352 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE date faite à la nation française. Nos ancêtres, du temps de Charlemagne, furent défaits dans la plaine de Roncevaux; l’orgueilleux Espagnol, en mémoire de cet événement, avait élevé une pyramide sur le champ de bataille ; vaincu à son tour au même endroit par les Français républicains, déjà son propre sang en avait effacé les caractères; il ne restait plus que le fragile édifice, qui a été brisé à l’instant même. Le drapeau vivant de la République flotte aujourd’hui là où était le souvenir mourant de l’orgueil des rois, et l’arbre nourricier de la liberté a remplacé la massue destructive des tyrans. Une musique touchante et guerrière a suivi cette inauguration; les mânes de nos pères ont été consolés, et l’armée de la République a juré de vaincre pour la gloire du nom français de tous les âges, et pour le bonheur de la postérité. La nouvelle de plusieurs pièces d’artillerie découvertes sous les décombres du beau village du Burguet, incendié par l’ennemi, a augmenté l’allégresse commune, en même temps que plusieurs malades espagnols et quelques prisonniers français, trouvés mourants au milieu des flammes, ont excité une horreur générale contre la nation lâche et barbare que nous combattons, et le cri universel de guerre à mort aux tyrans! a été exprimé avec le besoin pressant de l’exécuter pour débarrasser la terre de ses oppresseurs, et faire revivre tous les droits de l’humanité. Salut et fraternité. Signé, M.-J. Baudot, Garrau. Insertion de ces deux lettres au bulletin (59). 13 Le rapporteur du comité des Secours présente les deux décrets suivans : a La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MENUAU, au nom de] son comité des Secours publics sur la pétition de la veuve Coru, dont le mari, lieutenant des grenadiers gendarmes de service près la Convention nationale, a été massacré par les brigans de la Vendée, décrète que, sur le vu du présent décret, la Trésorerie nationale paiera à la citoyenne veuve Coru la somme de 400 L à titre de secours provisoire, imputable sur la pension à laquelle elle a droit. Le présent décret ne sera imprimé qu’au bulletin de correspondance (60). (59) P.-V., XL VIII, 169. (60) P.-V., XL VIII, 169. Rapporteur Menuau, selon C* II 21, p. 21. Bull., 14 brum. b La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MENUAU, au nom de] son comité des Secours publics sur la pétition du citoyen François Delélée, acquitté par le Tribunal révolutionnaire après quatre mois et demi de détention, décrète que, sur le vu du présent décret, la Trésorerie nationale fera passer, sans délai, à l’agent national provisoire de la commune de Sainte-Suzanne, district d’Évron, département de la Mayenne, la somme de 450 L, pour être remise au citoyen François Delélée, domicilié de cette commune, à titre de secours et indemnité (61). 14 CAMBON, au nom du comité des Finances (62) : Citoyens, votre comité des Finances m’a chargé de vous proposer des mesures qui ont pour but de venir au secours de trois ou quatre cents citoyens indigents et malheureux, qui ont été forcés dans leur misère de recourir aux usuriers et de leur aliéner à vil prix une propriété, fruit de leur travail et de leur économie. Ce n’est plus de l’agiotage que je viens vous entretenir, c’est de l’usure, fléau très désastreux, qui ne sert qu’à ruiner les malheureuses victimes qui sont forcées d’avoir recours à ce triste expédient. Un grand nombre de propriétaires de rentes viagères, se trouvant dans une position malheureuse et obligés de se procurer des ressources, ont vendu leurs rentes à condition de réméré, c’est à dire qu’ils mettaient en gage leur propriété, puisqu’ils se réservaient la faculté d’en recouvrer la jouissance en remboursant la somme qu’on leur fournissait. Lorsque vous avez réglé le mode de liquidation et de répartition du capital provenant des rentes viagères, vous avez dû déterminer le sort des acquéreurs et des vendeurs, avec faculté de réméré. Sur la proposition du comité de Salut public, vous décrétâtes, le 8 messidor, que les personnes qui ont acquis des rentes viagères avec la condition de réméré n’auraient droit qu’à un capital qui ne pourrait pas excéder celui qu’elles ont fourni. Cette disposition était fondée en principe, car il n’était pas juste qu’un acquéreur, avec condition de réméré, dont la propriété et la jouissance devaient finir lorsqu’on lui rembourserait le capital qu’il avait fourni, eût droit à un capital plus fort. (61) P.-V., XL VIII, 169-170. Rapporteur Menuau, selon C’ II 21, p. 21. (62) Moniteur, XXII, 414-415. Ann. Patr., n° 672 ; Ann. R. F., n° 43; J. Fr., n° 769; Mess. Soir, n° 808; C. Eg., n° 807 ; M. U., XLV, 221 et 232. SÉANCE DU 13 BRUMAIRE AN III (3 NOVEMBRE 1794) - N° 14 353 De tous temps les gouvernements ont senti la nécessité de punir l’usure ; ce serait la récompenser que de payer à l’acquéreur à réméré le capital qui reviendra par la liquidation ; c’est ce qui serait cependant arrivé, si la disposition du décrêt du 8 messidor n’avait pas été adoptée. Car supposons qu’un propriétaire d’une rente viagère de 1 000 livres, constituée sur sa tête à 10 pour 100, ait été obligé, il y a dix ans, d’aliéner 800 livres de cette rente pour 6000 livres de capital : au taux de l’emprunt, l’acquéreur n’aurait dû jouir que de 600 livres de rentes ; il s’est donc procuré une rente de 200 livres en sus du taux fixé par le contrat, et si aujourd’hui cette rente de 800 livres produisait un capital de 8 000 livres, il bénéficierait encore de 2000 livres qui, naturellement doivent appartenir au vendeur. Cette proposition est si juste, qu’elle n’a pas besoin d’autres développements. Nous avons hésité longtemps si nous ne vous proposerions pas de diminuer, sur le capital qui reviendra à l’acquéreur, les intérêts qu’il a reçus en sus du taux fixé par le contrat; mais nous avons été arrêtés dans cette idée par la considération que cet acquéreur aurait pu obtenir directement du gouvernement un intérêt égal à celui accordé à son vendeur, et qu’ alors il n’aurait pas été obligé d’unir sa fortune au sort et à l’existence d’un étranger, qui souvent aurait pu compromettre sa propriété, soit en s’exposant à des voyages de longs cours, soit par un déplacement qui aurait mis le propriétaire dans l’impossibilité de se procurer le certificat de vie nécessaire pour recevoir le payement annuel, soit par divers accidents. Dans ces circonstances, il devient difficile d’évaluer le risque de l’acheteur, et de déterminer ce qui est usuraire. Le travail qu’on voudrait faire pour y parvenir, donnerait lieu à des difficultés inextricables, et finirait par entraver la liquidation qu’il est instant de terminer. Votre comité a pensé que la disposition du 8 messidor, qui a déterminé que l’acquéreur à réméré, n’aura droit que jusqu’à concurrence du capital qu’il a donné, doit avoir son exécution. Mais cette même loi faisait bénéficier la nation de la portion du capital de la rente viagère qui n’était pas due à l’acquéreur ; à la vérité, vous avez fait des exceptions en faveur des vendeurs indigents, puisque vous avez chargé vos comité des Finances et de Salut public d’examiner les pétitions des citoyens indigents qui auraient vendu à condition de réméré et d’y statuer en rendant aux indigents le bénéfice que la nation pourrait faire sur la liquidation. Votre comité des Finances a reçu déjà quatre cents pétitions qui réclament cette faveur de la loi ; presque toutes sont appuyées de certificats d’indigence et autres témoignages favorables; dans toutes on remarque le propriétaire d’une petite rente, forcé de la vendre, pour se procurer quelques fonds, à trois ou quatre usuriers toujours les mêmes, qui faisaient métier d’acheter ces rentes à des conditions plus ou moins ruineuses pour le malheureux. Les pétitionnaires retracent les circonstances fâcheuses qui les ont forcés d’aliéner, le défaut de moyens qui les a empêchés d’exercer leur faculté de réméré, et le droit qu’ils ont à l’exception bienfaisante décrétée en leur faveur. Quelques-uns observent que si la loi ne leur avait pas enlevé la faculté qu’ils s’étaient réservée de rentrer dans leur propriété, ils auraient pu pendre des arrangements avec leur acheteur. Cette assertion paraît d’autant plus probable que nous pouvons assurer la Convention que la plupart des acquéreurs des rentes avec faculté de réméré auraient désiré éviter de faire connaître les conditions qu’ils avaient imposées à l’indigence, et nous sommes persuadés que, si la loi leur eût permis de rétrocéder leurs droits à leurs vendeurs, ils se seraient empressés de s’en dessaisir. Votre comité des Finances, d’après l’examen qu’il a fait de ces diverses pétitions, a pensé que vous deviez accorder aux vendeurs la faculté de rentrer dans leur propriété d’ici au 1er nivôse, et de dispenser les vendeurs de l’obligation qui leur est imposée de s’adresser aux comités des Finances et de Salut public, de prouver leur indigence pour rentrer dans leur propriété. Il est constant que ceux qui ont acheté des rentes à réméré ont prêté avec usure, et que ceux qui se sont mis sous la main pesante de ces usuriers sont des malheureux qui y ont été contraints par la nécessité. La loi du 8 messidor laisse un espoir au vendeur qui a été forcé par le besoin d’aliéner sa propriété, et elle le soumet à des formalités toujours longues, pénibles et même désagréables, pour rentrer dans cette propriété. Ces vendeurs indigents ne doivent pas trouver pire condition avec vous. Votre comité a pensé qu’il serait indigne d’une grande nation de vouloir profiter de bénéfices provenant d’une usure, dont le résultat tourne au préjudice de l’indigence. Il vous propose donc de rapporter l’article XV de la loi du 8 messidor, et de rendre, par un décret général, aux propriétaires qui ont vendu, l’excédant de la liquidation, que cette loi ne leur attribuait que par exception. Ils doivent avoir aussi le même droit qu’ils avaient avant la loi qui a soumis les rentes viagères à la liquidation, celui de les racheter en prenant avec leurs acquéreurs les arrangements qu’ils trouveront convenables. Les vendeurs à réméré auront la faculté d’opter pour une rente viagère, ou pour une inscription, sur le grand livre, du capital qui leur reviendra par la liquidation. Le délai dans lequel ils pourront exercer la faculté de réméré sera fixé au 1er nivôse, pour ne pas retarder trop la liquidation; mais ils auront jusqu’au 1er ventôse pour se faire reconnaître à la Trésorerie nationale. En adoptant ces mesures, vous avez une nouvelle occasion de prouver aux malheureux et aux indigents l’intérêt que vous prenez à leur sort et votre empressement à venir à leur secours. Vous rendez une propriété à ceux qui avaient perdu l’espoir de la recouvrer, et vous mettez fin à près de quatre cents pétitions.