[Asiômbtée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre îmj 63 M. Lucas, député de l’Ailier, fait part à l’Assemblée d’uae délibération de la commune de Sénat, district de Gannat, offrant en don patriotique l’imposition des ci-devant privilégiés de cet endroit, pour les six derniers mois de l’année 1789. M. Camus. Je dépose sur le bureau trois pièces de monnaie fabriquées avec du métal provenant d’une fonte de cloche. Cette expérience répond victorieusement à ceux qui ont prétendu que le métal des cloches ne pourrait servir à faire de la monnaie de hillon ; son auteur présente des mémoires sur la fabrication de cette espèce de monnaie. Je prie l’Assemblée de les renvoyer au comité des monnaies. (Cette proposition est accueillie.) Une députation du peuple liégeois est annoncée et introduite à la barre. L'orateur de la députation commence un discours, mais n’en prononce que quelques phrases. M. Merlin interrompt sa harangue. M. Merlin. Les députés d’Avignon ODt été admis dans l’intérieur de la salle ; ceux de Liège, ainsi que toute députation d’un peuple étranger, ont le même droit à recevoir de nous cet honneur. Je fais donc la motion expresse de faire passer MM. les députés du peuple liégeois dans l’intérieur de la salle. (Cette motion est appuyée, décrétée et exécutée.) M. Durget. M. Fréteauvous a parlé ce matin du mécontentement qu’on cherche à inspirer aux cantons suisses; je suis assuré que la réception honorable que vous avez faite à une députation de Suisses, à la tête de laquelle se trouvait un homme chassé de son pays, est le prétexte que l’on emploie. Je pense donc qu’il serait très prudent de demander, avant tout, aux personnesqui viennent d’être admises dans l’intérieur de la salle, la communication de leurs lettres de créances. (Cette proposition est fortement appuyéepar le côté droit, et plusieurs voix répètent : Les pouvoirs !) M. de Mirabeau. Je suppose que MM. les députés liégeois ont fait part de leurs pouvoirs et qu’ils sont très en règle ; cette formalité de simple discipline est du fait du président de l’Assemblée. (Le côté droit murmure.) Cette formalité, je le répète, en dépit de la facile réfutation des interruptions, regarde le président. ( Les murmures augmentent.) Cette réclamation devait se faire au moment où la députation a été annoncée et non par une interruption désobligeante et tumultuaire. (Les murmures s’élèvent dans la même partie de la salle avec une force nouvelle .) Tous ces murmuras ne pourront me décourager pour que je ne fasse pas une observation que je crois essentielle. Les réclamants tumultuaires se tairaient s’ils savaient que MM. les députés liégeois ne sont pas tellement débiteurs de l’Assemblée nationale pour le bien que leur a fait son exemple, qu’ils ne soient aussi créanciers de l’Etat. C’est à ce dernier titre qu’ils viennent présenter une pétition que vous ne pouvez refuser d’entendre. Au reste, quant au reproche qu’on a voulu faire à l’égard des Suisses, il porte entièrement à faux. L’Assemblée, en les recevant, savait parfaitement qu’ils n’étaient pas envoyés par les treize cantons, mais députés d’un club. Je n’aurais pas demandé la parole si je n’a* vais voulu prouver à MM. les députés liégeois que la majorité de cette Assemblée ne prend aucune part à la motion désobligeante qui vient d’être faite, et sur laquelle je demande en conséquence la question préalable. ( Une grande majorité applaudit.) (On propose de fermer la discussion. — La discussion est fermée.) M. de Lachèze. On veut savoir si ces messieurs sejprésentent comme particuliers ou comme mandataires, et on vous somme, monsieur le Président, de vous en informer. (Une grande partie des membres du côté droit s’écrient : Les pouvoirs , les pouvoirs !) M. Fréteau. Il y a actuellement trois cent vingt ans qu’un monarque français armait pour la liberté les Liégeois; il y a plus de cent ans que nos traités avec cette puissance ont été renouvelés, et lorsque cette nation fait, depuis un an, de glorieux efforts pour devenir libre, les représentants du même peuple français peuvent-ils refuser d’entendre ses députés ? La bienséance exige qu’on les écoute jusqu’au bout, puisqu’ils ont été admis, puisqu’ils ont commencé un discours qui a pour principal objet une pétition importante , une réclamation d’un grand intérêt pour eux. (L’Assemblée décrète que la députation sera entendue sans interruption.), Quelques voix demandent encore la lecture des pouvoirs. Bientôt cette réclamation est portée en tumulte par tout le côté droit. Le côté gauche sollicite ie rétablissement de l’ordre. M. le Président emploie de vains efforts pour l’obtenir. Un temps assez long s’écoule. — Le calme paraît renaître. — L’orateur de la députation se dispose à reprendre son discours... M. de Folleville. Où sont les députés du peuple liégeois? M. de Jessé, présidant en l’absence de M. Bureaux : Les voilà ! M. de Folleville. Je ne les reconnais pas, M. Fréteau, membre du comité diplomatique, aurait dû vérifier leurs pouvoirs et en rendre compte à l’Assemblée. Le côté droit répète : Les pouvoirs, les pouvoirs ! Le silence se rétablit peu à peu. — L’orateur de la députation se fait entendre. M. de Folleville demande encore les pouvoirs et le côté droit avec lui. Un long tumulte succède. M. le Président rappelle M. de Folleville à l’ordre. Le côté droit réclame. — ■ Le côté gauche se lève. M. le Président. J’ai rappelé un membre à l’ordre, et j’ai ordonné, en vertu du droit que je tiens du règlement, que son nom fût inscrit sur le procès-verbal. M. do Folio ville. Je demande qu’il soit en 64 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1790.] même temps mis sur le procès-verbal que c’est sur l’ordre de M. le Président seul que j'ai été rappelé à l’ordre. (L’orateur de la députation veut continuer son discours, il est interrompu ; et chaque fois qu’il reprend la parole, quelques voix, qui se succèdent du côté droit, demandent la lecture des pouvoirs.) M. Lucas. Je demande que, pour faire cesser ce tumulte indécent, l’Assemblée déclare qu’elle fera mettre à l’Abbaye le premier qui interr ompra l’orateur. (Cette motion est appuyée par tout le côté gauche.) M. de Foucault. Je reçois la motion, et je permets à celui qui l’a faite et à ceux qui l’ont appuyée de venir m’arrêter. Vous avez reçu de vives réclamations au sujet de la motion deM. Merlin, et vous n’y avez eu aucun égard. Nous voulons bien rendre hommage aux députés d’un peuple, s’ils ont des pouvoirs légaux ; mais au moins devons-nous avoir le droit, quoique nous nous trouvions toujours dans une minorité désespérante (On rit), désespérante pour des âmes faibles, mais qui ne nous découragera jamais ; nous devons, dis-je, avoir le droit d’exiger d’une députation qu’elle fasse connaître ses pouvoirs. hile s’est offerte d’abord comme simple députation. On nous a ensuite annoncé qu’elle réclame des sommes dues aux Liégeois par l’État. Dans ces deux cas ses pouvoirs devaient être reconnus. Cependant on écoutait en silence quant la motion de M. Merlin a été présentée; que l’Assemblée décrète avant tout qu’elle veut recevoir les personnes qui se présentent comme députés du peuple liégeois, comme députés d’un peuple dont le souverain est en fuite, sans vérifier préalablement leurs pouvoirs, et nous nous soumettrons, nous nous résignerons avec patience ; nous ne nous opposerons à ce décret que par des voies légales, c’est-à-dire en n’y adhérant point. Nous résisterons toujours à l’oppression, parce que vous avez établi ce principe dans la déclaration des droits. (Le côté droit s’unit à cette déclaration par des app laudissemen ts . ) M. Alexandre de Lameth. Si je pouvais espérer que l’on allât aux voix et que ces scandaleuses oppositions cessassent enlin(jLes oppositions de la partie droite recommencent) ; si je pouvais espérer que ces scandaleuses oppositions cessassent enfin, que l’autorité jusqu’à présent sacrée de votre Président pût encore obtenir quelque respect, je ne parlerais pas ; et quoique souvent l’Assemblée ait été alarmée et le public effrayé des oppositions violentes qu’apportent quelques membres à nos délibérations, on n’avait pas encore entendu dire dans la tribune que la minorité avait le droit de s’opposer aux décrets de la majorité. La volonté de l’Assemblée nationale est l’expression de la volonté générale. (On entend à gauche des applaudissements, à droite de violents murmures.) Le résultat des opinions de la majorité des représentants de la nation est, quoi qu’en dise un petit nombre d’hommes, l’expression de la volonté générale. (Les murmures continuent.) Quant à la patience dont ces hommes osent parler, elle n’est pas de leur côté, elle est du côté de la nation ; qu’ils frémissent qu’elle ne s’altère 1 (Les tribunes applaudissent). (Le côté droit demande que M. de Lameth soit rappelé à l’ordre.) M. de Murlnaig, s’adressant à la partie droite : C’est une infamie ! On vous menace du peuple : vous l’entendez ; vous entendez les applaudissements des tribunes ; vous devez savoir ce qui vous attend. Quel que puisse être le sort qu’on nous prépare, nous le verrons venir avec tranquillité. Je vous recommande le plus grand silence. M. Alexandre de Lameth. Je demande s’il est rien de plus scandaleux que de voir la minorité s’opposer au vœu de la majorité. Pourquoi sommes-nous envoyés? Pour faire des lois : si les lois nationales ne sont pas le résultat du vœu de la majorité des représentants de la nation, nous ne pouvons rien faire ici, il faut nous retirer. Je fais la motion que celui qui s’opposera à l’exécution d’un décret d’ordre soit rappelé à l’ordre, et que, s’il s’en honore et n’obéit pas, on mette aux voix la motion déjà proposée de le conduire à l’Abbaye. Je réclame donc le silence, je le réclame au nom de l’Assemblée. Je vous demande, monsieur le Président, de faire exécuter son règlement et les décrets qu’elle vieDt de rendre. Je demande enfin que ma motion soit mise aux voix. M. de Mirabeau. L’Assemblée doit être obéie, l’Assemblée veut être obéie. Elle a ordonné que les citoyens de Liège, admis à la barre par M. le Président, seraient reçus dans l’intérieur de la salle et qu’ils seraient entendus sans interruption. Ces deux décrets doivent être exécutés. Je demande donc simplement qu’on passe à l’ordre du jour, autrement j’appuie la motion de M. Alexandre de Lameth. (L’Assemblée décide qu'on passera à l’ordre du jour.) L’orateur de la députation prononce son discours, qui est ainsi conçu : Messieurs, chaque jour cette enceinte auguste entend bénir les bienfaiteurs, les sauveurs de la France ; chaque jour, d’un bout du royaume à l’autre, des concerts de louange et d’approbation viennent y retentir; quelquefois même, du sein de ces contrées étrangères que le despotisme enchaîne, que les préjugés aveuglent, ou qu’une politique intéressée arrête encore, la voix courageuse, mais isolée de l’ami des hommes, est parvenue jusqu’à vous : recevez aujourd’hui, Messieurs, l’hommage public et solennel d’un peuple entier, d’un peuple qui ose se croire digne de vous, l’hommage du peuple Liégeois I Nous venons en son nom vous payer le tribut de respect, d’admiration, de reconnaissance qu’on doit aux régénérateurs d’un grand empire, aux législateurs philosophes et intrépides, qui, dans le court espace d’une année, ont avancé, de plusieurs siècles, la raison humaine, et répandu dans l’univers des germes de liberté, de bonheur, qu’on n’étouffera plus. Les Liégeois, les premiers, ont eu la gloire de céder à cette impulsion puissante que vous avez donnée à l’Europe : les premiers, ils ont osé marcher de loin sur vos traces. Attentifs aux travaux immortels qui vous occupent, ils ont vu s’élever l’édifice admirable dont vous êtes les créateurs; ils ont senti que, désormais, le sort de l’espèce humaine était attaché à la destinée des Français; ils ont vu avec ravissement s’approcher ce grand jour où vous deviez recueillir le fruit mérité de votre courage et de votre constance ; ce jour où la France entière, rassemblée sous les yeux de ses régénérateurs, viendrait jurer, sur l’autel de la patrie, de soutenir leur ouvrage. Le