[États gén. 1789, Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Draguignan.] 277 fice d’une partie de leur nécessaire, afin de manifester de plus en plus leur fidélité, leur amour et leur respect pour un Roi juste et bienfaisant. Paraphé ne varietur , signé Fauton d’Andou, lieutenant général, à l’original. Et plus bas, signé Mougine-Roquefort, maire de Grasse; L. Luce, Bonnet, Reille-Bouvon, Roubaud fils, Preyre, Euzière, Lavalette, J. Gautier , Olli-vier et Ghabert, commissaires nommés pour dresser les présentes doléances. Collationné par moi, greffier et secrétaire de l’ordre du tiers-état, soussigné, sur l’original à Grasse le 15 avril 1789. Signe Maubert, greffier et secrétaire. DOLÉANCES Des officiers de la sénéchaussée de Grasse , adressées h M. le garde des sceaux. Monseigneur, Plusieurs siècles de splendeur et d’éclat avaient couvert et envenimé les plaies de la France ; une longue chaîne d’années glorieuses avait sourdement préparé des jours de deuil ; la nation jouissait en apparence d’un bonheur solide et réel, au moment même où elle penchait vers l’abîme qui menaçait de l’engloutir; un sommeil profond, celui de la confiance, en lui présentant les illusions flatteuses d'un beau rêve, lui dérobait la connaissance du progrès rapide de ses maux; tel était notre état, lorsqu’une main hardie vint déchirer le voile qui le cachait à nos propres yeux et nous mit à même de sonder la profondeur de nos blessures. Le premier sentiment que fit naître ce réveil aussi salutaire qu’effrayant, fut celui de la terreur. Le peuple français s’indigna d’avoir été trompé ; il craignit un instant que son erreur ne lui eût préparé une infortune éternelle, et il regretta presque d’avoir été désabusé. Mais bientôt une flatteuse espérance vint effacer la crainte de tous les cœurs. Au premier regard que les Français jetèrent sur le trône, ils y virent leur salut, ils y virent, avec l’émotion de la joie, un Roi bon, juste, humain et généreux ; ils y virent avec admiration un monarque sage et profond dans sa politique, ferme et inébranlable dans ses projets pour le bien public. Tels furent les objets de consolation et d’espoir que le trône fit briller aux yeux de la nation affligée, qui cessa tout à fait de craindre le triste sort qui la menaçait, lorsqu’elle vit son illustre souverain faire reposer le précieux dépôt de sa confiance sur des ministres parfaitement dignes de sa sagesse et de sa vertu, et qui, portant le même degré d’affection au monarque et à la nation, s’efforcent, dans la pureté de leur zèle d’opérer le bien général. L’espoir que la France a conçu sur de si justes motifs, Monseigneur, n’a pas été vain. Déjà le jour n’est pas loin où ses représentants, aux pieds de leur souverain, lui exposeront les maux qu’elle souffre, les secours dont elle a besoin, et recevront de son auguste bouche la certitude d’un plus heureux avenir; déjà le sujet de nos craintes est devenu celui de nos espérances, déjà les intérêts obscurs déguisés sous des prétextes éclatants ne sont plus écoutés, déjà les brigues et les cabales particulières, ennemies du bonheur général, sont impuissantes ; tout concourt au bien de tous, et la lumière heureuse de la vérité a dissipé les nuages épais de l’opinion qui en interceptaient les rayons. Dans ces circonstances fortunées, dont nous goûtons d’autant mieux les charmes que notre impatience d’en jouir a été grande, nous prenons la liberté de vous adresser, Monseigneur, les doléances suivantes, et de vous supplier de vouloir bien les mettre sous les yeux de Sa Majesté ; nous osons nous flatter qu’elle daignera y avoir égard et ordonner : 1° Qu’aux Etats généraux qui suivront ceux de cette année, les magistrats formant le corps de chaque sénéchaussée seront admis à y dépu ter de telle manière qu’il plaira à Sa Majesté de fixer. Outre les motifs particuliers qui les engagent à réclamer un droit que le Roi vient d’accorder à tous ses sujets en général, un intérêt bien plus sacré, celui de leurs justiciables, dont ils sont, par la nature de leurs fonctions, à portée de connaître les besoins, leur fait une loi de solliciter cette représentation, dont ils ne pourraient être privés d’ailleurs sans injustice ; 2° Que le code civil et criminel, dont on reconnaît tous les jours les défectuosités et les imperfections, sera réformé; 3° Que la vénalité des charges sera abolie, et qu’elles seront désormais accordées au mérite; que les provinces seront chargées de payer aux titulaires actuels la valeur de leurs offices ; mais pour que ce remboursement soit moins onéreux auxdites provinces, elles ne seront astreintes à l’effectuer qu’au décès ou à la démission des anciens pourvus ; 4» Que la justice sera, à l’avenir, rendue gratuitement et qu’en conséquence, les provinces ayant un intérêt majeur à cette distribution gratuite, elles donneront aux officiers des émoluments tels qu’il plaira à Sa Majesté de les fixer dans le sein de sa prévoyance et de sa bonté. 5° Que puisque la province doit retirer tout le fruit de la suppression de la vénalité des charges et de la distribution gratuite de la justice, elle sera chargée d’acquitter dans un temps déterminé la dette de 8,000 livres dont la sénéchaussée de Grasse est grevée et qu’elle a été obligée de contracter, savoir : 6,000 livres pour fournir les diverses sommes que nos rois lui ont successivement demandées, et 2,000 pour le remboursement de l’office de juge royal réuni à la sénéchaussée; que la province acquittera, en outre, environ 10,000 livres d’arrérages qui se sont accumulés, malgré que les officiers de ce tribunal fassent depuis dix ans le généreux sacrifice du produit de leurs charges, en mettant en bourse commune toutes les épices et leurs émoluments pour payer les intérêts ; 6° Que la forme des procès sera simplifiée et tous les droits des greffes généralement supprimés; mais, comme il sera nécessaire d’établir un contrôle pour fixer la date des actes, il sera donné des appointements fixes à un contrôleur qui remplira ces fonctions gratuitement ; 7° Qu’il sera établi une brigade de maréchaussée dans cette ville, où elle est d’une nécessité absolue, tant à cause du voisinage de la frontière qu’à raison des commissions importantes que le siège est souvent dans le cas de lui confier. Elle est d’ailleurs nécessaire pour croiser sur les routes de la montagne qui sont très-fréquentées, et qui sont cependant peu sûres , la brigade la plus voisine étant celle de Cannes, dont les courses ne s’étendent pas jusque-là ; 8° Qu’aux Etats généraux qui suivront ceux de 1789, le ressort de la sénéchaussée de cette ville sera admis à députer directement et sans être réuni à aucun autre, prérogative dont il jouit aux Etats de 1588 et qu’il n’a pas dû perdre, puisque les motifs qui la lui méritèrent alors, sa po- 278 [États gén, 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Draguignan.] pulation, son commerce et son étendue, ont reçu depuis cette époque une augmentation très-considérable ; 9° Que dans le cas où Sa Majesté, dans sa sagesse infinie, déciderait de changer la forme des tribunaux et de leur donner plus ou moins d’étendue ou d’importance, elle est suppliée de ne pas perdre de vue que la sénéchaussée de Grasse mérite d’être distinguée des autres sénéchaussées de la province ; son ressort est d’une conséquence majeure, à raison de sa population, des villes et des gros bourgs qu’il renferme. Il a dans son arrondissement deux justices royales, deux évêchés Grasse et Vence. La population de cette première ville s’élève à 15,000 âmes ; d’ailleurs ses diverses branches de commerce, ses nombreuses fabriques, et l’industrie générale de ses habitants, la rendent d’une conséquence de beaucoup supérieure à sa population. La proximité de la frontière exige aussi à Grasse un tribunal des plus importants. Ce voisinage procure un grand nombre de vagabonds et de malfaiteurs. C’est là qu’une justice criminelle, vigilante et éclairée est nécessaire pour prévenir les crimes et en assurer la punition ; 10° Que les tribunaux d’exception seront supprimés; 11° Que le greffier en chef de cette sénéchaussée, qui réside à Marseille et qui n’a pas môme fait enregistrer ses provisions au greffe de ce siège, sera obligé d’exercer en personne ou de se démettre de son office; 12° Que le palais de justice de cette ville sera réparé ; cet édifice tombe en ruine et n’est plus habité depuis huit ans ; cependant les réparations ne coûteraient pas dans ce moment 6,000 livres, et le domaine est grevé d’un loyer considérable pour une salle de justice insuffisante et bien peu assortie à la dignité des fonctions qu’on y exerce ; 13° Que Sa Majesté daignera prendre en considération la ville de Grasse si recomman.dable par l’industrie et l’activité de ses habitants ; son territoire, peu étendu et montueux, serait d’un produit insuffisant pour acquitter les charges publiques, si elle n’y suppléait par l’importance de son commerce qui lui donne un rang distingué parmi les plus grandes villes de la province, ainsi qu’on peut s’en convaincre par le tableau ci-joint. Telles sont, Monseigneur, les respectueuses doléances des officiers de la sénéchaussée de Grasse; ils se flattent que Sa Majesté ne les dédaignera pas, parce que les motifs qui les ont dictées, l’amour et le zèle pour le bien public, trouvent toujours un accès favorable auprès d’elle. Signé Fauton d’Andou, lieutenant général.