[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1791.J tuellement, le mal se fait sentir d’une manière q )i pourrait être très funeste à la chose publique et il faut y remédier. La chose est instante, et je demande que, demain matin, le comité de Constitution nous fasse son rapport à ce sujet. M. Martineau. Je demande que, sur la proposition qui vient de vous être faite, on passe à l’ordre du jour. Il a été déjà décrété plusieurs fois que l’on ne donnerait aucune espèce de traitement. Plusieurs membres (ensemble) : Je demande à répondre à M. Martineau ; il n’y pas de décret à cet égard, M. ILe Chapelier, au nom du comité de Constitution. Je demande la parole pour un fait que M. Martineau paraît ne pas se rappeler. J’observerai sur cette question, moi qui avais pensé que ces fonctions ne devaient pas être salariées, maintenant qu’ellessemultiplientd’une semblable manière, qu’il est impossible que nous fassions faire le service public des élections, si nous ne donnons pas un traitement aux électeurs. Ainsi, j’assure que le comité de Constitution fera un rapport sous 2 ou 3 jours à cet égard ; nous attendions même pour faire ce rapport que les pétitions fussent assez nombreuses. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur les successions (1). M. Ce Chapelles*, rapporteur. Vous vous rappelez, Messieurs, que le dernier article du litre premier fut ajourne hier, parce que les difficultés sur ses dispositions n’étaient pas bien éclaircies. L’article avait d’abord été expliqué par moi dans un sens qu’ii n’a pas, parce que sa rédaction ne présente pas à mon esprit l’idée que réellement on doit en concevoir. Dans ce sens-là, j’avais adopté à V avenir ; mais cela détruit la disposition de l’article, qui veut au contraire que, lors de l’ouverture de la succession, les enfants reviennent à l’égalité de partage, nonobstant toute convention matrimoniale. Le motif est qu’en général on ne peut pas renoncer à une succession qui n’est pas échue. Cependant il faut considérer aussi que la loi a fait pour toutes les parties un véritable contrat dont on ne peut pas détruire les effets. C’est maintenant à l’Assemblée à décider si elle met la question préalable sur cet article 21. M. lîiiïot. Par l’article 16, vous avez confirmé toutes les dispositions contractuelles ou autres clauses légitimement stipulées par contrat de mariage conformément aux anciennes lois. Or, Messieurs, si vous admettez l’exception proposée par l’article 21, il impliquerait une contradiction manifeste avec l’article 16; il anéantirait l’effet entier de cet article, qui n’a évidemment d’autre but, que d’entretenir des conventions contractuelles déjà existantes. Je soutiens encore que cet article est contraire à tous les principes, injuste et impolitique. Pour le prouver, je cite ce qui a lieu en Normandie. Dans presque toutes les familles, quand les filles sont mariées, les garçons vivent en commun avec le père. Ils placent avec le père leur pécule particulier; ils s’occupent des soins de la maison ; (1) Voyez ci-dessus, séance du 1er avril 1791, p. 495. 505 ils travaillent à l’amélioration de la communauté. Si vous appelez une fois les sœurs à partager la succession du père, que s’ensuit-il? Il s’ensuivra que la sœur, étrangère à la succession, viendra néanmoins partager non seulement la succession de son père, sur laquelle elle n’avait plus de droit, mais encore les fruits des travaux et des sueurs de son frère; et par conséquent le frère se verra injustement enlever une portion de bien qui lui appartenait à tous égards, et dont la loi lui avait accordé la priorité. Enfin, Messieurs, la loi de l’égalité sur les partages n’avait été considérée que pour l’avenir, et comme devant influer sur les régénérations fictives; mais si on s’en servait pour bouleverser toutes les familles, ce serait une arme plus puissante encore que le fanatisme dans les mains des ennemis du tiers public. Je demande la question préalable. Plusieurs membres / Aux voix! aux voix! La question préalable! M. Martineau. Je demande comment vous pouvez craindre de rappeler à la succession une sœur mariée avec une clause de renonciation dans son contrat, lorsque vous avez dépouillé tous les aînés de l’expectative qu’ils avaient aussi en vertu de la loi. Si les frères en faveur de qui la renonciation a été faite sont mariés, ils conserveront leurs droits; s’ils ne le sont pas, ils ne doivent pas être mieux traités que les aînés de famille ne l’ont été. M. Buzot. Je vous prie d’observer qu’il s’agit ici, non d’une expectative autorisée par les dispositions d’une coutume, mais d’un contrat exprès, que vous ne pouvez annuler sans donner un effet rétroactif à la loi. Je demande en conséquence la question préalable sur l’article. Un membre : En adoptant l’article, vous réparez au contraire de grandes injustices. Un père n’aura pas pu égorger un fils en lui faisant contracter prématurément un mauvais mariage, pour le forcer, avant i’âge de la majorité, à renoncer à la succession. M. Vieillard (de Coutances). L’article qui est proposé me serait infiniment avantageux, et cependant je le combats. Quelque bonnes que soient les lois nouvelles, il faut craindre les commotions funestes qu’elles pourraient produire si on leur donnait un effet rétroactif. (La discussion est fermée.) M. le Président. Je mets aux voix la question préalable. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’article 21.) M. Gaschet de Lille, député du département de la Gironde , demande un congé. (Ce coDgé est accordé.) M. de Sillery. Messieurs, j’observerai à l’Assemblée que M. Deschamps, député du département de Rhône-et-Loire, est absent depuis près de 8 mois de l’Assemblée; nous recevons journellement des lettres qui nous annoncent qu’i I cherche à détruire à Lyon tout ce que fait l’Assemblée nationale pour le bien général. Sa plus 506 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1791.] longue présence à Lyon préjudicierait peut-être à la chose publique dans cette ville. Je demande que M. le Président soit chargé d’écrire à M. Deschamps de venir dans 8 jours reprendre ses fonctions. (Cette motion est décrétée.) M. le Président. Messieurs, j’ai en ce moment à remplir une fonction bien douloureuse. ( Mouvement d’ attention.) Vous pressentez qu’il s’agit de vous annoncer la perte prématurée que vous venez de faire de M. de Mirabeau. Rappeler les applaudissements fréquents que ses grands talents lui ont mérités dans cette Assemblée, c’est déposer sur sa tombe un titre non équivoque de vos regrets. ( Silence prolongé.) M. Barrère de "Vieuzac. Mirabeau est mort. Les grands services qu’il a rendus à la patrie et à l’humanité sont connus. Les regrets publics éclatent de toutes parts; l’Assemblée nationale ne témoignera-t-elle pas aussi les siens d’une manière solennelle? Ce n’est pas sur les bords de la tombe qui vient de s’ouvrir que je réclamerai de vaines distinctions; c’est à l’opinion publique, c’est à la postérité à lui assigner la place honorable qu’il a méritée, c’est à ses collègues à consigner leurs justes regrets dans le monument authentique de leurs travaux. Je demande que l’Assemblée dépose dans le procès-verbal de ce jour funèbre le témoignage des regrets qu’elle donne à la perte de ce grand homme, et qu’il soit fait, au nom de la patrie, une invitation à tous les membres de l’Assemblée d’assister à ses funérailles. ( Ce discours est prononcé d'une voix altérée; des députés en grand nombre mêlent leurs larmes à celles que répand l'orateur.) M. Bofssy-d’Anglas. Il est un autre moyen d’honorer la mémoire de M. de Mirabeau, c’est de perpétuer encore un moment son existence au milieu de nous. Il a laissé un travail sur les successions. Ce travail était prêt à être lu; et M. de Mirabeau devait le lire lui-même dans la discussion qui va nous occuper tout à l’heure. Je demande, Messieurs, que vous réclamiez cet ouvrage, et que vous vous le fassiez lire au moment où vous traiterez la question sur le droit de tester. M. de La Bocliefoucaiild-Uanconrt. J’appuie la motion de M. Barrère, par une considération qui sera, j’en suis sûr, d’un grand poids pour l’Assemblée. Rappelez-vous qu’une des dernières fois que le collègue, que nous regrettons en ce moment, est monté à la tribune; il a pris l’engagement solennel de combattre les factieux, de quelque côté qu’ils soient. Cet engagement, que ses grands talents lui donnaient le moyen de remplir avec succès, lui a valu des applaudissements répétés; il est un titre de plus, un titre bien précieux à vos regrets. Cet engagement a retenti dans les cœurs de tous les bons citoyens ; il est l’engagement particulier, il est le devoir nécessaire de tous ceux qui sont disposés à tout sacrifier pour faire triompher l’intérêt public et le bien de l’Etat. {Applaudissements.) Je demande qu’on aille aux voix. Un membre ecclésiastique à droite : Je demande que le travail de M. de Mirabeau sur les successions soit imprimé et distribué aux membres de l’Assemblée. M. Briois de Beanmetz. J’ai l’honneur de déclarer à l’Assemblée nationale qu’hier M. de Mirabeau, au milieu de ses souffrances, a fait appeler auprès de lui M. l’évêque d’Autun, qu’il lui a remis entre les mains le travail qui vient d’être désigné à l’Assemblée et lui a demandé, comme la dernière marque de son amitié, de vouloir bien en faire la lecture à l’Assemblée, lorsque cette discussion serait à l’ordre du jour. M. l’évêque d’Autun s’empressera sans doute de rendre à son ami un devoir aussi sacré qu’attendrissant, et personne ne peut lui envier l’avantage de faire à la tribune, en quelque façon, l’exécution testamentaire du grand homme que nous pleurons tous. M. le Président. On a fait la motion d’envoyer une députation aux funérailles de M. de Mirabeau. M. Bubois-Crancé. Il n’est pas besoin d’un décret. Nous nous y trouverons tous. {Vifs applaudissements.) Un très grand nombre de membres : Nous irons tous ! tous ! M. le Président. En ce cas, lorsque je saurai l’heure, je prendrai les ordres de l’Assemblée. Je vais maintenant mettre aux voix les autres motions qui ont été faites. On a demandé de consigner dans le procès-verbal le témoignage des regrets de l’Assemblée, d’engager M. l’évêque d’Autun à lire l’ouvrage de M. de Mirabeau sur les testaments et d’ordonner l’impression et la distribution de ce travail. Je mets aux voix ces motions. (Ces motions sont décrétées à l’unanimité.) La discussion sur les successions est reprise. M. tue Chapelier, rapporteur , présente à la discussion le titre II du projet de décret ; ce titre est ainsi conçu : TITRE II. Effets et limites des dispositions de l’homme. « Art. 1er. L’ordre de succéder établi dans le titre précédent ne pourra être changé par aucune convention, même par les stipulations d’un contrat de mariage ; et nul ne pourra renoncer à une succession future, même avec le consentement de la personne à qui il s’agit de succéder et de ses héritiers présomptifs. « Art. 2. L’usage des institutions contractuelles, promesses de conserver, déclarations d’héritier, rappels et autres dispositions semblables, est aboli, tant dans les contrats de mariage, qu'en toute autre espèce d’actes ; sans préjudice des donations par contrat de mariage, aux futurs conjoints et à leurs enfants à naître, jusqu’à concurrence de ce qui sera permis ci-après. « Art. 3. L’usage des substitutions fidéi-commis-saires, pupillaires et exemplaires est aboli; et il ne pourra en être fait par aucun acte. « Art. 4. Pourront néanmoins les pères, mères et autres ascendants interdire à un ou plusieurs de leurs enfants ou descendants, la faculté d’aliéner, disposer et hypothéquer ; mais cette interdiction ne pourra avoir lieu que sous les conditions suivantes : « 1° Qu’elle soit bornée à un seul degré ;