[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791. J d’Orléans. La convention préparatoire de Balsain étaitune stipulation d’articles et non pas un traité solennel , commeonom le dire.Getteconvention ne change rien d’ailleurs au contrat de mariage que nous examinons. Monsieur d’Orléans réclame, ensafaveur, les lois qui déterminent le délai, dans lequel un mineur, devenu majeur, peut réclamer contre les actes de sa minorité. 11 dit que, dans le droit romain, ce terme n’excédaitjamais 5 ans et qu’en vertu de l’article 134 de l’ordonnance de 1539, après Vâge de 35 ans accomplis , il n'y a plus lieu, de la part des mineurs, à la rescision des contrats, soit par nullité, aliénation de leurs biens, lésion, déception ou cir convention. Cette fin de non-recevoir ne peut pas être invoquée dans la cause ; car il est de principe qu’on ne prescrit jamais en France contre le roi et contre la nation. L’A;semblée nationale a exercé ses droits à cet égard, avec trop de constance et de rigueur, pour que l’on puisse couvrir, à ses yeux, d’aucun prétexte de laps de temps, un droit ou un acte vicieux et abusif dans son origine. Je pourrais m’en tenir à cette seule réponse qui oppose à une simple lin de non-recevoir bien plus incontestable. Mais l’écrivain de Monsieur d’Orléans y a-t-il réfléchi, ennous opposant ce moyen de prescription, appliqué par la loi aux mineurs devenus majeurs? Ne sait-il donc pas que les rois de France sont toujours mineurs, quand ils éprouvent la moindre lésion des droits de la couronne ou de la nation? Dans l’espèce présente, Louis XV et son successeur qui le représente doivent être considérés comme mineurs, et les délais fixés par la loi, pour réclamer après la majorité, ne peuvent jamais expirer pour eux. L’action du roi, et à plus forte raison celle de la nation est donc toujours ouverte et il est évident que l’argument de la prescription, si souvent repoussée dans cette Assemblée, peut encore moins y être admis dans cette circonstance. L’écrivain de Monsieur d’Orléans ajoute que les lois veulent qu’un mineur qui a eu « agréable >■, comme s'exprime la loi romaine, la disposition faite par son tuteur (ratum ha huit), ne puisse plus demander la rescision de l'acte. C’est ainsi qu’il traduit ces mots : ratum habuit, qui signifient ratifier, par cette périphrase a eu agréable, comme si dans le texte de la loi, au lieu de ratum habuit, il y avait gratum habuit. Traduire ainsi, pour la commodité de sa cause, ce n’est point citer une loi, c’est la créer. J’ai démontré que Louis XV n’avait jamais ratifié la donation faite en son nom par Monsieur le régent. J’ai dit qu’une simple liquidation monétaire n’était point une ratification légale. Mon argument conserve donc toute sa force. Les lettres patentes de 1725 supposent la créance, mais ne la ralitient point, et avoir pour agréable ne serait certainement point ratifier. Les 50 payements des intérêts, que Monsieur d’Orléans appelle 50 actes de ratifications successifs, ne sont point des ratifications, mais de simples successions d’erreurs, qui ne peuvent établir un droit. Je trouve dans le mémoire de Monsieur d’Orléans que ces lettres patentes sont une ratification implicite. J’ignore, et personne ne doit se soucier de savoir ce que c’est qu’une ratification implicite, si ce n’est un aveu très explicite qu’il n’y a jamais eu de ratification. J’ai assez prouvé, dans mon opinion, que cette créance, qu’on dit avoir été acquise à prix d’ar-1” Série. T. XXVII. 193 gent par la maison d’Orléans, ne lui a jamais rien coûté. Que pourrait-il donc y avoir de commun entre un titre infecté de tant de nullités et les véritables créances légalement constituées sur la nation? Loin d’alarmer les créanciers de l’Etat, comme le prétend Monsieur d’Orléans, l’Assemblée nationale les rassurera, nécessairement, en prononçant la nullité de cette dette. Quand ses conseils osent dire que la banqueroute serait commencée, si vous rejetiez sa réclamation, iis me donnent trop d’avantages sur eux pour que je doive leur répondre. Les représentants d’un mineur méritent-ils donc d’être flétris de ce nom infâme de banqueroutiers, lorsqu’ils refusent de payer, au représentant d’un tuteur, une somme de 4 millions dont celui-ci a disposé sur les biens de son pupille, pour doter sa propre fille? Monsieur d'Orléans, loin de se permettre de pareilles inculpations, doit se féliciter aujourd’hui de ce que l’Assemblée nationale est assez généreuse, pour ne pas répéter contre lui les deux dots, que Monsieur le régent puisa dans le Trésor public, en mariant deux de ses autres filles, à M. le prince de Modèneet à l’infant d’Espagne don Carlos. La responsabilité qu i la nation a le droit d’exercer soumettrait incontestab!ement Monsieur d’Orléans à cette double restitution, si les représentants du peuple français voulaient lui en demander compte, et certes nous le devrions, Messieurs, s’il est vrai, comme vous l’avez dit cent fois dans cette tribune, que nous n’avons le droit d’être généreux envers personne, et encore moins envers les dilapidateurs publics, aux dépens de l’Etat dont nous ne sommes que les mandataires. QUATRIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 13 JUIN 1791. Opinion de 33. de VilIesieuve-SSargemonî, prêtre, député de la ville de Marseille à l’Assemblée nationale, au sujet des 4 millions de la dot de la reine d'Espagne, fille de M. le duc d'Orléans, pelit-fils de France et régent du royaume, en faveur de M. Louis-Philippe-Joseph Capet Orléans, bourgeois de Paris, membre du Corps législatif et de la dynastie royale (1). Messieurs, Les juges ne doivent jamais partager avec le public les préventions qu’il ne prend que trop souvent et fort mal à propos. Ce sont ces sortes d’inconvénienls fâcheux qui portent quelquefois les dépositaires des lois à commettre, sa os s’en apercevoir, les plus grandes injustices. Il convient, par conséquent, à l’Assemblée nationale de ne donner aucune attention aux horreurs qa’on n’a pas craint de répandre contre M. Louis-Philippe-Joseph Capet, autrement dit Orléans, bourgeois de la rue Saint-Honoré de Paris, membre du Corps législatif et de la dynastie royale. (1) Cette opinion n’a pas été prononcée par suite du renvoi de la question à la prochaine législature. 13 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] 194 [Assemblée nationale.] Ne nous occupons uniquement que de l’affaire qui le regarde. Son droit au sujet des 4 millions formant la dot de la reine d’Espagne, sa tante, est si incon-tes'able, qu’on ne peut le lui disputer sans faire l’outrage le plus sanglant à la laison et aux lois actuellement en vigueur. Cette question est de la plus grande importance et mérite les plus sérieuses réflexions. Dès que la demande de Monsieur Orléans nous aura paru fondée, il doit être traité aussi favorablement que tous les autres citoyens français, auxquels il est dû de notre part appui, protection et justice. Il faut se défier des artifices dont on se servira pour le frustrer d’une partie de sa fortune. Ses ennemis sont très puissants, en grand nombre, et d’autant plus dangereux, que cet excellent chrétien ne s’en doute nullemenl. Ils ont usé, à son égard, de cette pratique indiquée par les plus habiles docteurs en politique infernale, qui nous ont appris qu’il fallait calomnier sans cesse les personnes qu’on veut perdre, parce qu’il reste toujours des impressions fâcheuses, dont il est quelquefois bien difficile, pour ne ■ji as dire impossible, de se défendre. Il paraît qu’on n’a pas mal réussi à l’égard de Monsieur Orléans. Notre unique soin doit être d’examiner si, pendant la minorité de Louis XV, on a pu disposer de 4 millions provenait des deniers de l’Etat, pour doter la princesse d’Orléans, lors de son mariage avec le prince des Asturies, devenu depuis roi d’E pagne; et si l’épouse de ce monarque, étant veuve, sans enfants, a pu transiger, au sujet de la dot, avec M. le duc d’Orléans, son frère, pour lors premier prince du sang de France. L’on examinera ensuite si les grandes riche ses de la maison d’Orléans peuvent servir de prétexte pour («river le membre de la dynastie royale, dont il s’agit, des 4 millions contestés. 11 est néce-saire, pour cet effet, d’être instruit que ce n’est pas une grâce qu’on sollicite, mais seulement d’être maintenu dans la possession d’un bien légitimement acquis depuis près de la moitié d’un siècle. En connaissant la politique de l’Europe, on saura bientôt que l’intérêt de la France a demandé que 4 millions du Trésor royal fussent employés p ur doter la reine d’Espagne de la maison d’Orléans. Rappelon--nous que sous la régence il y eut une rupture entre la France et l’Espagne; on en vint même à une guerre ouverte. Les hostilité-; avaient malheureusement commencé de part et d’autre, avec beaucoup d’acharnement et d’animosité ; il était question de sièges et d’entreprises de la plus grande importance. Ainsi les deux royaumes se trouvaient exposés aux plus grands ma heurs. La Providence permit que tout fut pacifié presque dans un instant : La paix fut conclue entre les deux puissances et cimentée, ainsi qu’il arrive souvent en pareille occasion, de la manière la plus ferme et la plus stable, par le mariage de la princesse d’Orléans dont il est question, avec l’héritier présomptif de la couronne d’Espagne. Les deux nations applaudirent également à cette opération politique; en effet, Je bonheur de l’une et de l’autre la rendait absolument nécessaire. Louis XV n’ayant point de sœur, on ne pouvait donner au prince des Asturies une épouse qui appartint de plus près au monarque français, que celle dont la succession nous occupe actuellement. Il faut à ce sujet rendre à M. le duc d’Orléans, régent, un des plus grands hommes qu’ait produits la maison de Bourbon, toute la justice qui lui est due. Lorsqu’il plaça sa fille sur le trône d’Espagne, il travailla bien plus pour l’avantage et la prospérité de la nation française que pour l’intérêt de sa propre famille, laquelle, à cette époque, n’avait du tout point besoin de cette alliance, pour être considérée, honorée et respectée en Europe. Il est bon de savoir que cette princesse n’est pas la seule qui, n’étant pas fille d’un roi de Fiance, ait été dotée aux dépens de l’Etat. Louis XIV en usa de même avec ses cousines germaines, filles du second mariage de Gaston de France, duc d'Orléans, son oncle, dont quel-ques-ums épousèrent des princes souverains. Ce monarque maria de la même manière les deux filles aînées de son frère ; la première épousa Charles II, roi d’Espagne, et la seconde Victor-Amédée, duc de Savoie, mort roi de Sardaigne. Quant à la troisième, la Lorraine lui servit de dot. Ce pays ayant été conquis par la force de nos armes, et uni depuis de longues années à la monarchie française, on avait autant de droit de le conserver que plusieurs autres provinces conquises, dont on est encore aujourd’hui en possession. Ce sacrifice ayant paru nécessaire pour la tranquillité de l’Europe, on ne crut pas devoir s’y refuser. D’après ce récit, que peut-on opposer dans l’affaire dont j! s’agit. Osera-t-on se récrier sur l’énormité du prix de la dot, lorsqu’il est démontré qu’une somme aussi modique, aussi peu importante pour la France, et employée dans des circonstances aussi impérieuses, a fait promptement cesser tout sujet de plainte, de haine et de division entre deux nations prêtes à s’égorger mutuellement? L’honneur du Corps législatif exige d’écouter favorablement les raisons qui viennent d’être exposées, afin que, dans toute l’Europe, on soit généralement instruit que les représentants de la nation française se conformeront toujours aux règles de la justice, et aux principes d’une sage et p u lente politique. Quant à M. Orléans, son droit est si cerlaiu que les motifs qui déterminèrent le mariage dont il s’agit, sont ceux qui firent une si forte impression dans l’Assemblée nationale, séant à Versailles, lorsqu’elle déclara qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur une motion dont l’objet était d’exclure de la couronne de France les princes de la branche de Bourbon établie en Espagne, et de déclarer, en conséquence, valide la renonciation de Philippe V à cette même couronne, dont l’acte, au grand étonnement de tout le monde, fut mis sous nos yeux. L’on démontra, pour lors, que la prospérité du royaume provenait, en grande partie, de richesses immenses que lui procurait son commerce avec l’Espagne, et qu’on devait éviter soigneusement tout ce qui pourrait occasionner du mécontentement à un souverain dont l’alliance nous était si avantageuse, et avec lequel il importait beaucoup à la France d’entretenir continuellement une très bonne harmonie. Ainsi, un mariage d’où dépendait le bonheur et la tranquillité de deux puissants royaumes, n’a jamais pu être regardé 113 juin 1791.] 195 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] comme un objet indifférent, ou unesimple affaire de famille: c’est la nation française, laquelle a contracté un engagement inviolable avec la nation espagnole. Les effets qu’a produits cet événement ont été si merveilleux que, dans toutes les guerres où nous avons eu des ennemis puissants à combattre, les rois d’Espagne ont toujours volé à notre secours. Quant au don actuellement contesté, l’on doit tenir pour certain qu’il a été revêtu des formes requises pour prouver la légitimité de ceux que nos rois ont souvent accordés à de simples particuliers, on ne peut donc pas dire, ou qu’il ait été violenté, ou qu’il soit provenu d’un abus d’autorité. Eu effet., en 1726, 3 ans après la mort de Monsieur le duc d’Oriéans, régent, il fut ratifié et évalué à 4 millions par Louis XV, pour lors devenu majeur, dont les lettres patentes furent tout de suite vérifiées à la chambre des comptes de Paris. Ce don a été pur et simple; l’on n’a stipulé dans le contrat aucune réversibilité à l’Etat : d’où il suit que la priucesse, étant veuve et sans enfants, a pu disposer de sa dot comme un bien patrimonial, soit par vente, soit par donation, soit par testament. La manière dont la maison d’Orléans à acquis les fonds de cette dot est on ne peut plus conforme aux règles de l’équité. L’acte a été passé entre la reine d’Espagne, dont la candeur, ta probité et la pieté ôtaient généralement reconnues, et Monsieur le duc d’Orléans, son père, qu’on peut regarder comme un des prim es les plus justes et les plus vertueux de son siècle. Cet acte tendait à bonne fin ; il avait pour objet d’assurer la fortune de nombre de citoyens ; il imposait premièrement, l’obligation de payer 800,000 livres de dettes contractées par la reine d’Espagne et d’assurer encore, après sa mort, aux domestiques de sa maison, la moitié de leurs appointements; ce qui devait monter à une rente annuelle de 49,000 livres. Toutes ces conditions ayant été fidèlement remplies, que peut-on opposer à notre bourgeois de la rue Saint-Honoré? La nation a délibéré de payer toutes les années 900,000 livres de rentes viagères, pour acquitter les dettes que M. le comte d’Artois avait uniquement contractées pour ses plaisirs, et elle s’y est engagée, par ta seule raison que le roi avait promis de secourir son frère. Il y a cette différence entre ces deux dons, que le premier a été déterminé pour assurer à la France une paix durable, un puissant allié, ainsi que plusieurs autres avantages très importants; au lieu que le second n’a été utile qu’aux seuls créanciers de M. le comte d’Artois, ou aux personnes interressées à ces sortes de créances, dont plusieurs sont peut-être usuraires. Dès que la nation a pris de son pur mouvement des engagements pour payer les dettes de differents membres de la dynastie royale, engagements auxquels elle ne pouvait en aucune manière être obligée, à plus forte raison doit-elle tenir ceux qu’un traité solennel entre la France et l’Espagne a déterminés de la manière la plus stable, la plus expresse et la plus irrévocable. Pour revenir à M. Orléans, tout parle en sa faveur; son droit est évidemment démontré; la justice éclatante qui lui sera rendue nous fera un honneur infini, surtout dans un temps où on publie sans cesse à haute voix, dans les rues de la capitale, des horreurs capables de le faire regarder comme un monstre épouvantable. On sera aussitôt forcé de convenir que le Corps législatif n’a d’autre règle de ses actions que la justice et la vérité; qu’il n’épouse jamais les passions des parties dont les contestations sont soumises à ses décisions, et qu’il n’emploie son autorité que pour maintenir chacun dans la jouissance de ses propriétés. L’affaire de M. Orléans doit souffrir d’autant moins de difficultés que, selon toutes les apparences, la dot dont il est quesiion est la dernière de ce genre qui sera payée par la nation. En effet, tout citoyen pourvu de bon sens, qui désire sincèrement le bien de l’Etat, doit se réjouir infiniment du délire où l’on est encore aujourd’hui dans plusieurs royaumes et Etats voisins, ainsi que des ridicules p éjugés, non seulement adoptés parles souverains et princes, mais encore par les nobles les plus distingués des différents pays. On sera redevable d’une manière de penser aussi bizarre, qui nous sera très avantageuse, à l’entêtement opiniâtre des princes étrangers, qui, dans la crainte de se mésallier, ne voudraient plus épouser ni les filles de nos rois, ni celtes issues du sang royal. Il est à désirer qu’une pareille frénésie se perpétue dans les Etats voisins, etqu’elle domine sans cesse l’esprit de tous les personnages qui y tiennent le premier rang, alin que dans les mariages qu’ils contracteront à l’avenir, elle les détermine toujours conformément aux principes de la plus sévère, la plus entêtée et la plus fière aristocratie. Ce sera pour lors que la France prospérera, tandis que tous les autres royaumes seront dans un état languissant. Cette espece de manie nous évitera certainement beaucoup de dépenses et de guerres san-glautes, qui tôt ou tard auraient dévasté le royaume. Quand on réfléchira, à l’avenir, sur ces sortes d’objets, on ne s’imaginera jamais que pendant tant de siècles on ait eu la simplicité de s’occuper si sérieusement des Capets, et des alliances par eux contractées, tandis que les histoires nous apprennent qu’ils ont presque toujours eu pour favoris et confidents, des imbéciles, des escrocs, des traîtres et des scélérats. Il faut avouer que l’usage, où l’on a été jusqu’à nos jours de rendre à ces bourgeois les plus grands honneurs, doit être regardé comme le comble de la folie et de l’extravagance humaines, et on est fort heureux d’être revenu de pareilles erreurs. Ne doit-on pas rire aux larmes, en faisant attention que la femme du ci-devant premier prince du sang n’est pas plus actuellement que réponse d’un bourgeois du marais, d’un arlisan dufaubourg Saint-Antoine etqueses enfants n’ont pas plus de prérogatives que ceux d’un tisserand? De bonne foi, il doit nous être très indifférent si les Capets Urléms au lieu d’être chanoines et comtes des hauts chapitres de Mayence, de Cologne, de Trêves ou de Strasbourg, seront fabricants de vases sacrés ou des étoffes dont on se sert pour les ornements employés à la célébration du service divin dans ces quatre fameuses métropoles. Par un effet de la Providence, les préjugés ont heureusement changé en France. Aussi, quant aux fonctions augustes que nous ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 juin 1791.] 196 [Assemblée nationale.] sommes tenus d’exercer, il est certain que l’ancien état de M. Orléans n’influera en rien aux mesures qui seront prises, afin que, sans éprouver aucun trouble, il jouisse le plus tôt possible de la dot de 4 millions de la reine d’Espagne, qui lui appartiennent si légitimement. Nous montrerions autant d’empressement pour rendre prompte et bonne justice à un pâtissier, à un forgeron, à un aubergiste ou à un valet d’écurie, qu’à ce membre de la dynastie royale. Mais, dira-t-on, si les anciens revenus de la maison d’Orléans sont déjà trop considérables, n’est-il pas à craindre, après tout ce qui a été imputé au bourgeois dont il s’agit, qu’il ne se serve de son opulence et de ses 4 millions contestés, pour susciter des insurrections et se rendre maître du royaume? Ne nous laissons pas surprendre par de pareilles raisons, elles peuvent tout au plus servirde prétexte pour éclairer les actions de M. Orléans, mais elles n’autoriseront jamais à le priver d’une succession sur laquelle on n’aurait dû. élever aucun doute. L’injustice qu’on exercerait à son égard fournirait un exemple très dangereux et des moyens infaillibles pour dépouiller arbitrairement et in-punément tout citoyen de ses possessions. Les projets qu’on lui suppose d’avoir voulu usurper le trône n’ont jamais existé; iis sont au-dessus de ses forces, et l’exécution en aurait été impossible. En effet, lesFrançais, après avoir secoué le joug du despotisme ministériel voudraient-t-ils en supporter un autre qui ne serait pas moins odieux? Seraient-ils capables de commettre une injustice énorme envers notre monarque, uniquement pour favoriser un personnage auquel la France n’est redevable d’aucun triomphe, d’aucune espèce de service? Supposé que l’Europe eût vu une révolution s’opérer dans le royaume, où nous n’aurions absolument rien gagné en changeant de souverain, elle aurait conclu que la nation française est la plus folle, la moins réfléchie et la plus inconsidérée du monde entier. Dès que M. Orléans a si peu d’ascendant sur les esprits, pourquoi redouterions-nous de lui adjuger les 4 millions dont il s’agit, son droit à cet égard étant clairement démontré? L’idée générale, au sujet de ce membre de la dynastie royale, est qu’ayant éprouvéles rigueurs de la cour, il a voulu se soustraire à la tyrannie, et que, pour y réussir, ils’est prètéà laRévolution, mais que c’est à ce seul objetque sesdésirs etses desseins ont abouti. Quoi qu’il en soit, on n’aura une parfaite confiance en lui qu’après que la sincérité de ses sentiments sera parfaitement connue; aussi n’a-t-il été accueilli, comme on l’assure, dans le parti où il s’est jeté que lorsqu’on a compris qu’il n’y dominerait jamais, n’y jouerait pas les premiers rôles et qu'on pourrait s’en servir comme d’un instrument. Supposé qu’il eût exigé que, pour se montrer bon patriote, l’on épousât aveuglément ses intérêts, qu’on eût foi en ses œuvres et que l’on crût entièrement en Orléans , il se serait pour lors décelé et il aurait été regardé sicut ethnicus et publicanus. La fraternité, ainsique sa popularité, seraient devenues suspectes, et en même t mps un sujet continuel de railleries et de plaisanteries parmi les patriotes. Àurait-on pu, en effet, adopter une doctrine où la liberténationaleauraituniquement consisté à détrôner le roi pour procurer, à quelques créatures d’un membre de la dynastie royale, des places de ministres et de secrétaires d’Etat; une pareilledoctrine aurait certainement été rejetée et proscrite, non seulement comme hérétique, mais encore comme abominable. Nous pouvons nous rassurer entièrement à l’égard deM. Orléans ; sous quelque rapport qu’on le considère, il n’estpas en état de causerie moindre souci. De bonne foi, quelle influence peut avoir dans l’Etat un individu toujours criblé de dettes, même dans le temps où il jouissait de revenus immenses? Son opulence fût-elle encore plus considérable qu’elle ne l’était avant la Révolution, dès qu’on sait parfaitement à quoi s’en tenir à son sujet, qu’aurait à appréhender l’Etat, lorsque, pour lui conserver une partie de son patrimoine, nous remplirions nos devoirs en honneur et conscience? Sa considération serait tout au plus, dans une telle conjecture, celle du banquier de la cour et des autres riches financiers qui ne peuvent jouer les importants que vis-à-vis des agioteurs et des entrepreneurs de fortifications, de vivre, de messageries et de fournitures de toute espèce. Ces différents objets bien examinés, les 4 millions de la dot de la reine d’Espagne devenant le patrimoine assuré de M. Orléans, ne lui procureraient jamais, ni assez de crédit, ni assez d’autorité, ni assez de partisans en France pour occasionner à son sujet les moindres alarmes. Cependant, comme faute d’attention ce bourgeois a fourni à ses ennemis des armes dont ils se serviront probablement, dans les circonstances actuelles, pour lui nuire, il est bon de l’en faire apercevoir, afin que dorénavant il ne tombe plus dans un pareil inconvénient, et qu’il évite qu’on ne le rende un jour responsable des commotions dont le royaume a été agité, et des malheurs dont beaucoup de particuliers ont été affligés, depuis que la nation est devenue libre. N’a-t-il pas adopté un mémoire justificatif au sujet des délits du 6 octobre 1789, où il est dit, page 28, que, s’il se fût montré à Paris le 12 juillet de la même année, il aurait été à la tête d’un parti puissant? Une pareille jactance prouve évidemment que la vérité ne parvient presque jamais jusqu’à la personne d’un Capet. N’est-il pas généralement reconnu que, lors de cette fameuse journée, M. Orléans ne comptait absolument pour rien, ne pouvait tout au élus être regardé que comme l’acolyte de M. Necker, lequel était le saint du jour dont on célébrait la fête, et qu’on ne se servait de sa personne que comme on se sert de la patte du chat, pour tirer les marrons du feu, sans se soucier autrement de ses intérêts? Exerçons un acte de charité envers notre frère et notre égal, M. Orléans, afin de guérir son imagination et le désabuser entièrement de l’erreur grossière où il est des dispositions favorables du public à son égard. Si nous réussissons à le détromper, il est certain que les annales de toutes les facultés de rné tecine ne rapporteront jamais, à l’égard du corps humain, une cure plus admirable que celle à laquelle nous aurons coopéré, en faisant revenir notre respectable bourgeois des fausses idées qu’on lui a inspirées, et travaillons en conséquence. 197 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1731.] En effet, le peuple de Paris n’a-t-il pas témoigné à M. Orléans la plus grande indifférence quand il partit pour aller exercer son agence à Londres, et à son retour en France? N’a-t-il pas montré la plus grande satisfaction, lorsqu’on a répandu contre sa personne les calomnies les plus noires, les plus atroces, et même les plus invraisemblables? Avec quel plaisir le peuple ne voit-il pas qu’on doute sans cesse de la réalité de la négociation dont M. Orléans annonce avoir été chargé à la cour de Londres, et principalement lorsqu’on avance qu’on n’y ajouterajamaisaucune foi, quand même cette négociation serait rendue publique par la voie de l’impression et certifiée véritable sur les saints évangiles par M. de Montmorin ? Le public sait parfaitement que M. Orléans, tant sur la négociation dont il s’agit, que sur son séjour en Angleterre et son retour en France, ne pouvait recevoir des ordres que du roi seul. Aussi s’est-il beaucoup égayé, lorsqu’il a eu connaissance de la pétition laite peu de temps avant la fédération générale au Corps législatif, laquelle pétition a donné lieu de croire que notre résident à Londres était retenu dans cette ville par une autorité absolument étrangère à celle de notre monarque. Notre bourgeois a probablement ignoré que le peuple n’accorde ordinairement son affection qu’aux grands personnages que des fonctions et des services importants ont rendus recommandables; cet individu, à l’égard de l’aflection publique, ne peut se comparer au patriote Mirabeau, dont la mort a occasionné les larmes et les gémissements des bons citoyens. Ce fait est un remède de nature à guérir radicalement M. Orléans de l’excès de présomption où il s’est livré. Il suffit en même temps pour démontrer que l’Etat ne court aucun risque, quand nous aurons prononcé en faveur de ce membre de la dynastie royale, au sujet des 4 millions de la dot de la reine d’Espagne. En effet, qu’a-t-on à craindre d’un citoyen trahi de toutes parts, qui ne sait du tout point discerner ses amis de ses ennemis; que ses consorts n’emploient que quand ils ne veulent pas se compromettre eux-mêmes, et qui se jouent aussi impunément de sa personne que le chat se joue de la souris ? L’on doit aussi regarder comme indubitable que ce sont ses prétendus amis et consorls qui répandirent, à son insu, beaucoup d’argent à des pauvres et à des mendiants, pour chanter hautement ses louanges dans les rues et places publiques de cette ville, afin de le rendre aussi suspect aux partisans de la liberté qu’à ceux du despotisme, et empêcher que, par les suites des mauvais conseils qui pouvaient lui être donnés, il profitât lui seul de la Révolution. D’après ces considérations, ce citoyen, fùt-il poss esseur de tout l’or du Pérou, serait très peu redoutable. 11 le sera à plus forte raison bien moins, lorsqu’il n’est question que de lui assurer les 4 millions de la dot de la reine d’Espagne. Parmi les consorts de M. Orléans, il y en a de deux espèces différentes, agissant tous néanmoins pour la liberté; les uns ont probablement désiré une République, et les autres une monarchie, telle qu’elle existe aujourd’hui. Les premiers ayant besoin, pour quelque temps, d’un roi postiche, tel que le fut, du temps de la ligue, le cardinal de Bourbon, connu sous le nom de Charles X, avaient infailliblement jeté les y eux sur notre bourgeois pour jouer un rôle aussi ridicule, bien résolu de n’en faire aucun cas, et de le bannir du royaume aussitôt qu’ils auraient levé le masque et déterminé la forme de gouvernement par eux projetée. Les seconds, appréhendant l’ambition des créatures de M. Orléans, ont voulu, selon toutes les apparences, lui tendre des embûches, pour le faire tomber dans quelque piège. Son buste fut en conséquence promené dans les rues de Paris, le 12 juillet 1789. L’on avait sans doute compté qu'il mordrait à l’hameçon. En se montrant au peuple de Paris, il aurait été simplement proclamé, pendant quelques heures, roi des Halles, comme l’avait été, sous la minorité de Louis XIV, le duc de Beaufort, et on se serait amusé à ses dépens. Nos zélés patriotes imaginaient certainement que le membre de la dynastie royale, étant ainsi joué au conspect d’une quantité prodigieuse du monde, perdrait à l’instant toute espèce de considération dans le royaume. De la manière dont on en use avec M. Orléans, peut-on le donner comme un épouvantail capable d’inspirer de la terreur? Dès qu’il n’est pas en son pouvoir de nuire au nouvel ordre de choses, pourquoi ne se ressentirai t-il pas, en qualité de membre de la grande famille, des effets heureux que procure le grand œuvre de la régénération de l’Etat? Son droit sur les 4 millions de la dot de la reine d’Espagne étant appuyé sur des titres authentiques, levons au plus tôt les obstacles dont on sesmt pour l’empêcher de jouir d’une pareille succession. Quelque horribles que soient les procédés dont on vient de faire mention et qu’on a eus à son égard, ils ne sont pas cependant comparables à la pièce qui lui a été jouée le 6 octobre 1789; elle aurait mérité les éloges de Machiavel. Ce furent probablement ses prétendus amis qui déterminèrent les délits qu’on devait commettre le 6 octobre, qui prirent en même temps des mesures afin que ces mêmes délits fussent dénoncés au Châtelet, que les soupçons tombassent sur sa personne, et qu’il fût ensuite représenté envers la famille royale comme coupable d’un complot horrible qui n’a jamais existé. Ces abominations ont réussi en tout point. Que les Capets sont à plaindre! Ils ont malheureusement presque toujours eu un goût décidé pour la mauvaise compagnie et ont manqué au besoin de bons conseils, capables de les empêcher de faire des démarches fausses et dangereuses ? Ne nous le dissimulons pas; c’est à la demande très déplacée faite sans aucune nécessité à l’Assemblée nationale séant. à Versailles, au sujet de la renonciation de Philippe V à la couronne de France, que toutes les horreurs calomnieusement imputées à M. Orléans, et toutes les préventions injustement prises contre lui, doivent être imputées. Que cet excellent chrétien ne s’abuse pas; cette démarche, la plus imprudente qu’on puisse ignorer, est l’unique cause qu’on lui a supposé une ambition effrénée dont il n’a jamais été tourmenté, ainsi que des projets auxquels il n’a jamais pensé, et des intentions qu’il n’a point eues. On peut dire que, par le défaut de clairvoyance des personnes dont il a été entouré, il a éprouvé, sans l’avoir mérité, les plus grandes vexations. Avec la moindre réflexion, ne devait-il pas voir 198 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. que l’Assemblée nationale aurait de fortes raisons pour ne pas prononcer sur l’objet dont il est question, dans la crainte de mécontenter l’Espagne? En lui supposant la moindre intelligence, n’aurait-il pas compris qu’au cas où la maison régnante viendrait à manquer en France, l’Angleterre et d’autres puissances seraient intéressées à soutenir ses prétentions ? C’est un assez grand malheur pour notre bourgeois de n’être pas à son âge suffisamment instruit de tout ce qui a rapport à la politique de l’Europe, et de ne savoir pas conduire ses affaires. Dès qu’il ne peut faire aucune sensation en Fiance, il faut au moins qu’il ne perde pas les 200,000 livres de rente provenant de la dot de la reine d’Espagne. Sachons que, quand on fait un étalage de son crédit, de son pouvoir et de ses richesses, on n’a d’autre but que de surprendre notre religion, et nuire à ses intérêts. En effet, quel ombrage peut-on prendre d’un citoyen alternativement dupe et victime de ses conlidents : calomnié sans cesse de la manière la plus atroce; dont l’innocence est facile à démontrer, et qui n’emploie, dans son mémoire justificatif des délits du 6 octobre 1789, qu’un mécanisme de chicanes. Il n’ose seulement pas découvrir une intrigue, autant ourdie pour le perdre que pour dissoudre les quatre compagnies des gardes du corps ; intrigue à laquelle presque toute la cour a eu part. Ne lui était-il pas facile de démontrer que le complot contre la famille royale, dont on lui fait continuellement un crime, n’a jamais existé? N’aurait-il pas dû dire que, quand les gardes du corps, en sentinelle à la porte des appartements de la reine, furent attaqués, aucun ministre et aucun seigneur de la cour ayant des emplois importants dans la maison civile et militaire du roi, ne parurent à la brèche, et qu’ils s’y seraient infailliblement trouvés tous, s’il y avait eu à craindre pour la vie du roi, de la* reine et du Dauphin? Dès que l’accusation du complot contre la famille royale tombe absolument, celle qui regarde les assassinats des gardes du corps doit tout de suite être réputée une imposture. Il faut avouer que les vrais amis de la liberté ont habilement eouduit cetîe affaire. Les avenues du château de Versailles furent probablement libres dans la matinée du 6 octobre, ou pour y attirer les créatures de M. Orléans et les mettre en pièces, au cas où elles auraient fait quelque mouvement en sa faveur, ou afin qu’il se convainquît par lui-même de sa parfaite nullité, à l’égard de tout ce qui avait rapport à la Révolution. Après les revers qu’a essuyés M. Orléans, ayant une cause fondée sur l’évidence, compatissons du moins à son sort, et déclarons-le au plus tôt légitime possesseur des 4 millions de la dot de la reine d’Espagne. Mais, dira-t-on, si notre ancien agent de France à Londres n'est pas dangereux par lui-même, ne peut-il pas le devenir par les termes et les manœuvres de ses conlidents? L’on répondra tout de suite qu’il faut rendre justice à ce citoyen, et qu’au premier sujet d’inquiétude que donneront ses créatures, il est facile de faire cesser' tout motif d’intérêt pour troubler, à son occasion, l’Etat. Le Corps législatif ne peut-il pas déclarer qu’au cas où le roi et ses frères mourraient sans [13 juin 1791.] enfants, l’état de roi, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, sera celui d’un simple sanc-tionneur, aux ordres de l’Assemblée nationale, lequel ne sera ni sacré ni couronné, aura 600,000 livres d’appointements par an, et sera déposé aussitôt qu’il s’écartera des lois auxquelles il aura été soumis? Supposé qu’un moyen de cette nature ne soit pas suffisant pour assurer la tranquillité du royaume, ne peut-on pas réduire provisoirement la maison d’Orléans à l’apanage de 30,000 livres par an, sauf à prendre des mesures bien plus efficaces encore si le cas y était? Pour lors, sans préjudicier aux autres membres de la dynastie royale, on obviera à toutes sortes d’inconvénients fâcheux. Tout ce que peut faire de mieux M. Orléans, pour se préserver des attaques de ses ennemis, est de marcher à grands pas dans la voie du salut. S’il eût macéré son corps, à l’exemple des pères du désert, lorsqu’il s’est déclaré partisan de la liberté, et qu’il eût pratiqué l’humilité chrétienne au môme degré de perfection que Saint-François d’Assise, il n’aurait excité aucune méfiance, n’aurait pas été en proie à la jalousie, à la vengeance ; et on ne lui aurait pas envié les 4 millions de la dot de la reine d’Espagne. A quelle solide et brillante fortune, très supérieure aux biens périssables de ce monde, n’aurait pas aspiré M. Orléans, en offrant sans cesse à Dieu, en esprit de mortification, ses afflictions et en s’écriant du fond de son cœur : Bonum mihl, domine , quia humiliasti me! Aussi, ne devrait-il pas travailler depuis longtemps à devenir habitant du paradis, et s’y prendre de telle manière que les voûtes de nos temples retentissent un jour du chant des hymmes composés à l’honneur des confesseurs non pontifes et que sa figure fut estampée sur un grand nombre de bannières? Tout ce qui s’est passé de nos jours fait voir qu’il est très intéressant pour notre bourgeois de donner une preuve convaincante de son parfait dévouement à la roture, soit en se conformant à l’avis qui lui a été déjà donné d’établir pour son propre compte une maison de commerce de draps, soit en quittant son triste cordon bleu, livrée du despotisme. 11 lui convient de ne plus habiter un palais magnifique, ni de parcourir les rues de la capitale dans des voitures aussi élégantes que celles d’un aristocrate à bonnes fortunes. Il doit tout de suite se résoudre à devenir négociant : n’a-t-ii pas déjà fait des entreprises de cirques, de salles de spectacles et d’autres objets ayant rapport aux plaisirs du public, dont il tire un gain immense? Pourquoi ne s’occuperait-il pas de tout ce qui a rapport à la santé des membres de la grande famille? Avec de si beaux sentiments, le publicne ferait-il pas sans cesse des vœux afin que la jouissance des 4 millions de la dot de la reine d’Espagne lui soit parfaitement assurée? Il devrait, en conséquence, débiter des médicaments propres à arrêter les épidémies, à préserver des apoplexies, et à opérer la guérison de beaucoup de maladies qui ne deviennent mortelles que par la mauvaise qualité des remèdes qui sont journellement employés. Son amour pour l’humanité doit, par cette raison, le porter à établir une maison de commerce de toutes sortes de drogues pour ses enfants, sous la raison des trois frères Orléans, à l’en- [14 juin 1791.] [Assemblée nationale.] seigne du grand œuvre de la régénération de l’Etat. Il pourrait établir une troisième maison de commerce de toutes sortes de toiles pour sa fille, à l’enseigne du parfait civisme. On p"ut dire que, par de pareilles opérations, il aurait donné aux enfants des aristocrates un exemple qui les inviteraient tous à se conformer aux dogmes nouvellement établis. Quelque extraordinaire et risible que paraisse, au premier coup d’œil, un pareil moyen, il est plus avantageux pour M. Orléans qu’il ne le pense. Supposé que cet issu du sang royal, en abandonnant son ancien état, n’ait pas au moins l’habileté de se procurer la vie éternelle, et il faut avouer qu’il est le plus maladroit et le plus inconséquent de tous les hommes. 11 risque par là de devenir J’objet de la satire des poètes, ainsi que de tous les mauvais plaisants, et d’être regardé comme étant absolument nul dans ce monde. Qu’il n’imagine pas en imposer aujourd’hui par de belles expressions; elles produiraient peu d’effet. Pour qu’il fasse connaîre la sévérité de ses sentiments, il faut des actes sensibles et frappants. Qu’il ne présume point aujourd’hui de ses forces ; depuis que chaque Gapet est discuté et apprécié à sa juste valeur, il ne peut plus ni absoudre ni excommunier. Il prétendrait en vain prouver son civisme en soutenant qu’il est aussi zélé chevalier de la popularité, de la fraternité et de la parfaite égalité que dom Inigo de Guipuscoa, autrement dit Saint-Ignace de Loyola, fut zélé chevalier de la bienheureuse Vierge Marie : on n’y ferait pas une grand*1 attention. Inutilement rappellerait-il, pour se faire valoir, qu’à la procession des Etats généraux, il y assista à son rang de bailliage; on ne lui tiendra aucun compte de ses sortes de minuties. Il ne doit pas s’atiendre que, pour un objet d’aussi peu de conséquences, en parlant de lui, on s’écriât : Siupete genies! Toutes ces sortes de raisons doivent nous inviter à prononcer en faveur de M. Orléans, au sujet des 4 millions de la dot de la reine d’Espagne. Je ne puis me dispenser, avant de finir, de faire une réflexion qui, véritablement, n’a aucun rapport immédiat avec l’affaire dont il s’agit, mais au moins un rapport indirect, parce qu’il tend au bien général. Elle est occasionnée par des propositions mises en avant dans quelques rapports, proposition dont j’ai été frappé. En témoignant beaucoup de zèle pour rendre justice à M. Orléans, nous devons montrer autant de force et d’intrépidité contre l’établissement de tout régime qui sera proposé où les législaturesqui nous succéderontet représenteront le Corps legislatif, pourront, ainsi qu’on l’a déjà insinué, discontinuer toutes les années, pendant quelque temps les fonctions augustes et sublimes dont elles sont chargées. Refuser de reconnaître le bon droit de M. Orléans dans une cause juste, ce serait effrayer tout citoyen sur la possession légitime de ses biens. Mais supposer qu’une législature ne doit pas toujours être dans une activité continuelle, quand même ce ne serait que pour peu de jours, c’est s’exposer à retomber sous le joug du despotisme, ouvrir la porte à la séduction, inspirer de la mé-189 fiance dans l’Assemblée, annoncer les funérailles de la Constitution et le renversement de l’édifice de la liberté. Désirant sincèrement que tout citoyen jouisse tranquillement de ses possessions, je propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète que les 4 millions de la dot de la reine d’Espagne, fille de Monsieur le duc d’Orléans, régent, appartiennent légitimement à Monsieur Loùis-Philippe-Joseph Gapet-Orléans, membre de la dynastie royale. » ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DAUCHY. Séance du mardi 14 juin 1791 (l). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance de samedi au soir, qui est adopté. M. Crossin, au nom du comité de Constitution , présente un projet de décret relatif aux pétitions des communes en changement dx départements, de districts ou de cantons et aux limites des départements et des districts, et portant établissement de tribunaux de commerce . Ce projet de décret est ainsi conçu : L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète ce qui suit/ Art. 1er. Les pétitions des communes en changement de départements, de districts ou de cantons, sont renvoyées aux législatures prochaines. Art. 2. Les limites des départements et des districts, telles qu’e'les sont déterminées dans les procès-verbaux de la division du royaume, et qu’elles ont été décrétées par l’Assemblée nationale, subsisteront. En conséquence, lesdites communes continueront de faire partie des départements et districts auxquels efies ont été unies, sauf à statuer conformément à l’instruction du mois d’août 1790, sur les demandes en rectification de limites, appuyées de l’avis des corps administratifs intéressés à ces changements. Art. 3. L’Assemblée nationale déclare nulles, et comme non avenues, toutes réserves portées aux procès-verbaux de division des départements et des districts, ainsi que tous arrêtés des corps administratifs, contraires à la fixation de leurs limites; décrète que toutes les communautés qui auraient pu se détacher du département ou du district dont elles dépendaient, d’après ladite fixation, seront tenues de s’y réunir sans délai. Art. 4. Elle déclare aussi nul, et comme non avenu, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.