[États gé n. 1789. Cahiers.] 200 arpents de terroir dont nous n’avons aucune connaissance. A cet effet, nous demandons qu’il soit fait un mesurage qui désigne à chacun séparément la quantité de ce que nous jouissons, tant en biens-fonds qu’à loyer, ou que celui que nous aurons fait faire en particulier, soit reçu, ayant été fait avec équité et justice et même contrôlé. Art. 2. Ce susdit terroir étant situé entre le port de Damar, la forêt de Crécy et d’autres bois immenses appartenant à différents seigneurs, les coupes des susdits bois et ventes qui se font annuellement attirent un nombre infini d’ouvriers, voituriers, étrangers, sous le nom de houriats, pour le transport de cesdits bois au port, et ces sortes d’étrangers étant privés de faire ou laisser paître leurs chevaux dans les bois, fait que ces sortes de gens, autorisés par M. le prévôt des marchands, à Paris, les rend insolents au point que nous, cultivateurs, sommes obligés, pour la conservation de nos récoltes (quoique exténués de fatigue), de veiller ou faire veiller les nuits pour empêcher qu’ils commettent de plus grands délits, ce qui nous expose, en défendant notre bien, à des dangers continuels envers ces inconnus, dont nous avons vu plusieurs malheureux exemples. Art. 3. Il est aussi à observer que, dans cette paroisse, il y a une grande quantité de pigeons, qui, dans des années, mangent à peu près un tiers de nos récoltes. Celte paroisse est composée de six fermes et de douze voliers ou colombiers, et ce qu’il y a de plus outrageant, c’est que depuis un temps immémorial ilen existe deux, lesquels contiennentenvi-ron deux mille pigeons chacun et appartiennent à gens qui ne font rien valoir dans notre paroisse. il faudrait pour le bien public, que, de ces animaux destructifs, le nombre soit taxé selon la quantité de biens-fonds dont jouissent les propriétaires ou leurs fermiers, et que, tout propriétaire ne faisant rien valoir, défense lui soit faite, à l’avenir, de colombier et même volier, et que ceux qui auront permission d’en avoir, dans les années où les blés seront ou pourront être versés, roulés, aient à les enfermer, dès l’instant que les blés commenceront à être en grains jusqu’à la fin de la récolte, et ce aux termes des ordonnances antérieures. Art. 4. Cette paroisse ayant été chargée originairement de faire ou faire faire les corvées sur les grands chemins et environs, pour la construction d’iceux, et ayant été privée jusqu’alors d’un bout de pavé, pour transporter ses grains et menues denrées, il serait à propos qu’il soit fait un chemin de Lagny jusqu’à Jossigny, par Fontenelle, et de Jossigny à Villeneuve-le-Comte, ce qui fait un raccourcfd'environ trois lieues, pour le transport des bois, tant de la forêt de Crécy, que d’autres bois immenses appartenant à différents seigneurs et particuliers, vu que MM. les bénédictins de Saiut-Pierre dudit Lagny, offrent de donner un terrain commode, au-dessous du dangereux per-tuis du pont de Lagny et plusieurs autres qui existent depuis Condé "jusqu’à icelle. Art. 5. Demande la suppression des aides et gabelles, des intendants; que les pays d’élection soient mis en pays d’Etats, qu’il n’v ait qu’un unique impôt, et que les dîmes qui se"payent en nature le soient, à l’avenir, en argent; le cultivateur consommera davantage chez lui et fournira abondamment à l’engrais de ses terres. Art. 6. Suppression de tous les privilèges, tant de l’ordre du clergé que de celui de la noblesse, et que leurs propriétés, respectées, soient assu-[Paris hors les murs.] 619 jetties à la même répartition de l’impôt que celles des roturiers ou gens du tiers-état ; qu’enün les deux premiers ordres partagent toutes les charges de l’Etat. Art. 7. Demande que tous les baux de Messieurs de mainmorte, faits par-devant notaire, aient leur pleine jouissance, vu. qu’à la mort d’iceux, quantité de bons cultivateurs, sont mis quelquefois hors de portée de pouvoir exercer leur labeur. Signé Ferre; Allaire; Claude Permier; Bour-gouin; Morlet; Dumont; Mongrolle; Cadot; Bigot; Delaunay ; Maunv, syndic. Certifié ne varietur par nous, Luc Auvran, avocat au parlement, prévôt de la prévôté de Jossigny en Brie. Ce 13 avril 1789. Auvran. CAHIER Des remontrances , doléances et plaintes de la paroisse de J ouars-Pont-C hartrain (1). Cette paroisse, dont la superficie est occupée tant en terres labourables qu’en vignes, bois et prairies, n’a point par sa situation et sa nature à former des plaintes, des doléances que n’aient les paroisses voisines, mais il n’y en a aucune non plus qu’elle n’ait à adresser concurremment avec elles. Elle pourrait donc se référer aux lumières de ses voisins; mais considérant que si toutes les paroisses en faisaient de même, il en résulterait que le tableau de la misère des habitants de la campagne pourrait ne pas parvenir jusqu’à l'assemblée des Etats généraux, elle prend la résolution de mettre au jour moins ses doléances particulières, que le vœu général. La paroisse de Jouars-Pont-Chartrain va donc faire voir, avec ordre et clarté, le désir, le vœu de tous les citoyens qui la composent ; elle ne craint pas d’ajouter qu’elle n’est que l’écho de sa province. On réduira ces plaintes sous différents chefs. IMPOTS . Art. Ier. N’ignorant pas qu’un des premiers devoirs des citoyens est de fournir des subsides au gouvernement, qui ne peut subsister sans appui, que les impôts sont les prix qu’on lui doit pour le maintien du bon ordre, pour la tranquillité dont il nous fait jouir et pour la défense du royaume contre les ennemis du dehors; Que ces principes, qui doivent être ceux de tous les citoyens français, ne peuvent être en même temps des devoirs pour les uns et des droits d’exemption pour les autres; qu’en conséquence les impôts doivent être supportés et répartis également sur tous les propriétaires sans exception; que les hommes n’avant rien par eux-mêmes, et tirant tout de la terre, c’est sur la terre qu’il faut prélever, soit en nature, soit en argent, un impôt suffisant pour remplacer tous les autres; nous espérons que l’assemblée voudra bien contribuer autant qu’il sera en elle à la promulgation de ces principes et aux moyens de l’établir avec justice, égalité, économie et promptitude, sur toutes les terres indistinctement. De considérer que tout ce qui tendra à prescrire à jamais l’arbitraire en matière d’impôts, et à éloigner de nos maisons tous ceux qui ont le (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit de Archives de V Empire. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs. 620 [États gén. 1789. Cahiers. J droit de venir troubler nos asiles, ne pourra que nous être favorable. De ce nombre sont les commis aux aides, qui nous font payer le trop bu à leur volonté, jusqu’à l’eau que nous sommes obligés d’user pour augmenter notre boisson, dont le volume souvent ne peut suffire à étancher notre soif toute une année et réparer les sueurs que coûtent nos travaux. De ce nombre sont les intendants qui, selon leur caprice, peuvent impunément augmenter et augmentent en effet, à volonté, par une simple lettre, les tailles, capitation, vingtièmes et autres droits. Que l’assemblée des Etats considère que le prix excessif du sel nous fait vivre de privations au milieu de l’abondance d’une denrée indispensable pour nos travaux, et aussi nécessaire aujourd'hui à notre existence que le blé. Qu’elle considère que, plus on diminuera le prix, plus on augmentera la consommation, et que l’on peut satisfaire à nos besoins sans rien faire perdre au gouvernement sur cette partie essentielle de ses revenus, qui même augmenteraient nécessairement par la suppression de cette foule d’individus qu’il faut payer et enrichir sur le produit de la gabelle, dont l’existence fera toujours le tourment et le malheur de la France. Que l’assemblée songe enfin que tous les instants de notre existence sont marqués par l’inquiétude que nous causent ces tyrans subalternes qui ont un si grand intérêt à nous voir oublier une formalité souvent inconnue et qui les rend maîtres de nos biens, de nos vies et même de notre honneur. A chaque pas, des lois prohibitives, des entraves de toute espèce, nous environnent; notre ignorance même ne peut nous sauver, et chaque quart d’heure de notre vie peut être celui de notre destruction par une faute involontaire ou imprévue. On peut s’apercevoir qu’on ne parle ici que de l’impôt qui touche les habitants des campagnes ; on a voulu se renfermer dans son objet. Il ne serait ni juste ni avantageux que les habitants des campagnes supportassent seuls le fardeau des impôts. Les grandes villes, qui ne tendent déjà que trop à dépeupler les provinces, se trouvant favorisées, attireraient encore dans leur enceinte une plus grande population, laquelle est dangereuse pour les provinces qu’elles affament et rendent désertes. LES LOIS. Art. 2. Les lois ont pour but de rendre les hommes heureux ; ce sont elles qui inspirent de la confiance à l’homme de bien; il les aime, il les respecte, il en sent tout le prix. Le méchant est le seul qui les craigne, le seul qui voudrait s’y soustraire, le seul qui veut qu’elles soient nulles. Mais ces lois manquent leur but si elles sont inintelligibles, ou mal administrées, si elles pèchent ou par le fond ou par la forme. four que la loi atteigne toute l’utilité dont elle est susceptible, il faut qu’elle soit connue de tous les hommes, afin qu’ils puissent se juger eux-mêmes avant que le tribunal prononce ; il faut qu’elle soit inflexible, afin qu’elle inspire de la sécurité au juste et de la terreur au coupable. Les lois qui nous gouvernent sont bonnes, elles ne sont. que trop compliquées, et n’ont besoin que d’être réduites à la simplicité pour devenir excellentes. Elles sont immenses et forment un dédale dans lequel l’esprit le plus exercé, Je plus pénétrant se perd. Cependant elles devraient être si simples, si claires, que l’homme puisse les comprendre et les aimer dès son enfance ; il éviterait de commettre l’injustice qu’elles punissent, s’il savait qu’elles ne fléchissent pas : il les invoquerait avec confiance, s’il était certain qu’elles sont sourdes à la voix de l’homme puissant; mais que les lois sont la sauvegarde des mœurs, que ce sont des bonnes ou mauvaises lois que dépendent les bonnes ou mauvaises mœurs. Ün doit regarder la réforme du code civil et plus encore celle du code criminel, comme l’objet sur lequel l’assemblée de la nation doit s’occuper avec le plus de soin. Combien n’est-il pas à désirer qu’on simplifie la forme de procédure, qu’on examine les abus très-importants qui se sont introduits dans l’exercice de la justice ; qu’on abolisse surtout celte vénalité des charges de judicature, source et racine des plus grands maux! La discussion de cette matière importante est au-dessus de nos forces; il ne faut pas moins que la masse des lumières de toute la nation pour la traiter. Nous nous contenterons déporter nos doléances pour demander qu’on jette un coup d’œil sur les justices seigneuriales, et quoique nous n’ayons pas de plaintes à former contre celle d’où nous res-sortissons, nous croyons devoir mettre ici quelques réflexions. Toutes les campagnes forment le vœu le plus ardent pour que, dans tous les degrés de juridictions, la justice se rende au nom du Roi, celui seul qui doive la leur rendre, parce que c’est le premier attribut de sa couronne. Ce n’est que du souverain seul que les peuples doivent attendre la justice; lui seul a la puissance exécutrice. Pourquoi donc voit-on un si grand nombre de juridictions où la justice ne se rend point au nom du Roi? S’il connaissait tout le mal qu’il en résulte, s’il savait que le plus grand nombre de ces sièges sont composés de juges et d’officiers sans lumières, il tremblerait pour ses sujets de voir que leurs intérêts, leur honneur et leur vie sont confiés à l’ignorance. il voudrait que toute juridiction fût composée d’un juge éclairé, auquel la fonction délicate de rendre la justice aux sujets du Roi et pour le Roi ne soit point conférée sans un examen le plus sérieux; il voudrait que le juge fût assisté dans les sièges de première instruction de deux assesseurs, soumis au même examen que lui. Lorsque le Roi aura entendu le vœu de tous ses sujets, lorsqu’il saura que, pour obtenir la justice qui devrait être et prompte et presque gratuite, ses peuples sont forcés pour la plupart de passer par trois et même quelquefois quatre degrés de juridiction, ce qui éternise les procès et ruine les familles, il jettera un regard bienveillant sur cet objet qui intéresse essentiellement le bonheur de ses sujets. Il ne voudra pas que, dans tout le royaume, l’exercice de la justice soit soumis à plus de deux degrés de juridiction; il n’en faut pas davantage, il n’en faut pas moins. Un seul degré de juridiction, indépendamment de ce que les frais de première instruction sont toujours plus considérables dans un grand tribunal, et qu’il faut toujours rapprocher les justiciables ; un seul degré, disons-nous ouvre trop de moyens, à la séduction. Ajoutons qu’il est si cruel de n’avoir pas la voie de l’appel lorsqu’on est jugé contre toute | équité, qu’on ne peut trop plaindre celui qui 621 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.| avec bon droit perd sa cause sans ressource. Ajoutons encore que deux degrés de juridiction établissent une concurrence : le premier juge craint l’infirmation, le second n’ose se décider à cette infirmation qu’après un mûr examen des droits respectifs des parties. Nous terminerons cette matière par une réflexion qu’on croit assez importante pour mériter quelque attention : ce serait que, dans toute cause sans exception, on prononçât le jugement à l’audience en présence du public ; on dit sans exception, car quoique nous n’ignorions pas qu’il y ait des affaires qui demandent à être examinées sur le bureau et qui exigent un rapport, nous pensons qu’on pourrait faire lecture du rapport à l’audience, qu’on pourrait laisser aux défenseurs des parties la liberté de plaider sous un rapport, après quoi on rendrait le jugement. On se plaint, et ce n’est pas sans raison, que presque tous les jugements où l’on remarque de la partialité, sont ceux qui sont prononcés sur appointements, sur délibérés, etc. LIBERTÉ. Art. 3. Ldiomme, en naissant, est libre ; la nature ne lui assigne d’autre maître que son Créateur et les auteurs de ses jours ; mais les passions qui le dominent et mettent souvent sa raison en défaut demandent un frein ; ce frein, c’est la loi. Or, comme la loi est inactive par elle-même, il faut une puissance exécutrice de cette loi, et c’est le souverain qui en est dépositaire. Le monarque, à qui l’exécution de la loi est confiée, a donc autorité sur ses sujets, mais ils ne cessent point pour cela d’èlre libres, car la loi, si elle est sage, n’a de prise sur eux qu’autant qu’ils ont enfreint ses préceptes. ‘Tant qu’ils marchent dans la voie de la justice, ils ont la portion entière de leur liberté, et la loi, bien loin de la leur enlever, leur en assure les prérogatives en veillant pour eux. L’homme le plus indigent , s’il est juste, a donc droit de réclamer la liberté individuelle, la prérogative de son être ; il a droit de l’attendre de la loi même à laquelle il s’est soumis. L’habitant des campagnes, qui sent cette vérité au fond de son cœur, ose élever sa voix, trop souvent impuissante, pour demander que la liberté de l’homme soit sacrée, que son asile soit inviolable tant! que la loi elle-même ne l’aura pas jugé; Pour demander que cette foudre, fruit du despotisme ministériel, et appelée lettre de cachet, lancée contre toute justice sur la liberté du citoyen, pour obéir à la passion de l’homme en place, soit anéantie. Que le décret ne soit lâché que sur les preuves évidentes du crime. Enfin, que cet usage barbare d’enlever le domicilié de sa demeure sur un simple soupçon, sans jugement préalable et d’après l’ordre tyrannique d’un simple exempt de maréchaussée, soit abrogé. Mais la liberté individuelle p’est pas la seule qu’il réclame ; celle de sa propriété dont on se joue ne doit pas être moins respectée que la première; ses titres à cette double propriété sont les mêmes. J’ai dit qu’on se jouait de la propriété, et dans le fait, soit pour ouvrir des routes prétendues royales, et où le Roi ne passe pas, soit pour des chemins prétextés de ville en ville et qui ne tendent qu’à conduire à un château, le plus souvent occupé par l’oppresseur, on ne craint pas de couper une plaine du meilleur rapport. Ces chemins, ouverts dans des largeurs de 40, 50 à 60 pieds, sont-ils arrivés jusqu’au château, dont le propriétaire seul a besoin, et où il ne va pas quelquefois quatre fois l’année, alors tout cesse, et ces villes pour lesquelles soi-disant ils étaient commencés, ne les voient jamais parvenir jusqu’à elles, Encore si on accordait au propriétaire dont on prend l’héritage un dédommagement proportionné à sa perte, le mal qui n’en serait pas moins fait, puisque ce serait toujours ouvrir à pure perte un terrain précieux à la production, lui serait moins sensible; mais il éprouve encore la douleur de voir planter sur le restant de son héritage des arbres dont il n’aura pas la propriété, et qui, par leur nature, leur ombre et leurs racines, anéantiront le produit du peu qui lui restait. Ne dissimulons rien ; c’est surtout en laissant couvrir les plaines de gibier de toute espèce qu’on se joue dé la propriété, gibier qui dévaste les campagnes, détruit l’espoir des moissons et ne laisse à l’homme, pour sa subsistance, que ce qu’il n’a pas pu dévorer. Nota. Nous devons à la vérité de dire que cette sortie sur le gibier est mise ici plutôt pour se conformer au désir de toute la nation, que pour notre propre cause. Nous sommes vassaux d’un seigneur et d’une dame (M. le duc et madame la duchesse de Brissac) dont les bontés et la justice ne souffriront jamais que nous ayons à ce sujet de fortes plaintes à leur adresser, et si les plaines souffrent quelquefois de leur gibier, c’est plutôt à ceux. qu’ils commettent pour le détruire qu’à eux-mêmes qu’il faut s’en prendre. Le peu de dommages que leur gibier peut occasionner est toujours très-contraire à leurs vues bienfaisantes et aux ordres qu’ils donnent pour sa destruction. On croit qu’il serait de toute justice que tout cultivateur puisse tuer et s’appropiier impunément tout gibier qu’il trouverait sur sou héritage; on n’entend pointpar là que tout particulier eût droit de chasser en plaine avec armes à feu, non ; tout son droit, qui est un droit naturel, se restreindrait à tendre dans son héritage des lacs, filets, collets, etc., enfin à ce qu’il puisse faire sur son héritage tout ce qu’il aviserait sans crainte des procès-verbaux. Cette faculté de tuer tout gibier en flagrant délit suffirait, sans toucher à la propriété des seigneurs, à la féodalité, pour réduire la grande quantité de gibier à un assez petit nombre pour l’empêcher de nuire à la production de laquelle l’homme, qui doit ce semble être préféré à tout titre, tire sa subsistance. Le droit de chasse est une propriété du seigneur que nous ne prétendons pas contester ; mais il est possible de concilier ce droit avec le nôtre sur nos moissons, fruit de nos travaux et notre propriété, que la grande quantité de pi-I geons et de gibier de toute espèce dévore; dans plusieurs provinces de la France, il est défendu de chasser dans la récolte pendante, même sur son propre fonds, depuis le mois de mars jusqu’au mois de septembre, et jusqu’au mois de novembre dans les vignes. Comment, en effet, payer les impôts et suffire aux autres dépenses nécessaires, lorsque nos récoltes sont ravagées toute l’année impunément par les chasseurs, les chiens et les batteurs qui ne cessent de trépigner dans tous les sens nos terres et nos semences? Les gardes-chasses qui ravagent nos terres se sont encore arrogé le droit d’entrer armés jusque dans nos maisons, licence quia souvent occasionné des querelles et l’effusion du sang. Licence d’autant plus répréhensible que, par le* lois du royaume, les gardes-bois seuls ont le droit 622 [États gén. 1789. Cahiers.] d’étre armés, ret que les gardes-chasse, se confiant trop dans leurs armes, sont toujours prêts à sou-tenirleur ravage contre des hommes paisibles et sans armes qui veulent défendre leurs moissons. Cherté des blés. Art. 4. Ce n’est pas à une plume aussi faible que la nôtre qu’il convient de tracer le tableau des calamités des habitants de la campagne, de cette extrémité à laquelle ils sont réduits par le prix exorbitant des denrées tdont ils prennent leur subsistance. D’autres peindront plus énergiquement que nous l’affreuse misère où ils sont plongés ; ils diront qu’ils ont vu des pères et mères de famille, hélas! en trop grand nombre, se retrancher une partie de la nourriture nécessaire au soutien de leurs forces abattues. Qu’ils en ont vu de plus malheureux encore qui, après les avoir laissées, ces forces, dans le travail de la journée, ne trouvaient pas, le soir, dans leurs tristes chaumières, à les réparer par un pain noir, indigeste et sans goût. Qu’ils en ont vu dont le comble du malheur était de restreindre le faible morceau que leur demandait en pleurant une jeûne bouche affamée ; ils diront, s’ils le peuvent, quels maux doivent naître du jeune-journalier, du malheureux mercenaire ; quelle suite funeste pour la population peut résulter de la privation d’une partie de l’aliment nécessaire à l’enfance. Les conséquences en font frémir et ne peuvent qu’émouvoir les entrailles paternelles duRoi. Cette pensée que son peuple jeûne, que les enfants de ses sujets manquent de subsistance, même jusque dans le sein de leur mère, déchirera son cœur tendre et compatissant. S’il était comme nous témoin de leur affreuse situation, il ordonnerait que l’on s’occupât à l’assemblée des Etats des moyens de prévenir cette extrême -cherté des productions. L’habitant de la campagne se trouverait heureux si le funeste accident qui a ravagé une partie de ses plaines devenait la cause préservatrice de semblables fléaux, Mais on ne peut dissimuler que cet accident de la grêle, tant cruel qu’il ait été, n’est pas la seule cause du rehaussement exorbitant du prix des denrées, et que l’exportation n’y ait contribué et peut-être plus contribué que le ravage du 13 juillet. Cette grêle n’a pas ravagé la moitié des moissons et dans un royaume aussi abondant en blé, il aurait pu se trouver une demi-année en avance, si bon n’en eût pas exporté. La prohibition de l’exportation hors du royaume éviterait donc seule, on ne craint pas de le dire, de pareils malheurs à l’avenir. La France pourra toujours et dans tout événement pourvoir à sa propre subsistance; mais pour bannir toute inquiétude et prévenir efficacement toute disette, établissons des magasins de blé, seigle, orge, etc., déposés partiellement dans tous les bourgs, villages et villes à marchés ; un tiers de la consommation annuelle, tout au plus moitié, serait plus que suffisant, si l’on prenait soin de re-liouveler tous les ans ou tous les deux ans; il n’y aurait pas un grain de blé de perdu. Qui que ce soit ne doute qü’on puisse éviter à jamais le fléau qui réduit les campagnes au désespoir. MENDICITÉ. Art. 5. U nous paraît honteux, déshonorant de [Paris hors les murs.] souffrir la mendicité dans un royaume qui peut et doit nourrir tous les individus qui le composent. L’humanité souffre de voir des vieillards qui ont épuisé leurs forces, soit en portant les armes, soit en cultivant la terre, réduits à 1 humiliation de mendier un pain qui leur devrait être assuré; de voir des femmes qui ont fourni des bras utiles à la défense ou à l’entretien de l’Etat, auxquelles l’Etat ne fournit pas la juste récompense qu’elles auraient droit d’en attendre; de voir des enfants, souvent orphelins de l’un et l’autre sexe, presque exposés à la rigueur du froid pouf se procurer de quoi soutenir leurs misérables existences. . Nés sur un sol fécond, il devient aride aujourd’hui pour eux. S’ils vivent dans un temps d’abondance, eux seuls éprouvent la disette; cependant ces hommes, ces femmes, ces enfants sont nos compatriotes, ils sont nos frères. Par le droit écrit de la nature, ils ont part à cette production, à cet aliment de l’humanité dont ils font partie, et si la société, en fondant la propriété, a renversé l’ordre naturel, la société, en prenant soin de ceux de ses membres qui, après s’être épuisés pour elle, ne peuvent plus la servir, rétablit l’ordre primitif et paye sa dette. Ne souffrons point ce reproche que les étrangers nous adressent et qui devrait nous faire rougir, que la France est le pays où l’on trouve le plus de mendiants. Le bannissement de la mendicité n’a rien d’impossible, soit qu'on se détermine à supprimer les ordres religieux et les abbayes commendutaires, soit qu’on prenne sur la propriété une certaine quotité proportionnelle à l’impôt ; chaque province, chaque ville, chaque paroisse suffira toujours à nourrir ses pauvres. Dans le premier cas, il ne serait point besoin de charger l’impôt. Le revenu des biens des ordres religieux et des abbayes suffirait aux besoins des pauvres. Dans le second, un huitième ou telle autre quotité en sus de l’impôt, qui même en ferait partie, (chaque redevable n’aurait toujours qu’un article sur le rôle) suffirait encore. Cette somme qui en proviendrait serait confiée à un bureau de charité établi dans chaque paroisse et qui serait composé des membres delà municipalité, du curé et de quelques dames de charité qui seraient chargées de la distribution des aumônes et qui rendraient compte au bureau de l’emploi de leurs fonds. On apporterait le plus grand soin à n’assister que ceux qui ne pourraient travailler, et tout vagabond serait transféré au dépôt, où on lui assignerait une occupation proportionnée à ses forces, et où il travaillerait comme forçat, enchaîné et privé de la liberté à temps fixé. PRIVILÈGES. Art. 6. Nous n’entrerons pas dans un grand détail sur cette matière. Il paraît que la nation entière, quelques intéressés exceptés, est convaincue que les privilèges sont un des plus grands abus introduits dans le gouvernement, et que la répartition égale de l’impôt sur tous les biens, tant nobles qu’ecclésiastiques, sera regardée aux Etats généraux comme dérivant d’un principe de droit naturel et de justice, qui ne peut souffrir aucune difficulté. . BIENS ECCLÉSIASTIQUES. Art. 7. On dit qu’on va s’occuper à l’assemblée de la nation de la suppression des ordres reh-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] 023 gieux, des abbayes commendataires et des dîmes. II ne nous appartient pas de traiter cette question; de quelque manière que la nation prononce, nous sommes persuadés que cette décision sera juste, et nous y souscrivons d’avance. On désire que la justice s’accorde avec le bien général; qu’on trouve moyen, avec le secours de ces suppressions, si elles ont lieu, de faire un sort égal à tous les curés de la campagne; que les prêtres qui les aident dans leurs fonctions de pasteur ne soient point omis, et que l’administration des sacrements soit gratuite. Gomme le revenu des biens, provenant des suppressions que nous ne faisons que supposer ici, serait plus que suffisant pour doter les pasteurs de la campagne (on comprend sous ce nom tout prêtre coopérant au ministère de la religion), l’excédant de ce revenu, qui serait très-considérable, pourrait être employé à l’abolition de la mendicité, suivant le vœu exprimé plus haut, et à fonder dans chaque diocèse, sous la direction de l’évêque, des maisons d’éducation où l’on instruirait des jeunes gens à la fonction trop négligée de maître d’école, et d’ou ils ne sortiraient, après un séminariat de quelques années, qu’ils n’aient été interrogés sur tous les objets que le peuple de la campagne a besoin de savoir, et surtout qu’il n’ait été reconnu qu’ils sont de bonnes mœurs. Les bonnes mœurs doivent intéresser la nation; un établissement de cette importance, bien dirigé, contribuerait à les perfectionner. MILICE. Art. 8. On regarde dans les provinces la milice, dans l’état où sont les choses, comme un grand mal, comme un fléau qui les désole. A l’époque des tirages, les cœurs se serrent, les esprits se tourmentent, la tristesse se peint sur les figures; tout annonce l’approche d’un événement redouté, et d’autant plus que le sort, qui est aveugle, semble préférer les individus les plus utiles à la société, ou à leurs familles, pour faire ressentir son atteinte. Ce qui doit déterminer à apporter des changements dans les milices, c’est qu’elles pressurent annuellement les familles indigentes par ce malheureux usage de faire des bourses, malgré les ordonnances et règlements à cet égard, usage d’autant plus difficile à empêcher, qu’il tient à la sensibilité des parents pour leurs enfants, et que les intendants et subdélégués, qui le voient, le tolèrent, s’en promettant apparemment quelques profits. Un peut donc regarder les milices comme un impôt onéreux pour les campagnes, qui désirent ardemment des changements, si on ne peut les abolir entièrement. RÉSUMÉ DES DEMANDES. Impôt territorial unique remplaçant tous les autres. Suppression des aides qui en sont la suite. Libre circulation intérieure. Fermes reculées à l’entrée du royaume. Suppression de la gabelle, sel marchand, vendu sur les salines pour le compte du Roi. Etablir des siéres d’instruction première où la justice se rende au nom du Roi, sièges composés d’un juge et de deux assesseurs. Former à ce sujet des ressorts de trente à quarante paroisses dans tous bourgs et villes à marchés. Que l’appel des sentences de ces sièges passe à un second tribunal qui jugerait définitivement et publiquement. Révision des lois civiles et criminelles. Suppression de la vénalité des charges de judi-cature. Peines corporelles égales pour tous, sur l’infraction des lois. Liberté individuelle sur laquelle la loi seule peut prononcer. Liberté de propriété. Chasse défendue dans les récoltes, gardes-chasses désarmés. Clôture des pigeons, destruction de la grosse bête. Sur la cherté des blés, prohibition de l’exportation, emmagasinement. Abolition de la mendicité, bureaux de charité dans les paroisses. Abolition des droits et privilèges exclusifs tendant à gêner le commerce intérieur, comme voitures publiques, bureaux de visite, droits de transit et autres. Abus dans le -privilège des postes aux chevaux, prix exorbitant des ports de lettres. Faire un sort égal à tous les curés de la campagne, augmenter la portion congrue des autres ecclésiastiques. Etablir des maisons d’éducation dans chaque diocèse pour instruire les maîtres d’école. Changements à faire dans les milices provinciales ou leur abolition. Référant au surplus des objets oubliés et que la prudence dictera à nos représentants devoir être soumis à la considération des Etats généraux, pour y être statué, ainsi qu’ils aviseront bon être. Signé de Lasalelle, chevalier de Saint-Louis; C. Prudhomroe; Charles Barbé; J. Rousseau, syndic ; Beihomme ; Bauce ; M. Paulmier ; Nicolas Paulmier; J.-B. Bauce :Graindorge; Antoine Lan-celin; M. Garçon; Amelot; Lefrançois; Charles Lorme ; Gratiat. Arrêté le présent cahier dont les pages ont été cotées et paraphées par nous, bailli de Pontchar-train, au désir de notre procès-verbal de nomination des députés de cejourd’hui 14 avril 1789. PlOT. CAHIER Des doléances , instructions et remontrances que les habitants, composant le tiers-état de la paroisse de Jouy et hameaux en dépendant , désirent être insérées dans le cahier général du tiers-état de la prévôté et vicomté de Paris , hors des murs de ladite ville, pour être porté aux prochains Etats généraux convoqués à Versailles pour le 27 du présent mois (1). Art. 1er. Que les voix y seront comptées par tête et non par ordre. Art. 2. Que les Etats généraux auront le droit de faire des lois conjointement avec le Roi, s’il veut y participer ; ainsi les Etats généraux auront la puissance légistative, et le Roi la puissance exécutrice. Art. 3. Que les Etats généraux se tiendront de cinq ans en cinq ans, passé lequel temps toute espèce d’impôts demeureront suspendus jusqu’à ce que lesdits Etats tiennent. Art. 4. Que les ministres soient tenus de rendre tous les ans, ainsi que les intendants des finances, (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire.