110 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 29 CAMBON : Votre comité des finances, toujours attentif à surveiller l’exécution des lois dans cette partie, vient encore vous parler d’une loi dont les principes furent adoptés sur une pétition, et contre laquelle il vous fit connaître son opinion, et qui a occasionné à la République les embarras et les pertes que ceux qui l’ont provoquée ont voulu lui faire éprouver; mais, en veillant à l’intérêt public, nous ne devons pas oublier l’intérêt des citoyens honnêtes et industrieux; c’est pour cette classe que vos comités des finances et de salut public viennent réclamer des interprétations à la loi du 18 messidor dernier, qui dérivait d’une loi antérieure. Cette loi porte que ceux qui avaient entre leurs mains des fonds ou effets appartenant aux pays qui sont en guerre avec la République les déposeraient, dans le délai d’un mois pour ce qui serait échu, et à fur et mesure des échéances pour ce qui ne serait pas échu, dans les caisses de districts, et, à Paris, à la trésorerie nationale. L’article II de ce décret porte : « Les monnaies étrangères qui seront dues seront réduites en monnaie de France, d’après le cours des changes à Paris, à l’époque du décret qui ordonne la saisie et le séquestre des biens des étrangers; et leur montant ainsi calculé sera déposé en assignats ». Ces dispositions ont fait naître les questions suivantes : 1) La loi s’applique-t-elle aux sommes dues à des habitants de Dantzig, Lubeck, Hambourg, Augsbourg et Brême, villes hanséatiques ? 2) Exigera-t-on des manufacturiers, ouvriers et marchands qui ont fait venir des marchandises sujettes au maximum, qu’ils se conforment rigoureusement à l’article II, pour la fixation des sommes qu’ils seront dans le cas de déposer ? 3) Admettra-t-on en compensation des sommes dues à des étrangers celles que ces mêmes étrangers se trouveraient devoir à des Français ? Vos comités des finances et de salut public ont donné toute leur attention à l’examen de ces diverses questions, et ils m’ont chargé de mettre le résultat de leurs réflexions sous vos yeux. Votre intention a été de frapper les ennemis de la liberté; mais doit-on placer dans cette classe les habitants de 5 villes qui ne se trouvent entraînées dans la coalition des tyrans ligués contre la France que parce qu’elles n’ont pas encore la force nécessaire pour assurer leur' indépendance ? Ces villes ont paru à vos comités mériter une exception qui prouvera à l’Europe que la nation française, terrible envers les suppôts de la tyrannie, sait être généreuse envers ceux dont les torts appartiennent, dans la réalité, au despotisme qui maîtrise leur inclination et leur volonté. Nous vous proposons, par ces considérations, de déclarer que le décret du 18 messidor ne s’applique point aux habitants de Dantzig, Lübeck, Hambourg, Augsbourg et Brême. La deuxième question intéresse essentiellement la prospérité du commerce et les succès de l’industrie nationale, qu’il est si important de favoriser. La nécessité de déjouer les manœuvres de l’agiotage et les spéculations criminelles de ces vampires qui n’ont point de patrie vous ont déterminés à fixer dans de justes proportions le prix des objets de première nécessité. Votre intention bien connue a toujours été de punir ces hommes qui, se jouant du crédit public, ont employé le cours des changes pour avilir notre monnaie républicaine et augmenter par ce moyen nos dépenses; mais vous voulez protéger l’homme honnête et industrieux, qui par ses soins alimente nos marchés, et fournit à nos besoins des marchandises de première nécessité. Aussi vos comités ont-ils pensé qu’il ne serait pas juste que les manufacturiers, marchands et ouvriers, qui auraient profité de leurs anciennes relations dans l’étranger pour importer en France des matières ou marchandises dont nous éprouvions le besoin, supportassent aujourd’hui l’effet de la défaveur dans laquelle nos changes se trouvaient à l’époque du séquestre des biens des étrangers, tandis qu’une loi de la République a fixé invariablement le prix de leurs marchandises au taux auquel elles se vendaient en 1 790, avec le tiers en sus. Nous vous proposons donc de décider que les sommes à déposer par les manufacturiers, marchands et ouvriers, débiteurs des habitants des pays avec lesquels la République est en guerre, seront calculées à raison du tiers en sus du pair du change ordinaire, tel qu’il sera déterminé par l’état arrêté par les commissaires de la trésorerie nationale, et approuvé par le comité des finances. La troisième question est celle de savoir si les Français débiteurs de l’étranger, auxquels l’étranger devrait également, seront admis à la compensation. Cette question a paru à vos comités infiniment délicate; la compensation paraît, au premier coup d’œil, naturelle et juste; mais, admise sans précaution, elle pourrait ouvrir la porte à une foule d’abus; on pourrait nous présenter de vieilles créances que l’on ferait ainsi revivre au préjudice de la République : ceux qui ont exporté nos marchandises ou denrées en pays étrangers, par une spéculation sordide, ou pour nous affamer, ou pour y emporter leur fortune, y trouveraient encore le moyen de s’en assurer le paiement. Vos comités ont donc pensé qu’il était indispensable de mettre pour condition à la compensation : 1) qu’elle ne pourra avoir lieu que pour les créances postérieures au 20 avril 1 792, époque de la première déclaration de guerre; 2) que les propriétaires de ces créances seront tenus de déclarer et certifier que les débiteurs n’ont ni suspendu ni cessé leurs payements pour cause de faillite et d’insolvabilité; 3) qu’ils fourniront un état de débet et crédit de ce qui leur est dû; 4) de prouver par leurs livres que ce qui leur est dû provient des ventes qu’ils ont faites des marchandises de leurs manufactures ou ateliers, ou de leur commerce habituel; 5) de SÉANCE DU 16 THERMIDOR AN II (3 AOÛT 1794) - N°30 111 fournir leur certificat de résidence et non-émi-gration. Telles sont les bases du projet de décret que je vais vous soumettre. Votre comité ne vous dissimulera pas que, quelques précautions qu’il prenne pour éviter des froissements dans l’exécution du principe qu’on vous fit décréter, elle ne peut éprouver que de grands obstacles; mais les circonstances exigent que vous le mainteniez, et nous vous proposerons successivement les mesures que les réclamations feront connoître devoir être nécessaires (1). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de CAMBON, au nom] des comités des finances et de salut public, décrète : Art.I. Les sommes qui seront dues en monnoies étrangères aux habitans des pays qui seront en guerre avec la République, par des ouvriers, des manufacturiers ou des marchands, pour des marchandises sujettes au maximum, ne seront calculées qu’un tiers en sus du pair du change ordinaire, qui sera déterminé par les commissaires de la trésorerie nationale, et approuvé par le comité des finances. IL Les sommes qui sont dues aux habitans des villes de Hambourg, de Lübeck, de Dantzig, de Brême et d’Augsbourg, seront exemptes du dépôt ordonné. III. Les manufacturiers, ouvriers ou marchands, qui sont débiteurs des habitans des pays en guerre avec la République, et qui sont en même temps créanciers, seront admis à la compensation. IV. Pour être admis en compensation, les ouvriers, manufacturiers ou marchands seront tenus de prouver que leurs créances ont une cause postérieure au 1er avril 1 792, époque de la première déclaration de guerre; qu’elles proviennent d’un envoi de marchandises de leur fabrique ou de leur commerce habituel : ils seront aussi tenus de remettre un compte en débit et crédit de leurs dettes et créances sur les habitans des pays en guerre avec la République, certifié véritable, avec une déclaration par laquelle ils affirmeront que leurs débiteurs n’ont suspendu ni arrêté leur paiement pour cause de faillite ou d’insolvabilité. Ils fourniront, en outre, leur certificat de résidence et de non-émigration. V. Ceux qui feront une fausse déclaration, ou qui fourniront un faux état, seront condamnés à une amende du triple de l’erreur qu’ils auront commise. VI. Le délai fixé par la loi du 18 messidor (2), pour faire les dépôts, est prorogé jusqu’au 15 fructidor prochain. VIL Le présent décret sera inséré dans le bulletin de correspondance; ce qui servira de promulgation provisoire (3). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 366. (2) Cf. Arch. Pari, T. XCII, séance du 18 mess., n° 55. (3) P.-V., XLIII, 8. Minute de la main de Cambon. Décret n° 10 223. Bm , 28 therm. (2e suppl1); Débats, n° 682; Audit, nat., 30 Sur la proposition d’un membre [MERLIN (de Thionville)], la Convention nationale rend le décret suivant : La Convention nationale décrète que l’exécution du décret du 15 de ce mois, relatif aux ci-devant prêtres et nobles, est suspendue; charge ses comités de salut public et de sûreté générale, réunis, de lui faire un rapport, dans un bref délai, sur les moyens d’employer ceux de ces citoyens qui pourraient être utiles (1). MERLIN (de Thionville) : Je ne parais pas à cette tribune pour plaider la cause des prêtres et des nobles; j’ai demandé leur expulsion des places avant tout autre, et mes sentiments sur cet objet sont connus de mes collègues; mais je viens parler en faveur de la chose publique, que le décret d’hier sur les ci-devant prêtres et nobles peut compromettre; je n’en dirai pas les motifs, tous mes collègues les pressentent; je me servirai d’un motif général : c’est l’égalité que je veux ramener, et que les malveillants seuls n’ont pas droit d’invoquer; je demande donc à la Convention nationale qu’elle décrète que l’exécution de son décret d’hier contre les ci-devant prêtres et nobles est suspendue, et que le comité de salut public est chargé de présenter à la Convention nationale la liste de ceux de ces citoyens qui peuvent être utiles. [Vifs applaudissements] (2). [Une courte discussion s’élève. BOURDON (de l’Oise) : Les vœux de l’assemblée sont, à ce qu’il me paraît, pour la suspension de l’exécution du décret rendu hier : je ne vois donc pas, aujourd’hui que l’instant de tout dire est arrivé, aujourd’hui que toute oppression est finie, je ne vois pas d’inconvé-niens à décréter la suspension pure et simple; et quand le comité présentera le mode d’exécution, nous le discuterons (3). GOUPILLEAU pense qu’on doit rédiger ce décret dans les mêmes termes que celui d’hier; qu’on ne doit plus se servir du mot caste, puisqu’il n’y en a plus; et qu’on ne doit point fixer la suspension à une décade, vu que dans cet espace les comités n’auront pas le tems de recueillir des renseignements sur eux] (4). [THIBAUDEAU appuie la suspension du décret dans son entier. GASTON opine aussi pour la suspension. Mais il demande que les comités présentent dans une décade, pour tout délai, la liste des ci-devant prêtres ou nobles qu’ils croiront utile n° 679; J. Paris, n° 582; J. Perlet, n° 681; J. univ., n° 1 715; F.S.P., nos 395 et 396; Ann. R.F., n° 246; J. Fr., n° 678; M.U., XLII, 283; J.S. -Culottes, n° 536; Rép., n° 228. Mention dans C. univ., n° 946; Mess. Soir, n° 714, J. Lois, n° 677; J. Mont., n° 97. (1) P.-V., XLIII, 10. Bm, 16 therm.; Ann. pair., n° DLXXX; J.S. -Culottes, n° 535; C. Eg., n° 715. Décret n° 10 219. Rapporteur : Merlin (de Thionville). Voir décret du 15 therm. II, n° 69. (2) Moniteur ( réimpr.), XXI, 384. (3) Débats, n° 682, p. 294; J. Lois, n° 677. (4) J. Fr., n° 678; Ann. R.F., n° 245. SÉANCE DU 16 THERMIDOR AN II (3 AOÛT 1794) - N°30 111 fournir leur certificat de résidence et non-émi-gration. Telles sont les bases du projet de décret que je vais vous soumettre. Votre comité ne vous dissimulera pas que, quelques précautions qu’il prenne pour éviter des froissements dans l’exécution du principe qu’on vous fit décréter, elle ne peut éprouver que de grands obstacles; mais les circonstances exigent que vous le mainteniez, et nous vous proposerons successivement les mesures que les réclamations feront connoître devoir être nécessaires (1). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de CAMBON, au nom] des comités des finances et de salut public, décrète : Art.I. Les sommes qui seront dues en monnoies étrangères aux habitans des pays qui seront en guerre avec la République, par des ouvriers, des manufacturiers ou des marchands, pour des marchandises sujettes au maximum, ne seront calculées qu’un tiers en sus du pair du change ordinaire, qui sera déterminé par les commissaires de la trésorerie nationale, et approuvé par le comité des finances. IL Les sommes qui sont dues aux habitans des villes de Hambourg, de Lübeck, de Dantzig, de Brême et d’Augsbourg, seront exemptes du dépôt ordonné. III. Les manufacturiers, ouvriers ou marchands, qui sont débiteurs des habitans des pays en guerre avec la République, et qui sont en même temps créanciers, seront admis à la compensation. IV. Pour être admis en compensation, les ouvriers, manufacturiers ou marchands seront tenus de prouver que leurs créances ont une cause postérieure au 1er avril 1 792, époque de la première déclaration de guerre; qu’elles proviennent d’un envoi de marchandises de leur fabrique ou de leur commerce habituel : ils seront aussi tenus de remettre un compte en débit et crédit de leurs dettes et créances sur les habitans des pays en guerre avec la République, certifié véritable, avec une déclaration par laquelle ils affirmeront que leurs débiteurs n’ont suspendu ni arrêté leur paiement pour cause de faillite ou d’insolvabilité. Ils fourniront, en outre, leur certificat de résidence et de non-émigration. V. Ceux qui feront une fausse déclaration, ou qui fourniront un faux état, seront condamnés à une amende du triple de l’erreur qu’ils auront commise. VI. Le délai fixé par la loi du 18 messidor (2), pour faire les dépôts, est prorogé jusqu’au 15 fructidor prochain. VIL Le présent décret sera inséré dans le bulletin de correspondance; ce qui servira de promulgation provisoire (3). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 366. (2) Cf. Arch. Pari, T. XCII, séance du 18 mess., n° 55. (3) P.-V., XLIII, 8. Minute de la main de Cambon. Décret n° 10 223. Bm , 28 therm. (2e suppl1); Débats, n° 682; Audit, nat., 30 Sur la proposition d’un membre [MERLIN (de Thionville)], la Convention nationale rend le décret suivant : La Convention nationale décrète que l’exécution du décret du 15 de ce mois, relatif aux ci-devant prêtres et nobles, est suspendue; charge ses comités de salut public et de sûreté générale, réunis, de lui faire un rapport, dans un bref délai, sur les moyens d’employer ceux de ces citoyens qui pourraient être utiles (1). MERLIN (de Thionville) : Je ne parais pas à cette tribune pour plaider la cause des prêtres et des nobles; j’ai demandé leur expulsion des places avant tout autre, et mes sentiments sur cet objet sont connus de mes collègues; mais je viens parler en faveur de la chose publique, que le décret d’hier sur les ci-devant prêtres et nobles peut compromettre; je n’en dirai pas les motifs, tous mes collègues les pressentent; je me servirai d’un motif général : c’est l’égalité que je veux ramener, et que les malveillants seuls n’ont pas droit d’invoquer; je demande donc à la Convention nationale qu’elle décrète que l’exécution de son décret d’hier contre les ci-devant prêtres et nobles est suspendue, et que le comité de salut public est chargé de présenter à la Convention nationale la liste de ceux de ces citoyens qui peuvent être utiles. [Vifs applaudissements] (2). [Une courte discussion s’élève. BOURDON (de l’Oise) : Les vœux de l’assemblée sont, à ce qu’il me paraît, pour la suspension de l’exécution du décret rendu hier : je ne vois donc pas, aujourd’hui que l’instant de tout dire est arrivé, aujourd’hui que toute oppression est finie, je ne vois pas d’inconvé-niens à décréter la suspension pure et simple; et quand le comité présentera le mode d’exécution, nous le discuterons (3). GOUPILLEAU pense qu’on doit rédiger ce décret dans les mêmes termes que celui d’hier; qu’on ne doit plus se servir du mot caste, puisqu’il n’y en a plus; et qu’on ne doit point fixer la suspension à une décade, vu que dans cet espace les comités n’auront pas le tems de recueillir des renseignements sur eux] (4). [THIBAUDEAU appuie la suspension du décret dans son entier. GASTON opine aussi pour la suspension. Mais il demande que les comités présentent dans une décade, pour tout délai, la liste des ci-devant prêtres ou nobles qu’ils croiront utile n° 679; J. Paris, n° 582; J. Perlet, n° 681; J. univ., n° 1 715; F.S.P., nos 395 et 396; Ann. R.F., n° 246; J. Fr., n° 678; M.U., XLII, 283; J.S. -Culottes, n° 536; Rép., n° 228. Mention dans C. univ., n° 946; Mess. Soir, n° 714, J. Lois, n° 677; J. Mont., n° 97. (1) P.-V., XLIII, 10. Bm, 16 therm.; Ann. pair., n° DLXXX; J.S. -Culottes, n° 535; C. Eg., n° 715. Décret n° 10 219. Rapporteur : Merlin (de Thionville). Voir décret du 15 therm. II, n° 69. (2) Moniteur ( réimpr.), XXI, 384. (3) Débats, n° 682, p. 294; J. Lois, n° 677. (4) J. Fr., n° 678; Ann. R.F., n° 245.