sont élevés les sucres. Ceux qui n’ont estimé ce produit qu’à 200 millions, sont restés au-dessous de la réalité, môffie pour lés années précédentes. rées coloniales attirent annuellement dans le royaume : donc, la France en perdant les colonies, au lieu d’avoir en sa faveur une balance générale de 70 millions en aurait une contraire de pareille somme. Dans les époques les plus prospères, l’Etat ne soutiendrait pas longtemps cet ordre de choses. Dans l’état a