696 [Assemblé# nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1 0 août 1790.] M. Malonet. Je crois qu’il est dangereux de s’en tenir à une simple improbation et qu'il faut nécessairement donner une réparation aux ministres étrangers. La municipalité aurait dû au moins consulter son district, avant de commettre cette imprudence, avant de violer le secret de la poste. Je conclus à ce que la municipalité soit ou blâmée, ou suspendue, ou mandée à la barre. M. Martineau. Il faut, en tous cas, rappeler aux municipalités le principe de l’inviolabilité des lettres et de la liberté des courriers. Ces divers amendements sont fondus dans le décret qui est rendu en ces termes : < L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, considérant que le secret des lettres est inviolable, et que, sous aucun prétexte, il ne peut y être porté atteinte, ni par les individus, ni par les corps, décrète : « Qu’elle improuve la conduite de la municipalité de Saint-Aubin, pour avoir ouvert un paquet adressé à M. d’Ogny, intendant général des postes, et plus encore, pour avoir ouvert ceux adressés au ministre des affaires étrangères et aux ministres de la cour de Madrid. « SUe charge son Président de se retirer devers le roi, pour le prier de donner les ordres nécessaires, afin que le courrier porteur de ces paquets soit mis en liberté, et pour que le ministre du roi soit chargé de témoigner à M. l’ambassadeur d’Espagne les regrets de l’Assemblée de l’ouverture de ses paquets. » M. le Président annonce que le comité des rapports s’est occupé de l’affaire de Saint-Lau-trulet et qu’il est prêt à en rendre compte. L’Assemblée décide qu’il sera entendu ce soir. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l’ordre judiciairs. Titre VIL Du ministère public. M. Bouchotte. L’intérêt public doit seul décider la question qui vous est soumise, et tout le monde sait que l’intérêt public est composé de l’intérêt particulier. Comment concilier les fonctions de juge et celles d’accusateur, et conserver l’impartialité du juge? Le coupable doit toujours penser que le juge ne cherche point à aggraver la peine; mais s’il devient une fois son accusateur, il peut avoir des craintes, et je conçois qu’elles sont légitimes. Un pareil usage était effectivement consacré chez les Romains. Mais dans quel temps, je vous le demande? c’était lorsque des despotes insolents leur dictaient des lois. Le crime est la violation de la loi. Celui qui est chargé du pouvoir exécutif doit avoir le droit de se plaindre, lorsqu’elle est violée, sans quoi il lui manquerait une partie essentielle de ses fonctions; mais s’il est obligé de poursuivre la loi' violée, la société a encore un droit bien plus indispensable; elle doit exercer ce droit, et c’est là le motif du décret que je vais vous proposer. — - Les commissaires du roi doivent intenter les accusations publiques; la société a aussi le droit de nommer des accusateurs particuliers, les plaintes seront faites à la requête du commissaire national et du commissaire royal; celles qui seront communiquées à l’un devront aussi l’être à l’autre. — Le commissaire du roi ne pourra se désister que de l’avis du commissaire national. M. Prugnon. L’homme du roi, dépouillé de l’accusation publique, ne serait plus le ministère public. La société entière repose sur sa vigilance. L’accusation publique doit reposer dans les mains du dépositaire de la force publique, ce serait l’annihiler que de la lui refuser. Ce sont là des conventions éternelles qui ont leur racine dans l’essence même des choses. Pour être accusateur, il faut être imposant : quelle consistance pourrait avoir un juge qui ne serait pas sûr du lendemain? Quelle confiance pourrait-on avoir en un homme qui descendrait de son siège pour accuser, et qui y remonterait pour juger? Je ne crois pas qu'il y ait des têtes où ces deux idées puissent se concilier. On nous a répété jusqu’à satiété les dangers de l’accusation publique confiée à l’officier du roi; mais l’institution des jurés remédie à tous les inconvénients. Dans les grandes occasions ce sera le peuple qui jugera, ce sera lui qui forcera les mains au tribunal dénonciateur. N’a-t-on pas vu le peuple forcer un tribunal à condamner l’homme le plus juste? N’est-ce pas lui qui a étendu Galas sur la roue? Je ne veux pas de despotisme, pas même de celui de la beauté. En resserrant mes idées, je dis que si l’on ne délègue pas au roi l’accusation publique, ce sera une sentinelle désarmée. Je demande donc qu’elle lui soit attribuée. M. Chabroud. Mon opinion ne diffère pas de celle que vous a exposée hier M. de Beaumetz. Je pense, comme lui, que tuut citoyen actif a le droit de se rendre accusateur, tout citoyen l’avait dans l’ancien régime; ce n’est pas à cet égard que l’on doit innover; mais alors on était réduit à l’exercer dans l’obscurité. A l’avenir, il n’y aura de suspect que l’obscurité; l’esclave délateur se cachait, l’homme libre accusera le front levé. Voilà le premier bien qui résultera du décret proposé par M. de Beaumetz. Mais tous les délits ne provoqueront pas un accusateur privé. Il faut donc qu’il existe un ministère chargé de la poursuite, et la question est toujours de savoir à qui l’on doit le confier. Je ne connais qu’un guide dans la discussion de cette question , c’est l’intérêt du peuple : l’intérêt du peuple est qu’une grande action soit établie, pour prévenir ou réprimer la violation des lois et de l’ordre général. Je dis qu’on ne peut attendre cette grande action que du roi, et je conclus que la poursuite des accusations doit être confiée au roi. Voici l’ordre de mes idéps : 1° le système du comité, et en général tout autre moyen que la délégation du roi, est contraire aux principes et insuffisant; 2° la délégation au roi n’a aucune espèce de danger. Le comité propose que la poursuite des accusations publiques soit confiée aux juges; que, dans chaque tribunal, l’un d’eux, désigné par ses collègues, en soit annuellement chargé. Il me seu ble que le comité nous jetie bien loin des idées naturelles; ainsi donc l’homme dans lequel le peuple a mis sa confiance pour les jugements sera détourné vers d’autres fonctions; ainsi le juge descendra du tribunal pour devenir partie; ainsi, dans ce tour de rôle de fonctions réciproques, on devra craindre que la volonté des juges ne crée l’accusation, ou que la volonté de la partie ne dicte l’instruction sur le jugement qui en est la suite. Je dis que le comité vous propose une confusion monstrueuse de ministres. Je n’aurais pas vu, sans peine, dans l’ancien régime, les juges et les officiers du ministère public réunis dans les mêmes compagnies. J’avais eu des occasions d’observer, dans le rapport étroit qui liait ces officiers, l’influence inquiétante des juges sur . [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1790.] 697 l’accusation, et des accusateurs sur le jugement. Il existait toutefois une li�ne de séparation entre ces divers ministères; elle n’existera pins dans l’ordre nouveau que vous propose le comité : on a cité l’exemple de nos anciens baillis royaux ; je n’entreprendrai pas de rechercher quelle était précisément leur mission, mais je dirai qu’en dépit de tout exemple il faut les séparer des fonctions incompatibles. On a cité les juges anglais; mais la procédure anglaise n’admet point ce mélange; elle admet tout ce que propose M.de Beau-metz. Il me semble que ces réflexions doivent vous faire renoncer à l’avis du comité et aux juges accusateurs, mais cela ne prouve point encore que la poursuite des accusations publiques doive être confiée au roi. Je me hâte de chercher les principes. Je vous disais, le 8 mai, que les lois étaient les règles convenues pour assurer l’ordre général et protéger les intérêts particuliers; que les actions qui ont pour objet l’ordre général appartiennent à l’universalité du peuple et ne peuvent pourtant être exercées par cette universalité. Ajoutez que ces actions de l’universalité ne peuvent pas être abandonnées à la poursuite des particuliers, sans une surveillance publique, et que la loi ne peut s’en reposer uniquement sur les citoyens qui peuvent accuser, mais qui n’y sont pas obligés. En partant de ces dernières observations, je vais exposer à l’Assemblée la série de principes ou d’idées qui me conduit à penser que la poursuite des accusations publiques doit être déléguée au roi. Lorsqu’un citoyen est accusé, il arrive, à son égard, une révolution dans le corps politique; il est aussitôt comme séparé de la masse du peuple; car, ne pouvant s'accuser lui-même, il cesse d’être partie de l’universalité qui l’accuse. Le corps politique, qui n’était qu’un, se multiplie et se partage, pour produire, comme hors de soi, l’accusateur qui est partie, l’accusé qui est partie, et les juges qui ne doivent point l’être. La poursuite des accusations publiques , laissée à la masse du peuple, dégénérerait dans l’exercice de la force. En vain on aurait soigneusement séparé la fonction du juge, les juges ne pourraient résister à la volonté du peuple accusateur. Aussitôt le monde convient que celte poursuite doit être dé-légûée, et si cette délégation a pour objet de remédier au danger de la confusion et d’une force coactive, il est donc important de trouver un mode de délégation qui lasse taire le plus tôt possible l’influence du peuple. Ainsi, plus vous aurez, d’abstractions en abstractions, placé hors du peuple l’agent qui vous est nécessaire, plus vous aurez approché de votre but ; plus, en effet, vous pourrez compter sur la poursuite quand il y aura motif d’accuser, et sur le silence quand il n’y aura pas motif d’accuser. Je ne sais que deux moyens qui répondent parfaitement à l’intérêt qu’il s’agit de mettre à couvert. — Ou créer exprès une puissante magistrature à laquelle on attribue, avec cette fonction délicate, une autorité qui puisse se faire respecter ; ou associer cette même fonction à celles d’une magistrature déjà subsistante, jouissant dès longtemps des respects du peuple, et que l’on soit accoutumé à voir exercer une grande autorité. Hors de cette alternative, vous ne trouverez que faiblesse, qu’insuffi-ance dans les moyens que vous emploierez; supposez une de ces insurrections dans lesquelles le peuple est entr.îné par ses ennemis. Eh bien, les coupables sont nombreux... Ils seront impunis. Cet officier obscur, auquel vous avez confié un ministère important, n’entrera point en lice seul contre tant d’adversaires. Les accusations publiques sont abolies, si elles ne sont pas confiées à une grande et puissante magistrature. Déjà une telle magistrature existe dans votre Constitution. Vous ne pouvez en ériger une seconde, sans donner une rivale à la première; vous n’y avez jamais pensé; rien n’est plus éloigné de vos vues; car ainsi serait dénaturé le gouvernement monarchique qui vous est cher. Si j’ai mis quelque logique dans la suite de mes réflexions, la conséquen t est claire et naturelle. Le roi seul exeice une magistrature suprême, rendue indépendante par la loi, consacrée par les habitudes et les vœux du peuple. Lui seul peut donner à la poursuite des accusations publiques, dans tout le royaume, un mouvement uniforme et imposant; c’est donc au roi qu’il faut déléguer cette poursuite. Je crains plus que personne les extensions du pouvoir exécutif. Je ne balancerai pas à dire que la mesure des pouvoirs et des fonctions qui lui sont délégués, est la nécessité. Eh bien! c’est au nom de la nécessité que je voudrais lui déléguer les poursuites des accusations publiques. Il n’est rien qui soit plus étroitement dans l’ordre du pouvoir exécutif suprême, que le soin de veiller à l’exécution des lois. Oc, telle est la lin des accusations publiques : la délégation au roi est donc une conséquence naturelle de la Constitution. Le comité s’en est éloigné, il la combat... Mais remarquez la contradiction. Je lis l’article 1er du titre 7 de son projet : « Les officiers du ministère public sontagents du pouvoir exécutif auprès des juges. » C’est donc le pouvoir exécutif qui est chargé d’agir pour le public. Je poursuis ma lecture : « Leurs fonctions consistent a faire observer, dans les jugements à rendre, les lois qui intéressent l’ordre général. » Ces expressions énoncent un principe et une restriction de ce principe. Le principe, c’est que les fonctions du ministère public consistent à faire observer les lois qui intéressent l’ordre général : or, ce principe étant adopté par le comité, il ne reste vis-à-vis de lui qu’à examiner la restriction. Elle n'a point de fondement, celte restriction ; en effet, il appartient ou il n’appartient pas au pouvoir exécutif de faire observer les lois qui intéressent l’ordre général. Dans le premier cas, il n’y a point de difficulté ; dans le second, le comité a tort d’assigner au pouvoir exécutif le soin de remplir à l’audience des tribunaux une mission qui ne la regarde pas: Vous aviez jeté les yeux sur le vaste étendue de la France; vous aviez considéré les principes de désordre qui agiraient sans cesse dans cette immense société qu’il habite, et vous aviez reconnu qu’un grand effort devait être le préservatif d’un grand mal. Le comité apporte, au danger le plus terrible, le plus imminent, des secours dont l’action sera toujours inégale, irrégulière, insuffisante, je pourrais dire nulle. Et où seraient, dans ce système incohérent, dans cette anarchie du ministère public, si je puis ainsi parler, où seraient les garants de l’ordre général? Le peuple connaîtrait-il le frein de la loi, quand les rênes seraient tenues par l’homme impuissant qu’il pourrait faire et défaire. Je n’arrêterai pas plus longtemps votre attention sur la première proposition que j’ai dù développer. J’ai, en grande partie, quoiqu’en abrégé, retracé ce qui détermina, ce qui justilie votre décret du 8 mai. Ici je me rapproche du comité. On vous a exposé, de 2a part, et je reconnais avec lui, qu’en attribuant au roi la nomination des officiers du ministère public, vous n’avez pas re- 698 (Assemblée nationale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 4790.] noncé au droit de statuer sur le mode des accusations publiques et de leur poursuite. Ce mode sera déterminé par la loi que vo"S ferez pour régler la pmcédure criminelle ; mais sous le prétexte du mode, le fond d’une résolution constitutionnelle ne devait pas être remis en doute Je reviens à l’objection prise du danger que fera courir è la Constitution la délégation au roi, que je défends. Et d’abord , j’observe que le plus grand danger que puisse courir la Constitution viendra du désordre et de l’inobservation des lois. Or, je suis intimement convaincu, et j’ai peut-être démontré qu’il serait la suite immédiate, infaillible de la délégation retirée des mains du roi. En second lieu, n’est-il pas étrange que, pour empêcher que la Constitution ne soit blessée, on commence par vouloir l’intervertir? Et je dis que l’on tend à son interversion, lorsqu’on demande que le pouvoir exécutif soit, par une évidente contradiction, chargé de faire observer les lois, et dépouillé des actions qui sont les moyens de les faire observer. On dit que les agents du pouvoir exécutif pourraient inquiéter et décourager le patriotisme, ou favoriser, par leur inaction, les délits ou les complots dirigés contre la liberté : on dit qu’ils seraient les instruments, comme les créatures des ministres du pouvoir exécutif. L’imagination a vu des géants, et L’on s’est armé pour les attaquer; abordons, et les géants vont disparaître, ici rappelons-nous ce qu’a dit le comité et ce due j'adopte moi-même, que l’Assemblée, en décidant que le roi nommerait le ministère public, n’a pas statué sur la latitude des fonctions et de l’autorité du ministère public. Voilà votre sauvegarde. Réglez tellement cette latitude, que vous puissiez recueillir les avantages et ne pas craindre les risques. Vous avez voulu que l’examen par jurés eût lieu en matière criminelle: je dis que, par cela seul, vous avez élevé, pour la défense de la liberté, un rempart que le ministère public ne pourra franchir. Vous avez des juges de paix, vous avez des municipalités, vous avez des gardes nationales, vous perfectionnerez l’établissement des maréchaussées, vous avez ensuite tous les citoyens,- voilà les gens sur lesquels vous devez compter, pour que les malfaiteurs soient recherchés, quand même ils auraient la faveur du ministère public. Si ces premiers moyens manquent, c’est alors seulement que je fais intervenir le commissaire du roi; mais alors je lui assigne un devoir sans autorité, et je veux qu’il ne puisse aller jusqu’au citoyen prévenu, qu’avec l’ordonnance du juge. Le citoyen prévenu doit être déféré, dans le plus bref délai que les circonstances comportent, à un corps de jurés. Là, un premier examen aboutit en résultat à la déclaration qu’il y a lieu, ou qu’il n’y a pas lieu de poursuivre. Dans le cas négatif, le citoyen est libre, et il n’a nullement à redouter l’influence du commissaire du roi; dans le cas affirmatif, c’est le résultat des jurés qui donne le mouvement au commissaire du roi. C’est alors vraiment que cet officier entre dans ses fonctions, et elles consistent à poursuivre l’accusation déclarée par les jurés, à provoquer les formes qui doivent précéder et accompagner le jugement; à procurer la composition du nouveau corps de jurés, qui décidera si l’accusé est ou non coupable, et à demander, s’il est juge coupable, l’infliction de la peine déterminée par la loi. Voilà l’idée générale qu’on doit se faire de la nouvelle procédure. Maintenant je demande que l’on m’indique le point dans lequel des craintes justes peuvent avoir le commissaire du roi pour objet? Vous supposez une action dangereuse à Li liberié. Le commissaire du roi ne pourra rien en aucun ca-par lui-même. Le première impulsion ne sera son fait que subsidiairement et il faudra qu’il obtiennele concours des juges. Ensuite l’accusé ne dépendra que des jurés successifs qui seront appelés pour prendre connaissance de son affaire, et les juges seront entièrement indépendants du commissaire du roi. Vous supposez une inaction dommageable à la chose publique. Il faudra donc qu’il ait pour complices les juges de paix, les municipalités, les gardes nationales, les juges, tous les citoyens ? Mais alors je serais tenté de dire, comme à la comédie: Qui est-ce donc que l’on trompe, si tout le monde est d’accord? Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. M. Duport et M. l’abbé Maury réclament la parole. M. Thouret dit qu’il doit être entendu en sa qualité de rapporteur. L’Ass1 mblée décide que la discussion sera fermée après que ces trois orateurs auront été entendus. M. Duport. Le ministère public sera-t-il ou non churgé de l’accusation publique? Qu’entpnd-on par accusation publique? c’est le pouvoir de forcer le juge sur une plainte à rendre un décret. En rendant à chaque citoyen le droit quil a reçu des premières conventions sociales, vous évitez tous les inconvénients qui résultent de concentrer dans une seule main le terrible pouvoir de l’accusation publique. C’est à tort que l’on tire de ce principe la conséquence que c’est aux commissaires du roi à être les organes de toutes les accusations particulières. Cette conséquence détruirait absolument le principe. Elle ôterait aux citoyens ce zèle et cette activité qu’ils doivent apporter à la sûreté publique, elle ôterait à la nation un droit dont elle ne peut se dépouiller. Je conviens qu’il y a des crimes qui ne laissent point après eux de vengeurs. 11 faut alors que ce soit un vengeur public, un vengeur nommé par la nation qui en poursuive la réparation. Il faut bien distinguer entre le jugement et l’accusation. L’accusation se fait devant les jurés qui prononcent le renvoi devant les tribunaux. Les jurés ne sont, dans ce cas, que le passage de la police à la justice. L’accusation ne peut donc être considérée que comme un acte de police. On prétend que les commissaires du roi n’auront plus de fonctions près des tribunaux. Ils auront la plus importante de toutes, celte de veiller à fa re exécuter la loi universelle dans toutes les parties du royaume. On vous a dit que cette fonction même notait qu’illusoire; et moi je dis qu’il n’y a plus d’unité sociale* plus de principe monarchique, si cette fom tion est illusoire. Rien n’est plus incompatible que les deux emplois que réunissaient les anciens procureurs du roi fet qu’on propose de leur attribuer encore. Ils étaient chargés de plaider contre l’accusé au pied des tribunaux et de surveiller ces mêmes tribunaux. M. l’abbé Maury. A-t-on donc réfléchi au danger qu’il y a de taire de l’accusation publique une accusation du populaire? quand le peuple accuse, il juge ; et cependant le crime d’un accusateur devient le crime de tous. C’est ainsi que 699 lÀssembléë national#.) ARCHIVES PARLEMENTA 1RES* fiO août 1790.) l’ostracisme, qui fit proscrire Aristide, fui 1p crime de tous les Athéniens; l'assassinat juridique, commis en Hollande contre Barriweldt, fut l'opprobre de tous les Hollandais... Cessons d’eovi-sager le pouvoir exécutif contre lequel nous aurons à lutter perpétuellement. David Hume a dit qu’une méfiance outrée contre le chef de la nation était toujours une source de trouble, et conduisait quelquefois au plus affreux esclavage. Ainsi parlait un Anglais d’après l’expérience de tous les siècles. Vous avez décrété que lesofficiers du ministère public seraient nommés parle roi, ei pour leur donner plus d’énergie, vous avez décidé qu'ils seraient nommés à vie;, vous avez jugé la question. Ne les regardons point comme les ennemis de la Constitution; il va un grand danger à supposer des maux chimériques, pour s’assujettir à des maux réels. Le roi doit appartenir à la Constitution ... La Constitution, qui excite dans ce moment de si vifs débats, finira par être le patrimoine commun de tous les Français, de tous les peuples. Ce sera un titre de famille; et celui-là l’outrâgerait, qüi pourrait penser qu’elle aura d’éternels ennemis. Si cela était, vous pourriez dire d’avance qu elle est anéantie. N’aurcz-vous pas toujours la surveillance nationale?... Qu’était le procureur du roi ?II recevait des dénonciations, et s’il refusait de requérir, le tribunal y suppléait eu nommant un subsistut; il n’était pas un juge, il ne disposait pas de la fortune des citoyens. Vous savez tous qu’un procureur général', qui avait calomnié un citoyen, était obligé de nommer le dénonciateur, ét de présenter à l’accusé le registre des accusations, sinon, on prenait le substitut, on pouvait le prendre lui-même à partie. Donc il ne pouvait jamais être un calomniateur ; donc l’intérêt du peuple était assuré. La cause publique n’est-elle pas en danger, l’intérêt particulier n’est-il pas compromis par ce luxe de nouveautés, par ces expériences dangereuses? Il est manifeste que si le juge est dénonciateur, il est en même temps juge et partie. On verrait eucoie des tribunaux qui, comme les comités des recherches, prolongeraient les terreurs du peuple. Et certes il ne faut pas de comités des recherches à un peuple libre. Repoussons loin de nous les moyens d’inquisition. Le riche payerait le juge, soudoierait dt s agents, et le pauvre,” qui n’oserait, qui ne pourrait se plaindre, resterait sans réparation et sans vengeance. G’est compromettre la sûreté publique, l’intérêt du pauvre, et confondre toutes les notions judiciaires, que de renfermer l’accusation dans le tribunal. Mais combien n’esi-il pas plus surprenant encore que le comité présente un décret isolé ! Vous avez changé l’ordre judiciaire et vous ne l’avez pas encore organisé : vous avez décrété les jurys en matière criminelle, et très peu de personnes ont une idée nette des jurés. Ce n’est qu’au moment où vos vues seront fixées à cet égard, que vous pourrez décréter l’accusation publique. Aurez-vous un ou deux jurys, ou trois, comme en Angleterre? Si vous adopb z le grand jury, comment sera-t-il institué? Vous voulez deux sessions dod interrompues; en Angleterre le jury ne s’assemble que deux fois par année. Pourquoi a-t-on établi un grand jury en Angleterre? G’est que le royaume n’est divisé qu’en 52 comtés. Mais en France ou vous avez 500 districts, où tous doivent être indépendants les uns des autres, est-il possible de trouver dans chacun un nombre de citoyens éclairés pour former le grand jury? Pourra-t-il donc exister ? S’il existe, quelle autorité lui donnerez-vous? Vous ue pouvez le dire. Ainsi, la question qui vous occupe est prématurée : c’est vouloir décréter la forme avaat le fond, et se vouer à de grandes erreurs. Ou a voulu vous faire craindre qu’aux approches des élections les ministres, par le moyen de leurs agents, ne fissent accuser un citoyen vertueux, pour l’éloigner des fonctions où sa vertu serait redoutable; mais en Angleterre une accusation, une incarcération même ne prive pas du droit d’être élu : un jugement par contumace ne peut déshériter un Anglais du droit acquis par sa naissance, de représenter le peuple au parlement. M. Wilkes, représentant de Middlesex, s’est trouvé dans cette position : on a jugé qu’un décret de prise de corps ne pouvait empêcher de remplir les fonctions de représentant, que lorsqu'il y avait capture d’exécution. On nous effraie donc inutilement du concert du procureur du roi avec le grand jury. Que conclure de ces observations? que la question est prématurée ; que le pouvoir judiciaire, n’étant pusorgani-é, on ne peut décréter le mode de l’accusation publique. Je ne cherche pas des échappatoires et je n’ai d’autre intérêt que celui de votre gloire. Le pouvoir exécutif reçoit la loi des mains du pouvoir législatif; comment le pouvoir exécutif pourra-t-il faire exécuter la loi, si un officier du roi ne peut en dénoncer l’inexécution ? On peut cependant présumer que vous donnerez au roi, pour ne vous écarter ni de la nécessité, ni de la prudence, ni des principes, le droit de choisir les accusateurs publics. Je conclus et je propose de retrancher du projet du comité les quatre premiers articles, et de commencer par celui-ci ; « Une des fonctions du procureur du roi sera d’intenter les accusations publiques et de poursuivre les crimes et les délits suivant les règles et la concurrence qui seront établies par l’organisation judiciaire. » M. Thouret, rapporteur (1). Messieurs, il est devenu nécessaire' de rédu re la question à ses termes les plus simples : L'accusation publique sera-t-elle déléguée au roi et exercée par des officiers qu'il nommera ? G’est à ce point unique qu’il faut arrêter la discussion. ■ La question, ainsi posée, offre un principe à fixer. Si le principe -est que l’accusation publique ne soit pas déléguée au roi, rien ne doit vous déterminer et rien ne pourrait vous excuser de lui en faire la délégation : car il o’y a point d’équivalent qui puisse réparer la perte d’un principe constitutionnel, ou justifier sa violation. Cessons de chercher, en ce moment, comment l’accusation publique pourra être autrement exercée. L’examen de cet accessoire est prématuré; il nuit à la précision des idées sur l’objet principal. Ge qu’il y a de certain est que, si le principe exclut la délégation au roi, une autre devient forcée, et que toute autre sera moins vicieuse que celle qui violerait le principe. Le comité n’a proposé un des juges pour accusateur, que comme indication d’un des modes par lequel l’accusation pourrait être exercée; maiscemoyeo-ià n’est pas le seul qui reste : et je suis con vaincu, comme un des préopinants, que c’est à l’organisation des jurés qu’il faut renvoyer celle de l’accusation publique. J’avais dit que, par rapport au roi, la question est eucore entière, et que le precedent decret qui (1) Le discours de M. Thouret est incomplet au Moniteur. 700 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1790.] lui a délégué le ministère public, ne la préjuge point. Vous avez ratifié ma proposition eu rejetant, jeudi dernier, la question préalable. Je ne reviendrais pas là-dessus, si l’on n’eût pas insisté dans ce' te tribune à dire que l'officier du roi devient inutile, s’il n'est pas constitué accusateur. L’esprit et le sens caché de cette objection sont de remonter toujours au précédent déeret, et de continuer à s’en faire un titre en insinuant qu’il resterait nul, s’il n’attribuait pas à t’officier du roi l’accusation nublique. Je réponds : 1° que, quelle que soit l’attribution des commissaires du roi, l’accusation non comprise, il est choquant que cette considération soit proposée comme une raison de les rendre accusateurs, si d’ailleurs il n’est pas bon qu’ils le soient. Puisqu’en décrétant que le roi aurait des officiers auprès des tribunaux, vous n’avez pas eniendu décréter par là que ces officiers auraient l’accusation, leur prétendue utilité, comme accusateurs, n’est donc pas entrée dans les motifs du décret. Je réponds : 2° qu’il reste aux commissaires du roi assez de fonctions sans celle d’accuser, pour qu’ils soient encore des officiers utiles. Placés auprès des tribunaux, comme régulateurs de tous leurs mouvements pour le maintien des principes et des formes, et pour prévenir, en rappelant toujours la loi, les erreurs judiciaires qui multiplieraient les appels et les demandes eu cas-ation; préposés exclusivement à l’exécution des jugements, afin d'établir ainsi la jusie démarcation entre les fonctions judiciaires et le pouvoir exécutif; chargés enfin de veiller sur la discipline des tribunaux et sur la régularité de leur service, il est impossible ce ne pas compter ces officiers comme des fonctionnaires précieux dans l’administration de la justice, Je finis par ce mot, seul digne du patriotisme et des lumières de cette Assemblée ; c’est qu’en général, et en toute hypothèse, quelque resserrée que puisse être la fonction d’un agent du pouvoir exécutif, ce ne peut jamais êire une raison de déléguer au roi une fonction populaire, pour qu’il en accroisse le pouvoir et l’influence ae son agent. Ramenés ainsi au centre de la question, prenons garde qu’elle s’élève au sujet de la délégation d’une fonction publique. Déterminer cette délégation est faire un acte de la Constitution. C’est donc aux principes et à l’esprit de la Constitution qu’il faut ici remonter, puisqu’il s’agit d’assortir cette nouvelle partie à celles qui sont déjà posées. J’écarte par là toutes les considérations tirées, soit de notie ancienne pratique, lorsqu’elle contraste avec les principes actuellement reconnus, soit des usages des autres peuples qui ont des Constitutions différentes. L’Assemblée constituante de France n’a plus d’autres règles à suivre aujourd’hui que celles qui résultent immuablement de la nature des choses, et celles qu’elle a posées elle-même comme fondements de l’édifice qu’elle élève. J’ajoute que l’accusation tient à l’ordre judiciaire, et que l’ordre judiciaire tout entier n’est lui-même qu’une partie dans la Constitution. Son organisation partielle doit donc être soumise aux principes anterieurs, adop!és pour l’organisation généra e; autrement il introduirait une incohérence fâcheuse dans la Constitution. Le principe fondamental de notre Constitution, qui la distingue si avantageusement de toutes celles qui sont connues, est celui d’une distribution sage et régulière des pouvoirs, et cette attention soutenue tend à ne mettre dans le pouvoir exécutif que ce qui lui appartient essentiellement, et à réserver au peuple toutes les fonctions vraiment populaires, qu’il peut faire exercer par des fonctionnaires électifs. C’est bien là l’esprit de cette Constitution qui est votre ouvrage : émané de vous, jusqu’ici fidèlement suivi par vous, adopté, confirmé par la nation, il fait maintenant votre loi, il vous oblige, il vous presse, vous n’êtes plus maîtres de le changer : et ces principes sur lesquels vous avez commencé à édifier, votre honneur, votre devoir sunt de les suivre constamment dans tout ce qui reste à faire. Vous ne pouvez pas vouloir vider et fausser la Constitution. Loin de nous sans doute le dessein de dépouiller ou d’énerver le pouvoir exécutif, de décréditer ou d’avilir ses agents. Les fonctions que la Constitution a déléguées jusqu’à présent au pouvoir exécutif, sont sur la même ligne que les fonctions nationales : et quand la Constitution sera achevée, tous les pouvoirs également légitimes, favorables et concourant au même but ne devront plus être distingués dans la confiance ni dans le respect du peuple. Mais pendant le travail même de la Constitution, et tant qu’il s’agit d’examioer sur chaque fonction non encore déléguée à qui il convient d’en faire la délégation, le pouvoir exécutif est, dans le règlement de ce partage, une partie très distincte de la nation; il faut toujours prévoir et l’abus qu’il pourrait faire un jour des moyens qu’on lui confie, et l’intêret à part de celui de la nation, ou môme opposé, qui peut le rendre redoutable. C’est par là que vous avez résisté jusqu’ici à toutes les extensions abusives du pouvoir exécutif, qui vous ont été proposées et qu’on a tour à tour appuyées sur une sophistique induction de cette proposition vraie en elle-même, que le pouvoir exécutif est dans sa source le pouvoir de la nation, institué et délégué par elle. Fermement convaincus du danger de cette confusion, lorsqu’il s’agit de distribuer les fonctions, vous venez encore de constituer le pouvoir judiciaire, comme distinct du pouvoir exécutif; et vous avez assuré à la nation le droit de nommer ses juges, comme ses admini-lrateurs. Peut-il être maintenant douteux dans l’esprit de celteGonstitution, et d’un tel systèmejudiciaire, à qui l’accusation publique doit être déléguée? C’est au pouvoir exécutif, disent quelques opinants. Craignez cette suggestion fatale sous tous les rapports. Quoi I vous avez reconnu le droit du peuple de nommer ses juges, parce que le pouvoir de juger émane de lui, parce qu’il était inutile et dangereux de le déléguer au roi pour qu’il le déléguât aux juges; parce que l’autorité judiciaire influe journellement sur les citoyens, ce sont eux qui ont plus d’intérêt et plus d’aptitude à bien choisir les juges ; parce qu’enfin le pouvoir de juger cumulé avec le pouvoir exécutif, et influencé par lui, aurait établi une espèce intolérable de despotisme! Toutes ces raisons se réunissent ici. Est-ce que la fonction d’accuser n’est pas de même une fonction nationale, et par son principe, et par son objet? Est-ce que ce n’est pas un circuit également inutile et vicieux, de la déléguer au roi pour qu’il la subdélègue à ses agents?Est-ce qu’elle n’intéresse pasla liberté, la sûreté, le bonheur des citoyens? Est-ce qu’un miuistre connaîtra aussi bien qu’eux les sujets propres à la b en exercer? Enfin, est-ce que le pouvoir d’accuser, cumulé avec le pouvoir exécutif, et influencé par lui, n’établirait pas la possi- [10 août 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. bilité d’une tyrannie judiciaire? Vous sentez toutes ces vérités, et vous ne glisserez pas sur leur importance; vous De les .sacrifierez pas à des considérations bien peu dignes d’ètre mises en parallèle. C’est un nouveau chapitre que vous allez ajouter à la Constitution, et vous le ferez en hommes d’Etat qui organisez pour les siècles un des plus beaux Empires du monde. On a soutenu que V accusation publique est une fonction naturelle du pouvoir exécutif. Si cela est est vrai, il u’y a pas de matière au débat ; mais voyons la preuve. C’est, a-t-on dit, que l’accusation publique est un des moyens nécessaires au maintien de l' ordre public et des lois. Il n’y a là qu’un sophisme; car, si nous y regardons bien, toutes les parties de l’organisatiou politique ont de même pour objet le maintien de l’ordre public et des lots. Cependant toutes les institutions, dont cette organisation génprale est composée, ne sont pas pour cela dans le domaine ni à la disposition du pouvoir exécutif. Sans aller plus loin, la fonction de juger aurait certainement plus d’analogie avec le pouvoir exécu if, dans le sens de l’objection que je réfute, que la fonction d’accuser; car le jugement est encore plus essentiel et plus nécessaire pour l’exécution de la loi, que la simple accusation. Cependant le pouvoir de juger n’est ni une émanation, ni une attribution du pouvoir exécutif. Pourquoi cela? C’est que, dans une Constitution libre, le pouvoir exécutif, qui n’est que celui de la force et de la coutramte, ne doit atttindre les citoyens que de l’une de ces deux manières, ou collectivement par des dispositions générales conformes aux lois publiées, ou individuellement ; mais en ce cas par des intermédiaires, et seulement lorsqu’il a été prononcé que telle loi doit être exécutée contre tel individu. Or, par le système général de notre Constitution, tous les intermédiaires entre le pouvoir exécutif et les citoyens, soit dans l’ordre administratif, soit dans l’ordre judiciaire, sont des délégués électifs du peuple. Le pouvoir exécutif ne doit donc pas plus atteinore immédiatement les citoyens par l’accusation que par le jugement; car il ne lui appartient pas mieux de rechercher si tel individu est coupable, que de prononcer qu’il est ou n’est pas coupable. Ce qui lui appartient, est de faire exécuter la loi appliquée à tel individu. Quant à la recherche, à la plainte et aux poursuites, elles intéressent le corps social et chacun de ses membres. Il a été bien établi, dans le cours des débats, que l’accusation est un droit personnel des citoyens, dérivant du pacte social; que s’ils sont obligés, pour leur propre intérêt, de s’en dessaisir, ce ne peut être qu’aux mains d’uu représentant de leur choix, ayant leur conlianee; qu’enfin les rois ne l’ont jamais fait exercer comme une attribution naturelle de la couronne, mais comme une fond on nationale de la même nature que celle de juger, qu'ils étaient, par cette raison, forcés d’aliéner de même à titre inamovible. L’évidence est acquise sur ce point. Il a été facile de reconnaître que beaucoup d’opiuants ont été entraînés dans celte discussion par leur préoccupation pour la prérogative royale; mais leur zèle est-il ici bien éclairé? Ils assignent au chef du pouvoir exécutif suprême le rôle d’un plaideur occupé à intenter et à poursuivre des accusations, à gagner et à perdre d s procès sur ces accusations. S’ils s’occupent de la dignité de la couronne, je sais bien éloigné de voir rien là qui la relève. S’ils veulent lui obtenir une extension de pouvoir et d'influence, ce n’est 704 pas là le moyen de crédit que la politique et la morale pui-sent permettre d’accorder au gouvernement. S’ils réclament pour elle un droit rigoureux, il est démontré qu’elle n’eu a aucun. Je leur fais enfin cette observation : bieniôt l'organisation du tribunal de cassation donnera lieu d’examiner si c’est le pouvoir exécutif qui agit dans la cassation : ceux à qui je réponds ici soutiendront sans doute l’affirmative. Ainsi, dans leur système, le pouvoir exécutif accuserait, poursuivrait, et reviserait les jugements rendus sur ses accusations et ses poursuites; c’est-à-dire qu’en dernière analyse, if serait juge et partie. Quant à ceux qui ne penseraient pas que le pouvoir exé-, cutif agit dans la cassation, ce dernier argument n’est pas fait pour eux; mais ils n’en ont pas besoin pour prendre une opinion saine sur la question actuelle. Je reviens quelques instants sur les dangers, bien expliqués pn cédemment, de déléguer l’accusation au roi, c’est-à-dire de la livrer à l’influence du gouvernement, et de la faire bientôt dégénérer en fonction ministérielle. Par là, les nombreux préposés du pouvoir exécutif de toutes les classes et de tous les grades seraient rassurés contre l’activité de l’accusation ; et leur responsabilité deviendrait illusoire, tant dans l’opinion publique, que dans leur propre opinion. Par là, l’oppression individuelle se trouverait constiiuiionuellement établie; car si le pouvoir ministériel peut ai teindre le citoyen dans ses foyers, troubler sa tranquillité, mettre son honneur et sa vie en péril, il n’y a plus, sous un tel gouvernement, de sécurité domestique ni de vraie liberté. Par là, le gouvernement tiendrait à sa disposition le plus puissant moyen de rendre la force publique des tribunaux plus ou moins utile au soutien de la Constitution; car les tribunaux ont, outre leurs fonctions relatives aux intérêts individuels, la destination plus importante de servir, comme ressorts politiques, au maintien du corps social, et de la forme établie pour le gouvernement. C’est surtout sous ce dernier rapport, qu’en faisant la Constitution, il faut instituer l’accusa-sation publique, dont l’influence est si forte d’ailleurs sur les mœurs et sur le caractère du peuple. On n’a pas nié que tant d’effets désastreux ne puissent être les conséquences de l’accusation publique devenue ministérielle par sa délégation au roi : on a dit seulement que tous ces inconvénients théorétiques seront affaiblis dans la pratique, parce que les jurés et les juges rectifieront, par de bons jugements, le mauvais exercice de l’accusatiun. Je réponds que les jurés et les juges n’assurent qu’une seule chose, c’est qu’on sera jugé impartialement, et que si on n’est pas convaincu, en ne sera pas condamné : mais prenons garde qu’il y a ici deux choses différentes, et deux institutions distinctes, accuser d’abord, puis juger. Vous avez institué le jugement, et maintenant vous instituez l’accusation. Or, puisque l accusation a assez d’importance pour mériter une institution à part, il faut la faire bonne et sfue pour sou objet spécial, et ne pas s’excuser, s’autoriser même, en la faisant mauvaise, sur ce que de bons jugements pourront en empêcher les dangereux effets. Il y a dans l’exercice de l’accusation publique deux abus possibles ; le premier, qu’elle n’agisse pas, quand l’intérêt public l’exige; le second, 702 [Assemblée aationaJe.J qu’elle agisse eu sens contraire à l’intérêt public et à la justice particulière. Dans le premier cas, celui de l’inaction de l’accusateur, ni les jurés, ni les juges ne peuvent empêcher l’abus; car, avant que l’office des jurés et des juges commence, il faut qu’il y ait déjà accusation. — On a dit qu’au défaut de l'accusation , on aurait au moins les dénonciations ; mais la dénonciation ne supplée point à l’accusation, elle ne saisit point la justice, elle n’est remhe qu’à l’accusateur public, qui reste le maître d’en faire l’usage qui lui plaît. — On a dit ensuite que si V accusateur public n'agit pas, les particuliers rendront plainte ; cela ne peut être que pour les crimes privés, et de la part des individus lésés personnellement; mais il s’agit principalement ici de l’ordre public, et de l’accusation considérée comme ressort politique. — On a dit enfin que les juges pourront suppléer l'accusateur refusant; mais, pour cela, il faut que le refus ait assez duré, pour que le dénonciateur, perdant patience, se détermine à frapper l’oreille du tribunal, et à lui déférer la prévarication de l’officier accusateur; combien ne s’écoule-t-il pas de temps qui peut être mis à profit, soit pour le succès des complots, soit pour la soustraction des preuves, soit pour l’évasion des coupables?— Il est donc impossible de remédier efficacement à l’inaction de l’accusateur. Dans le second cas, celui où l’accusateur agit contre l’intérêt public et la justice particulière, les jurés et les juges p ■ uveqt empêcher que les accusations dirigées contre le patriotisme et fin-non n c-e ne produisent d’injustes condamnations ; mais l’atrocité de J’inju-te condamnation a part, combien h s maux de la fausse accusation ne sont-ils pas encore graves et alarmants? 1° fille fait courir, au péril de l’honneur et de la vie, les chances si dangereuses des témoignages, et les méprises possibles, même de bonne foi, dans les jugements; 2° Pour autoriser l’instruction, et pur conséquent le décret de prise de corps, il ne faut qu’un commencement de preuves; et l’aceusateur, lorsqu’il n’est pas impartial, fient aussi n’être pas scrupuleux dans le choix et la production de ces premières preuves : la détention, pendant la durée de l’instruction, eu est la suite. Il y a donc, pour chaque citoyen tranquille dans ses foyers, occupé de ses affaires au sein de sa famille, une véritable oppression dans les premiers effets de l’accusation. Vous laisseriez dans la Constitution un germe destructif de la sécurité domestique, de l’énergie individuelle, et par conséquent du civisme, du sentiment et de l’amour de la liberté, de la confiance et du courage nécessaires pour lg défendre, si vous exposiez les citoyens aux coups directs du gouvernement, armé contre eux de la verge de l’accusation. Ne nous y trompons pas, après les lettres de cachet, c’est là le second degré du despotisme; et, dans un système gradué de tyrannie, je ne vois que la décapitation sans formé de procès au-dessus de l’accusation ministérielle. Je conclus à ce qu’il soit décrété que les commissaires du roi auprès des tribunaux ne seront pas accusateurs publies, et à ce que les comités de Constitution et de législation criminelle reunis soient chargés de présenter à l'Assemblée nationale la forme d’intenter et de poursuivre les accusations. (On demande la priorité pour cette rédaction.) Un de MM. les secrétaires fait lecture des diffé-[10 août 179U.J rentg projets de décrets. Il pe dispose à lire la motion de M. Goupil. M. Goupil de Préfejn. D’après les preuves données pgp M. Thouret, j’obéis à la yoîx de ma conscience et je retire ma motion. (On applaudit.) (La priorité est accordée à la motiqn de M-J)q-port, appuyée par M. Thouret.) M. Despatys. Par la rédaefioq de celtemotion, on lie l’Assemblée nationale; il faut supprimer ces mots :à un officier. L’Assemblée peut vouloir confier cette accusation à un directoire ou à qu corps. M. de Folleville. J’appuie cette observation, parce qu'elle est fondée sur la raison des choses, sur la vérité éternelle. Quand le peuple est représenté, il ne doit pas avoir un représentant unique. M. Barnave. Je crois qu’en effet cette rédaction doit être modifiée, et qu’il faut laisser une plus grande latitude aux délibérations, et dire : par un ou plusieurs officiers nommés par les citoyens . M. Briols de Beaumçtz. Il ne faut pas prés juger une grande question en privant le peuple d’accuser par lui-même. L'Assemblée np peut lui enlever un droit qu’il a exercé pendant huit siècles, et que les Anglais nos voisins exercent encore. Si chacun ne fient gecu-er pour le délii dont il a été le témoin, il n’y a plus d’amour de l’ordre ni d’espiit public. M. lie Chapelier. Voilà le principe qu’il faut uniquement décréter : « Le commissaire du roi ne si ra pas chargé des accusations publiques. » AIoi s l’ Assemblé'- conservera toute la liberté, toute la latitude possible. M. le Pelletier de Saipt-Fargeau. Il serait très dangereux de ne pas décréter que l’accusation publique, appartenant au peuple, sera déléguée par le peuple : c’est un principe essentiel du gouvernement représentatif. (L’amendement est adopté, et l’Assemblée décide qu’il sera retranché de la motion de M. Jjuport ces mots : à un officier public.) M. Pison du Galand. Je propose de dire, « ne sera pas exclusivement confiée aux commissaires du roi ». (On demande la question préalable.) M. Fréteau. Il n’y aura plus que le roi dans le royaume qui ne pourra pas rendre une plainte, si vous rejetez cet amendement, M. Prieur. L’amendement proposé a éyidem-ment pour objet de faire perdre le fruit (Je Ja discussion. On le présente sans prétention, et sa suite nécessaire serait la perte qe la liberté. J’insiste sur la question préalable. — On demande à aller aux voix. M. de Virieu. On ne veut cesser de délibérer que pour empêcher l’effet de l’excellente observation de M. Fréteau. La question préalable est mise aux voix. La première épreuve paraît douteuse ; à la seconde, M. le président annonce qu’il n’y a pas lieu à délibérer. La partie droite réclame l’appel nominal. Quelques membres de cette partie proposent d’ou-ARGH1YES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 110 août 1190.1 70a vrir la discussion sur la question de savoir s’il y a du doute. L’Assemblée, consultée, décide qu’on ne parlera pas sur cette question. MM. de Menonviile, Dufraisse, Digoine, Bruges et une partie du côté droit s’élèvent tumultueusement contre cette décision et demandent l’appel nominal. M. le Président. M. de Menonviile m’accuse de prévarication : l’Assemblée ne doit pas l’ignorer. (Toute la partie gauche se lève en criant : A l'ordre , à l'ordre!) f. de Menonviile se dispose à parler. — On crie de se rendre à la barre. M. le Président. Sortons d’abord de la question qui nous occupe; nous passerons ensuite à ce qui me concerne. J’ai prononcé qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. Pi-son. On élève du doute; il faut que l’Assemblée juge s’il y en a. Une partie du côté droit s’oppose à ce que cette question soit mise aux voix. MM. de Menonviile, Bruge, Dufraisse, Digoine, etc., s’élèvent de nouveau contre celte décision et demandent l’appel nominal. M. le Président. Le bureau est composé de six secrétaires, qui suivent la marche de l’Assemblée, qui surveillent l’exactitude de ses opérations; ils pensent qu’il n’y a pas de doute. Votre président, qui aurait à lui seul le droit de prononcer, le pense comme eux. Plusieurs personnes, qui étaient d’avis qu’il y avait lieu à délibérer sur l’amendement, ont manifesté la même opinion. M. Fréteau. Il y a eu une majorité évidente contre l’amendement que j’avais appuyé. M. le Président. Cependant plusieurs membres demandent l’appel nominal. L’Assemblée a décidé qu’elle serait consultée , pour savoir s’il y a du doute : je vais me conformer à sa décision. L’Assemblée décide, à une très grande majorité, qu’il n’y a pas de doute. La question préalable est mise aux voix et l’Assemblée décrète ce qui suit : « L'accusation publique ne sera pas confiée aux commissaires du roi : ies comités réunis de Gons-tition et de jurisprudence criminelle sont chargés de présenter les formes de l’accusation publique. » Un grand nombre de membres demandent que M. de Menonviile se justifie de l’inculpation qu’il a faite à M. le président. M. le Président lève la séance : il est trois heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD, EX-PRÉSIDENT. Séance du mardi 10 août 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir, M. Treilhard, ex-président, occupe le fauteuil. Un de MM. les secrétaires fait la lecture des adresses dont l’extrait suit : Adresse de renouvellement de félicitation, adhésion et dévouement des officiers municipaux et habitants de la ville de Moulins-la-Marche; ils supplient l’Assemblée de leur procurer des armes. Adresse des curés et vicaires de la ville de Sault en Provence , qui s’engagent d’employer toute l’influence de leur ministère à assurer l’exécution des décrets rendus par l’Assemblée nationale. Adresse de la commune de la ville de Saint-Puy, canton de Condom, qui fait le don patriotique d’un contrat de constitution de rente de 2,396 livres 16 sols, dont elle est créancière sur l'État, ainsi que des arrérages dus depuis 1771 ; elle offre encore la somme de 291 liv. 6 sols, provenant de la contribution des ci-devant privilégiés pour les six derniers mois de l’année dernière. Adresse des dames citoyennes du district Sainte Martin de Marseille, et des citoyennes de la ville de Vie en Bigorre, qui présentent à 1 Assemblée nationale le tiibut de leur admiration et de leqr dévouement; elles ont solennellement prêté le serment civique. Les citoyennes de la ville de Vie, sur l’avis de la municipalité, soumettent à l’Assemblée natjo-tional le projet de leur corporation, soqs le titre de légion des Amazones de Vie. avec le règlement auquel elles désirent s’assujettir, Adresse des amis de la Constitution de la ville de Bar-le-Duc, de la garde nationale de la communauté de Mejias, près Aubenas, et de Ja municipalité de Nesle-la-Repaste, au département de la Marne. Cette municipalité fait part à l’Assemblée d’une contestation majeure qui s’est élevée entre elle et le décimateur de Nt sle, laquelle a été renvoyée au comité des rapports. Adresses des électeurs et membres du district de Cosne-sur-Loire, des administrateurs du district de Castelnaudary, du district de Rochefort et du district de Lille. Adresses des administrateurs du département de l’Orne, du département du Cantal, du département d’Indre-et-Loire, du département de la Moselle et du département du Gers. Tous ces administrateurs consacrent les premiers moments de leur réunion à présenter à l’Assemblée nationale l’hommage d’une adhésion absolue à ses décrets, et d’un dévouement sans bornes pour en assurer l’exécution; ils supplient l'Assemblée de poursuivre sans relâche, et jusqu’à sa consommation, le grand ouvrage de la Constitution qu’elle a si glorieusement commencé-Adresses des municipalités et gardes nationales de Monflanquin, département de Lot-et-Garonne, de Bazas, de Clussay, de Germigny, département de l’Yonne, du Houga en Armagnac, des Bparres, (i) Cette «éanee est incomplète au Moniteur.